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Interview

Quinquennat Macron : quelles évolutions en droit immobilier (logement social, environnement, énergie, gestion d’actifs, baux et copropriété) ?

Alors que le quinquennat de l’actuel président de la République française se termine, Dalloz actualité a souhaité retracer, à travers une série d’entretiens, les grandes évolutions juridiques à l’œuvre durant ces cinq dernières années sous l’effet conjugué de l’action des pouvoirs exécutif et parlementaire, voire des décisions de justice, et réfléchir aux évolutions à venir. Focus sur l’évolution du droit immobilier (logement social, environnement, énergie, gestion d’actifs, baux et copropriété).

le 24 mars 2022

Faire un tour d’horizon concis du quinquennat Macron en matière de droit immobilier (v. déjà en droit de la construction et de l’urbanisme : Quinquennat Macron : quelle évolution du droit immobilier (urbanisme et construction) ?, Dalloz actualité, 14 mars 2022) tenait de la gageure, tant les sujets sont nombreux. Doivent en effet être successivement évoqués le secteur du logement social, qui a connu sa mue au cours des cinq dernières années, le « verdissement » irrémédiable du droit immobilier dans son ensemble (réforme du DPE en tête !), les évolutions enregistrées en matière d’acquisition, de cession et de gestion d’actifs immobiliers, mais aussi les importantes « avancées » opérées en matière de bail d’habitation et de copropriété. Il n’y a guère que le domaine des baux commerciaux qui n’a pas été touché. Mais cette matière n’en finit pas d’assimiler la déflagration de la loi, Pinel du 18 juin 2014… Analyse avec Florence Bayard-Jammes, docteur en droit, professeur à TBS Education, Nicolas Damas, professeur à l’Université de Lorraine, Maurice Feferman est MRics, directeur juridique immobilier, Swiss Life Asset Managers France et Bruno Wertenschlag, avocat, directeur associé, Cabinet Fidal.

 

La rédaction : En matière de promotion immobilière et d’environnement, quel bilan peut-on dresser de l’activité législative et réglementaire depuis le 14 mai 2017 ?

Bruno Wertenschlag : Les lois du quinquennat, qui impactent déjà et impacteront durablement mon exercice professionnel, sont la loi ELAN du 23 novembre 2018 et les grandes lois environnementales « Énergie Climat » du 8 novembre 2019 et « Climat Résilience » du 22 août 2021. Le tout conduit à transformer profondément le métier de promoteur privé ou social et, partant, celui des avocats intervenant dans le domaine. Particulièrement pour les avocats spécialisés en droit immobilier, les réformes récentes les contraindront à ouvrir non seulement le code de la construction et de l’habitation, mais aussi le code de l’énergie et le code de l’environnement. Il faudra aussi aborder le Pacte vert pour l’Europe…

La rédaction : Commençons par la loi ELAN du 23 novembre 2018.

Bruno Wertenschlag : La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique conduit tout d’abord à une restructuration profonde du logement social, sans modèle de remplacement affiché. Elle opère en effet le regroupement des opérateurs, conduisant à une massification des acteurs et à l’éloignement entre les centres de décision et le terrain d’application de la décision (beaucoup de grands groupes de logement social sont basés en région parisienne, pour la gestion d’un territoire éclaté sur la France entière, y compris outre-mer). Le texte aboutit par ailleurs à un assèchement des financements publics (réduction de loyer de solidarité par la loi de finances pour 2018 ; baisse régulière des aides d’État) censé être relayé par une politique active de mise en vente des logements sociaux, qui peine à démarrer, et avec le risque d’amplifier le phénomène des copropriétés en difficulté. On notera en outre que la loi promeut un outil, le bail réel solidaire, dont on ne sait s’il sert prioritairement les intérêts du public en mal de logement, ou ceux des promoteurs constructeurs privés et sociaux. Elle permet aussi aux organismes de logement social de s’ouvrir à de nouveaux métiers (commerces, bureaux et équipements publics). Enfin, la loi challenge les groupes nationaux de logement social, à qui elle assigne la mission de produire une offre abondante de logements abordables (industrialisation du métier) et de valoriser le relais des partenaires locaux.

