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Alors que le quinquennat de l’actuel président de la République française se termine, Dalloz actualité a souhaité retracer, à travers une série d’entretiens, les grandes évolutions juridiques à l’œuvre durant ces cinq dernières années sous l’effet conjugué de l’action des pouvoirs exécutif et parlementaire, voire des décisions de justice, et réfléchir aux évolutions à venir. Focus sur l’évolution de la lutte contre les violences sexuelles.
le 11 mars 2022
Le début du quinquennat a été marqué par l’adoption de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Cette loi est intervenue dans un contexte sociétal et médiatique marqué par une libération de la parole des victimes, notamment avec le mouvement mondial #MeToo. Cette vague de libération de la parole a pesé et d’ailleurs pèse encore sur le législateur contraint de constater « le recul du seuil de tolérance » (M. Crépon, Ces temps-ci. La société à l’épreuve des affaires de mœurs, Bibliothèque Rivages, 2020, p. 13) de la société envers les violences sexuelles. Interpellé, sommé de réagir par les victimes d’agressions sexuelles, le législateur a adopté une seconde loi, celle du 21 avril 2021, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste. Deux lois importantes qui marquent bien la volonté de lutter contre les violences sexuelles et tout particulièrement les violences exercées contre les victimes mineures. Analyse de l’évolution de la lutte contre les violences sexuelles avec Audrey Darsonville, professeur de droit pénal à l’Université Paris Nanterre, CDPC, Marie Dosé, avocate au barreau de Paris, et auteure de l’ouvrage Éloge de la prescription, paru aux éditions L’observatoire en septembre 2021, et Jean-Pierre Rosenczveig, magistrat honoraire, ancien président du tribunal pour enfants, et membre de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE).
La rédaction : Quels sont les apports principaux de la loi du 3 août 2018 dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ?
Jean-Pierre Rosenczveig : Si on ne s’attache qu’à l’aspect victimes mineures de cette loi, le relèvement de la durée de la prescription de l’action publique pour tenir compte du relèvement général intervenu en 2017 est une bonne chose.
En revanche, les dispositions adoptées pour sévir contre les violences sexuelles sur mineurs n’ont pas apporté la réponse claire et ferme promise par la ministre.
Le gouvernement a accepté d’entendre qu’il ne pouvait pas obtenir que soit posé comme une présomption absolue de non-discernement le fait pour l’enfant d’avoir moins de 15 ans s’il restait dans la définition classique du viol, à savoir le fait d’imposer une relation sexuelle. Tout accusé doit pouvoir démontrer qu’un élément constitutif d’une infraction n‘est pas réalisé. Comme nous le suggérions, il fallait donc quitter la qualification de viol à laquelle s’accrochaient certains pour adopter une disposition criminelle spécifique ou changer la définition du viol. Par précipitation et manque de recul, cette suggestion ne fut pas au rendez-vous. Fondamentalement, le législateur restait sur la fragilité du « témoignage » de l’enfant qui pouvait accuser à tort un adulte… homme !
Comme, dans le même temps, on accentua sensiblement les peines correctionnelles encourues pour atteintes sexuelles sur mineurs, plus que jamais on allait vers la correctionnalisation. Échec et mat ! Le discours non seulement était confus mais faible. L’exemple typique de la mauvaise loi d’affichage qui ne réglait rien.
Moins de trois ans plus tard, le gouvernement devait reprendre sa copie après l’affaire de Versailles où un nouvel acquittement faute de la preuve du défaut de consentement devait confirmer nos inquiétudes sur la non-opérationnalité de la nouvelle loi de 2018.
Audrey Darsonville : De la loi du 3 août 2018, on peut retenir une avancée intéressante et des déceptions. L’avancée est la modification de l’incrimination de viol. La nouvelle définition du viol prend en compte l’acte de pénétration sexuelle imposée à la victime par et sur l’auteur. Il s’agit d’une évolution importante et positive puisqu’en application du principe de stricte interprétation de la loi pénale, la Cour de cassation refusait d’admettre la qualification du viol lorsque la pénétration non consentie avait lieu sur la personne de l’auteur, l’élément matériel du crime n’étant pas caractérisé (Crim. 21 oct. 1998, n° 98-83.843 P, D. 1999. 75 , note Y. Mayaud ; ibid. 155, obs. M.-H. Gozzi ). La jurisprudence retenait alors l’infraction d’agression sexuelle, notamment lorsqu’une fellation avait été pratiquée par l’auteur sur une victime. Ainsi, l’extension de l’infraction de viol constitue une avancée et permettra son application notamment dans des hypothèses dans lesquelles un auteur commet une fellation sur un jeune garçon, situation existante en jurisprudence.
