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Alors que le quinquennat de l’actuel président de la République se termine, Dalloz actualité a souhaité retracer, à travers une série d’entretiens, les grandes évolutions juridiques à l’œuvre durant ces cinq dernières années sous l’effet conjugué de l’action des pouvoirs exécutif et parlementaire, voire des décisions de justice, et réfléchir aux évolutions à venir. Focus sur l’évolution du droit social.
le 28 février 2022
À quelques mois des élections présidentielles et cinq ans après leur entrée en vigueur, le temps du bilan des ordonnances « Macron » est venu (V. déjà le rapport du comité d’évaluation, France Stratégie, déc. 2021). L’examen reste toutefois délicat, compte tenu de la diversité des domaines investis par cette énième réforme du droit du travail et de l’équivoque entourant certains des objectifs défendus par l’exécutif. Selon leurs promoteurs, les ordonnances s’inscriraient dans « un projet global de transformation du code du travail, destiné à libérer les énergies et offrir de véritables protections aux salariés, en renforçant la négociation avec les salariés et leurs représentants ainsi que la sécurité juridique attendue » (communiqué de presse du Conseil des ministres, 22 sept. 2017). Les changements introduits sont nombreux. L’on peut tenter de les rassembler autour de trois principales thématiques : la mise en place du CSE, la décentralisation de la négociation collective au niveau de l’entreprise et la révision des règles applicables au licenciement. D’autres thèmes n’en conservent pas moins leur importance, tels le nouveau cadre juridique du télétravail (avant la crise sanitaire) ou celui de l’inaptitude professionnelle. Il convient par ailleurs d’ajouter au bilan social du quinquennat l’adoption de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, la réforme de la formation professionnelle et celle de l’assurance-chômage, entrée pleinement en vigueur le 1er décembre 2021. Entretien sur le bilan social du quinquennat avec Lucas Bento de Carvalho, professeur agrégé à l’université de Montpellier, École de droit social de Montpellier (EDSM), Emmanuelle Barbara, senior partner, cabinet August Debouzy, et Rachid Brihi, avocat associé, cabinet Brihi Koskas & Associés.
Nous remercions Krys Pagani, avocat associé, cabinet Alkyne avocats, et pilote du Comité Stratégique Avocats Lefebvre Dalloz, pour son aide à la bonne coordination des échanges.
La rédaction : Pourriez-vous nous rappeler dans les grandes lignes les évolutions apportées par les ordonnances Macron en matière de dialogue social ?
Lucas Bento de Carvalho : Le nouvel article L. 2311-2 du code du travail opère une fusion des anciennes instances représentatives du personnel. La délégation du personnel, le comité d’entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) disparaissent au profit d’une instance unique, le comité social économique. Au sein des PME, cette fusion des anciennes instances représentatives est présentée comme vecteur d’un « dialogue social simplifié », tandis que, pour les entreprises de plus de cinquante salariés, la mesure favoriserait « un dialogue social à la fois plus stratégique et plus concret, moins formel » (rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2017-1386, 22 sept. 2017, relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise). La loi rend également possible, par accord majoritaire, la mise en place d’une codécision « à la française », via le conseil d’entreprise. À ce jour, seule une vingtaine d’entreprises ont opté pour ce mode de gouvernance. La disparition d’instances spécialisées, tel l’ancien CHSCT, couplée à la multiplication des réunions d’information/consultation, sans que le plancher légal des heures de délégation augmente en proportion, interroge cependant l’efficacité du dialogue social.