La loi pose ensuite les jalons de la réduction de la consommation d’énergie des bâtiments tertiaires, en fixant des objectifs à terme déterminés. En application de ces objectifs, le décret « tertiaire » du 23 juillet 2019 vient fournir le cadre opérationnel, avec ses arrêtés d’application. C’est tout l’objet du dispositif « Éco énergie tertiaire ».

Enfin, la loi ELAN transforme la valeur juridique du diagnostic de performance énergétique, pour en faire un outil de responsabilité.

La rédaction : Abordons à présent la loi Énergie et Climat de 2019.

Bruno Wertenschlag : La loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat a pour objet la définition et la mise en œuvre de la politique en matière de transition énergétique pour répondre à l’urgence écologique et climatique. Elle prévoit notamment l’atteinte de la neutralité carbone pour 2050 (l’article 1er de ce texte révise les objectifs de politique énergétique et en introduit de nouveaux). Cette loi fait suite à la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (loi TECV). L’obligation d’installation de panneaux solaires sur les nouveaux entrepôts et supermarchés et les ombrières de stationnement est introduite.

Quant au deuxième volet de la loi, il porte sur les passoires thermiques, avec l’objectif de les rénover toutes d’ici dix ans. Les passoires thermiques sont les logements dont la consommation énergétique relève des classes F et G du DPE. Ces logements sont responsables de 20 % des émissions de gaz à effet de serre de la France. Un plan d’action en plusieurs phases a été mis en place, avec de nombreux textes d’application.

• A partir du 24 août 2022 en métropole, les propriétaires de logements « passoires » ne pourront plus augmenter librement le loyer entre deux locataires sans les avoir rénovés. Leur possibilité de demander aux locataires une participation au coût des travaux de rénovation énergétique est limitée aux seuls travaux qui permettent de sortir de l’état de passoire énergétique.

• À partir de septembre 2022, pour la mise en vente ou la location d’une passoire thermique, les diagnostics de performance énergétique devront être complétés d’un audit énergétique qui présentera des propositions de travaux pour diminuer drastiquement la consommation d’énergie de ces logements. Lors de la vente ou de la location d’un bien immobilier, l’acquéreur ou le locataire devra être informé sur ses futures dépenses d’énergies (dans l’annonce immobilière, l’acte de vente ou de location par exemple).

• Dès 2023, les logements extrêmement consommateurs d’énergies deviendront ipso facto des logements indécents, contraignant les propriétaires à les rénover ou ne plus les louer.

• D’ici 2028, en pratique les travaux dans les passoires thermiques deviendront obligatoires, avec une mention de cette obligation dans les annonces immobilières des logements concernés dès 2022. Des sanctions en cas de non-respect de l’obligation seront définies en 2023.

La loi prévoit qu’à partir du 1er janvier 2028, la consommation énergétique des logements ne devra pas excéder 330 kilowattheures (kWh) d’énergie primaire par m2 et par an. Tout bien immobilier dont l’usage occasionnera une consommation supérieure à ce seuil sera considéré comme « énergivore ». Une information spécifique devra alors être insérée dans les annonces locatives et de vente.

La rédaction : Et qu’en est-il de la récente loi Climat et Résilience ?

Bruno Wertenschlag : La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi Climat et Résilience », ouvre grand la porte de l’immobilier au développement durable en obligeant les propriétaires à participer à la décarbonation du territoire en leur qualité de propriétaire immobilier. Particulièrement spectaculaire dans le titre V de la loi (« Se loger ») avec la mise en place d’un classement énergétique des bâtiments et, à la clé, des obligations d’audit et d’amélioration de la performance énergétique des immeubles classés D, E, F ou G. Elle amplifie le rôle de l’immeuble comme vecteur de la transition énergétique : affinement de la législation sur les bornes de recharges électriques, promotion de la végétalisation des façades et des toitures, extension du dispositif éco énergie tertiaire, etc.

