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Secret professionnel : les avocats réagissent vivement au texte de la loi Dupond-Moretti

Les avocats se mobilisent contre un compromis jugé « mal rédigé » qui pourrait « affaiblir » le secret professionnel. Le CNB demande au gouvernement d’amender le texte issu de la commission mixte paritaire.

La pilule ne passe pas. Le compromis trouvé en commission mixte paritaire (CMP) sur l’introduction du secret professionnel de l’avocat, au sein de l’article préliminaire du code de procédure pénale, auquel il pourra être opposé plusieurs exceptions, ne séduit pas les principaux intéressés. Loin de là. La conférence des bâtonniers réagissait vendredi sur Twitter : « Le texte adopté en CMP sur le secret professionnel de l’avocat n’est pas acceptable. La conférence des bâtonniers entend poursuivre sa mobilisation. Un secret professionnel plein et entier est le seul possible dans une démocratie ». Même chose du côté de Jérôme Gavaudan : « Le compromis de la CMP est une usine à gaz qui crée de l’insécurité juridique. L’introduction de l’unicité du secret suffisait », déclarait le président du Conseil national des barreaux (CNB) en pointant le « sort fait au secret dans la loi ».

Appel à un recours constitutionnel

À Paris, on s’organise. Le bâtonnier, Olivier Cousi, indiquait réunir en séance extraordinaire le conseil de l’ordre ce samedi « pour agir afin de maintenir un secret professionnel indivisible ». « L’ordre travaille d’ores et déjà à toute voie de recours possible et appelle les parlementaires qui avaient défendu le secret professionnel, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, à saisir le Conseil constitutionnel », précisait le communiqué du Barreau de Paris.

« Les avocats regrettent que les dispositions définitives sur le secret professionnel figurant dans un ajout d’alinéa à l’article 3 – mal rédigées et imprécises – soient le fruit d’un compromis politique, dont ils seront les premières victimes avec les justiciables », mentionnait encore le communiqué.

Et pour le Syndicat des avocats de France, le compromis « affaiblit » le secret « au lieu de le renforcer ».

Des exceptions à rallonge ?

Même si la garantie du respect du secret professionnel de l’avocat, tant dans sa mission de défense que de conseil, au cours de la procédure pénale, devrait être inscrite dans le code, la profession tire à boulet rouge sur les exceptions listées. Les consultations, documents ou pièces échangés entre un avocat et son client, relevant de l’activité de conseil de l’avocat, qui établissent clairement « la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission » d’une fraude fiscale, de faits de financement d’une entreprise terroriste, de corruption, de trafic d’influence ou de blanchiment de ces délits, ne devraient pas être couverts par ce secret (selon le futur art. 56-1-2 du code). Ces dispositions concerneront les perquisitions en dehors d’un cabinet d’avocat (C. pr. pén., art. 56-1-1 futur).

Mais il subsiste un doute concernant les perquisitions au sein du cabinet et du domicile de l’avocat. C’est ce qui ressort du texte, issu du vote en CMP, qu’a reconstitué le CNB [il n’est pour l’instant pas disponible sur le site de l’Assemblée nationale, ndlr]. Car l’alinéa sur les exceptions au secret mentionne aussi l’article 56-1 du code de procédure pénale qui organise, justement, les perquisitions au cabinet et au domicile de l’avocat. Article 56-1 qui devrait lui-même évolué selon le texte du compromis, en mentionnant les éléments suivants : le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce (…) « qu’aucun document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ne soit saisi et placé sous scellé ». La rédaction de l’ensemble du dispositif est donc complexe, peu intelligible…

Le compromis ajouterait d’autres exceptions à celles listées ci-dessus. Car le futur article 56-1-2 du code de procédure pénale, qui prévoit l’inopposabilité du secret professionnel du conseil aux mesures d’enquêtes ou d’instruction, mentionne un autre cas : celui dans lequel « l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission ou, la poursuite ou la dissimulation d’une infraction ». Et aucune liste limitative d’infraction pénale n’est ici visée, d’après le texte du CNB.

« Les parlementaires introduisent une présomption d’instrumentalisation de l’avocat par son client qui remet en cause tout le secret professionnel », analysait le CNB.

« Au total, le compromis de la CMP crée un "état d’insécurité juridique permanent" préjudiciable aux citoyens, aux entreprises, aux avocats et à l’État de droit ! (…) Le gouvernement a, seul désormais, la possibilité de faire déposer un amendement pour revenir sur ce compromis dangereux, lors de la lecture de la CMP qui aura lieu la semaine du 15 novembre à l’Assemblée nationale. Nous demandons solennellement au gouvernement de porter cet amendement pour sauver le secret professionnel ». Tel était l’appel du CNB ce vendredi.

Dispositif qui alimente le débat :

« Art. 56-1-2. – Dans les cas prévus par les articles 56-1 et 56-1-1, le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction :

  • 1° lorsque celles-ci sont relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts et aux articles 421-2-2, 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10 du code pénal ainsi qu’au blanchiment de ces délits et que les consultations, correspondances ou pièces, détenues ou transmises par l’avocat ou son client établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions ;
  • 2° ou lorsque l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission ou, la poursuite ou la dissimulation d’une infraction. »