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Interview

Pôles sociaux : « Les difficultés ressenties en juridiction concernent principalement les effectifs »

Le pôle social est en vigueur depuis le 1er janvier 2019. Ce nouveau service regroupe dans 116 tribunaux de grande instance l’ensemble du contentieux de la protection sociale (v. Dalloz actualité, 3 juin 2019, art. T. Coustet). La direction des services judiciaires s’explique sur sa mise en place.

le 26 juin 2019

La rédaction : Comment s’est déroulé le déploiement de cette réforme du point de vue de la Chancellerie ?

Frédéric Chastenet de Géry : La Direction des services judiciaires (DSJ) est depuis le début pleinement mobilisée pour la réussite de cette réforme. Celle-ci se conduit en plusieurs étapes. Une première période de préparation active remonte à janvier 2017 et s’est achevée le 31 décembre 2018. Elle visait à réduire fortement les stocks de contentieux à l’horizon du 1er janvier 2019.

Nous sommes actuellement en pleine période transitoire. Elle s’est ouverte début 2019. Jusqu’au 31 décembre 2020, cette période marque le transfert effectif du contentieux au sein des pôles sociaux des tribunaux de grande instance (TGI), la prise de responsabilité des TGI et l’entrée en vigueur des nouvelles procédures. La mise à disposition de personnels déjà en charge des activités transférées auprès du ministère de la justice permet d’accompagner ce transfert.

Une dernière phase de stabilisation et de consolidation de cette nouvelle organisation tant en matière d’effectifs que d’activité se poursuivra à partir du 1er janvier 2021.

Une direction de projet a été instituée auprès du directeur des services judiciaires dès 2017 pour conduire de manière transverse, au sein de la DSJ et en interministériel, les différentes composantes de cette réforme.

La rédaction : Y a-t-il un accompagnement sur le terrain ?

Frédéric Chastenet de Géry : Le choix d’avoir constitué une direction de projet, dont Jean-Michel Etcheverry, magistrat, avait la responsabilité jusqu’en décembre 2018, participait déjà d’une volonté de traduire l’attention portée au niveau central à cette réforme et de faciliter pour les chefs de cour et de juridiction, grâce à ce point d’entrée unique, la conduite de cette transformation. L’accompagnement des juridictions s’illustre sous différentes formes. Il a d’abord consisté en la mise en place au fil de l’eau de « fiches navettes », une centaine à ce jour. C’est une sorte de foire aux questions posées par les chefs de cour et de juridiction sur des sujets aussi différents que les ressources humaines, l’immobilier, l’informatique, la procédure, le budget, etc. Des fiches pratiques sur l’organisation des pôles sociaux ont aussi été élaborées par la DSJ. Toutes ces informations ont été adressées aux chefs de cour et de juridiction et sont accessibles sur l’intranet de la DSJ.

Plus récemment, j’ai tenu, entre mars et mai 2019, des réunions bilatérales en visioconférence avec tous les chefs de cours d’appel concernés, associant la DSJ, dans toutes ses composantes, et la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS), compétente pour les questions de procédures. On a passé en revue tous les sujets : des effectifs aux applicatifs, en passant par l’immobilier, l’activité, etc. J’ai terminé ces échanges il y a trois semaines avec la cour d’appel de Cayenne. Dès septembre, il est prévu de refaire un point. On aura alors plus de visibilité sur la réalité de l’activité depuis le 1er janvier 2019.

La direction de projet qui a été instituée est un dispositif qui donne vraiment satisfaction et nous avons mis en place le même schéma pour la conduite de la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance. C’est Françoise Calvez, magistrate, qui en exerce la responsabilité.

Un point d’information a par ailleurs été fait récemment aux personnels, magistrats et fonctionnaires, lors du comité technique des services judiciaires de février 2019. Enfin, un comité de pilotage national de la réforme présidé par Éric Négron, premier président de cour d’appel d’Aix-en-Provence, réunit tous les quatre mois le ministère de la justice, le ministère des solidarités et de la santé, et la caisse nationale d’assurance maladie, également parties prenantes à cette réforme. Qui mieux placé qu’un chef de cour pour absorber les doléances ou observations qui peuvent remonter du terrain ?

L’étape nouvelle qui s’ouvre depuis le 1er janvier 2019 pour les deux ans à venir sera celle de la naissance des pôles sociaux et de l’intégration progressive dans l’activité des TGI de tout un nouveau pan de contentieux. C’est une période d’appropriation charnière pour les TGI concernés, leurs greffes et les personnels des anciennes juridictions sociales qui sont mis à disposition, les magistrats qui sont en responsabilité, les assesseurs, mais aussi pour les médecins experts et les caisses de sécurité sociale.

La rédaction : Depuis le 1er janvier, les services concernés se sont-ils rendus en juridiction ?

