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Interview

Réforme de la procédure civile et de divorce : à propos des décrets à paraître

Alors qu’à la suite du rapport Agostini-Molfessis de janvier 2018, un décret « procédure civile » devrait être prochainement publié au Journal officiel, et qu’un décret « divorce » devrait dans le même temps venir organiser la procédure, issue de la loi du 23 mars 2019 de réforme de la justice, Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau, lève le voile sur plusieurs de ces mesures d’ampleur et précise certains éléments de calendrier.

le 15 novembre 2019

Le Conseil national des barreaux a, depuis la parution de cet entretien, diffusé les projets de décrets, selon la version transmise au Conseil d’État. Les textes sont disponibles ici.

 

La rédaction : Faisant suite au rapport Agostini-Molfessis de janvier 2018 proposant notamment une réforme des règles de procédure civile, et mettant en application les nouvelles mesures de la réforme de la justice, le gouvernement devrait publier prochainement un décret d’ampleur sur le sujet. Confirmez-vous la publication prochaine de ce texte ? Plusieurs textes sont-ils à prévoir ?

Jean-François de Montgolfier : Je vous confirme effectivement la publication en fin d’année d’un important décret réformant la procédure civile. Je ne peux malheureusement être plus précis sur la date exacte de publication du texte, dans la mesure où le projet est actuellement soumis à l’examen du Conseil d’État et nous ne maîtrisons pas les délais.

Nous avons par ailleurs fait le choix d’un décret conséquent qui embrasse à lui seul une grande part de la procédure civile, permet une meilleure lisibilité et de mieux comprendre l’articulation des différents champs de réforme.

La rédaction : À quelle date l’entrée en vigueur de cette réforme est-elle envisagée ? Quels moyens ont été mis en œuvre afin de permettre aux magistrats, greffiers et auxiliaires de justice de s’y préparer ?

Jean-François de Montgolfier : La date d’entrée en vigueur est fixée au 1er janvier 2020. Les mesures relatives notamment à la saisine de la juridiction, à l’exécution provisoire ou à la représentation obligatoire seront applicables aux actions introduites à compter du 1er janvier 2020.

Les autres modifications de procédure, telles que le traitement simplifié des exceptions de compétence ou la simplification de la convention de procédure participative, seront applicables aux procédures en cours à cette date.

Le projet de décret a été soumis à la consultation des juridictions et des avocats. Il a subi peu de modifications depuis mais, sans attendre sa publication au Journal officiel, nous allons le diffuser à l’état de projet à l’ensemble des professionnels, juridictions et avocats en particulier, afin qu’ils puissent se préparer à son entrée en vigueur.

Par ailleurs, nous participons aux côtés de la direction des services judiciaires, à des réunions avec les différentes cours d’appel afin de leur présenter les dispositions du projet de décret réformant la procédure civile et répondre à leurs éventuelles interrogations.

La rédaction : Quelles sont les propositions du rapport Agostini-Molfessis qui ont finalement été retenues ?

Jean-François de Montgolfier : Le projet de décret tend à responsabiliser les parties et à simplifier la procédure. En cela, il est clairement une application des propositions du rapport de simplification de la procédure civile.

Pour ne citer que les principales, je peux vous indiquer que le projet de décret reprend la proposition d’une procédure dématérialisée et accessible au justiciable. Si le champ d’application de la communication électronique obligatoire est inchangé, le projet de décret met cependant en œuvre la possibilité d’une prise de date en ligne, à l’horizon du second semestre 2020. Il permettra aux parties représentées d’avoir connaissance de la date de la première date d’audience dès l’assignation sans avoir à attendre leur convocation par le greffe.

Mais la réforme majeure du projet de décret est certainement la fusion des procédures applicables aux tribunaux d’instance et de grande instance liée à la création du tribunal judiciaire. Nous avons conservé les grandes caractéristiques de ces procédures ainsi que leur champ d’application en procédant toutefois à certains ajustements issus du rapport de simplification. Les modes de saisine seront ainsi simplifiés puisqu’aux côtés de l’assignation ne subsistera que la requête, mode gratuit de saisine du juge. Par ailleurs, le taux de ressort est porté à 5 000 € et le juge aura la possibilité de statuer sans audience dès lors que les parties en seront d’accord.

La mise en état est repensée et rationalisée grâce à de nouveaux pouvoirs du juge de la mise en état en matière de fins de non-recevoir et un assouplissement des règles en matière de procédure participative de mise en état.

Enfin, afin d’assurer la qualité et l’efficacité des décisions de justice, le projet de décret opère une extension raisonnée de la représentation obligatoire par avocat et instaure un principe d’exécution provisoire de droit des décisions de justice.

La rédaction : Quelles sont les mesures qui ont éventuellement été écartées et pour quelles raisons ?

Jean-François de Montgolfier : Certaines mesures du rapport n’ont pas été reprises dans le projet de décret, non en raison de leur inadéquation ou pertinence mais de la réforme procédurale qu’elles engendraient. Nous avons en effet estimé que ces mesures nécessitaient un travail de fond et de consultation qui ne nous permettait pas de les introduire dans les temps du projet de décret. C’est par exemple le cas de la réforme de l’office du juge ou de la concentration des moyens en première instance.

Pour certaines autres propositions, nous sommes parvenus à la conclusion, après une analyse plus approfondie, qu’elles pourraient avoir certains effets indésirables. Il s’agit par exemple de la simplification des fins de non-recevoir et des nullités de fond. Cette simplification est généralement réclamée par les magistrats qui en attendent de pouvoir apprécier plus facilement la recevabilité des actes de saisine de la juridiction. Néanmoins, elle aurait eu une implication sur l’examen de la légalité des autres actes de procédure, en particulier les actes d’huissier, et c’est ce qui nous a conduit à ne pas la retenir.

La rédaction : D’autres mesures, qui ne figuraient pas en germe dans le rapport Agostini-Molfessis, ont-elles été introduites dans le décret ?

Jean-François de Montgolfier : Je pense à cet égard tout particulièrement au traitement simplifié des exceptions d’incompétence, salué par les professionnels du droit lors des consultations. Afin de préserver les justiciables des risques et des lourdeurs procédurales d’une exception d’incompétence au sein d’un même tribunal judiciaire, il est en effet prévu un mécanisme, inspiré du contentieux administratif, de renvoi du dossier devant la juridiction compétente, avant la première audience, par simple mention au dossier.

La rédaction : Le schéma procédural se trouve-t-il profondément modifié par cette réforme ?

Jean-François de Montgolfier : Le schéma procédural proposé dans le projet de décret est profondément modifié puisque le décret opère la fusion des procédures menées devant le tribunal d’instance et le tribunal de grande instance. Nous avons cependant souhaité conserver les équilibres respectifs de la procédure civile orale et de la procédure écrite, en les simplifiant chaque fois que cela est possible. Les modifications que je vous ai présentées se sont ainsi articulées autour de deux grandes lignes directrices : l’intérêt du justiciable et la bonne administration de la justice.

La rédaction : Quelles sont les principales mesures portées par le décret « divorce » ?

Jean-François de Montgolfier : Ce décret organise la nouvelle procédure applicable aux divorces contentieux issue des dispositions de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. En effet, celle-ci a supprimé la requête en divorce et l’organisation en deux phases de la procédure. Il n’y aura plus qu’un seul acte de saisine en début de procédure. Cet acte pourra être soit une requête signée conjointement par les parties, soit une assignation comportant la date de la première audience devant le juge de la mise en état.

En pratique, le demandeur contactera la juridiction qui lui donnera la date de la première audience consacrée à l’orientation de la procédure et aux mesures provisoires. Le demandeur l’insérera dans son assignation et il y fera aussi figurer ses demandes éventuelles de mesures provisoires, ce qui permettra au défendeur de préparer utilement l’audience avec son avocat. Les échanges en vue de cette première audience pourront avoir lieu par RPVA afin de permettre que les mesures provisoires puissent être prononcées dès la première audience dans le respect du contradictoire. À terme, la demande de la date d’audience pourra s’effectuer en ligne.

Pour les situations urgentes, il est prévu une possibilité, sur décision du juge, de fixer l’audience d’orientation et sur mesures provisoires à bref délai.

Il sera statué sur les mesures provisoires par le juge de la mise en état mais le décret organise un régime procédural particulier et nouveau pour toutes les audiences sur mesures provisoires. Les parties, chacune assistée par leur avocat, pourront s’exprimer. La présence de tous permettra au juge de chercher à concilier les époux et de prendre en compte tous les accords qui auront émergé lors de ce temps d’échange. Il y aura donc une dimension forte d’oralité au sein de la procédure écrite de divorce. Les parties ne seront néanmoins pas tenues de comparaître sauf si le juge l’ordonne. Dans certaines situations, si le défendeur n’a pas constitué avocat par exemple ou si la seule mesure demandée est relative à la jouissance d’un véhicule, on peut penser que la présence des parties n’est pas indispensable.

La liquidation du régime matrimonial au stade du divorce est facilitée afin de permettre au couple qui se sépare de régler toutes les questions liées au divorce au cours d’une seule et même instance.

La rédaction : Pour la réforme du divorce, les greffes vont devoir gérer deux procédures (l’ancienne et la nouvelle). De quels moyens supplémentaires disposeront-ils ?

Jean-François de Montgolfier : Effectivement, les divorces pour lesquels la requête a été déposée avant le 1er janvier 2020 continueront d’être réglés conformément au droit actuel alors que les demandes en divorce formées après le 1er janvier 2020 relèveront de la procédure nouvelle. Pour autant, il n’y a pas de raison que cela entraîne un accroissement du nombre de dossiers.

Chaque service pourra utiliser l’organisation qu’il juge la plus adaptée. On peut penser par exemple à dédier des audiences aux nouveaux dossiers. Il pourrait aussi se tenir, le même jour, une audience au cours de laquelle le juge aux affaires familiales traiterait à la fois de dossiers anciens en tant que juge conciliateur et de dossiers nouveaux en tant que juge de la mise en état tenant une audience d’orientation et sur mesures provisoires, tout en exerçant aussi sa mission de conciliation sur les points du litige. Un repère visuel clair sur le dossier pourrait permettre d’identifier immédiatement le régime applicable.

La rédaction : Dans la procédure de divorce, pour les divorces pour altération définitive du lien conjugal, le juge devra avoir un rôle beaucoup plus dynamique lors de la mise en état, ne craignez-vous pas de surcharger ces magistrats ?

Jean-François de Montgolfier : La nouvelle procédure devrait permettre au contraire d’alléger la charge des greffiers et des magistrats pour les divorces pour altération définitive du lien conjugal.

Aujourd’hui, les dossiers sont stockés au greffe en attente d’assignation après l’ordonnance sur tentative de conciliation pendant l’écoulement du délai de deux ans. Le greffe doit surveiller les dossiers puisque les époux ont trente mois au maximum pour assigner et le juge aux affaires familiales doit rendre une ordonnance de caducité quand ce délai est dépassé.

Demain, le délai sera plus court puisque la loi du 23 mars 2019 l’a réduit de deux à un an. Il pourra s’écouler avant la saisine ou en cours de procédure. Ce temps pourra être mis à profit par les parties pour échanger sur les demandes accessoires au divorce et en cas d’absence du défendeur, l’avocat du demandeur pourra demander qu’il soit statué sur le dossier à l’issue de l’écoulement du délai. Il y a là une réelle simplification qui ne modifie pas fondamentalement le rôle du juge de la mise en état.

La rédaction : La Chancellerie a-t-elle fait un bilan de la réforme du consentement mutuel ? Les juges ont-ils vraiment été soulagés par celle-ci ?

Jean-François de Montgolfier : L’analyse des statistiques des juridictions montre que les juridictions ont bien été déchargées de la quasi-totalité des dossiers de divorce par consentement mutuel car seuls les dossiers où un mineur demande son audition restent traités par les juges aux affaires familiales. Ce sont donc environ 65 000 dossiers par an qui ne sont plus traités par les juridictions. Cela représente un allègement significatif non seulement pour les juges aux affaires familiales, mais aussi pour les fonctionnaires des greffes qui devaient saisir les données de chaque dossier, faire les convocations, mettre en forme les jugements et les notifier.

La réforme de la procédure applicable aux divorces contentieux permettra d’alléger encore les tâches de gestion et de convocation pour permettre aux greffiers et aux magistrats de consacrer leur temps à des tâches plus importantes, notamment d’accueil et d’écoute, dans l’intérêt de tous et surtout des familles confrontées à un divorce.

 

Propos recueillis par Laurent Dargent

Jean-François de Montgolfier

Jean-François de Montgolfier est directeur des affaires civiles et du Sceau.