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Interview

Présidentielle 2022 - Les candidats et la justice : les réponses de Jean-Luc Mélenchon

Dalloz actualité a interrogé les principaux candidats à la présidentielle 2022 et leurs porte-parole sur leurs propositions pour la justice et les professions judiciaires. Les réponses de Jean-Luc Mélenchon, député des Bouches-du-Rhône, candidat La France insoumise.

le 30 mars 2022

La rédaction : Les personnels judiciaires manifestent depuis plusieurs mois un ras-le-bol autour de la question des moyens. Quels seront vos objectifs chiffrés pour le prochain quinquennat concernant les moyens et effectifs alloués à la justice ?

Jean-Luc Mélenchon : S’il faut répondre urgemment aux besoins en moyens financiers, matériels et humains, il s’agit de donner un sens pour refondre un service public de la justice, passant par un plan de rattrapage dans la durée, qui permette de réparer vingt ans de dégradation continue et d’abandon.

Notre grand plan pour la justice prévoit une augmentation progressive de 2,9 milliards d’euros du budget annuel concernant les recrutements (auxquels nous ajoutons 600 millions pour l’aide juridictionnelle et 400 millions pour l’amélioration des conditions carcérales). Cet effort devra se poursuivre au-delà du quinquennat pour parvenir aux objectifs chiffrés de formation et de créations de postes dans l’ensemble des métiers de la justice et du droit avec :

  • 13 000 magistrats;
  • 20 000 greffiers des services judiciaires;
  • 10 000 personnels administratifs;
  • 2 000 greffiers de l’administration pénitentiaire;
  • 5 000 CPIP;
  • 3 000 personnels administratifs de l’administration pénitentiaire;
  • 4 000 personnels administratifs de la PJJ;
  • 6 000 agents de la PJJ;
  • 2 000 personnels dédiés à l’accès au droit, à l’aide aux victimes et à l’AJ.

La rédaction : La déjudiciarisation des contentieux a été une voie choisie par plusieurs gardes des Sceaux pour alléger le travail de la justice. Faut-il déjudiciariser de nouveaux contentieux ?

Jean-Luc Mélenchon : La logique de déjudiciarisation est avant tout une manière de gérer la pénurie et a eu pour corollaire la réduction de l’accès au juge – et donc un déni de justice massif. En droit pénal, par exemple, il est évident pour nous qu’il faut réduire le droit contraventionnel car il n’est pas une garantie de justice satisfaisante.

Avant de déjudiciariser, il faut déjà redonner à la justice les moyens de travailler efficacement, avec un nombre de personnels judiciaires et de magistrats suffisant pour s’affranchir de la primauté des logiques purement gestionnaires du passé.

Notre volonté est donc de préserver le sens de l’office du juge dans le règlement des contentieux, avec les garanties que ce dernier apporte et que le justiciable est en droit d’attendre : audiences collégiales, assouplissement des règles de procédure (notamment : abrogation du décret Magendie et de la loi Macron 2015), développement de l’accès au droit, revalorisation substantielle de l’aide juridictionnelle, etc.

En bref, plus de justice dans la justice !

La rédaction : Les réformes sur le droit du travail ont été nombreuses ces dix dernières années, aboutissant à une baisse des saisines prud’homales. Faut-il une nouvelle réforme ?

Jean-Luc Mélenchon : Alors qu’ils remplissent la mission essentielle de faire appliquer les règles du code du travail, celles qui protègent les droits acquis des salarié·es, les conseils de prud’hommes sont structurellement sous-dotés en moyens financiers et humains depuis plusieurs quinquennats. Conséquence : les salarié·es, parties faibles au contrat de travail, ne peuvent faire valoir leurs droits dans des délais raisonnables et finissent trop souvent par se résigner. Ainsi, en dix ans, le nombre de saisines des conseils de prud’hommes a été divisé par deux, créant un déni de justice massif.

Nous restaurerons donc les prud’hommes pour assurer aux salarié·es un véritable recours effectif en procédant au remaillage territorial des juridictions, en facilitant et simplifiant la saisine des conseils (abrogation de la loi Macron de 2015), en instaurant une action de groupe en matière prud’homale, et en augmentant substantiellement les effectifs (magistrat·es et greffier·ères) et les budgets. Il faudra aussi, bien entendu, revenir sur le plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif, seule matière où le principe de la réparation de l’entier préjudice n’est plus respecté.

