Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Interview

Présidentielle 2022 - Les candidats et la justice : les réponses de Marine Le Pen

Dalloz actualité a interrogé les principaux candidats et leurs porte-parole sur leurs propositions pour la justice et les professions judiciaires. Entretien avec le député européen Jean-Paul Garraud qui répond pour Marine Le Pen.

le 31 mars 2022

La rédaction : Les personnels judiciaires manifestent depuis plusieurs mois un ras-le-bol autour de la question des moyens. Quels seront vos objectifs chiffrés pour le prochain quinquennat concernant les moyens et effectifs alloués à la justice ?

Jean-Paul Garraud : La sécurité, dont l’institution judiciaire est un acteur essentiel, aussi bien dans ses missions civiles (sécurité juridique des relations entre membres du corps social) que pénales (protection publique contre les malfaiteurs et réparation pour leurs victimes), est l’une des toutes premières priorités de Marine Le Pen : sans sécurité, pas de liberté ! Pour redresser une situation terriblement dégradée à cet égard, outre toutes les mesures de fond qu’elle prévoit, il faut un effort d’ampleur exceptionnel sur les moyens, auquel elle s’engage ; avec 1,5 milliard d’euros supplémentaire chaque année pour créer au total 7 000 postes de policiers et gendarmes et 3 000 postes administratifs ; tendre au doublement du nombre de magistrats pour le porter à 20 000 (niveau de la moyenne européenne) ; des créations de postes de personnels de greffe, administratifs ou techniques, à due proportion ; 85 000 places de prison à l’horizon 2028 (avec des établissements provisoires dans l’attente et des établissements à vocation psychiatrique).

La rédaction : La déjudiciarisation des contentieux a été une voie choisie par plusieurs gardes des Sceaux pour alléger le travail de la justice. Faut-il déjudiciariser de nouveaux contentieux ?

Jean-Paul Garraud : « Alléger » le travail de la justice n’est pas un objectif en soi : l’objectif, c’est, d’abord, de permettre à la justice de rendre le service que la société est en droit d’attendre d’elle ! Dans cette optique, la réflexion sur le périmètre de l’intervention judiciaire est légitime et nécessaire, au civil comme au pénal, car on a, au fil du temps, parasité le message dont elle est porteuse en la surchargeant de tâches plus ou moins étrangères au cœur de sa mission, qui est d’abord de dire le droit ; d’où, chez ses acteurs, une perte de sens de leur travail et, dans son public, une dévalorisation de son autorité.

Mais, une « déjudiciarisation » bien comprise de certains contentieux à définir doit être une opération « gagnant-gagnant » : pour la justice, qu’elle « allègera » mais, surtout, qu’elle restituera à elle-même ; pour le justiciable, dont l’affaire sera traitée selon d’autres modes mais sans qu’il puisse y avoir de sacrifice du service rendu.

La rédaction : Les réformes sur le droit du travail ont été nombreuses ces dix dernières années, aboutissant à une baisse des saisines prud’homales. Faut-il une nouvelle réforme ?

Jean-Paul Garraud : On ne fait pas des réformes pour satisfaire des objectifs purement statistiques, mais parce qu’on les juge nécessaires sous le rapport de l’intérêt général comme de celui des personnes ! La justice du travail souffrait en particulier de ses délais, souvent insupportables et incompatibles avec les exigences de célérité et de sécurité qu’implique, entre toutes, la matière, aussi bien pour les salariés que pour les entreprises ; car les uns et les autres ont le même besoin d’être aussi vite et précisément que possible fixés sur les termes de leur relation, surtout quand elle est rompue. Il faut ajouter que la partialité dont certains membres des conseils de prud’hommes peuvent parfois faire preuve ne facilite pas les choses… Dès lors, avant de se lancer dans une énième réforme, il faudra, en toute objectivité, faire le bilan des dernières : l’instabilité législative est un signe de mauvaise santé de notre démocratie !

La rédaction : Face au grand nombre de recours et au sentiment d’inutilité, le Conseil d’État plaide pour une simplification du droit des étrangers. Faut-il suivre ses préconisations ?

Jean-Paul Garraud : Il est clair que le système actuel est à bout de souffle : par idéologie immigrationniste, les gouvernements successifs ont mis en place un véritable monstre juridique, qui fait du traitement des affaires relatives à la situation des étrangers, un « parcours du combattant » semé d’embûches et de complications procédurales, qui allie l’illisibilité à l’inefficacité, malgré le dévouement et la compétence de nombre de ses acteurs, en butte aussi à un activisme militant de certains milieux pour qui toute restriction à l’entrée et au maintien d’un étranger sur notre sol est, à la racine, frappé d’illégitimité… Face au défi de civilisation que représente le contrôle de l’immigration, Marine Le Pen soumettra au référendum un cadre constitutionnel d’ensemble, par un projet de loi entièrement rédigé, intitulé « Citoyenneté Identité Immigration ». Les « 20 propositions » du Conseil d’État sont, dans leur domaine technique et procédural, une utile contribution à la réflexion sur les suites.

