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Interview

Présidentielle 2022 - Les candidats et la justice : les réponses de Fabien Roussel

Dalloz actualité a interrogé les principaux candidats et leurs porte-parole sur leurs propositions pour la justice et les professions judiciaires, à travers un questionnaire. Aujourd’hui, les réponses de Fabien Roussel, député du Nord et candidat du Parti communiste français.

le 7 avril 2022

La rédaction : Les personnels judiciaires manifestent depuis plusieurs mois un ras-le-bol autour de la question des moyens. Quels seront vos objectifs chiffrés pour le prochain quinquennat concernant les moyens et effectifs alloués à la justice ?

Fabien Roussel : En dépit d’une augmentation du budget consacré à l’institution judiciaire, il est patent que la France reste très en retard en comparaison des autres pays européens et demeure l’un des pays d’Europe qui investit le moins en matière de justice. À défaut de référentiels valides, la seule source pertinente dont nous disposons actuellement est le rapport de la CEPEJ, qui permet de situer la France par rapport à la moyenne des autres pays européens.

Ainsi, en termes de budget global, la France se situe à 69,5 € par habitant consacrés à la justice judiciaire, alors que la moyenne de l’ensemble des pays évalués est de 71 €. Cependant, la comparaison budgétaire n’a de véritable sens que rapportée au PIB des pays. À cet égard, la moyenne des pays dont le PIB est comparable à celui de la France est de 84,3 € par habitant.

Dès lors, au-delà des questionnements sur la manière dont le budget est actuellement employé (notamment en matière de priorité à l’administration pénitentiaire, de politique de recrutement des magistrats et de greffiers, en matière d’accès au droit, de politique informatique ou immobilière), il est indéniable qu’un rattrapage conséquent s’impose pour se rapprocher des standards de nos homologues européens. Je propose ainsi de doubler le budget de la justice en cinq ans, afin de rejoindre en 2027, la part consacrée par l’Allemagne à ce budget, qui représente actuellement 131,2 € par habitant.

En termes d’effectifs, la moyenne française du nombre de magistrats pour 100 000 habitants se situait en 2018 à 13,9 (10,9 juges et 3 procureurs) quand la moyenne européenne était à 33,5 (21,4 juges et 12,1 procureurs).

Au regard de la population actuelle de la France, pour atteindre la moyenne européenne, il nous faut donc atteindre le chiffre de 14 152 juges et 8 154 procureurs, pour un total de 22 306 magistrats.

Nous en sommes aujourd’hui très loin, les derniers chiffres annoncés par la direction des services judiciaires au 1er janvier 2022 étant de 9 192 magistrats, étant précisé que seulement 8 483 d’entre eux sont en juridiction.

Les comparaisons avec nos homologues européens dont le PIB est équivalent à celui de la France permettent d’estimer les besoins. Ainsi, pour atteindre la médiane européenne, la France devrait compter environ 19 500 magistrats (contre 9 090 aujourd’hui). Je m’engage ainsi à faire porter à 20 000 le nombre des magistrats en 2027, ce qui implique plus du doublement des effectifs actuels.

La rédaction : La déjudiciarisation des contentieux a été une voie choisie par plusieurs gardes des Sceaux pour alléger le travail de la justice. Faut-il déjudiciariser de nouveaux contentieux ?

Fabien Roussel : Je plaide pour un développement des lieux de droit, et donc également pour celui des modes alternatifs de règlement des conflits à plusieurs conditions. En premier lieu, il ne peut en aucun cas s’agir d’une manière de faire des économies sur le dos des justiciables par la production d’une justice au rabais. À cet égard, et en second lieu, l’assistance de l’avocat est bien évidemment un gage de régularité, et l’assurance d’une véritable égalité des parties et de protection des justiciables les moins bien informés ou les plus fragiles.

En matière pénale, si les alternatives aux poursuites constituaient au départ un moyen de traiter, sans les poursuivre, des affaires simples en y répondant par des mesures sans atteinte aux droits (rappel à la loi, orientation vers une structure sanitaire, etc.), elles sont finalement devenues le moyen de mordre sur les affaires auparavant classées sans suite et non sur celles poursuivies devant les juridictions, par le biais de mesures de plus en plus semblables à des peines. Ces mesures ne garantissent pas la protection des victimes (une victime ne pourra que constater qu’aucune mesure coercitive n’est possible si le mis en cause viole son interdiction de contact) mais permettent de se donner bonne conscience à bon compte.

La rédaction : Les réformes sur le droit du travail ont été nombreuses ces dix dernières années, aboutissant à une baisse des saisines prud’homales. Faut-il une nouvelle réforme ?