Plus globalement, la loi instrumentalise le droit de propriété au service du développement durable.

La rédaction : Pouvez-vous détailler la portée de la loi en fonction des secteurs d’activité ?

Bruno Wertenschlag : Nous pouvons distinguer la construction et la rénovation de bâtiments, les transactions et l’exploitation des immeubles.

La construction et la rénovation de bâtiments contribuent à atteindre les objectifs de la politique nationale énergétique fixés par le code de l’énergie.

En matière de transaction, le diagnostic de performance énergétique (DPE) qui, jusqu’alors, avait valeur simplement informative, engage désormais la responsabilité du vendeur, du bailleur et du professionnel auteur du diagnostic. Les copropriétaires ont désormais l’obligation de faire réaliser des travaux d’amélioration de la qualité énergétique de leurs immeubles. Le carnet d’information sur le logement joue un rôle dans la définition de l’obligation de délivrance du propriétaire. De plus, l’audit énergétique est obligatoire en cas de vente de certains logements. Enfin, à partir du 1er janvier 2023, l’état des risques naturels et technologiques devra être transmis à l’acquéreur lorsque le bien est soumis à un plan de prévention des risques miniers ou situé sur une zone susceptible d’être atteinte par le recul du trait de côte et complété par les informations relatives à d’éventuels sinistres dont l’immeuble aura fait l’objet et ayant donné lieu au versement d’une indemnité pendant la période où le vendeur a été propriétaire de l’immeuble ou dont il a été lui-même informé.

Concernant l’exploitation des immeubles, il faut tout d’abord mentionner la limitation du loyer des logements énergivores relevant des classes F ou G. À terme, il y aura mise hors marché locatif des passoires énergétiques par une montée en régime progressive de la qualité de logement décent du point de vue énergétique au sens du code de la construction et de l’habitation. Quant au locataire qui souhaite réaliser des travaux de rénovation énergétique du logement loué, il pourra obtenir l’accord tacite du bailleur dans le délai de deux mois (art. 163 de la loi, modifiant l’art. 7 de la loi du 6 juill. 1989). Mentionnons également qu’après la date de réception des travaux de construction de l’immeuble, un projet de plan pluriannuel de travaux, actualisé tous les dix ans, doit être élaboré dans les immeubles à destination partielle ou totale d’habitation soumis à la loi fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. Enfin, le code de l’urbanisme contraint un peu plus les propriétaires via les documents d’urbanisme en limitant les mesures constructives conduisant à l’artificialisation des sols.

La rédaction : Quelque chose à ajouter ?

Bruno Wertenschlag : Oui ! Je veux dire un mot du « Pacte vert pour l’Europe ». Sur tous les textes qui précèdent pèse l’ombre (ou la lumière, c’est selon) de la législation et de la doctrine européennes. J’ai été particulièrement impressionné par la lecture du pacte vert pour l’Europe (paquet dit « fit for 55 » du 14 juillet 2021). Tous les textes dont nous venons de parler sont, d’une manière ou d’une autre, la mise en œuvre des engagements de l’Europe en matière de réduction des effets de l’activité humaine sur l’équilibre de la planète (gaz à effets de serre, décarbonation, déforestation, artificialisation, réchauffement climatique).

La rédaction : Évoquons le quinquennat Macron du point de vue de l’activité d’acquisition, de gestion et de cession d’actifs immobiliers. En ce domaine, peut-on caractériser l’évolution des textes depuis cinq ans ?

