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Le droit en débats

Absence de mention du droit au silence lors de la procédure disciplinaire : une (r)évolution plus importante qu’il n’y paraît

Par une décision du 27 février 2025, le juge des référés du Tribunal administratif d’Amiens a suspendu la décision de déclassement prise à l’encontre d’une prisonnière, dès lors qu’à aucun moment de la procédure disciplinaire elle ne fut informée de son droit au silence, alors qu’elle s’était auto-incriminée.

Par Benoît David le 30 Avril 2025

Cette décision nous semble fondamentale : elle vient appliquer, sans le dire, au contentieux pénitentiaire, la décision du Conseil constitutionnel n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023. En embuscade, se trouve en réalité l’application de la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui permettrait de davantage garantir les droits (trop peu présents dans la procédure pénitentiaire disciplinaire) des prisonniers.

En l’espèce, une prisonnière du centre pénitentiaire de Beauvais avait été sanctionnée par la commission de discipline du confinement en cellule disciplinaire, à titre principal, et d’une décision de déclassement à titre de sanction complémentaire. Il lui était reproché d’avoir détenu des stupéfiants.

Saisi d’un référé suspension, le juge des référés a déclaré irrecevables les conclusions dirigées vers la décision de confinement en cellule disciplinaire dès lors que la décision avait été entièrement exécutée au moment de la saisine du tribunal. Toutefois, concernant la sanction complémentaire de déclassement, le juge a considéré que l’urgence était constituée en ce que la décision litigieuse ne fixait pas d’échéance et privait ainsi la requérante de ressources pour une période indéterminée, mais aussi en ce qu’elle portait atteinte aux perspectives offertes en matière de réinsertion. Concernant le doute sérieux de la légalité de la décision, le tribunal a considéré que l’absence de mention du droit au silence, à tous les stades de la procédure, entachait la décision d’un doute sérieux, et ce d’autant plus que la requérante avait contribué à sa propre incrimination. Dans ses écritures en défense, le garde des Sceaux soutenait que l’urgence n’était pas remplie et qu’en tout état de cause, aucun des moyens soulevés n’était susceptible de constituer un doute sérieux de la légalité de la décision.

Cette décision d’Amiens fera, à notre sens, jurisprudence :

  • d’une part, en ce qui concerne l’urgence, car si la situation matérielle de la prisonnière (qui en l’espèce n’était pas encore considérée comme indigente) doit être prise en compte, c’est l’atteinte aux perspectives de réinsertion que retient le magistrat ;
  • d’autre part, l’absence de mention au droit au silence est retenue pour considérer que la décision est entachée d’un doute sérieux de la légalité de la décision.

Le déclassement porte atteinte aux perspectives de réinsertion sociale

Concernant l’objectif de réinsertion sociale de la peine d’emprisonnement, celui-ci est un objectif à valeur constitutionnelle (Cons. const. 20 janv. 1994, n° 93-334 DC, D. 1995. 293 , obs. E. Oliva ; ibid. 340 , obs. T. Renoux ). À ce titre, le Conseil d’État l’a rappelé dans son arrêt Agamemnon (CE 13 nov. 2013, n° 338720, Dalloz actualité, 20 nov. 2013, obs. D. Poupeau ; Lebon ; AJDA 2013. 2287 ; RFDA 2014. 965, note D. Pollet-Panoussis ). Pour autant, dans cet arrêt, il n’avait pas estimé que le droit à la réinsertion était une liberté fondamentale. Aussi, le fait pour le juge des référés d’Amiens de retenir, pour caractériser l’urgence, que la décision porte atteinte aux perspectives de réinsertion est indéniablement une avancée.

Ensuite, pour retenir le doute sérieux de la décision, le juge des référés retient, au visa de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit au silence. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives, mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Ainsi, le prisonnier doit être informé de son droit de se taire et à défaut, cette irrégularité n’est susceptible d’entraîner l’annulation de la sanction prononcée que si les propos tenus ont été déterminants pour le prononcé de la sanction. Et c’était bien le cas en l’espèce, puisque la sanction prononcée reposait sur les déclarations de la requérante qui s’était auto-incriminée.

Une application de la décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023

Cette ordonnance fait donc une application de la décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023 (Cons. const. 8 déc. 2023, n° 2023-1074, Dalloz actualité, 20 déc. 2023, obs. B. Durieu ; AJFP 2024. 287 ; AJ pénal 2024. 49 et les obs. ), par laquelle, précisément, le Conseil constitutionnel avait jugé qu’il résultait de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. L’espèce de cette décision du Conseil constitutionnel était certes relative à la procédure devant la chambre de discipline des notaires, mais pour autant le principe dégagé est que ce droit au silence s’applique à toutes les décisions ayant le caractère de punition.

On ne peut qu’être satisfait par cette décision. Il est constant pourtant que l’administration pénitentiaire ne fait toujours pas mention du droit au silence dans les procédures dressées contre les prisonniers, ce qui obère encore des annulations en série des décisions de sanction dans lesquelles les prisonniers se sont auto-incriminés.

Vers une application de la Convention européenne des droits de l’homme pour le contentieux disciplinaire pénitentiaire ?

Il est en outre intéressant de pouvoir tirer encore davantage de cette décision : si le Conseil d’État estime que les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme ne s’appliquent pas dans le contentieux pénitentiaire (CE 23 nov. 2022, n° 457621, Dalloz actualité, 5 déc. 2022, obs. M. Dominati ; Lebon ; AJDA 2022. 2325 ; D. 2023. 1088, obs. J.-P. Céré, J. Falxa, E. Péchillon et S. Renard ), il est pour autant rappelé, dans ces décisions du Conseil constitutionnel et du Tribunal administratif d’Amiens, que les sanctions disciplinaires ont un caractère punitif ; on voit donc mal comment, désormais, le Conseil d’État pourrait écarter tant les dispositions de la Convention que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

La décision du juge des référés d’Amiens ouvre donc non seulement la nécessité de notification du droit de se taire, mais aussi, plus largement, la nécessité de faire application de l’article 6 de la Convention dans les procédures disciplinaires pénitentiaires.