Fabien Roussel : La dernière loi du 6 août 2016, dite loi El Khomri, ainsi que les six ordonnances de 2017 rejoignent les objectifs déjà affirmés par de nombreuses dispositions de la loi du 14 juin 2013, dite de « sécurisation de l’emploi » : la défiance à l’égard du juge et la mise à l’abri de l’employeur qui bénéficie du privilège inédit d’être légalement mis à l’abri de l’aléa judiciaire.

Dans un contentieux où le droit a pour mission de rétablir l’équilibre de la relation de travail, par principe inégale, entre un employeur qui loue la force de travail d’un salarié qui lui est subordonné, réduire l’office du juge est lourd d’implications et nécessite d’autant plus que le débat ne soit pas confisqué et puisse avoir lieu sereinement au Parlement, et non à travers une loi d’habilitation.

Il en va ainsi de la limitation de l’indemnisation en cas de licenciement abusif – orchestrant le coût de la violation de la loi –, la mise hors-jeu du juge pour apprécier la cause réelle et sérieuse d’un licenciement, le bouleversement de la hiérarchie des normes donnant la faveur à l’accord d’entreprise qui bénéficiera d’une présomption de conformité à la loi, la réduction du délai de recours pour contester son licenciement, sont autant de dispositions qui font obstacle à l’accès à la justice et réduisent l’office du juge en matière prud’homale.

Je m’engage, en conséquence, à revenir sur ces textes très controversés, par une nouvelle réforme qui doit pouvoir être menée sereinement devant le Parlement, et non à travers une loi d’habilitation, ersatz de la procédure parlementaire.

La rédaction : Face au grand nombre de recours et au sentiment d’inutilité, le Conseil d’État plaide pour une simplification du droit des étrangers. Faut-il suivre ses préconisations ?

Fabien Roussel : Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit plus de quarante motifs pouvant conduire à la reconnaissance d’un droit au séjour, mais chacun exige de remplir des critères très restrictifs, fréquemment sujets à une large marge d’interprétation de la part des services préfectoraux. Cette multiplicité des motifs entraîne une très forte catégorisation des personnes : la situation individuelle n’est jamais appréhendée dans son ensemble, mais par segments isolés. Il convient d’ajouter à cela que la liste des documents à fournir est complexe, et délivrée au cas par cas par les préfectures.

Dans plus de la moitié des motifs de droit au séjour, une régularisation en France est exclue : seule l’obtention d’un visa long séjour depuis l’étranger permet d’espérer obtenir le titre de séjour.

Au fil des réformes successives, le fait qu’une demande de titre de séjour s’avère de plus en plus risquée : en cas de refus, la personne fait quasi systématiquement l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), accompagnée de plus en plus d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) pour plusieurs années. Ces mesures empêchent durablement les personnes de solliciter de nouveau une admission au séjour, même si leur situation personnelle a évolué et qu’elles remplissent plusieurs critères.

Dans l’objectif d’une politique d’accueil profondément revue dans un sens humaniste et juste, je suis par conséquent pour une réforme du droit des étrangers ayant pour objectifs la simplification, mais également de clarification et d’uniformisation des procédures.

La rédaction : En fin d’année 2022, le moratoire sur l’encellulement individuel en maison d’arrêt prendra fin. Or, vu la population actuellement incarcérée, cet encellulement individuel ne pourra pas être respecté. Que faut-il faire pour réduire la surpopulation carcérale ?

Fabien Roussel : Alors que le droit à l’encellulement individuel a été énoncé dès 1875, au 1er octobre 2019, seules 42 % des personnes détenues bénéficiaient d’une cellule individuelle. À la même date, l’administration pénitentiaire recensait 1 497 matelas au sol, contre seulement 1 353 un an plus tôt.

Ce taux moyen masque des disparités importantes entre les établissements pour peine, où environ 80 % des détenus bénéficient d’un encellulement individuel, et les maisons d’arrêt surpeuplées, avec un taux d’occupation qui atteint 138 % en 2019.

Il m’apparaît en conséquence urgent d’opérer une véritable réforme de la détention provisoire qui entraînera mécaniquement une décroissance des personnes détenues en maison d’arrêt. Une telle réforme passera par la diminution des critères permettant de recourir à la détention provisoire, l’élévation du seuil d’emprisonnement encouru autorisant le prononcé de la détention provisoire, la limitation de la durée de la détention provisoire, un moindre recours à la comparution immédiate, ainsi qu’un renforcement des moyens des services pénitentiaires d’insertion et de probation ainsi que du milieu associatif afin de renforcer les facteurs d’octroi de mesures alternatives à la détention provisoire.