Maurice Feferman : Il est difficile de ne pas évoquer le contexte législatif antérieur qui a évidemment influencé les textes publiés depuis 2017 et de la jurisprudence qui y est associée. Je pense naturellement au volet « bail commercial » de la loi Pinel du 18 juin 2024 et à la loi ALUR du 24 mars 2014. Mais nous pourrions aussi évoquer la refonte du droit des obligations !

La rédaction : A-t-on constaté une inflation de textes durant les cinq dernières années ?

Maurice Feferman : L’inflation législative n’est pas l’apanage de la présidence Macron et l’impérieuse nécessité du juriste de rester en veille permanente, de ne pas vivre sur ses acquis, n’aura pas été démentie. Si les connaître est une nécessité, les « anticiper » est également indispensable. Les relations de travail de discussion des textes avec les pouvoirs publics et nos instances professionnelles sont précieuses, qui sont fréquentes et méritent d’être saluées.

La rédaction : Si vous deviez retenir quelques lois emblématiques, lesquelles mentionneriez-vous ?

Maurice Feferman : Comme loi emblématique sur le logement, à l’instar de ces prédécesseurs pour les lois SRU du 13 décembre 2020 ou ALUR, me vient nécessairement à l’esprit, la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite « loi ELAN ».

En complément de cette dernière, je mettrai en exergue deux autres catégories de textes. Tout d’abord, ceux qui ont tenté de répondre à des problématiques immédiates liées à la crise sanitaire, mais aussi ceux dont les effets sont à peine perçus, mais qui auront des impacts majeurs à court, moyen et long terme.

S’agissant de la crise sanitaire, la réactivité du gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance a été exceptionnelle, et il faut rendre grâce en particulier aux services des différents ministères qui ont travaillé sans relâche et dans les conditions qu’on peut imaginer. Ils ont su faire preuve également de pragmatisme en n’hésitant pas à corriger ou faire évoluer les textes pour tenir compte de la situation. Bien évidemment, tous les problèmes n’ont pas été résolus. Si le bon sens des parties à un différend l’a souvent emporté, il n’en demeure pas moins des contentieux et nous sommes attentifs aux réponses que nous donnera la Cour de cassation.

Quant aux mesures qui ont ou auront le plus d’impact, il s’agit, à mon sens, de celles relatives à l’amélioration de la performance énergétique du bâti. Qu’il s’agisse du « décret tertiaire » du 23 juillet 2019 ou, plus récemment, de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021, les enjeux sont majeurs. Il est à ce stade difficile d’appréhender les conséquences des obligations conduisant à devoir réduire l’impact énergétique des biens, l’interdiction prochaine de louer, d’augmenter le loyer des logements énergivores, mais il est certain que cela ne sera pas anecdotique.

La rédaction : Intéressons-nous à présent au logement : quelles étaient les ambitions initiales du quinquennat en matière de bail d’habitation ?

Nicolas Damas : Le domaine du logement n’occupait pas une place centrale dans le programme du candidat Emmanuel Macron en 2017. Si la nécessité de construire plus de logements était rappelée régulièrement, l’on ne décelait pas d’ambition notable en ce qui concerne une éventuelle réforme des rapports locatifs. Ce manque d’ambition s’est d’ailleurs reflété dans l’attribution du portefeuille du logement : quatre ministres ou secrétaires d’État vont se succéder pendant le quinquennat, ce qui ne favorise pas une approche approfondie des problèmes. Il en a résulté une certaine continuité avec le quinquennat précédent, il est vrai marqué par une réforme d’ampleur : la loi ALUR du 24 mars 2014. Il fallait déjà que cette loi entre pleinement en application avant d’envisager une réforme du droit des baux d’habitation. Il n’y avait donc pas d’attente notable et l’on pouvait raisonnablement penser que les travaux législatifs et réglementaires commencés sous la précédente mandature allaient être plus ou moins poursuivis.

La rédaction : Quelles ont été les principales modifications apportées au régime des baux d’habitation ?