Les déceptions résultant de la loi de 2018 sont principalement de deux ordres. D’abord, la création de la contravention d’outrage sexiste prévu dans le nouvel article 621-1 du code pénal. Le choix d’une peine d’amende de la quatrième classe était opportun afin de permettre l’application de la procédure de l’amende forfaitaire dont l’efficacité répressive est indéniable. Cependant, la rédaction du texte est très confuse avec de multiples renvois et son application est difficile en raison de difficultés probatoires réelles. Certes, l’incrimination a le mérite d’afficher un interdit, de transmettre un message de prohibition des comportements sexistes à destination de la population. Mais il s’agira de savoir si, sur le long terme, ce texte mal rédigé a produit des effets positifs en termes de changements des comportements. Ensuite, la modification des contours du défaut de consentement en matière d’agression sexuelle commise à l’encontre de victimes mineures a été très décevante et explique la nécessaire réécriture des textes dès 2021. En effet, la loi du 3 août 2018 a modifié la définition de la contrainte morale prévue à l’article 222-22-1, alinéa 3 du code pénal. Il a ajouté la précision selon laquelle, « lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ». Plusieurs critiques pouvaient être émises à l’encontre de ce nouvel article 222-22-1 du code pénal. L’intégration de la notion de discernement du mineur dans l’évaluation de la contrainte soulevait des interrogations : qu’est-ce que le discernement ? est-ce un discernement entendu dans un sens large ou uniquement un discernement sexuel ? comment sera-t-il évalué ? par qui ? De même, les termes « abus de la vulnérabilité » étaient trop flous pour être réellement mobilisables par les juges. La protection des mineurs apparaissait encore trop incertaine et nécessita une refonte réalisée par la loi du 21 avril 2021.
Marie Dosé : Cette loi a notamment aggravé la peine encourue du délit d’atteinte sexuelle et créé la circonstance aggravante d’administration d’une substance altérant le discernement ou le contrôle des actes de la victime. Je reste cependant dubitative sur de nombreux points, et notamment sur la création d’une contravention qualifiée d’outrage sexiste d’une portée toute symbolique. Pour le reste, cette loi s’inscrit malheureusement dans une frénésie législative qui tend à réformer dans la précipitation et dans le dessein de satisfaire des intérêts et des revendications parfois contradictoires.
La rédaction : Le changement opéré par la loi du 21 avril 2021 à propos de l’absence de consentement des mineurs de 15 ans à l’acte sexuel est-il de nature à favoriser une meilleure protection des mineurs ?
Marie Dosé : Revenons à la genèse de cette réforme du 21 avril 2021 sur la question du consentement, notion qui obsède le législateur mais n’existe pas dans le droit français. La loi du 3 août 2018 avait écarté l’instauration d’une présomption de non-consentement d’un mineur de 15 ans à une relation sexuelle avec un majeur, prenant en considération l’avis du Conseil d’État du 15 mars 2018 qui pointait le risque d’inconstitutionnalité d’une telle disposition. La loi dite Schiappa de 2018 s’était donc concentrée sur la notion de contrainte morale et de surprise, mais la version finale du texte s’est avérée approximative, ambiguë et sujette à interprétation. Seize mois à peine après son entrée en vigueur, Marlène Schiappa lançait une mission d’évaluation de la loi du 3 août 2018. Dans la foulée, l’immense retentissement du livre de Vanessa Springora publié en janvier 2020 a inspiré un nombre considérable de propositions de loi et précipité la réforme.
Depuis le 21 avril 2021, les juges n’ont plus à démontrer l’existence d’une contrainte, violence, menace ou surprise pour caractériser un viol ou une agression sexuelle sur mineur de 15 ans, lorsque 5 années au moins séparent le majeur du mineur (dans le cas contraire, le majeur pourrait tomber sous le coup de l’incrimination d’atteinte sexuelle). Il suffit donc de démontrer que le majeur connaissait l’âge du mineur pour caractériser l’élément moral de l’infraction criminelle. En pratique, une telle présomption de culpabilité est quasi irréfragable et induit un renversement de la charge de la preuve qui porte atteinte aux droits de la défense, et coupe court à tout débat judiciaire digne de ce nom.
Jean-Pierre Rosenczveig : Enfin, le législateur accepte de changer de paradigme comme nous le proposions : il fallait quitter le terrain piégé du consentement de l’enfant pour poser purement et simplement un interdit à l’adulte. Devient donc un acte criminel – qualifié viol – le fait pour un adulte de 18 ans d’avoir une relation sexuelle avec une personne de moins de 15 ans. On quitte la subjectivité des jurés pour trois faits objectifs : l’âge de l’un, l’âge de l’autre, la relation sexuelle.