Frédéric Chastenet de Géry : Des déplacements ont été réalisés et sont encore prévus auprès des chefs de juridiction qui nous remontent les difficultés de terrain et la façon d’y remédier. Par ailleurs, la direction des services judiciaires dispose d’une cellule d’accompagnement des juridictions. Cette cellule s’est déplacée en 2018 et continue de se déployer en 2019 à la demande des juridictions, comme cela a été le cas récemment à Lyon, Lille, Nanterre et Rennes, pour aider à l’appropriation de cette réforme et voir comment trouver un nouveau mode d’organisation parce que c’est une activité nouvelle dont il faut apprécier la mesure.

L’appui de cette cellule concerne également l’élaboration des trames et la mise à disposition d’applicatifs. Un dispositif de formation des magistrats et des fonctionnaires a été mis sur pied. En particulier, au cours de l’année 2018, 422 personnes ont été formées, soit 81 % du nombre de personnes devant être mises à disposition des TGI au 1er janvier 2019. Pour le premier trimestre 2019, dix sessions supplémentaires à destination de ces personnels sont organisées ainsi que vingt-deux journées de monitorat sur site permettant d’accompagner les personnels dans la prise en main de l’applicatif, après la formation initiale. D’autres sessions seront programmées tout au long de l’année, en fonction des demandes. On peut toujours faire mieux mais on est vraiment dans une démarche d’accompagnement.

La rédaction : … donc cette cellule va se déplacer dans les 116 pôles sociaux ?

Frédéric Chastenet de Géry : Elle a vocation à se déplacer dans toutes les juridictions qui le demandent.

La rédaction : Avec tout ça, comment expliquez-vous les difficultés rencontrées en juridiction justement ?

Frédéric Chastenet de Géry : Cette réforme d’envergure qui simplifie la vie du justiciable et rend la justice plus lisible s’inscrit pleinement en cohérence avec l’ambition de la loi de programmation et de réforme de la justice adoptée en avril 2019 mais elle est issue d’un autre vecteur législatif. La concomitance de la mise en œuvre de la réforme des juridictions sociales prévue par la loi Justice du 21e siècle avec la discussion sur le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, notamment sur le volet de l’organisation judiciaire, a pu créer de la confusion dans l’esprit de certains. 

Les difficultés ressenties en juridictions concernent principalement les effectifs. Au cours de l’année 2018, la crainte était que les agents des anciens tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) et tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI) ne rejoignent pas en nombre suffisant les pôles sociaux au 1er janvier et, en 2019, la crainte est que certains de ceux qui sont mis à disposition quittent à leur demande les juridictions pour réintégrer leur administration d’origine. Cette crainte est fondée mais nous ne pouvons obliger les agents à rester. Sur la base de l’engagement pris par le ministère des solidarités et de la santé de mettre à disposition ou transférer des emplois budgétaires à la justice à hauteur de 541 équivalents temps plein, il nous appartient de procéder aux recrutements et affectations de greffiers en juridictions.

La rédaction : Vous pensez qu’il s’agit d’un problème de communication ?

Frédéric Chastenet de Géry : Je ne crois pas qu’il y ait un problème de communication. Ce que l’on a constaté, c’est que la visibilité de la communication relative aux juridictions sociales mise en place en direction des justiciables et des professionnels du droit a sans doute été affectée par les forts enjeux de communication et d’information attachés à la discussion sur le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice qui couvrait un plus vaste périmètre.

Nous réfléchissons par ailleurs à un dispositif complémentaire de communication orienté vers le public concerné qui est souvent un public vulnérable, en difficulté. Et donc il faut aller vers ce public pour lui exposer cette transformation et faire mieux comprendre les atouts du nouveau fonctionnement de la juridiction en charge du contentieux de la protection sociale.

La rédaction : Et aucun report n’était possible ?

Frédéric Chastenet de Géry : Certains l’ont demandé effectivement mais il s’agissait d’un engagement issu de la loi Justice pour le 21e siècle de 2016. Le calendrier était déterminé par la loi. 

La rédaction : Revenons sur les difficultés évoquées en juridiction. Beaucoup d’agents des caisses ou issus d’autres ministères sont revenus dans leur ministère de tutelle. Comment la Chancellerie compte-t-elle combler le vide ?

Frédéric Chastenet de Géry : Sur ce point, un rappel s’impose. Quand la décision a été prise en 2016 de transférer le contentieux social au ministère de la justice, deux options étaient ouvertes pour armer les greffes en ressources humaines : soit on faisait un « big bang » en recrutant massivement des greffiers, avec le risque d’avoir un effet retard, le temps de leur formation initiale, et d’avoir des agents non expérimentés, soit on faisait prévaloir le pragmatisme en proposant aux agents volontaires des ex-TASS et TCI qui ont l’expérience du contentieux social de rejoindre les pôles sociaux.