Les ordonnances Macron poursuivent également la dynamique de décentralisation de la norme conventionnelle au niveau de l’entreprise. Dans les matières où le législateur renvoie à la négociation collective le soin de fixer les règles applicables à la relation de travail, trois blocs doivent être identifiés. Le premier comporte treize matières pour lesquelles les stipulations de l’accord de branche prévalent sur l’accord d’entreprise, sauf si ce dernier comporte des dispositions « au moins équivalentes ». Le deuxième bloc cible quatre domaines soumis à un régime identique, sous réserve que l’accord de branche interdise toute dérogation au niveau de l’entreprise. Le troisième bloc consacre la primauté de l’accord d’entreprise pour toutes les autres thématiques, la branche n’ayant vocation à intervenir que manière supplétive. On observera que la branche conquiert de nouveaux territoires auparavant régis par les seules dispositions légales. Enfin, le recours au référendum est considérablement étendu dans le but de favoriser la conclusion d’accords. D’une part, l’employeur peut désormais demander l’organisation d’un référendum pour valider un accord minoritaire. D’autre part, dans les entreprises de moins de vingt salariés, en l’absence de délégué syndical et de membre de la délégation du personnel du CSE, un projet d’accord peut être directement ratifié par référendum à la majorité des deux tiers des salariés. Par ailleurs, un accord peut désormais être conclu avec un élu du personnel, non mandaté, sur tous les thèmes ouverts à la négociation d’entreprise. Le gouvernement parachève cette conventionnalisation du droit du travail en portant le délai de prescription de l’action en nullité de tout ou partie de l’accord collectif à deux mois, à compter de sa publication.
La rédaction : Quel est, selon vous, le bilan des ordonnances en matière de dialogue social ?
Rachid Brihi : Si le temps n’est pas encore venu de faire un vrai bilan, le temps long s’impose en cette matière, les réformes dites Macron de 2017 font déjà l’objet d’une évaluation des experts (v. rapport du comité d’évaluation des ordonnances, 16 déc. 2021) et de commentaires des praticiens (v. G. Meyer, Avocat, SSL 17 janv. 2022). Légiférer par voie d’ordonnances en cette matière n’était sans doute pas le meilleur signal pour la promotion du dialogue social… Aujourd’hui, la démocratie sociale dans l’entreprise reste une figure de style, voire une chimère incantatoire que les « boîtes à penser » s’échinent à explorer dans leur laboratoire depuis des décennies sans parvenir à une traduction dans la réalité. Cet enseignement est encore – hélas ! – celui que l’on peut tirer des ordonnances Macron.
Si, par l’instauration du CSE, l’objectif de rationalisation des procédures de consultation des institutions de représentation du personnel semble avoir été atteint dans son aspect objectif « quantitatif » (moins de réunions), il se fait au prix d’une dégradation de la qualité du dialogue social en réduisant le nombre de représentants, ce qui, mécaniquement, risque d’aboutir à une thrombose par une surcharge des missions à défaut d’avoir augmenté les moyens qui s’y attachent. Certes, nous dénoncions légitimement l’empilement purement formel des instances, la « réunionite aiguë », l’articulation hasardeuse des procédures entre les différents acteurs (pourquoi consulter le CE quand l’employeur dénonçait un accord collectif signé avec des syndicats ? Le juge l’avait dit en son temps… le législateur l’a contredit à juste titre). L’esprit jacobin de nos institutions françaises, allant de pair avec une propension à toujours centraliser, est peu compatible avec la nécessité de conserver une représentation au plus près des lieux où se nouent les relations sociales… Les représentants de proximité ne semblent pas avoir eu un succès fulgurant tant leurs attributions restent, même lorsqu’ils ont été mis en place par voie d’accords, floues et délicates et ce dispositif complexe à articuler avec le CSE. En s’éloignant de cette proximité, la tâche est rendue plus ardue de représenter les salariés tout en défendant leurs intérêts, comme le droit à un emploi mais aussi à un travail de qualité, et ce surtout avec moins de représentants et un ex-CHSCT dilué dans la CSSCT (commission santé, sécurité et conditions de travail) au moment même où la qualité de vie au travail n’a jamais été aussi prégnante pour résoudre les conséquences des nouvelles formes d’organisation du travail. Sans doute serait-il opportun de repenser, au terme d’un futur bilan, cet ordonnancement : un seul et « vrai » comité économique et stratégique (CES) à l’endroit où se décide l’essentiel, plusieurs « vrais » comités sociaux et des conditions de travail (CSCT) partout (y compris dans les entreprises/établissements de dix salariés… à la place des DP) où les représentants seraient près des travailleurs et prêts à les défendre. Mais avant cela, nous pouvions imaginer, forts d’une vision audacieuse annoncée au printemps 2017, voir émerger (enfin !) un système de relations sociales instaurant un processus décisionnel dans lequel une place véritable serait faite au niveau pertinent pour les représentants des « travailleurs » (vocable emprunté au droit social européen).