La rédaction : En fin d’année 2022, le moratoire sur l’encellulement individuel en maison d’arrêt prendra fin. Or, vu la population actuellement incarcérée, cet encellulement individuel ne pourra pas être respecté. Que faut-il faire pour réduire la surpopulation carcérale ?

Jean-Paul Garraud : Poser ainsi la question est prendre le problème complètement à l’envers ! « Réduire la surpopulation carcérale » n’est pas un objectif en soi : l’objectif, c’est de procurer à la justice un outil pénitentiaire à la hauteur des nécessités de l’époque ; et, donc, comme Marine Le Pen le veut, de construire massivement des places supplémentaires, pour permettre à l’État de conduire la politique pénale nouvelle dont notre pays a impérativement besoin. C’est au nombre de places à s’adapter au nombre de décisions d’incarcération et non l’inverse ! Quant à l’encellulement individuel, s’il doit rester un objectif à favoriser, il ne constitue pas un absolu : le Parlement s’est discrédité en renvoyant sa réalisation d’échéance en échéance, qui se voulaient chacune contraignantes… Le maître-mot, en matière pénitentiaire, comme le savent bien les personnels, c’est le pragmatisme. Or l’encellulement individuel est loin d’être approprié à toutes les situations et à tous les détenus.

La rédaction : Après #Metoo, faut-il adapter la justice pour mieux prendre en charge la question des violences et crimes sexuels ?

Jean-Paul Garraud : Après les multiples réformes des textes intervenues, la question est moins d’ajouter de la loi à la loi, mais, d’abord, de faire effectivement appliquer le droit ! Et, là, c’est une question de volonté et de moyens. À cet égard, outre les moyens que nous prévoyons pour la justice et les forces de l’ordre, Marine Le Pen prône le plus fort volontarisme à l’instar de l’Espagne : les agresseurs dans le cadre du couple devront être jugés dans les plus brefs délais et les victimes devront pouvoir bénéficier effectivement des protections que le droit et la technique moderne peuvent leur assurer. En outre, Marine Le Pen entend garantir la liberté des femmes de s’habiller et de circuler dans l’espace public sans être soumises à des contraintes de type communautaire ou religieux ni être harcelées : à cette fin, les condamnés pour outrage sexiste devront être désormais inscrits au fichier des criminels et délinquants sexuels.

La rédaction : La création d’un statut d’avocat en entreprise est un serpent de mer. Est-elle dans vos projets ?

Jean-Paul Garraud : Le « serpent » serait depuis longtemps sorti de la « mer » si la question était si simple à résoudre ! La vérité, c’est que l’on peut, tant que l’on reste dans l’exercice rhétorique, se livrer à toutes les acrobaties du « en même temps », mais, dans la réalité des faits, on est en présence de deux types de situations radicalement différentes. Ce qui fait un avocat, en effet, c’est une indépendance fondée sur une déontologie, liée au statut de confident nécessaire de son client ; le juriste en entreprise ne peut pas bénéficier d’une espèce d’extraterritorialité : il est au service de l’entreprise, lié à ses intérêts et inséré dans sa hiérarchie, quand bien même, il aurait un statut plus ou moins à part ; on ne voit pas l’avantage d’un statut mixte ; un avocat peut déjà, de l’extérieur, conseiller une entreprise, de manière habituelle, tout en restant avocat à part entière : quel intérêt à la confusion des genres ?

La rédaction : Des arrêts récents de la CJUE sur les données de connexion ou le temps de travail des militaires ont été très mal reçus en France, au point que certains ont demandé au Conseil d’État d’entrer en résistance face au droit européen. Faut-il modifier l’articulation entre droit français et droit européen ?

Jean-Paul Garraud : Bien sûr qu’il le faut ! Marine Le Pen veut rendre à la France le droit de faire son droit, qui lui a été peu à peu, sous la pression du juge européen, confisqué, par un grignotage sournois, qui va s’accélérant. La hiérarchie des normes de droit doit donc faire prévaloir la souveraineté de la France : à cet effet, le titre III du projet de loi référendaire qu’elle soumettra au peuple français prévoit, dans ses quatre articles, précis et détaillés, un ensemble de dispositions visant, très concrètement, à assurer « la primauté de la Constitution et du droit national », en modifiant huit articles de la Constitution et en en créant trois (outre un ajout au code civil), par : l’affirmation solennelle du principe ; le droit pour chaque citoyen de le faire respecter devant une juridiction ; le droit, par la loi organique, de moduler la portée d’un texte international ; la restriction, pour l’Union européenne, non seulement de l’identité constitutionnelle de la France mais aussi de ses intérêts essentiels.