Nicolas Damas : Les modifications sont relativement éparses, et résultent d’un certain nombre de textes, principalement de la loi ELAN du 23 novembre 2018, et des lois Climat n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 et n° 2021-1104 du 22 août 2021. Il ne s’agit pas ici de les reprendre dans le détail, mais quelques axes forts se détachent :

• Numérisation : le contrat de location peut être conclu par voie numérique, de même que le cautionnement depuis la réforme des sûretés opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021. Des documents annexes (extraits du règlement de copropriété, diagnostics techniques) peuvent être communiqués par voie dématérialisée.

• Pénalisation : un certain nombre de manquements aux règles locatives est dorénavant sanctionné par des amendes administratives, par exemple lorsque l’intermédiaire professionnel ne transmet pas certaines informations à l’observatoire des loyers, lorsque l’encadrement des loyers n’est pas respecté, lorsque l’obligation d’information sur la performance énergétique fait défaut. Ces amendes se sont également multipliées dans le cadre de la réglementation des locations touristiques. Cette tendance répressive était déjà apparue antérieurement (notamment à propos des congés frauduleux, dans le cadre de la loi ALUR), mais elle s’est accélérée depuis.

• Performance énergétique : la mise à l’écart des logements dont la performance énergétique et en matière d’émission de gaz à effet de serre est jugée trop mauvaise s’est considérablement amplifiée. Non seulement les logements les plus médiocres ne seront prochainement plus décents, mais leur régime locatif (annonces immobilières, évolution du loyer, etc.) est affecté afin d’inciter les propriétaires à effectuer des travaux d’amélioration. Le diagnostic de performance énergétique, profondément refondu, devient la pierre angulaire de cette nouvelle législation.

• Locations de courte durée : la réglementation des locations touristiques s’est durcie, tant à l’égard des bailleurs que des intermédiaires. L’objectif est de faciliter le contrôle par les communes du respect des règles applicables. En parallèle a été créé (par la loi ELAN) un nouveau titre 1er ter au sein de la loi du 6 juillet 1989, instituant un bail mobilité : ce nouveau contrat, portant sur un logement meublé, est réservé à des locataires en mission professionnelle ou en formation, et offre une durée non reconductible comprise entre un et dix mois. Son avantage premier est de ne pas tomber sous le coup de la réglementation du changement d’usage applicable aux locations touristiques.

• Facilitation des expulsions : les « squatteurs » sont dans le collimateur, notamment après quelques faits divers médiatisés. Les possibilités d’octroyer des délais à un occupant sans droit ni titre lorsqu’il est entré dans les lieux par voie de fait ont ainsi été réduites. De même, une loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 a renforcé les pouvoirs (et les obligations) du préfet lorsque des personnes sont entrées dans le domicile d’autrui, qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte.

• Encadrement des loyers : cette mesure phare de la loi ALUR avait été fragilisée par des décisions des juridictions administratives (finalement désavouées par le Conseil d’État), et la loi ELAN l’a consolidée en remaniant légèrement le dispositif. Conçu comme étant expérimental, celui-ci a pourtant été prolongé par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 (dite 3DS) jusqu’en 2026. De nombreuses communes mettent en place un tel encadrement des loyers (Paris, Lille, Lyon, Montpellier, Bordeaux, et plusieurs communes de la région parisienne).

Il est à noter que plusieurs projets n’ont finalement pas abouti (que ce soit parce qu’aucune fenêtre parlementaire n’y a été consacrée, ou parce que le Conseil constitutionnel a écarté des dispositions votées en les qualifiant de « cavalier législatif »). Il en va ainsi de la notion de société civile de famille (qui aurait pu être étendue aux partenaires pacsés et aux concubins notoires), et du régime du dépôt de garantie, qui, selon la proposition de loi défendue par M. Nogal, aurait été séquestré obligatoirement (et gratuitement) auprès d’un professionnel de l’immobilier, avec lequel un nouveau type de mandat d’administration de biens aurait pu être conclu.