Sur ce front, toujours pas de salariés dans les organes de représentation et de direction de l’entreprise. Ce déficit vient de se faire sentir encore plus cruellement à l’occasion de la crise sanitaire qui, selon les observateurs attentifs, accouchera probablement – une fois passée la période des « grandes semeuses » – de désordres plus inquiétants sur plan économique et social tant les inégalités se sont accrues. D’aucuns pourraient voir, dans ce bouleversement de la vie économique et sociale, une expérimentation aussi riche qu’inédite. Ce qui n’est pas faux. Mais quand on se souvient de l’ambition officiellement et hautement proclamée dans le titre des ordonnances (« projet global de transformation du code du travail… en renforçant la négociation [collective… pourquoi ne pas l’avoir précisé ?] avec les salariés et leurs représentants ainsi que la sécurité juridique attendue » [quelle insécurité juridique menacerait ? et qui en particulier ?]), on ne saurait la mesurer qu’à l’aune d’une volonté politique au long cours sur un projet de société dépassant cette séquence – certes éprouvante pour les organisations et les personnes – mais circonstancielle d’une crise sanitaire ; en quoi ce « projet global de transformation du code du travail » aurait été accompli à défaut de covid-19 ? Si l’on a pu observer une effervescence du dialogue social de « crise », il serait imprudent d’y déceler les signes du renouveau voulu par les réformes Macron ; la multiplication des « consultations » des IRP depuis mars 2020 sur les mesures barrières et autres restrictions sanitaires ne saurait être un indicateur fiable de l’impact des ordonnances… ces « consultations » étant déjà requises par la loi ancienne.
Il en ira de même avec la transition écologique et du « verdissement » du dialogue social : le CSE est appelé à être consulté sur les nouvelles problématiques environnementales (v. loi Climat et Résilience n° 2021-1104 du 22 août 2021), ce qui évidemment doit être salué, mais s’il est confiné, faute de nouveaux moyens notamment de formation et de temps disponible, à un rôle purement formel et « consultatif » (v. C. trav., art. L. 2312-17 et L. 2312-22) selon les pratiques actuelles et anciennes, il y a fort à parier qu’il ne serve que de faire-valoir, comme cela est déjà trop souvent le cas en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). On objectera à juste titre que de nombreuses entreprises ont choisi la voie de la négociation collective pour mettre en place le CSE ; mais combien d’accords se sont contentés de mettre en œuvre de manière purement formelle les ordonnances ? Et combien d’entreprises de petite ou moyenne taille (80 % de l’emploi en France) n’ont pas souhaité ou n’ont pas pu, faute d’interlocuteur syndical, négocier ? Encore et toujours cette « discrimination » qui aboutit à réserver aux seuls salariés des grandes entreprises le droit d’être représentés et défendus dignement.
Et que dire des nouveaux vecteurs de gestion de l’emploi que sont les APC (accords de performances collectives) et la RCC (rupture sociale collective) ? Il est encore trop tôt pour en vérifier l’impact sur les modes de régulation au sein des entreprises et en particulier sur les objectifs vertueux qui leur sont assignés, notamment en termes de responsabilisation et de transparence dans les choix stratégiques de l’employeur. Mais on entrevoit déjà cette même disparité : d’un côté, l’entreprise soucieuse d’une véritable prise en compte de l’amélioration des compétences des salariés dans l’objectif d’une adaptation aux évolutions des métiers ; de l’autre, celle animée par le seul impératif de réduction des coûts du travail dans un cadre de négociation particulièrement déloyale, avec chantage à l’emploi, y compris parfois par la remise en cause d’avantages conventionnels.