La rédaction : Plus de dix ans après l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, vous semble-t-il nécessaire de réformer le Conseil constitutionnel ?

Jean-Paul Garraud : Certainement ! Le Conseil constitutionnel, au fil d’une dérive progressive et qui s’accélère (comme en témoigne son récent règlement intérieur), joue de plus en plus le rôle d’un quatrième degré de juridiction, au-dessus du Conseil d’État et de la Cour de cassation ; en même temps qu’il s’autorise à tirer de principes très généraux, puisés dans un « bloc de constitutionnalité » qu’il module plus ou moins à sa guise, des conséquences parfois pour le moins tout à fait inattendues (comme lorsqu’il estime devoir déduire du mot « fraternité » de la devise républicaine l’impunité des passeurs d’étrangers en situation irrégulière)… Or il ne présente, ni dans sa composition ni dans son mode de fonctionnement, les garanties essentielles d’une juridiction, tandis que les normes qu’il utilise n’ont pas des contours suffisamment précis et délimités, comme l’exigerait l’État de droit. C’est l’objet de notre projet référendaire : mieux encadrer son pouvoir, avec des principes fondamentaux nouveaux.

La rédaction : Plusieurs fois proposée dans les deux derniers quinquennats, la réforme constitutionnelle sur un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) sur les nominations du parquet n’a pas abouti. Quels seront vos projets pour la réforme du CSM ?

Jean-Paul Garraud : Ils ne vont en rien dans le même sens ! La réforme de 1993 a eu, comme il était prévisible, pour conséquence de renforcer dans la magistrature la pente au corporatisme et au clientélisme syndical ; étendre aux magistrats du parquet le régime de nomination des magistrats du siège ne pourrait, dès lors, que conforter cette dérive, dangereuse pour l’indépendance et le crédit de l’institution judiciaire. En outre, elle priverait le garde des Sceaux, chef nominal du parquet, responsable au sein du gouvernement de la politique criminelle de la nation, à charge d’en rendre compte devant le Parlement et les citoyens, du droit élémentaire, de choisir ceux qui, sous son autorité, seront chargés de mettre en œuvre cette politique : c’est le réduire à ne plus faire que de la figuration et c’est, par là, symboliquement et pratiquement, contribuer à rompre l’unité et l’indivisibilité du ministère public, que garantit l’autorité centrale du garde des Sceaux ; c’est donc un enjeu de démocratie.

La rédaction : Faut-il une nouvelle réforme du droit de la négociation commerciale (une loi « EGalim 3 ») ?

Jean-Paul Garraud : Les lois EGalim 1 et 2, comme on pouvait s’y attendre, ont été un échec, et n’ont pas permis de rééquilibrer suffisamment et substantiellement les relations entre producteurs et distributeurs. Le revenu des agriculteurs est, pour Marine Le Pen, une préoccupation majeure, à plus forte raison dans le contexte actuel, avec l’inflation et la guerre en Ukraine qui entraînent l’explosion de certaines charges. L’une des priorités de notre programme est de garantir aux agriculteurs des prix respectueux de leur travail et de mettre un terme aux marges abusives de la grande distribution. Il est prévu, en particulier, la révision de ces textes pour permettre l’intervention de l’État dans l’élaboration des indices utilisés pour fixer les prix minimums, afin de mieux prendre en compte les variations des prix des matières premières agricoles ; également, des dispositions pour veiller à un meilleur respect des règles par les industriels et la grande distribution.

La rédaction : De nombreuses voix se plaignent du « trop de lois et trop de nouvelles normes ». Faut-il combattre cette inflation législative, et quelle méthode proposez-vous ? Faut-il en finir avec les lois faits divers ?

Jean-Paul Garraud : Évidemment ! Rien n’altère et ne discrédite plus, de nos jours, l’autorité de la loi que cette législation tout à la fois pléthorique et erratique, au fil de l’eau et des faits divers, indexée sur les humeurs de l’opinion publique ou de la classe médiatique… Trop de lois tue le droit et le message de Montesquieu, pour qui « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », reste plus que jamais d’actualité. Il faut donc, notamment, intensifier l’entreprise de codification, mais pas une simple codification formelle, comme c’est trop souvent le cas, mais une authentique révision de fond de nos textes, pour élaguer, simplifier et, surtout, conceptualiser, car c’est ce qui manque le plus dans notre législation, trop souvent régie par l’obsession d’énoncer tous les cas particuliers de son application, plutôt que de formuler les principes de leur résolution. Moins de lois, mais des lois mieux pensées et mieux rédigées, et, partant, des lois plus stables et plus respectées.

 

Propos recueillis par Pierre Januel, Journaliste

Marine Le Pen

Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national à l'élection présidentielle 2022