C’est cette option qui a été retenue. Ces personnels, contractuels ou fonctionnaires d’autres ministères (santé et sports), ont vocation, à l’horizon 2022 et s’ils le souhaitent, à intégrer par concours le ministère de la justice. Profitons de leur expérience et faisons en sorte qu’ils intègrent à terme le ministère. À court terme, l’ensemble des agents de greffes qui exerceront dans les pôles sociaux seront des personnels du ministère de la justice.

Au terme d’un arbitrage interministériel, le ministère des solidarités et de la santé s’est ainsi engagé à garantir, au 1er janvier 2019, la présence de 541 emplois par la mise à disposition de fonctionnaires ou de salariés de droit privé et à défaut le transfert d’emplois budgétaires, c’est-à-dire par le transfert au budget du ministère de la justice de ce que représente le poste garanti de ceux qui auraient fait le choix de ne pas rejoindre les pôles sociaux. Deux décisions actant la mise à disposition de 106 fonctionnaires et de 317 salariés de droit de privé ont été prises le 24 décembre 2018 par le ministère de la justice. Ainsi, 423 agents ont été mis à disposition à ce jour.

Compte tenu des 78 transferts d’emplois déjà obtenus en loi de finances pour 2019 et qui ont permis de procéder d’ores et déjà à des recrutements, de nouvelles opérations de transferts à hauteur de 40 équivalents temps plein (ETP) devront intervenir afin d’atteindre l’objectif de 541 ETP.

En ce qui concerne les agents des caisses, parmi ceux qui avaient fait le choix de rejoindre les pôles sociaux début janvier, certains ont souhaité depuis ce jour revenir sur leur décision et réintégrer leur caisse. La direction des services judiciaires peut alors, en attendant l’arrivée de greffiers, pour combler ces vacances, octroyer aux juridictions des crédits permettant le recrutement de contractuels.

Les agents de droit privé qui sont restés pourront, à terme, s’ils le souhaitent, se porter candidats, sous certaines conditions, à des recrutements réservés exceptionnels, qui seront organisés en trois sessions (2020, 2021 et 2022), afin de leur permettre d’intégrer un corps de fonctionnaires (possibilité offerte également aux éventuels agents contractuels de l’État).

L’ensemble du régime juridique des agents mis à disposition des juridictions a été précisé par dépêche de la direction des services judiciaires du 14 janvier 2019.

La rédaction : Le 14 janvier, n’est-ce pas un peu tard, justement ?

Frédéric Chastenet de Géry : La dépêche du 14 janvier précise aux employeurs de ces agents que sont les chefs de cour le cadre juridique des mises à disposition des fonctionnaires et salariés de droit privé et le régime qui leur est applicable durant cette mise à disposition : lieu d’exercice de l’activité, nature des activités, temps de travail, congés, évaluation.

Sa diffusion en début d’année correspondait au moment de l’arrivée effective des agents ayant fait le choix de rejoindre les pôles sociaux et n’a pas posé de difficultés, d’autant qu’elle avait été travaillée en amont et que ces informations avaient déjà été diffusées sous forme de questions-réponses aux cours d’appel.

La rédaction : Qu’en est-il du principe de gratuité qui a disparu pour certaines expertises obligatoires ?

Frédéric Chastenet de Géry : Le président du pôle social de Créteil (v. Dalloz actualité, 3 juin 2019, art. préc. isset(node/196017) ? node/196017 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>196017) fait référence à l’article 12 de la loi du 18 novembre 2016 qui a abrogé l’ensemble des dispositions applicables au contentieux général et au contentieux technique de la sécurité sociale, ainsi qu’aux dispositions communes, y compris l’article L. 144-5, en vertu desquelles, hormis les rémunérations des présidents et secrétaires des juridictions, les dépenses « de toute nature » étaient prises en charge par les organismes de la sécurité sociale.

En application de la loi du 18 novembre 2016, le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 a abrogé l’article R. 144-10 du code de la sécurité sociale qui fixait le principe d’une procédure « gratuite et sans frais ».

Dans le cadre de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, le gouvernement a souhaité revenir à la gratuité de certaines consultations et expertises en l’occurrence celles liées au contentieux général de la sécurité sociale et au contentieux technique du handicap.

Cependant, le contentieux technique hors handicap restait encore en dehors du champ de la gratuité. Le gouvernement a donc déposé un amendement au cours de la discussion du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé pour étendre le champ de la prise en charge des frais par la CNAM à toutes les consultations. Cet amendement très attendu des justiciables a été adopté et la loi devrait être définitivement adoptée d’ici fin juillet.

 

 

Propos recueillis par Thomas Coustet

Frédéric Chastenet de Géry

Conseiller maître à la Cour des comptes et actuellement directeur adjoint des services judiciaires. Il a notamment exercé les fonctions de directeur adjoint de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et de conseiller au cabinet de Christine Lagarde, ministre de l’économie, des finances et de l’emploi.