Emmanuelle Barbara : Je ne partage pas le même jugement sévère que Rachid. Ou du moins faut-il le nuancer. Les critiques tiennent moins, me semble-t-il, aux nouvelles instances telles que refondées, qu’à leur usage ou à leur mise au point qui dépend… du dialogue social. Schématiquement, là où le dialogue et la négociation collective étaient féconds, ils le demeurent sous l’empire des ordonnances. À l’inverse, les entreprises dont le climat social n’était pas le plus apaisé n’ont pas trouvé avec les ordonnances les moyens d’en améliorer l’exercice. Mais c’est bien du côté des petites entreprises que l’on peut constater un changement plutôt favorable.
Tenter de limiter ses observations aux seules évolutions du cadre dans lequel s’exerce le dialogue social avec le nouveau CSE ou encore la négociation collective élargie à des acteurs qui ne sont plus limités aux syndicats revient à un exercice délicat. Depuis lors, trop d’événements, au premier chef desquels la pandémie aux effets encore incertains, sont venus perturber le déploiement de ce cadre renouvelé et pensé en 2017, date figée dans un passé précrise qui apparaît lointain. Dit autrement, le grand confinement décrété en mars 2020 a entraîné dans son sillage un tel bouleversement anxiogène du mode opératoire des entreprises comme de la vie des salariés qu’il est absolument impossible d’en faire abstraction dans ce bilan. Depuis la date d’entrée en vigueur du CSE au 1er janvier 2018 et du fait des dispositions transitoires pour sa mise en place jusqu’au 31 décembre 2019, force est d’admettre que la pleine application de la fusion des instances pour les entreprises de plus de cinquante salariés s’observe pleinement depuis l’année où le cours de nos vies s’est temporairement arrêté. Révélatrice d’insuffisances mais aussi de succès de ces dispositifs, la crise constitue un laboratoire inédit et imprévu où le fonctionnement dégradé des CSE, mais fonctionnement tout de même, est allé de pair avec une négociation collective pas si anecdotique que l’on pense si on en juge par le nombre et le type d’accords conclus en 2020. Ce sont les entreprises de moins de vingt salariés qui ont progressivement conclu des accords d’entreprise avec les élus du CSE ou par référendum : de 7 000 accords en 2019, on en dénombrait plus de 9 000 en 2020 (Évaluation des ordonnances du 22 sept. 2017, Rapport 2021, Synthèse, France Stratégie, p. 1), année singulière s’il en est.
Pourquoi ne pas apprécier ce dialogue social substantiellement revisité à l’épreuve de ce crash test grandeur nature ? Plusieurs enquêtes de la CFDT dédiées aux effets du covid-19 ont été conduites en avril 2020 et en 2021. S’agissant du dialogue social, on y apprend que celui-ci, même conduit de manière chaotique, a permis de diviser par deux ou trois le mécontentement ou l’inquiétude suscités par la période. On apprend ainsi qu’en avril 2020, 87 % des salariés dont la direction a consulté les représentants du personnel au titre des mesures prises face à l’épidémie estiment que les bonnes mesures ont été prises, alors qu’une majorité de salariés (65 %) des entreprises qui se sont abstenues de le faire (soit 17 %) ou de celles qui ne disposaient pas de CSE (16 %) l’ont déploré. Ces informations sont précieuses sur deux points au titre de la question posée. D’une part, cela signifie que le CSE en tant qu’organe de représentation du personnel n’est pas en cause puisqu’il a pu exercer un office utile de dialogue social à forte intensité dans une période inédite. D’autre part, que la qualité du dialogue social n’a rien à voir avec l’institution elle-même (CSE ou CE/CHSCT) mais qu’elle tient à l’appétence des parties en lice. L’épreuve de la crise valide l’intérêt de la rationalisation du dialogue social par le passage à une instance unique, évitant la déperdition d’informations cruciales en empruntant un canal unique. Voilà ce que la pandémie nous dit des ordonnances, ces dernières ne portant pas effectivement en elles-mêmes un effet magique sur la qualité du dialogue en résultant.