La rédaction : Parlons enfin de copropriété. Quel portrait peut-on brosser de ce secteur entre 2017 et 2022 ?

Florence Bayard-Jammes : Le droit de la copropriété a souvent été modifié depuis 1965 mais ces cinq dernières années, les textes se sont succédé à un rythme inquiétant.

Les réformes engagées sous le quinquennat font suite celle initiée par la loi ALUR du 24 mars 2014. Inspirée des conclusions du rapport Braye, elle a inscrit le droit de la copropriété dans une nouvelle perspective : la sauvegarde de l’immeuble est devenue une priorité au détriment des droits individuels du copropriétaire sur son lot. D’aucuns ont considéré qu’elle n’était une étape pour aller plus loin. La prophétie s’est réalisée.

Le 4 avril 2018, au terme d’une large consultation, un projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique est présenté en Conseil des ministres. L’objectif est de « remédier au constat d’un relatif vieillissement de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, qui induit certaines rigidités dans la gouvernance et les modalités de décision et peut retarder par exemple la nécessaire rénovation énergétique des bâtiments ». Le projet habilite le gouvernement à prendre deux ordonnances, l’une destinée à améliorer la gestion des copropriétés et l’autre à élaborer un code de la copropriété. Sous l’impulsion du Sénat, le débat parlementaire fait évoluer le projet et, sans attendre la réforme annoncée par ordonnance, la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 contient quinze articles pour « Améliorer le droit de la copropriété » complétés en 2019 par trois décrets.

Par-delà, c’est l’habilitation donnée au gouvernement de réformer le droit de la copropriété qui doit retenir l’attention. La feuille de route du gouvernement est fixée à l’article 215, II, de la loi ELAN et la réforme est menée dans les temps avec la publication le 31 octobre 2019 de l’ordonnance n° 2019-2021 du 30 octobre dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er juin 2020. L’ordonnance « consacre », « ajoute » et « modifie » le statut de la copropriété en le modernisant sans le révolutionner. Le directeur des affaires civiles et du Sceau, Jean-François de Montgolfier, l’affirme : « Toutes les évolutions retenues l’ont été dans le respect des prérogatives de chacun des organes de la copropriété et dans le souci constant de préserver un équilibre entre facilitation de la gestion collective de l’immeuble, d’une part, et le respect des droits individuels des copropriétaires, d’autre part ». Deux dispositifs rompent cependant avec l’esprit de la loi de 1965 qui avait vocation à s’appliquer à tous les immeubles, quelles que soient leur destination et leur taille. D’une part, le champ d’application impératif de la loi se réduit dorénavant aux seuls immeubles à usage total ou partiel d’habitation et, d’autre part, un régime particulier est créé pour les petites copropriétés et des syndicats composés de deux copropriétaires. C’est la fin « du droit de la copropriété » au profit « du droit des copropriétés ».

L’ordonnance de 2019 reste en retrait face aux enjeux de la rénovation énergétique malgré l’élargissement de l’objet du syndicat à l’amélioration de l’immeuble. La disparition, dans le texte définitif, des dispositions du projet de loi relatives au plan pluriannuel de travaux en est la preuve la plus flagrante. Pourtant, les copropriétaires n’allaient pas pouvoir éternellement s’exonérer de leurs obligations. Tout laissait à penser que le dispositif n’était pas définitivement abandonné. Effectivement, il renaît avec la publication de la loi dite « Climat et résilience » du 22 août 2021 qui se donne l’ambition de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre des logements d’ici 2030. Les outils de la rénovation énergétique des copropriétés (diagnostic de performance énergétique, plan pluriannuel de travaux et le fonds de travaux) sont réformés. Reste à savoir si volontarisme politique et faisabilité pratique vont pouvoir enfin se rejoindre.