La rédaction : Face au grand nombre de recours et au sentiment d’inutilité, le Conseil d’État plaide pour une simplification du droit des étrangers. Faut-il suivre ses préconisations ?

Jean-Luc Mélenchon : Le droit des étrangers doit avant toute chose retrouver son sens : celui d’une justice déjà, mais surtout humaine et respectueuse des droits.

Si une simplification doit être recherchée par le législateur, c’est pour sécuriser le séjour des personnes étrangères. Nous proposons la mise en place d’un titre de séjour de référence avec le rétablissement de la carte de séjour de dix ans.

Au regard des nombreuses atteintes aux droits constatées, il faut s’assurer que la loi est appliquée de façon uniforme sur l’ensemble du territoire français, en hexagone et dans les outre-mer afin de renforcer l’égalité de traitement des personnes sur l’ensemble du territoire, conformément à notre principe d’universalisme républicain.

Enfin, une simplification doit être faite pour assurer l’effectivité des droits dans les domaines comme le logement, la santé, la protection sociale, la protection de l’enfance, des personnes étrangères.

La rédaction : En fin d’année 2022, le moratoire sur l’encellulement individuel en maison d’arrêt prendra fin. Or, vu la population actuellement incarcérée, cet encellulement individuel ne pourra pas être respecté. Que faut-il faire pour réduire la surpopulation carcérale ?

Jean-Luc Mélenchon : L’échec de la politique carcérale mise en œuvre depuis le quinquennat Sarkozy, qui consiste à construire toujours plus de places de prison, est patent. Loin d’améliorer les conditions de détention, cette politique n’a servi qu’à accompagner une logique d’inflation carcérale.

Nous avons la conviction qu’il est temps de refonder l’échelle des peines pour sortir de la référence prison et de redonner toute leur place aux objectifs de réparation et de réinsertion sociale.

Nous supprimerons ainsi le référentiel carcéral pour bon nombre de délits (outre la dépénalisation de certains d’entre eux et la loi d’amnistie qui s’en suivra), en privilégiant une peine de probation en milieu ouvert plus lisible, prononcée à titre principal.

Par l’effet de cette déflation pénale et carcérale, l’horizon de l’encellulement individuel, nécessaire à la protection de la dignité des détenus, deviendra réalité.

La rédaction : Après #Metoo, faut-il adapter la justice pour mieux prendre en charge la question des violences et crimes sexuels ?

Jean-Luc Mélenchon : Cette question est centrale dans notre programme. En plus d’être indissociable des moyens, elle pose aussi la question de la formation des personnels chargés de l’accueil des victimes depuis le dépôt de plainte jusqu’à la fin de la procédure et dans leur reconstruction. Le hashtag #DoublePeine a mis en lumière de façon criante et souvent douloureuse l’inadaptation des institutions policières et judiciaires face à ce défi majeur pour notre société.

En plus d’un plan de formation ambitieux sur cette question, nous proposons la création d’un pôle judiciaire de lutte contre les discriminations et les violences intrafamiliales, sexuelles et sexistes, par tribunal, comprenant des magistrat·es du siège et du parquet ainsi que des officier·ères de police judiciaire spécialisé·es.

La rédaction : La création d’un statut d’avocat en entreprise est un serpent de mer. Est-elle dans vos projets ?

Jean-Luc Mélenchon : Absolument pas ! Ni avocat salarié en entreprise ni avocat détaché en entreprise, car ces statuts sont totalement incompatibles avec l’un des principes essentiels de la profession : celui de l’indépendance.

L’indépendance permet de garantir la liberté et la responsabilité de l’avocat vis-à-vis de ses clients et de l’organisation judiciaire, protégeant les justiciables de tout conflit d’intérêts et leur assurant le respect de leurs droits de conseil et de défense.

En réalité, le statut d’avocat en entreprise est le faux-nez des entreprises souhaitant bénéficier de la protection de la confidentialité de leurs avis juridiques. Autrement dit, il n’est pas question de laisser instrumentaliser le secret professionnel de l’avocat pour faire échec aux règles juridiques et financières encadrant l’activité économique.

La rédaction : Des arrêts récents de la CJUE sur les données de connexion ou le temps de travail des militaires ont été très mal reçus en France, au point que certains ont demandé au Conseil d’État d’entrer en résistance face au droit européen. Faut-il modifier l’articulation entre droit français et droit européen ?