Quant à l’élargissement du champ des sujets incombant au CSE, assorti de la perte corrélative de principe d’une représentation du personnel de proximité, il est possible ou probable que ces constats nécessitent une évaluation complémentaire des procédés auxquels les entreprises auront recouru par voie d’accord pour en atténuer les effets délétères. On critique parfois la dégradation de la qualité du dialogue en raison de la surcharge des instances. Pourquoi penser que la multiplication des titulaires de mandats ou encore d’instances chargées de tel sujet d’expertise précis viendrait réduire le sentiment de lourdeur des thèmes à l’étude, sans parler des articulations nécessaires au fonctionnement de nouveaux forums ?
L’entreprise est un lieu complexe à la fois fermé sur sa culture et son savoir-faire et ouvert sur un monde rapide dont les exigences l’influencent. C’est un lieu dont on peut même penser qu’il se complexifie à mesure que son rôle sociétal grandit. Le fait pour l’entreprise de s’emparer de thèmes de discussions ou d’accords concernant des enjeux qui s’éloignent du strict champ économique et social interne ne peut pas se traduire par un allègement de l’office du CSE quel que soit son agencement. La santé mais encore l’environnement, la RSE au sens large, l’exigence de conformité et son cortège d’alertes, les évolutions du travail et de ses organisations possibles, tout se traduit ipso facto et immanquablement par un alourdissement de l’activité dévolue aux partenaires sociaux.
Faut-il mobiliser à nouveau la loi ou bien l’invitation faite au dialogue social de terrain suffit-elle ? Autre angle de réflexion : les technologies qui bouleversent les modes de vie à tous égards ne pourraient-elles pas servir à alléger le fardeau d’ordres du jour de réunions à rallonge ? Il est peut-être temps de considérer que pour être discuté, tout n’a pas besoin d’être ritualisé au travers de réunions dont la vitalité s’essouffle.
La rédaction : L’autre évolution marquante de ce quinquennat concerne l’assouplissement de certaines règles relatives au licenciement. Pourriez-vous nous dire ce qui a présidé à cette évolution et nous en rappeler les principaux points ?
Lucas Bento de Carvalho : Bien qu’aucune étude n’ait jamais démontré qu’un droit du travail moins protecteur des salariés permettrait de réduire le niveau de chômage (v. not. F. Vasquez, Emploi et droit du travail vu de Bruxelles, Dr. soc. 2016. 311 ), l’assouplissement des règles relatives au licenciement constitue la pierre angulaire des mesures destinées à « libérer la création d’emplois dans notre pays », en particulier « dans les très petites et moyennes entreprises » (rapport au président de la République, préc.). Aux côtés du plafonnement des indemnités pour absence de cause réelle et sérieuse, dont la conventionnalité divise les juges du fond, les règles entourant la motivation du licenciement ont été « réformées pour que les vices de forme ne l’emportent plus sur le fond ». En matière de licenciement pour motif économique, l’appréciation des difficultés ou des menaces sur la compétitivité de l’entreprise relevant un groupe de société – qui fait enfin l’objet d’une définition légale – est par ailleurs réduite au seul territoire national. Les ordonnances permettent, en outre, d’opérer par voie d’accord collectif une préjustification de la rupture, dont le juge du travail ne pourra plus apprécier la légitimité intrinsèque. Il en va ainsi du licenciement qui survient au terme (sic) du CDI de chantier ou lorsque le salarié refuse la modification de son contrat induite par l’application d’un APC, le licenciement intervenant alors pour un motif sui generis.
La rédaction : Parmi l’ensemble de ces mesures, le barème des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse a été particulièrement commenté. Quel est pour vous l’impact produit par ce barème ?
Emmanuelle Barbara : Sans revenir sur les termes de la polémique, de la résistance de certains tribunaux à l’application dudit barème, son introduction a eu des effets sur deux aspects. D’une part, l’éventuelle étroitesse de son quantum pour les anciennetés les plus courtes a produit une explosion des demandes salariales en sus de la seule revendication du caractère dénué de cause réelle et sérieuse alléguée au licenciement : rappel de salaires, heures supplémentaires, avantages divers. D’autre part, et c’est le point le plus saillant, il en est résulté des demandes au titre d’atteintes hypothétiques aux droits fondamentaux. Du harcèlement à la discrimination, les cas sont multiples. Non pas que le cas de figure n’est pas parfois avéré mais ces griefs sont plus que jamais revendiqués. L’atteinte aux données personnelles telles que protégées par le règlement de protection des données (RGPD), l’éventuelle atteinte à la liberté d’expression ou encore le contentieux propre aux alertes, les motifs ne manquent pas. Il en résulte des dossiers prolixes.