On regrettera la fragilisation du message lié à la clause dite des amours adolescentes qui exige qu’il y ait cinq ans de différence entre l’adulte et le jeune. Où est l’adolescence pour un jeune de 20 ans ? À 18 ans on est mature pour voter et pleinement responsable pénalement. On sait les interdits et on doit être responsable pour deux.
Une nouvelle illustration du manque de réflexion du législateur sur le statut des enfants, mais un pas décisif quand même franchi en 2021 et un message fort envoyé aux adultes.
Audrey Darsonville : La loi du 21 avril 2021 a opéré un changement profond dans l’appréhension pénale des violences sexuelles perpétrées sur des victimes mineures en insérant dans le code pénal de nouvelles infractions d’agressions sexuelles autonomes sur mineur de quinze ans. Ainsi, dans la nouvelle qualification de viol commis par un majeur sur un mineur de 15 ans, l’absence de consentement du mineur est présumée. C’est une évolution majeure de paradigme dans la lutte contre les violences sexuelles sur les mineurs : on présume l’absence de consentement pour tous les mineurs âgés de moins de 15 ans. Pour les mineurs entre 15 et 18 ans, c’est l’incrimination classique de viol qui s’appliquera avec la nécessité de démontrer le défaut de consentement. Pour compléter cette nouvelle incrimination, la loi a inséré la clause dite « Roméo et Juliette » (la nouvelle qualification de viol sur mineur de 15 ans par un majeur est subordonnée à une condition d’écart d’âge de cinq ans entre l’auteur et la victime) qui doit éviter que la nouvelle infraction autonome de viol sur mineur s’applique à une relation amoureuse entre deux mineurs dont l’un deviendrait majeur alors que l’autre aurait moins de 15 ans.
On peut déplorer que la rédaction hâtive de la loi de 2021 ait empêché une rationalisation aboutie de la législation pénale relative aux infractions sexuelles. En effet, de nombreux écueils demeurent notamment sur l’articulation des incriminations entre elles : quid de l’atteinte sexuelle dont le champ d’application semble presque inconsistant désormais ou du recours à une personne prostituée mineure déjà couvert par l’article 222-23-1, alinéa 2 (« si les faits sont commis en échange d’une rémunération ») ? Bien qu’imparfaite, la loi du 21 avril 2021 amorce un réel changement en présumant le défaut de consentement des mineurs de 15 ans et, à ce titre, on peut espérer qu’elle favorise une meilleure répression et donc in fine une meilleure prévention des violences sexuelles perpétrées à l’encontre des mineurs.
La rédaction : La lutte contre l’inceste est-elle renforcée par la loi du 21 avril 2021 ?
Audrey Darsonville : La loi du 3 août 2018 avait déjà étendu l’application de l’inceste aux personnes majeures qui en sont victimes. Cet élargissement était attendu, tant il semblait étrange que l’inceste ne puisse concerner que les victimes mineures à l’exclusion des majeures. La loi du 21 avril 2021 va plus loin dans la lutte contre l’inceste. Elle procède à un élargissement de la notion d’inceste en étendant le cercle familial au « grand-oncle » ou à la « grand-tante ». De plus, et c’est sans doute l’évolution majeure en la matière, la loi du 21 avril 2021 prend en compte la notion d’inceste pour faciliter la caractérisation du viol en insérant une nouvelle qualification de « viol incestueux » à l’article 222-23-2, et suivant la même logique, une nouvelle qualification d’agression sexuelle incestueuse a été introduite à l’article 222-29-3. Ces nouveaux textes énoncent qu’en cas d’inceste, la présomption de défaut de consentement s’applique aux mineurs jusqu’à 18 ans, la limite d’âge de 15 ans disparaît. Le lien incestueux induit une absence totale de consentement du mineur, et ce jusqu’à sa majorité.
Jean-Pierre Rosenczveig : La lutte contre l’inceste est indéniablement renforcée, à condition d’en faire une réelle promotion. Le combat contre l’inceste ne relève plus de la loi mais du débat sociétal.
Marie Dosé : Si la lutte contre l’inceste s’entend exclusivement dans la répression accrue et automatique de tels actes, la réponse est oui. L’ascendant ou toute personne ayant autorité sur le mineur de moins de 18 ans peut être déclaré coupable de viol ou d’agression sexuelle incestueux s’il est établi qu’il connaissait la minorité de la victime – ce qui n’est pas très compliqué à démontrer compte tenu de la proximité entre les deux. De nombreuses associations ont reproché à cette réforme de ne pas aller assez loin, arguant, notamment, que la réforme induirait a contrario que la victime d’inceste serait supposée y consentir une fois devenue majeure… De telles réactions démontrent combien ces réformes, soucieuses de répondre aux aspirations des victimes et aux pressions de certaines associations, ne font que les entretenir dans une frustration accrue.
