Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Interview

Présidentielle 2022 - Les candidats et la justice : les réponses de Valérie Pécresse

Dalloz actualité a interrogé les principaux candidats et leurs porte-parole sur leurs propositions pour la justice et les professions judiciaires, à travers un questionnaire. Aujourd’hui, les réponses de Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, candidate des Républicains.

le 4 avril 2022

La rédaction : Les personnels judiciaires manifestent depuis plusieurs mois un ras-le-bol autour de la question des moyens. Quels seront vos objectifs chiffrés pour le prochain quinquennat concernant les moyens et effectifs alloués à la justice ?

Valérie Pécresse : La justice est totalement asphyxiée, et ce depuis de longues années. Les magistrats, greffiers et autres personnels de l’institution judiciaire ont courageusement tiré la sonnette d’alarme.

Dès mon élection, je mettrai en œuvre un grand « plan de sauvetage » avec des objectifs chiffrés et dont le financement est pris en compte dans mon programme : j’augmenterai de 50 % le budget de la justice en cinq ans. Ainsi, le budget des tribunaux passera de 6 à 9 milliards d’euros en 2028. Il sera procédé aux 16 000 recrutements que je juge nécessaires, dont 5 000 magistrats. Cet effort budgétaire sans précédent permettra également de rénover le parc immobilier de la justice et de doter les magistrats, greffiers et autres personnels de l’institution de moyens (notamment informatiques) nouveaux.

La rédaction : La déjudiciarisation des contentieux a été une voie choisie par plusieurs gardes des Sceaux pour alléger le travail de la justice. Faut-il déjudiciariser de nouveaux contentieux ?

Valérie Pécresse : À l’heure actuelle, la déjudiciarisation sert souvent de cache-misère et contribue à interdire au justiciable l’accès au juge. Il faut donc repenser l’office du juge en restaurant la confiance, laquelle exige une justice plus rapide, plus forte, plus efficace. Les moyens additionnels dont l’institution judiciaire bénéficiera seront déterminants de ce point de vue.

Naturellement, une réflexion devra être menée sur les domaines et sujets sur lesquels l’office du juge n’est pas strictement nécessaire ou dans lesquels le règlement amiable doit être privilégié (par exemple en mettant en place des incitations financières à cette fin). Par ailleurs, je créerai une juridiction nationale dématérialisée des injonctions de payer (abandonnée par Emmanuel Macron) et une plateforme publique de médiation. La mise en place d’une procédure de recouvrement non juridictionnelle des factures non payées entre professionnels constitue une autre piste de réflexion.

La rédaction : Les réformes sur le droit du travail ont été nombreuses ces dix dernières années, aboutissant à une baisse des saisines prud’homales. Faut-il une nouvelle réforme ?

Valérie Pécresse : Je propose de réviser le droit du travail dans le sens d’une simplification des règles sur certains sujets majeurs (temps de travail, assurance chômage, régionalisation de Pôle emploi, RSA, participation et intéressement des salariés, apprentissage, etc.). Pour le reste, la priorité en matière de droit du travail est de mettre un terme à l’inflation législative et à la complexification croissante des normes : nos entreprises ont besoin de clarté et de stabilité des textes pour concentrer leurs efforts sur leur compétitivité.

La rédaction : Face au grand nombre de recours et au sentiment d’inutilité, le Conseil d’État plaide pour une simplification du droit des étrangers. Faut-il suivre ses préconisations ?

Valérie Pécresse : Le droit des étrangers est devenu illisible et difficilement applicable par les juridictions, qui sont embolisées par ce contentieux. Je mettrai en œuvre les excellentes mesures de simplification proposées par le Conseil d’État. Mais j’irai au-delà. D’abord, j’unifierai l’ensemble du contentieux des étrangers au sein de la juridiction administrative. L’intervention parallèle du tribunal administratif et du juge des libertés et de la détention nuit à l’efficacité de procédures d’éloignement et alourdit leur coût. Ensuite, le juge administratif examinera le droit au séjour pour l’avenir, dans le cadre d’un recours de plein contentieux, et non plus dans le passé comme aujourd’hui, et pour l’ensemble des titres de séjour existants. Il n’est pas acceptable que des étrangers puissent jouer la montre en égrenant des demandes successives de titres. J’ai conscience de la charge de travail pour les juridictions. Mais elles auront enfin la satisfaction d’intervenir utilement.

La rédaction : En fin d’année 2022, le moratoire sur l’encellulement individuel en maison d’arrêt prendra fin. Or, vu la population actuellement incarcérée, cet encellulement individuel ne pourra pas être respecté. Que faut-il faire pour réduire la surpopulation carcérale ?

Valérie Pécresse : Toutes les peines, même courtes, doivent être exécutées. Les demandes faites par le gouvernement aux chefs de cours de limiter le nombre des peines de prison sont inacceptables de ce point de vue : la loi doit être appliquée et les peines de prison encourues ne sauraient être remplacées par des alternatives au seul motif qu’il manquerait des places de prisons.

Il n’est donc pas question de réduire la surpopulation carcérale en incarcérant moins mais de prévoir l’effectivité de la sanction pénale et la mise en place de conditions de détention dignes. Le budget de l’administration pénitentiaire passera ainsi de 3,6 à près de 6 milliards d’euros, soit une hausse de 55 % en cinq ans. Cet effort permettra de construire 20 000 places de prison supplémentaires.

Je réformerai en profondeur notre politique pénitentiaire. La nature des établissements est inadaptée. Il est urgent de diversifier les solutions d’enfermement. Dans l’intervalle, j’utiliserai d’anciennes casernes ou autres bâtiments publics désaffectés pour incarcérer des primodélinquants ou pour des courtes peines.