Malgré ce qui précède, on constate en effet une diminution continue du contentieux prud’homal depuis quelques années (les ruptures conventionnelles, le barème, les délais judiciaires et la modification de la procédure prud’homale peuvent expliquer cette décrue). Je crois aussi que la rupture du contrat de travail est de nos jours moins chargée émotionnellement que ce qu’elle a pu être par le passé où le travail était censé s’accomplir toute une vie au sein de la même entreprise. Une dédramatisation de la rupture du contrat de travail est à l’œuvre, ce que la rupture conventionnelle introduite en droit positif il y a déjà quatorze ans ou encore la rupture conventionnelle collective en 2017 traduisent. Plus que le licenciement, l’enjeu des années à venir consiste à favoriser l’employabilité avec l’aide de l’entreprise pour exercer désormais plusieurs emplois dans une vie, successivement ou même simultanément.
Rachid Brihi : S’il est encore prématuré de tirer un bilan définitif de l’instauration du barème prud’homal des indemnités de licenciement, force est de déplorer qu’il constitue déjà une véritable arme de dissuasion massive pour les salariés ayant perdu leur emploi, si l’on en juge par la très forte décrue des saisines (- 32 % entre 2016 et 2020) accentuée par le recours à la RC (- 55 % entre 2009 et 2020). N’était-ce pas l’objectif inavoué parce qu’inavouable ? Après la réduction drastique, à contre-courant d’ailleurs de l’évolution moderne des droits de la défense, des délais de prescription, nul ne peut s’étonner des effets du barème Macron sur le volume du contentieux prud’homal. Certains peuvent y voir un nouveau mode de régulation des conflits individuels du travail par une incitation forte à la négociation encadrée et donc supposée plus équilibrée. En attendant de voir ce qu’en dira la Cour de cassation dans son premier arrêt annoncé comme prochain (et sous réserve d’un examen par la CEDH après épuisement des voies de recours en droit interne), les conseils de prud’hommes semblent l’intégrer dans leur appréciation de la réparation du préjudice par une forme de modulation médiane du barème, sans doute dans le secret espoir de dissuader chaque partie d’aller en appel… Les grands perdants étant les petites anciennetés ! Le barème leur a fait perdre le plancher de six mois de salaires. Mais au-delà des débats sur le quantum de l’indemnisation, ce qui en réalité pose une véritable controverse de philosophie du droit du travail, singulièrement dans le droit de la rupture du contrat de travail, tient à la nature juridique désormais dévolue à la « réparation ». Rompre un contrat de travail relèverait désormais de la seule gestion du risque comme pour la rupture d’un contrat ordinaire… de droit commun. Comme si perdre son emploi se réduisait à la seule perte d’un salaire. Au fond, l’employeur ne serait plus responsable d’une faute à l’origine d’un préjudice causé du fait de sa décision prise en vertu de son pouvoir de gestion et de direction. L’entreprise ne serait plus « responsable » et encore moins « coupable ». L’exercice du pouvoir de rompre le contrat de travail relèverait davantage de la gestion du risque, à l’instar du système assurantiel de responsabilité, mais une responsabilité « sans faute » évidemment, indemnisable forfaitairement et à moindre coût pour l’entreprise qui, demain, pourra se faire rembourser l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur la base d’un bon contrat de responsabilité civile. Changement de paradigme… qui sonne comme un retour au droit ancien.
Lucas Bento de Carvalho, Emmanuelle Barbara et Rachid Brihi
Lucas Bento de Carvalho, Professeur agrégé à l’université de Montpellier, École de droit social de Montpellier (EDSM)
Emmanuelle Barbara, Senior Partner, cabinet August Debouzy
Rachid Brihi, Avocat associé, cabinet Brihi Koskas & Associés.