La rédaction : La prescription de l’action publique pour les crimes sexuels commis contre les mineurs a-t-elle encore un sens ?
Jean-Pierre Rosenczveig : Au risque de choquer, il doit y avoir dans l’ordre juridique une hiérarchie des crimes. Mes développements antérieurs me permettent d’affirmer qu’une violence sexuelle sur enfant ne relève pas du crime contre l’humanité.
En revanche, reprenant l’idée de l’ancien bâtonnier de Paris Pettiti, on peut dire que l’exploitation sexuelle des enfants dans les bordels thaïlandais brise le ciment de notre humanité et que l’on pourrait déclarer ce crime imprescriptible. Dira-t-on que l’inceste à hauteur de 5,5 millions de Français est un crime contre l’humanité ? Beau débat !
Reste l’essentiel : se faire rendre justice n’est pas nécessairement obtenir une condamnation pénale contre l’auteur, mais on cherche à être entendu et qu’il soit dit qu’on n’a pas menti. L’affaire Duhamel démontre qu’il peut y avoir des sanctions autres que pénales. La dynamique enclenchée par le parquet de Paris relayé par la Chancellerie des enquêtes systématiques malgré la prescription vaudra souvent réponse judiciaire. La justice restaurative fera le reste.
Marie Dosé : Le surinvestissement législatif en matière de violences sexuelles, et tout particulièrement de violences sexuelles sur mineurs, instaure de facto un régime spécial dérogatoire au droit commun, notamment en matière de prescription. La loi du 3 août 2018 a ainsi allongé les délais de prescription de l’action publique de manière significative à compter de la majorité du plaignant en justifiant cet allongement par l’intervention, chez certaines victimes, d’une amnésie traumatique, concept qui devrait pourtant être avancé avec beaucoup plus de prudence. Dans les faits, à hauteur d’une vie d’homme, un viol sur mineur de 15 ans devient quasi imprescriptible : entre le report du point de départ, l’allongement des délais, l’interruption et la suspension de la prescription, et la prescription glissante, le mis en cause pourra être poursuivi jusqu’à la fin de sa vie. Et les décisions de classements sans suite, de non-lieu, de relaxes ou d’acquittements risquent fort de s’accumuler et de nourrir un sentiment de frustration du plaignant. Et puis, quel sens donné à un procès pénal quarante ou cinquante ans après les faits ?
Audrey Darsonville : La prescription de l’action publique du crime de viol commis sur un mineur a été retouchée en deux temps, par la loi de 2018, puis par celle de 2021. En 2018, la prescription de l’action publique est passée de vingt à trente ans à compter de la majorité de la victime. Cet allongement significatif permettra aux victimes de déposer plainte pour des crimes de viols perpétrés quand elles étaient mineures jusqu’à l’âge de 48 ans. C’est une avancée importante dans la reconnaissance par le législateur des souffrances des victimes et du temps nécessairement long qu’il faut pour parler, dénoncer les faits. Puis, à l’occasion de la loi de 2021, deux mécanismes nouveaux sont apparus : la prescription dite glissante et l’interruption jumelée. La prescription glissante permet de prolonger le délai de prescription de l’action publique des crimes sexuels les plus anciens si de nouveaux crimes similaires sont commis par le même auteur (hypothèse du « violeur en série »). Le délai de prescription du viol (C. pr. pén., art. 7, al. 3) ou de l’agression ou atteinte sexuelle (C. pr. pén., art. 8, al. 4) sur un mineur est prolongé en cas de commission sur un autre mineur par la même personne, avant l’expiration de ce délai, respectivement d’un nouveau viol, d’une agression ou atteinte sexuelle (C. pr. pén., art. 7, al. 3) ou d’une agression ou atteinte sexuelle (C. pr. pén., art. 8, al. 4), jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction. Cette réforme est un bouleversement majeur de la logique jusqu’alors applicable à la prescription, attachée depuis toujours à l’infraction prise dans son unicité, qui ne pouvait être liée au sort d’autres faits qu’en présence d’infractions connexes ou indivisibles. De plus, elle crée une rupture d’égalité de traitement à l’égard des victimes d’autres infractions de même nature (criminelle ou délictuelle) présentant la même condition d’une commission en série (par exemple des meurtres en série) mais pour lesquelles la prescription conservera sa logique unitaire. L’interruption jumelée est insérée à l’article 9-2 du code de procédure pénale qui a été complété par un nouvel alinéa qui prévoit que « le délai de prescription d’un viol, d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle commis sur un mineur est interrompu par l’un des actes ou l’une des décisions mentionnées aux 1° à 4° intervenus dans une procédure dans laquelle est reprochée à la même personne une de ces mêmes infractions commises sur un autre mineur ». Un acte interruptif pour une poursuite va interrompre également une procédure pour les mêmes infractions commises par l’auteur sur un autre mineur.