Jean-Luc Mélenchon : L’articulation actuelle entre les différents ordres juridiques est complexe et répond à un ensemble de règles et équilibres subtils élaborés tant par le droit positif que par la jurisprudence. Il n’est pas question de remettre en cause cet édifice au seul motif de problématiques spécifiques qui seront réglées, si elles doivent l’être, par le dialogue des juges.

Nous défendons l’indépendance des juges qui impose à l’exécutif de ne point « demander » à une quelconque juridiction « d’entrer en voie de résistance ».

Cette question de l’articulation avec le droit de l’Union européenne sera d’ailleurs politiquement posée dans le cadre du processus constituant de la VIe République.

La rédaction : Plus de dix ans après l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, vous semble-t-il nécessaire de réformer le Conseil constitutionnel ?

Jean-Luc Mélenchon : La procédure de la QPC, bien qu’imparfaite, a constitué une réelle avancée sur le front du respect des libertés fondamentales notamment. Toutefois, elle pose avec encore plus d’acuité la question de la légitimité de cet ordre juridictionnel.

Cette fonction de contrôle du respect de la Constitution a été entachée par la pratique : les lois sécuritaires ou la période du covid ont dévoilé la frilosité du Conseil constitutionnel, qui a petit à petit accepté les reculs sur nos libertés. Les raisons de cette frilosité tiennent, en grande partie, à la composition de cette juridiction dont l’indépendance est clairement défaillante.

Aussi, notre proposition de passage à une VIe République porte une nécessaire réforme du Conseil constitutionnel, d’une part, pour sortir des nominations de complaisance qui entache l’indépendance de cette autorité et, d’autre part, pour renforcer la protection effective des droits fondamentaux et de notre Constitution.

La rédaction : Plusieurs fois proposée dans les deux derniers quinquennats, la réforme constitutionnelle sur un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) sur les nominations du parquet n’a pas abouti. Quels seront vos projets pour la réforme du CSM ?

Jean-Luc Mélenchon : C’est un minimum l’avis conforme du CSM pour la nomination du parquet. Mais, dans le cadre de la commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire, nous avons eu une réflexion complète sur la place que doit occuper le CSM, sur les nominations et au-delà. Nous proposons l’instauration d’un Conseil supérieur de la justice, garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire.

C’est un débat constitutionnel qui impose tout d’abord, une réforme de sa composition afin de renforcer sa représentativité du monde de la justice en intégrant greffiers, avocats, notaires, commissaires de justice, universitaires, représentants d’associations de lutte contre la pauvreté, contre la corruption, et d’aide aux victimes, des justiciables comme des personnes condamnées et des citoyens jurés.

C’est ensuite une réforme des moyens pour lui permettre de participer directement à l’élaboration du budget de la justice et de lui donner une compétence pleine et entière sur la gestion des carrières et des affectations des magistrats.

C’est enfin une réforme de son indépendance pour le rendre responsable devant le Parlement et en lui attribuant des pouvoirs propres notamment en matière d’inspection.

La rédaction : De nombreuses voix se plaignent du « trop de lois et trop de nouvelles normes ». Faut-il combattre cette inflation législative, et quelle méthode proposez-vous ? Faut-il en finir avec les lois « faits divers » ?

Jean-Luc Mélenchon : Le mouvement de la France insoumise prône des changements radicaux afin de renforcer les droits et leur effectivité, ce qui implique des modifications importantes des normes. Pour autant, l’inflation législative constitue parfois un frein à l’effectivité des droits proclamés et source de complexification pour les justiciables.

En réalité, les causes premières de cette inflation sont le fonctionnement de la Ve République, d’une part, et l’instrumentalisation de l’outil normatif par les politiques, d’autre part.

Singulièrement, la matière pénale est l’exemple archétypal de cette inflation législative qui ne répond qu’à des objectifs politiciens, distincts de toute application et de tout contrôle : l’empilement des textes conduit à une surenchère sécuritaire inepte, injuste, et inutile. Il en va de même en matière sociale et fiscale, où l’inflation normative des exceptions aux principes (dérogations par accords d’entreprise, niches fiscales, etc.) sert d’abord l’intérêt des puissances de l’argent.

Un gouvernement insoumis réinvestira le domaine réglementaire pour impulser des changements politiques majeurs.

 

Propos recueillis par Pierre Januel, Journaliste

Jean-Luc Mélenchon

Jean-Luc Mélenchon, député des Bouches-du-Rhône, candidat La France insoumise à la présidentielle 2022