Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Interview

Présidentielle 2022 - Les candidats et la justice : les réponses de Yannick Jadot

Dalloz actualité a interrogé les principaux candidats et leurs porte-parole sur leurs propositions pour la justice et les professions judiciaires. Les réponses de Yannick Jadot, député européen, candidat du pôle écologiste.

le 1 avril 2022

La rédaction : Les personnels judiciaires manifestent depuis plusieurs mois un ras-le-bol autour de la question des moyens. Quels seront vos objectifs chiffrés pour le prochain quinquennat concernant les moyens et effectifs alloués à la justice ?

Yannick Jadot : Je suis pleinement solidaire avec les 7 500 greffiers et magistrats qui ont signé la tribune après le suicide de la jeune magistrate Charlotte.

« Juger vite mais mal ou juger bien mais dans des délais inacceptables » : rendre la justice est devenu une mission impossible en France pour une raison aussi dogmatique qu’intolérable : l’austérité.

Les magistrats et les greffiers enchaînent les dossiers. Le matériel est obsolète, la charge mentale exacerbée, les arrêts maladie se multiplient et la santé mentale se dégrade.

La justice est un pilier de notre République. Un bien commun pour notre démocratie. C’est la responsabilité d’un président de le préserver. Je m’engage à lui donner les moyens humains, matériels et financiers nécessaires pour faire appliquer la loi et rendre la justice.

J’engagerai ainsi le recrutement de 3 000 magistrats supplémentaires et 8 000 agents de tribunaux, pour arriver au niveau de nos voisins européens.

La rédaction : La déjudiciarisation des contentieux a été une voie choisie par plusieurs gardes des Sceaux pour alléger le travail de la justice. Faut-il déjudiciariser de nouveaux contentieux ?

Face à la surcharge de travail des juges qui sont dans l’incapacité de traiter tous les dossiers qui leur sont soumis et pour lutter contre la lenteur des procédures, la déjudiciarisation apparaît à certains égards comme une solution.

Je souhaite ainsi créer un service public gratuit de la médiation et de la conciliation, avec des professionnels spécifiquement formés (habitat, famille, voisinage, etc.) pour développer la culture de la médiation pour les litiges du quotidien.

La rédaction : Les réformes sur le droit du travail ont été nombreuses ces dix dernières années, aboutissant à une baisse des saisines prud’homales. Faut-il une nouvelle réforme ?

Yannick Jadot : Les dernières réformes ont affaibli le droit du travail. Je le renforcerai.

Je supprimerai tout d’abord le « barème Macron » qui plafonne l’indemnité prud’homale en cas de licenciement fautif. Il est injuste et décourageant pour les victimes.

Par ailleurs, la réforme du droit du travail de 2017 a consacré la primauté des accords dans l’entreprise. Je rétablirai la hiérarchie des normes et revitaliserai la négociation de branche.

Je refonderai également le service public de l’inspection du travail, quasi démantelé depuis dix ans, en garantissant l’autonomie de décision des agents, en les dotant de pouvoirs administratifs de sanction et en remontant les effectifs de 1 500 à 2 500 personnes.

De plus, je renforcerai la présence des salariés dans les conseils d’administration des entreprises et instaurerai un droit nouveau des salariés à la délibération sur la qualité du travail dans tous les types d’organisation.

J’abaisserai enfin le seuil pour l’établissement d’un comité social et économique de plein exercice à onze salariés.

La rédaction : Face au grand nombre de recours et au sentiment d’inutilité, le Conseil d’État plaide pour une simplification du droit des étrangers. Faut-il suivre ses préconisations ?

Yannick Jadot : La complexité et la constante évolution du droit des étrangers contreviennent à sa lisibilité et rendent difficile l’accès au droit pour les étrangers.

Je faciliterai les démarches à partir des pays d’origine et les rendrai transparentes, lisibles et accessibles en renégociant nos accords avec ces pays, en travaillant en amont avec les services consulaires et en mettant en place une plateforme numérique indépendante facilitant la constitution du dossier du demandeur.

Je simplifierai et rendrai transparente l’offre de cartes de séjour en proposant un nombre réduit de titres de séjour : économique, asile, étudiant, familial, travailleurs saisonniers et humanitaire (pouvant inclure les personnes devant quitter leur pays à cause du dérèglement climatique).

Ces titres de séjour seront donnés pour une durée minimale de cinq ans et leur examen sera effectué dans un délai de six mois, au-delà duquel une absence de réponse par l’administration sera considérée comme droit au séjour.

Je mettrai en place un dispositif d’accompagnement dans les procédures administratives et renforcerai les services de la préfecture afin qu’ils puissent traiter les demandes dans des délais raisonnables.

La rédaction : En fin d’année 2022, le moratoire sur l’encellulement individuel en maison d’arrêt prendra fin. Or, vu la population actuellement incarcérée, cet encellulement individuel ne pourra pas être respecté. Que faut-il faire pour réduire la surpopulation carcérale ?

Yannick Jadot : La France a été condamnée à dix-neuf reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour conditions de détention indignes et plus de quarante prisons ont été condamnées pour avoir exposé des détenus à des traitements inhumains et dégradants, la surpopulation carcérale étant principalement en cause.

Alors qu’il a aggravé le recours à l’incarcération avec une hausse continue entre 2017 et 2020, Emmanuel Macron a commis une erreur en prétendant vouloir lutter contre la surpopulation carcérale par la construction de nouveaux établissements pénitentiaires qui seront immédiatement remplis et surpeuplés et qui captent l’essentiel du budget de l’administration pénitentiaire.

Il est indispensable de rendre à la peine privative de liberté son caractère exceptionnel, elle ne doit intervenir que lorsqu’elle est véritablement nécessaire.

Je procéderai ainsi à une révision générale de l’échelle des peines, en dépénalisant notamment certains comportements pour lesquels la répression pénale ne constitue pas une réponse adaptée. Pour les délits les moins graves, je privilégierai les travaux d’intérêt général et les peines alternatives à la prison.

Je reverrai également les critères légaux de la détention provisoire, trop souvent utilisée pour faire pression sur les prévenus.

Par ailleurs, je construirai une grande administration de l’exécution des peines et reverrai la conception des établissements pénitentiaires dans une perspective de normalisation de la vie carcérale.

La rédaction : Après #Metoo, faut-il adapter la justice pour mieux prendre en charge la question des violences et crimes sexuels ?

Yannick Jadot : Il est fondamental d’améliorer l’accueil réservé aux femmes lors de leur dépôt de plainte alors que 66 % font état d’une mauvaise prise en charge par les forces de l’ordre. À défaut d’une prise en charge correcte, seules 12 % des victimes portent plainte. Pour que les auteurs de violences sexuelles soient condamnés, il est indispensable que les femmes qui les dénoncent soient écoutées.

C’est pourquoi j’améliorerai les conditions du dépôt de plainte en mettant en place des lieux d’accueil dédiés pour les victimes de violences au sein des commissariats et en élargissant les possibilités de dépôt de plainte dans les hôpitaux et les espaces médicaux.

Je garantirai également la formation aux violences sexuelles de l’ensemble des professionnels susceptibles d’être en contact avec des femmes victimes de violences (santé, justice, police, gendarmerie, éducation, préfectures, etc.) et mettrai en place des brigades et des tribunaux spécialisés.

De plus, j’accorderai le bénéfice de l’aide juridictionnelle aux victimes de violences conjugales et sexuelles dès le dépôt de plainte afin qu’elles puissent bénéficier d’une assistance et d’un suivi juridiques.

J’assurerai enfin un financement suffisant aux numéros d’aide aux victimes, faciliterai le déploiement des dispositifs du téléphone grave danger et du bracelet antirapprochement et triplerai les places d’hébergement pour les femmes victimes de violences et leurs enfants.

La rédaction : La création d’un statut d’avocat en entreprise est un serpent de mer. Est-elle dans vos projets ?

Yannick Jadot : Le statut actuel de l’avocat en entreprise ne garantit ni leur indépendance ni le respect du secret professionnel.

Alors qu’aujourd’hui, 20 % des juristes d’entreprise sont d’anciens avocats, la question de la perméabilité entre les deux milieux se pose.

Si le statut d’avocat d’entreprise est instauré, il est nécessaire que ces derniers bénéficient des mêmes attributs que les avocats.

La rédaction : Des arrêts récents de la CJUE sur les données de connexion ou le temps de travail des militaires ont été très mal reçus en France, au point que certains ont demandé au Conseil d’État d’entrer en résistance face au droit européen. Faut-il modifier l’articulation entre droit français et droit européen ?

Yannick Jadot : L’Europe a grandement contribué à l’harmonisation des droits internes pour près de 500 millions d’individus dans les vingt-sept États membres. La France est malheureusement une mauvaise élève dans la transposition des normes européennes qui ne sont pas d’application directe.