Prescription glissante et actes interruptifs d’une procédure à l’autre laissent entrevoir un système dans lequel la prescription est devenue presque inexistante. Or, allonger toujours plus la prescription est une technique juridique qui laisse croire aux victimes qu’elles pourront obtenir une réponse pénale même très tardivement, ce qui est peu réaliste en pratique. En outre, plutôt que de vouloir reculer la prescription, le débat ne devrait-il pas davantage porter sur la question de comprendre comment aider les victimes à parler plus tôt pour permettre des poursuites pénales. Aider à la parole suppose non pas une énième loi, mais des politiques publiques ambitieuses de prévention des violences sexuelles. Favoriser une parole dans un délai proche des faits est certainement la meilleure garantie de pouvoir enclencher des poursuites ayant des chances d’aboutir à un procès pénal.
La rédaction : Les cours criminelles départementales en expérimentation sont-elles un outil efficace pour lutter contre la correctionnalisation des crimes de viol ?
Audrey Darsonville : La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a introduit les cours criminelles, dont l’expérimentation a été étendue par trois arrêtés (25 avr. 2019, 2 mars 2020 et 2 juill. 2020) à quinze départements. La loi ordinaire du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a généralisé les cours criminelles départementales au 1er janvier 2023. La cour criminelle est compétente pour juger des personnes majeures accusées d’un crime puni de quinze ou vingt ans de réclusion criminelle lorsque l’état de récidive légale n’est pas retenu. Elle est composée de cinq magistrats professionnels. Les premiers éléments chiffrés publiés sur le site du ministère de la Justice montrent que 91 % des affaires jugées par les cours criminelles ont concerné des viols simples ou aggravés. Ces cours criminelles ont été présentées comme une solution à la correctionnalisation judiciaire massive qui touche les viols, puisqu’elles permettent de conserver une qualification criminelle au viol. Toutefois, cette nouvelle juridiction interroge car elle crée le risque de donner l’image d’une hiérarchie interne entre les crimes, les plus graves relevant de la cour d’assises et les moins graves de la cour criminelle. Or, lorsque 91 % des affaires jugées par cette cour sont des viols, on constate aisément que c’est le viol qui peut être perçu comme un « sous-crime », ce qui est un message inquiétant à transmettre à la société.
Jean-Pierre Rosenczveig : Les cours criminelles doivent soulager les cours d’assises et lutter contre l’irrationnel de certains jurés, comme ceux de Melun qui ont pu en 2019 dire qu’il n’était pas établi qu’une gamine de 11 ans était sous l’emprise d’un homme de 20 ans !
Les magistrats professionnels seront certainement plus fermes dans tous les sens du terme et dès lors répondront aux parquets, aux juges d’instruction sinon aux victimes que la correctionnalisation ne satisfaisait pas.
Marie Dosé : La généralisation des cours criminelles départementales abaissera le taux de correctionnalisation des crimes de viols mais également la qualité des procès qui leur sont consacrés. Sans les jurés populaires et sans la singulière solennité des audiences criminelles, les cours départementales ne sont que des tribunaux correctionnels artificiellement gonflés par un nombre plus important de magistrats. Or, en matière de violences sexuelles, l’oralité des débats, le temps consacré aux témoins, aux experts, à la partie civile, à l’accusé, et leur confrontation au jury populaire, revêtent une importance considérable. Si le procès n’a aucune vertu thérapeutique en soi, il existe des miracles d’audience qui participent à l’apaisement des victimes et à la prise de conscience des accusés. Et ces miracles, ce n’est pas un hasard, surgissent essentiellement en cours d’assises.
Audrey Darsonville, Marie Dosé et Jean-Pierre Rosenczveig
Audrey Darsonville est professeur de droit pénal à l’Université Paris Nanterre, CDPC.
Maître Marie Dosé est avocate au Barreau de Paris, et auteure de l’ouvrage Éloge de la prescription, éditions L’observatoire, paru en septembre 2021.
Jean-Pierre Rosenczveig est magistrat honoraire, ancien président du tribunal pour enfants, et membre de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE).