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Interview

Vers un droit de l’océan

À l’occasion de la sortie de la 4e édition du Dalloz Action Droits Maritimes, Patrick Chaumette, Professeur émérite de l’Université de Nantes et Directeur de l’ouvrage, revient pour Dalloz actualité sur les évolutions récentes de la matière.

le 28 octobre 2021

La rédaction : Que recouvre aujourd’hui l’expression « Droit maritime » ?

Patrick Chaumette : Il faut entendre l’expression « Droits Maritimes » au pluriel, car la matière dépasse les règles concernant les activités des humains en mer ; il concerne autant les espaces marins, mais aussi terrestres, tels les ports et le littoral. Depuis 1995, les chercheurs du Centre de droit maritime et océanique (CDMO) de l’Université de Nantes, soutenus par de valeureux collègues, ont ainsi voulu montrer à travers leur ouvrage Droits Maritimes, la nécessité d’une approche transversale du droit de la mer et du droit maritime, l’indispensable complémentarité des disciplines juridiques liées à l’océan, reliant le statut des espaces marins au cadre des activités maritimes. Cette volonté affirmée tend à démontrer ce que les professionnels maritimes considèrent comme une évidence : la forte interpénétration des diverses branches du droit dans les questions juridiques portant sur l’univers océanique. Il s’agit aussi d’une mosaïque de conventions internationales, enrichies pour nous du droit de l’Union européenne et des droits nationaux. C’est cette conception qui est à l’œuvre dans notre ouvrage. Compte tenu de l’importance de la protection de l’environnement marin, demain un tel volume pourrait recevoir le titre Droit de l’océan.

La rédaction : Ce droit semble en pleine évolution. Quelles sont les principales mutations à l’œuvre ?

Patrick Chaumette : La pêche et le transport maritime sont les activités traditionnelles. La lutte contre la surpêche guide à la fois la politique commune des pêches au sein de l’Union européenne, que la lutte contre la pêche illégale, conduite sous l’égide de la FAO. Dans le transport maritime, la révolution du conteneur, inventé par Malcom McLean pour le transport routier aux États-Unis, conduit au développement de hubs portuaires et de navires porte-conteneurs de plus en plus grands. Il en a été de même dans l’industrie de la croisière, avec des paquebots de plus en plus grands, permettant l’accès à des semaines de croisière à des tarifs abordables.

Mais l’océan est devenu une ressource énergétique, en pétrole et en gaz d’abord, puis en énergie renouvelable, à travers les champs d’éoliennes principalement. L’espace côtier est donc marqué par des conflits d’usage. Des aires marines protégées sont instituées en vue de la protection de la biodiversité. Le littoral constitue un espace recherché pour le tourisme, mais aussi tout simplement pour une vie permanente. 50 % de la population mondiale vit dans la zone littorale, 10 % de la surface terrestre. La gestion intégrée des zones côtières (GIZC) et la planification spatiale permettent aux pouvoirs publics d’atteindre des objectifs écologique et économique de développement durable.

La rédaction : Dans quelle mesure la réglementation des activités maritimes est-elle précisément impactée par la lutte contre le changement climatique ?

Patrick Chaumette : La santé de l’océan est devenue un enjeu global pour le climat et ses évolutions, car il se trouve au cœur du système climatique planétaire. Il absorbe plus de 25 % du CO2 émis chaque année par les humains dans l’atmosphère et fournit 50 % de l’oxygène produit sur terre. Il absorbe également plus de 90 % de la chaleur résultant des émissions de gaz à effet de serre (GES), limitant de fait le réchauffement de l’air que nous respirons. L’augmentation des émissions de gaz à effet de serre réchauffe l’océan, l’acidifie, renforce l’évaporation de l’eau de mer, ce qui accentue les phénomènes météorologiques. L’océan se dilate, ce qui engendre la montée du niveau de la surface et conduit à des submersions du littoral.

Le 14e objectif du développement durable (ODD) adopté par les Nations unies en septembre 2015, pour l’horizon 2030, vise à « conserver et exploiter de manière durable, les océans, les mers et les ressources marines ». Les productions d’énergie en mer ne peuvent qu’en être bouleversées, plus ou moins rapidement.

D’une part, les explorations de gaz et de pétrole au fond des mers se poursuivent, imposant aux États côtiers la délimitation de leurs plateaux continentaux et de leurs « frontières » maritimes. Le tribunal international du droit de la mer (TIDM) a ainsi statué le 23 septembre 2017 sur la délimitation maritime entre le Ghana et la Côte d’Ivoire. La Cour internationale de justice (CIJ), le 12 octobre 2021, a déterminé le tracé de la frontière maritime entre la Somalie et le Kenya, de manière très méthodique, quant à la mer territoriale, la Zone économique exclusive (ZEE), le plateau continental en deçà des 200 milles marins, puis au-delà (plateau continental étendu). Les procédures de règlements des différends relatifs au droit de la mer ont pris de l’ampleur. Comment les États en développement peuvent-ils renoncer à cette exploration, puis à l’exploitation de ces ressources, alors même que la décarbonation de l’économie s’impose ?

D’autre part, le déploiement des énergies marines renouvelables conduit à de nouvelles installations, fixées aux fonds marins, ou flottantes et ancrées, mais reliées au réseau électrique terrestre par des câbles sous-marins et des sous-stations installées sur le littoral. Les droits nationaux ont développé un cadre juridique spécifique. Il convient de croiser la programmation énergétique et la planification spatiale, notamment la planification de l’espace maritime prévue par la directive-cadre 2014/56 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014. En France, les documents stratégiques de façade (DSF), définis à l’article R. 219-1-7 du code de l’environnement, s’efforcent de prévenir les conflits d’usage de la mer. Ces documents doivent être adoptés en 2022, à la suite de consultations publiques conduites depuis 2018.

La rédaction : Comment la réglementation encadre-t-elle l’activité de la pêche, mais aussi les prélèvements des ressources biologiques ?

Patrick Chaumette : Les océans se réchauffent, s’acidifient, s’eutrophisent, s’asphyxient. La biodiversité marine est en danger, notamment dans les zones intertropicales. Se cumulant avec la pêche illégale, non réglementée, non déclarée (INN), la surpêche met en danger les ressources alimentaires des populations littorales, de plus en plus nombreuses. La politique commune des pêches de l’Union européenne s’efforce depuis 1983 de ramener l’exploitation des stocks halieutiques à un niveau compatible avec le renouvellement de la ressource. La dernière réforme, entreprise en 2013, est actuellement perturbée par le Brexit et la mise en œuvre de l’accord de commerce et de coopération, signé le 20 décembre 2020 entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, car les eaux britanniques sont très poissonneuses et les pêcheurs européens sont dépendants de leur accès à ces ressources. Ils doivent renoncer à 25 % de la valeur de leurs prises dans les eaux britanniques, d’ici 2026, alors que la mise en œuvre de l’accord n’est pas fluide véritablement actuellement.

Concernant les ressources biologiques en haute mer, aucun instrument international ne traite des écosystèmes marins dans leur ensemblen botamment au-delà des zones sous juridictions nationales, c’est-à-dire en haute mer et dans la colonne d’eau. Des négociations sont en cours au sein des Nations unies afin d’examiner les recommandations de 2017 du comité préparatoire. Il s’agit de combler des lacunes de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), signée en 1982 à Montego Bay, quant à la préservation de la biodiversité et quant au statut des ressources génétiques des grands fonds marins. Ces dernières années ont révélé la richesse biologique de ces fonds ; si les prélèvements de ces ressources génétiques soulève peu de questions environnementales, il en va différemment du partage des avantages découlant de leur utilisation exclusive.

La rédaction : Le transport maritime est au cœur du commerce international et de nos besoins essentiels, ce que les confinements de la pandémie de covid-19 ont bien montré. Quel est son devenir ?

Patrick Chaumette : Pendant ces confinements, les marins de la marine marchande, comme les routiers d’ailleurs, ont été des travailleurs essentiels, invisibles, à la différence des soignants, car nous avons grand besoin des marchandises ainsi transportées : 90 % du commerce international.

Le shipping mondial se trouve « en pleine mer d’incertitudes », entre les menaces protectionnistes sur le commerce international et la nécessaire disparition du fuel lourd, la décarbonation, pour d’autres énergies de propulsion. En avril 2018, l’Organisation maritime internationale (OMI) a adopté une nouvelle stratégie afin de réduire les émissions de GES des transports maritimes. Il s’agit de réduire le volume total d’émissions de GES annuelles d’au moins 50 % d’ici à 2050, par rapport à 2008, tout en poursuivant l’action menée en vue de leur élimination progressive. Le règlement (UE) n° 2015/757 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2015 concerne la surveillance, la déclaration et la vérification des émissions de dioxyde de carbone du secteur des transports maritimes. Un document de conformité délivré par un vérificateur indépendant doit être conservé à bord des navires. L’annexe VI de la Convention MARPOL, révisée en 2010 par l’OMI, prévoient des zones de contrôle des émissions de SOx et de Nox, notamment en mer du Nord et en mer Baltique. La directive 2016/802/UE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 renforce les exigences en ce qui concerne la teneur en soufre de certains combustibles liquides.

Compte tenu des changements techniques nécessitant des investissements importants, une nouvelle phase de concentrations des armements est à l’œuvre, ce qui induira plus d’intégrations entre transports et gestion des ports. Notamment dans la gestion des terminaux, les partenariats privé-public se sont multipliés, à travers les conventions de terminal.

Comme tous les autres secteurs d’activités, le transport maritime est impacté par les évolutions technologiques, l’informatique et l’intelligence artificielle. Les questions de cybersécurité deviennent essentielles. Les engins téléguidés ou autonomes sont en expérimentation. Il existe depuis plusieurs années des Remotely-Operated Vehicle (ROV) sous-marin, filoguidés ou télécommandés à partir d’un navire ou d’une plateforme. Des essais de navires de surface, téléguidés ou autonomes, sans équipage, se développent notamment dans les zones portuaires. Dans le port de Copenhague, le remorqueur Svitzer-Hermod, conçu par Rolls Royce, est piloté d’un bureau du port. Il convient de donner un statut juridique à ces nouveaux engins. L’OMI y travaille. L’ordonnance n° 2021-1330 du 13 octobre 2021, prise sur le fondement de la loi n° 2019-428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités est ainsi relative aux conditions de navigation des navires autonomes et drones maritimes. Un drone n’a ni personnel, ni passager, ni fret à bord, sa jauge brute ne peut être supérieure ou égale à 100 tjb ; il n’est pas un navire. Drones et navires autonomes ont un capitaine, la personne qui exerce le commandement.

 

Propos recueillis par Laurent Dargent, rédacteur en chef

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Patrick Chaumette

Patrick Chaumette est professeur émérite à l'université de Nantes. Il est notamment spécialiste de droit social des gens de mer, ancien directeur du Centre de droit maritime et océanique (CDMO) et responsable du programme européen de recherche « Human Sea ».