La rédaction : Parlez-nous de la gestion des copropriétés pendant la crise sanitaire.

Florence Bayard-Jammes : La succession de textes publiés pendant la période de crise sanitaire en vue de prévenir la propagation du virus donne le vertige. Le dernier en date est la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire qui modifie une nouvelle fois l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant un dispositif d’urgence pour la gestion des copropriétés dont les mesures avaient pris fin le 30 septembre 2021. Dès 2020, l’obligation de confinement puis l’interdiction des regroupements ont contraint le gouvernement à prendre des mesures d’urgence pour éviter que les copropriétés soient dépourvues de représentant et éviter que leur gestion ne soit pas assurée. Prise en application de l’habilitation donnée au gouvernement par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, l’ordonnance du 25 mars 2020, plusieurs fois modifiée tant dans son contenu que dans sa durée d’application, a prévu le renouvellement automatique des contrats de syndic et des mandats des conseillers syndicaux et donné au syndic le pouvoir de décider unilatéralement que l’assemblée générale se tienne, sans la présence physique des copropriétaires, « par visioconférence ou par tout autre moyen de communication électronique permettant leur identification » ou qu’en cas d’impossibilité, les décisions soient prises au seul moyen du vote par correspondance.

Si ces mesures dérogatoires exceptionnelles ont révélé les faiblesses du vote par correspondance, elles ont eu le mérite d’ancrer les copropriétés dans l’ère des nouvelles technologies. Alors que la possibilité de participer aux assemblées générales à distance a été introduite dès 2018 dans la loi de 1965, peu de copropriétés (pour ne pas dire aucune) avaient décidé en assemblée générale « des moyens et supports techniques » le permettant. Ce n’était pas une priorité. La situation sanitaire a transformé l’opportunité en obligation faisant voler en éclat les résistances des gestionnaires et des copropriétaires. La brèche est ouverte et le numérique sera incontestablement l’outil de gestion des copropriétés du XXIe siècle. Certains diront qu’il était temps.

La rédaction : Comment voyez-vous évoluer le droit de la copropriété au cours du futur quinquennat ?

Florence Bayard-Jammes : L’hémorragie législative et réglementaire en droit de la copropriété risque de se poursuivre.

Il y a en premier lieu la loi de ratification de l’ordonnance du 30 octobre 2019 dont le projet a été déposé par le gouvernement en janvier 2020 mais qui n’a toujours pas été votée. Il y a ensuite la révision du contrat du syndic, ardemment attendue par les professionnels qui désespèrent de l’absence de concertation biannuelle pourtant prévue par la loi (L. n° 65-557, art. 18-1 A). Il y a aussi les exigences en matière de rénovation énergétique des logements qui risquent de ne pas être respectées dans un contexte de crise dont on ne mesure probablement pas encore tous les effets. Le politique devra se positionner.

Reste enfin le chantier majeur de la codification. Il était inscrit dans la feuille de route du gouvernement avec une échéance au 23 novembre 2020. Il a été abandonné au prétexte que la réforme du droit de la copropriété n’était pas stabilisée au grand désespoir des praticiens désabusés par l’éparpillement des textes régissant la matière. Pourtant, l’espoir renaît à la lecture d’une réponse ministérielle parue fin 2021 ; l’ambition de réalisation d’un code de la copropriété ne serait pas abandonnée. Il permet d’espérer une meilleure lisibilité du statut et la fin de la spirale inflationniste des réformes incessantes que les gestionnaires n’ont plus le temps d’appréhender.

Florence Bayard-Jammes, Nicolas Damas, Maurice Feferman et Bruno Wertenschlag

Florence Bayard-Jammes est docteur en droit, professeur à TBS Education

Nicolas Damas est professeur à l’Université de Lorraine

Maurice Feferman est MRics, directeur juridique immobilier, Swiss Life Asset Managers France

Bruno Wertenschlag est avocat, directeur associé, Cabinet Fidal