Je procéderai également à une réforme de l’échelle des peines. Il est pour moi évident qu’il convient de privilégier, lorsque cela est possible, les alternatives à l’incarcération et de conférer aux SPIP les moyens nécessaires pour que la mise en œuvre de ces mesures ne demeure pas lettre morte.

La rédaction : Après #Metoo, faut-il adapter la justice pour mieux prendre en charge la question des violences et crimes sexuels ?

Fabien Roussel : Ce type de question est sur le plan judiciaire pris en charge sur le plan pénal. Dans mon programme, La France des Jours heureux, je me suis prononcé pour que les crimes sexistes et sexuels relèvent d’une cour d’assises et non d’un tribunal correctionnel. À cet égard, beaucoup de procédures se heurtent à la faiblesse des moyens d’enquête (« Un service spécialisé, comme le groupe “mineurs victimes” de l’Office central de la répression de la violence faite aux personnes, compte 17 enquêteurs, alors que leurs homologues britanniques sont 321 et les Néerlandais 150 ») ainsi que des moyens judiciaires de traiter ces affaires complexes. De nombreuses victimes renoncent à porter plainte, notamment par crainte de se trouver confrontées à un accueil outrageant ou incompréhensif dans les commissariats. Je préconise ainsi de poursuivre l’effort de formation d’agents spécialisés, mais surtout d’inclure cette action dès la formation initiale des policiers.

C’est pourquoi je plaide pour un développement de la justice restaurative. En organisant un dialogue entre les parties, celle-ci vise à aider les victimes à se reconstruire et à permettre aux auteurs de reconsidérer leurs actes. Une pratique encore plus nécessaire lorsque les victimes veulent obtenir d’autres types de réponse qu’une condamnation de l’auteur. La réponse pénale ne peut pas tout.

La rédaction : La création d’un statut d’avocat en entreprise est un serpent de mer. Est-elle dans vos projets ?

Fabien Roussel : Absolument pas. L’indépendance des avocats est « cette vertu cardinale » qui constitue un principe non négociable dans un État démocratique. C’est d’ailleurs le sens de la formule du serment de l’avocat qui jure comme avocat, d’exercer « ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ».

Ce principe d’indépendance fonde aussi les critiques, justifiées à mes yeux, sur le projet de loi ayant pour objectif de créer un statut d’avocat salarié en entreprise, qui aurait pour conséquence de conférer aux juristes d’entreprise le bénéfice du secret professionnel, ce qui viendrait évidemment en contradiction avec le lieu de subordination lié à leur statut dans l’entreprise.

La rédaction : Des arrêts récents de la CJUE sur les données de connexion ou le temps de travail des militaires ont été très mal reçus en France, au point que certains aient demandé au Conseil d’État d’entrer en résistance face au droit européen. Faut-il modifier l’articulation entre droit français et droit européen ?

Fabien Roussel : Je considère qu’un dialogue fructueux des juges a permis de concilier l’office du juge national, également juge de droit commun du droit de l’Union. Ainsi, le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État et la Cour de justice de l’Union européenne ont considéré que le contrôle prioritaire de constitutionnalité était compatible avec le droit de l’Union. Donc, je ne préconise pas cette modification.

La rédaction : Plus de dix ans après l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, vous semble-t-il nécessaire de réformer le Conseil constitutionnel ?

Fabien Roussel : L’organisation du Conseil constitutionnel mérite en effet d’être repensée. Il y a certainement nécessité d’une réforme qui passerait par la modification de la procédure de désignation des membres de l’institution, afin de s’assurer de leur indépendance envers la présidence de la République ou des majorités parlementaires, par un changement de la composition de l’institution (le sens de la désignation des anciens présidents de la République pour siéger au Conseil doit être revu) par un encadrement (véritable) de procédures de nomination de ses membres, mais aussi par la mise à plat des règles relatives à son fonctionnement (dans le cadre du contrôle a priori de la constitutionnalité des lois, les règles les plus élémentaires du droit processuel [publicité, principe du contradictoire, etc.] ne sont ainsi pas respectées).

Le statut des membres du Conseil mériterait également d’être repensé. Sur ce dernier point, on observera par exemple que le régime indemnitaire et fiscal des « Sages » est, depuis les premières années d’existence de notre Ve République, complexe, opaque et probablement (au moins partiellement) non conforme au droit. Une étude publiée a en effet révélé que de 1960 à 2001, les membres du Conseil constitutionnel ont bénéficié d’une exonération d’impôt injustifiée : seule la moitié de leur indemnité était soumise à l’impôt sur le revenu.