La rédaction : Après #Metoo, faut-il adapter la justice pour mieux prendre en charge la question des violences et crimes sexuels ?

Valérie Pécresse : Pour protéger les victimes de violences conjugales, je créerai de nouvelles juridictions spécialisées sur tout le territoire avec une instruction en soixante-douze heures et une ordonnance de protection en six jours. Une réflexion plus large sera naturellement menée pour mieux lutter contre ces violences et crimes, il est grand temps d’aller beaucoup plus vite et beaucoup plus fort en ce domaine.

Les victimes seront au centre du dispositif pénal. Elles pourront participer au processus d’aménagement de la peine et devront être systématiquement avisées de la sortie de prison de l’auteur des violences qu’elles ont subies. Je nommerai au Conseil supérieur de la magistrature un représentant des victimes.

La rédaction : La création d’un statut d’avocat en entreprise est un serpent de mer. Est-elle dans vos projets ?

Valérie Pécresse : Cette piste est intéressante mais soulève de nombreuses interrogations au sein même de la profession. Elle ne figure pas dans mon projet mais je reste naturellement ouverte aux discussions avec l’ensemble des professionnels concernés. À ce stade, il me paraît essentiel de renforcer le secret professionnel de l’avocat – qui a été singulièrement remis en cause par le gouvernement actuel – avant d’envisager de l’étendre à d’autres.

La rédaction : Des arrêts récents de la CJUE sur les données de connexion ou le temps de travail des militaires ont été très mal reçus en France, au point que certains ont demandé au Conseil d’État d’entrer en résistance face au droit européen. Faut-il modifier l’articulation entre droit français et droit européen ?

Valérie Pécresse : Le droit européen a beaucoup apporté à notre droit national, et ce dans de nombreux domaines. Il constitue un vecteur fort d’intégration de l’Union européenne. Nous devons le respecter autant que possible. Cependant, je suis hostile à ce que ce droit, parfois interprété par la Cour de justice de l’Union européenne au-delà des intentions des auteurs des textes, puisse aboutir à une remise en cause de l’identité constitutionnelle française. C’est la raison pour laquelle je propose d’introduire un mécanisme de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation qui permettra à titre exceptionnel au peuple, par référendum, ou au Parlement, par une loi votée à l’identique par les deux assemblées, de bloquer l’application d’une jurisprudence européenne qui les mettrait en péril.

La rédaction : Plus de dix ans après l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, vous semble-t-il nécessaire de réformer le Conseil constitutionnel ?

Valérie Pécresse : S’agissant du gardien de notre norme fondamentale, il m’apparaît indispensable que le Conseil constitutionnel soit à l’abri de tout soupçon de conflits d’intérêts, notamment sur le plan politique. L’expertise juridique des membres du Conseil, qui est une juridiction, doit également être garantie. De ce point de vue, le mode de nomination des membres devrait être revu. Je chargerai une commission de faire des propositions en ce sens. Elle comprendra aussi bien des constitutionnalistes que des personnalités politiques de tous bords. Sur un tel sujet, il n’y a pas de place pour les initiatives partisanes.

La rédaction : Plusieurs fois proposée dans les deux derniers quinquennats, la réforme constitutionnelle sur un avis conforme du conseil supérieur de la magistrature (CSM) sur les nominations du parquet n’a pas abouti. Quels seront vos projets pour la réforme du CSM ?

Valérie Pécresse : Dans la mesure où les parquets sont chargés de mettre en œuvre la politique pénale choisie par le gouvernement, je ne suis pas favorable à confier au Conseil supérieur de la magistrature un pouvoir de veto sur les nominations des procureurs de la République. La distinction entre le siège et le parquet a un sens. De fait, le garde des Sceaux a toujours suivi l’avis du CSM pour les nominations au parquet dans la période récente. C’est le bon équilibre.

La rédaction : Faut-il une nouvelle réforme du droit de la négociation commerciale (une loi « EGalim 3 ») ?

Valérie Pécresse : Compte tenu de l’instabilité législative dans ce domaine, je crois que la priorité est d’examiner concrètement si une nouvelle réforme est nécessaire avant d’annoncer de nouvelles mesures.

La rédaction : Faut-il combattre l’inflation législative et quelle méthode proposez-vous ? Faut-il en finir avec les lois faits-divers ?

Valérie Pécresse : La logorrhée législative de ces dernières années – maintes fois dénoncée par le Conseil d’État comme par tous les professionnels du droit – a indubitablement contribué à la perte d’autorité de l’État comme à l’asphyxie de la justice. La surabondance des textes et leur perte de qualité ruinent la lisibilité du droit et sont une cause de perte de compétitivité de nos entreprises, en particulier pour les PME qui n’ont pas les moyens d’assimiler l’ensemble des textes et qui sont fragilisées par l’arsenal réglementaire.

Un « comité de la hache » placé auprès du Premier ministre aura spécifiquement pour mission de vérifier la nécessité de toute nouvelle norme, et toute norme non nécessaire (qui par exemple serait un outil de communication politique pour répondre à un fait d’actualité) sera systématiquement écartée. Il est également fondamental d’instituer une « pause » législative dans plusieurs domaines, d’autant que les problèmes naissent parfois davantage de l’inapplication des textes en vigueur que de leur insuffisance.

 

Propos recueillis par Pierre Januel, Journaliste

 

Les réponses déjà publiées :

Jean-Luc Mélenchon
Marine Le Pen
Yannick Jadot

À noter : ni Éric Zemmour ni Emmanuel Macron n’ont souhaité nous répondre. L’équipe de ce dernier nous a indiqué que les questions étaient « trop détaillées ».

Valérie Pécresse

Valérie Pécresse est présidente de la région Île-de-France, candidate des Républicains