Il existe de nombreux leviers pour participer aux processus normatifs européens et les États membres y prennent une large part. Il est nécessaire de rendre ces processus plus démocratiques en renforçant le rôle du Parlement européen, seul organe élu, ainsi qu’en limitant les cas où l’unanimité des États membres est nécessaire.

Il faut donc travailler à ce que les normes européennes soient pleinement conformes à la volonté des citoyens, plutôt que de remettre en cause la primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national qui est un principe cardinal de la construction européenne.

La rédaction : Plus de dix ans après l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, vous semble-t-il nécessaire de réformer le Conseil constitutionnel ?

Yannick Jadot : Le Conseil constitutionnel est une institution incontournable de notre République, un contre-pouvoir essentiel, notamment sur la question des libertés fondamentales.

Pour autant, il est loin d’assumer pleinement un rôle de Cour constitutionnelle, comme les écologistes le souhaiteraient, notamment au regard de sa composition.

Je propose ainsi de supprimer le statut de membre de droit à vie pour les anciens présidents de la République et de définir des critères d’expérience et de compétence pour la désignation de ses membres, ainsi qu’une limite d’âge.

J’augmenterai le nombre de ses membres en les faisant passer à dix. Les membres seront par ailleurs nommés pour moitié par chaque chambre du Parlement à la majorité qualifiée des trois cinquièmes et en veillant à ce que la parité soit respectée.

La rédaction : Plusieurs fois proposée dans les deux derniers quinquennats, la réforme constitutionnelle sur un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) sur les nominations du parquet n’a pas abouti. Quels seront vos projets pour la réforme du CSM ?

Yannick Jadot : Pour que la justice s’exerce librement, il est indispensable de garantir l’indépendance des procureurs en mettant fin à toute ingérence du pouvoir politique dans les affaires judiciaires.

C’est pourquoi je compte aligner le statut des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège en instaurant un avis conforme du CSM sur les nominations des magistrats du parquet.

Je mettrai également un terme aux remontées d’information du parquet vers le ministère.

La rédaction : Faut-il une nouvelle réforme du droit de la négociation commerciale (une loi « EGalim 3 ») ?

Yannick Jadot : La question du partage de la valeur est cruciale dans l’optique de garantir le droit à une alimentation saine à un prix juste et abordable.

Si quelques avancées sont à noter dans la loi EGalim 2, le refus d’interdire le paiement en dessous du prix de revient induit un déséquilibre dans les négociations entre producteurs et distributeurs au profit de ces derniers et une asymétrie du rapport de force.

Les indicateurs de coûts de production allaient dans le bon sens mais leur prise en compte minorée en faveur des prix du marché continue de poser problème.

Quant à la contractualisation obligatoire, elle peut constituer une menace pour l’autonomie des paysans : elle ne crée pas de contrainte réelle sur les prix, la durée de trois ans n’est pas adaptée à tous les échanges et elle risque d’entraîner des obligations administratives démesurées pour de nombreux paysans.

Enfin, EGalim 2 pose la question des transformateurs et distributeurs qui refuseraient de contractualiser ou entraveraient le travail de publication des indicateurs de coût de production.

Il est donc essentiel de prévoir une nouvelle réforme du droit de la négociation commerciale qui garantisse son effectivité.

Je propose également l’expérimentation d’un dispositif qui répond à cette problématique d’asymétrie de la négociation en réduisant le poids des intermédiaires entre le champ et l’assiette.

La rédaction : De nombreuses voix se plaignent du « trop de lois et trop de nouvelles normes ». Faut-il combattre cette inflation législative, et quelle méthode proposez-vous ? Faut-il en finir avec les lois faits divers ?

Yannick Jadot : L’inflation législative ou la dérive « un fait divers, une loi » n’est pas nouvelle. Au-delà du risque d’illisibilité du droit et de la gestion de problèmes de société « à l’émotion », cette approche a montré ses limites en termes d’efficacité.

Nous avons particulièrement été confrontés à un empilement de textes dans l’arsenal juridique antiterroriste avec plus de trente lois, la dernière en date étant l’intégration de l’état d’urgence dans le droit commun en 2017.

Élu, je proposerai une méthode différente pour l’activité parlementaire : moins de lois, des lois plus structurantes, intervenant moins dans le détail et un principe de stabilité législative dans chaque domaine tout au long de la législature.

 

Propos recueillis par Pierre Januel, Journaliste

Yannick Jadot

Yannick Jadot est député européen, candidat du pôle écologiste à la présidentielle 2022.