La rédaction : Plusieurs fois proposée dans les deux derniers quinquennats, la réforme constitutionnelle sur un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) sur les nominations du parquet n’a pas abouti. Quels seront vos projets pour la réforme du CSM ?

Fabien Roussel : Statut du parquet et pratique du pouvoir sont délibérément conçus afin d’encourager, sous la surface de garanties d’indépendance formelles, une allégeance spontanée des procureurs envers l’exécutif.

En effet, bien que les instructions dans les dossiers individuels soient proscrites, les magistrats du parquet savent que leur carrière dépend entièrement d’un exécutif qui ne se cache pas d’attendre d’eux une allégeance qui va au-delà de la simple loyauté. Un tel statut ne permet pas d’écarter le risque que certains fassent preuve d’une complaisance intéressée envers les intérêts réels ou supposés du pouvoir.

L’exécutif s’est d’ailleurs chargé de rappeler cet état de fait de manière particulièrement explicite aux procureurs qui ne l’auraient pas compris. Au mois de septembre 2018, le gouvernement interrompait le cours normal du processus de nomination du procureur de Paris et sollicitait en quelques jours la candidature – finalement retenue – d’un magistrat qu’il estimait apparemment plus proche de lui que les professionnels jusque-là pressentis.

Interrogé sur cette intervention, le Premier ministre déclarait au mois d’octobre 2018 « parfaitement assumer » de nommer un procureur parfaitement dans la ligne.

À ce titre, le projet de réforme constitutionnelle envisagé sous la présidence d’Emmanuel Macron n’est qu’un trompe-l’œil. En effet, alors que le gouvernement a communiqué bruyamment sur l’« alignement » du régime de nomination des magistrats du parquet sur celui des juges du siège, il a omis discrètement mais sciemment de prévoir un tel alignement au niveau des postes de la hiérarchie, pourtant les plus sensibles.

J’affirme donc la nécessité d’un processus de nomination des magistrats entièrement confié au Conseil supérieur de la magistrature, pour le siège comme pour le parquet, seul dispositif de nature à garantir une indépendance réelle de la justice.

La rédaction : Faut-il une nouvelle réforme du droit de la négociation commerciale (une loi « EGalim 3 ») ?

Fabien Roussel : Selon ses détracteurs, le droit actuel de la négociation commerciale présente un rigorisme incompréhensible dans une économie de marché. Il est vrai que ce droit impose un formalisme rigoureux et complexe.

Cependant, le principe de ces règles doit être salué puisqu’il a pour objectif de protéger le plus fragile contre le plus fort, et de prévenir et contrôler les pratiques abusives entre professionnels, notamment celles de la grande distribution, des Gafam et des acheteurs puissants, exercées à l’encontre des fournisseurs.

Le formalisme et le recours à un contrat unique sont la base des moyens de preuve permettant à l’administration, a posteriori, de déceler et sanctionner ces abus.

Je n’envisage donc pas, en l’état, une nouvelle réforme dans ce domaine.

La rédaction : De nombreuses voix se plaignent du trop de lois et trop de nouvelles normes. Faut-il combattre cette inflation législative, et quelle méthode proposez-vous ? Faut-il en finir avec les lois « faits divers » ?

Fabien Roussel : Je souscris aux principales propositions du Conseil d’État pour limiter l’inflation normative :

  • une programmation par le gouvernement de son activité normative, incluant l’objectif de simplification ;
     
  • la réalisation très en amont d’une étude d’option incluant l’option de ne pas créer de norme nouvelle ;
     
  • l’extension du champ des études d’impact, notamment aux propositions de loi et amendements substantiels ;
     
  • une certification des études d’impact par un comité indépendant.

Je proscris absolument les « lois de circonstance » adoptées à la suite d’un fait divers frappant et malheureux, mais qui ne sont que de la communication politique et alourdissent l’édifice législatif de manière démagogique, sans apporter de réponses innovantes aux problèmes posés.

Propos recueillis par Pierre Januel, Journaliste

 

Les réponses déjà publiées :
Jean-Luc Mélenchon
Marine Le Pen
Yannick Jadot
Valérie Pécresse

À noter, ni Éric Zemmour ni Emmanuel Macron n’ont souhaité nous répondre. L’équipe de ce dernier nous a indiqué que les questions étaient « trop détaillées ».

Fabien Roussel

Fabien Roussel est député du Nord et candidat du Parti communiste français