Il résulte de l’article 954 du code de procédure civile, en ses dispositions en vigueur aux instance introduites le 1er septembre 2024, que « les conclusions comprennent (…) un dispositif dans lequel l’appelant indique s’il demande l’annulation ou l’infirmation du jugement et énonce, s’il conclut à l’infirmation, les chefs du dispositif du jugement critiqués ».
L’article 915-2 du code de procédure civile dispose par ailleurs que « l’appelant principal peut compléter, retrancher ou rectifier, dans le dispositif de ses premières conclusions remises dans les délais prévus au premier alinéa de l’article 906-2 et à l’article 908, les chefs du dispositif du jugement critiqués mentionnés dans la déclaration d’appel », et « la cour est saisie des chefs du dispositif du jugement ainsi déterminés et de ceux qui en dépendent ».
Ces modifications textuelles sont loin d’être anodines, et sous la souplesse apparente, recherchée et annoncée, se niche une exigence procédurale qui pourrait s’avérer redoutable.
Pas de sanction… quoique…
Le texte ne prévoit pas de sanction, lorsque l’appelant, qu’il le soit à titre principal ou à titre incident, a omis de préciser les ou des chefs du dispositif du jugement dont il est demandé l’infirmation.
Cependant, il est clair que pour le législateur, cette omission doit être sanctionnée. En effet, comme cela a été précisé, « La sanction découle, nous semble-t-il, de l’alinéa suivant, selon lequel "la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif". En effet, le dispositif de conclusions demandant la réformation du jugement attaqué sans indiquer les chefs du jugement dont il est demandé l’infirmation ne saisirait certainement pas la cour des chefs omis et celle-ci pourrait donc considérer n’avoir à examiner la demande de réformation du jugement que relativement aux chefs mentionnés dans le dispositif » (K. Leclere Vue et L. Veyre, Réforme de la procédure d’appel en matière civile : explication de texte, D. 2024. 362 ).
La circulaire du 2 juillet 2024 (Circ. de présentation du décr. n° 2023-1391 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile) précise au demeurant que « Enfin, pour que l’effet dévolutif puisse jouer sur l’ensemble des chefs du jugement critiqués, l’appelant doit les reprendre dans le dispositif de ses dernières conclusions, conformément au nouvel article 954 » (Circ. du 2 juill. 2024, p. 20).
La circulaire précise encore que « Sous réserve du pouvoir d’interprétation des cours d’appel, la sanction pourrait se déduire de l’alinéa 3 de l’article 954, selon lequel "La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion". Si, dans le dispositif de ses dernières conclusions, l’appelant omet des chefs, la cour ne devrait pas pouvoir, en application du troisième alinéa de l’article 954, réformer le jugement sur ces chefs, faute pour l’appelant d’avoir, dans le dispositif de ses conclusions, demandé l’infirmation du jugement relativement à ces chefs » (Circ. du 2 juill. 2024, p. 22).
Une absence ou une réduction de l’effet dévolutif
Il en résulte que la sanction doit être double, à l’image de ce qu’il en est lorsqu’un appelant omet de demander l’infirmation dans le dispositif de ses conclusions, avec une nuance toutefois, dès lors que depuis le 1er septembre 2024, la dévolution n’est pas opérée par le seul acte d’appel mais par les conclusions, en application de l’article 915-2 du code de procédure civile.
La sanction ne sera en tout état de cause pas la même selon que l’appelant a omis certains chefs de dispositif dans ses conclusions, ou selon qu’il n’a mentionné aucun chef, parce qu’il s’est contenté de demander à la cour d’appel d’« infirmer le jugement » ou d’« infirmer le jugement en toutes ses dispositions ».
La situation procédurale est alors différente tout comme elle l’est lorsqu’un appelant a omis de mentionner tout ou seulement partie des chefs critiqués dans son acte d’appel. Et cela est logique, sur le plan procédural.
Comme il l’a été rappelé, si c’est toujours l’acte d’appel qui opère dévolution, cette dévolution peut désormais être élargie, ou restreinte, par les « premières conclusions » de l’appelant au sens de l’article 915-2 du code de procédure civile.
Il en résulte que si l’appelant ajoute des chefs de dispositif en suite de sa demande d’infirmation, l’effet dévolutif est alors élargi, par ces conclusions, à ces chefs dont il est demandé l’infirmation.
Mais si l’appelant omet, volontairement ou non, d’indiquer certains chefs qui pourtant pouvaient être mentionnés dans l’acte d’appel, alors il y a une restriction de cette dévolution, par conclusions.
En conséquence, et quand bien même il existerait des prétentions résultant de ce chef omis, la cour d’appel n’en est pas saisie.
La situation est celle d’un appelant qui, avant le 1er septembre 2024, aurait omis de mentionner un chef critiqué dans son acte d’appel et qui néanmoins aurait conclu de ce chef. La cour d’appel n’en était pas saisie, la dévolution étant limitée, et il importe peu alors que l’appelant ait pu viser ce chef, ou émettre des prétentions sur ce chef de dispositif.
Dans ce cas, l’intimé se contente alors de demander à la cour d’appel de constater qu’elle n’est pas saisie de ce chef, et donc qu’elle ne peut pas statuer sur la prétention dépassant la dévolution.
La situation procédurale est similaire depuis le 1er septembre 2024, à la différence que cette dévolution ne s’apprécie plus avec la seule déclaration d’appel (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528 P, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 ; ibid. 576, obs. N. Fricero
; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle
; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero
; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon
; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry
; ibid. 458, obs. N. Cayrol
; 2 juill. 2020, n° 19-16.954 P, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero
; 25 mars 2021, n° 20-12.037 P, Dalloz actualité, 26 avr. 2021, obs. R. Laffly ; Rev. prat. rec. 2021. 6, chron. O. Cousin, A.-I. Gregori, E. Jullien, F. Kieffer, A. Provansal et C. Simon
), et l’éventuelle déclaration d’appel rectificative, mais en tenant impérativement compte du dispositif des conclusions.
En effet, depuis le 1er septembre 2024, l’acte d’appel ne fige plus les limites de la dévolution, il ne fait que l’ouvrir. La déclaration d’appel dresse les linéaments d’une dévolution que les conclusions devront achever.
Si les premières conclusions, qui ferment de manière définitive la dévolution ouverte par l’acte d’appel, ne mentionnent pas le chef de dispositif en suite de la demande d’infirmation, la cour d’appel n’en est pas saisie, et elle ne peut statuer sur la demande en découlant, sauf à excéder ses pouvoirs en se prononçant au-delà de sa saisine.
Et s’il n’y a aucun chef critiqué parce que l’appelant s’est contenté d’une vague formule « infirmer le jugement » ou même « infirmer le jugement en toutes ses dispositions », alors la dévolution est réduite à rien, quand bien même l’acte d’appel ouvrant la dévolution avait effectivement esquissé une dévolution que les conclusions auront effacé.
L’intimé peut alors conclure à l’absence d’effet dévolutif, comme il aurait pu le faire en présence d’une déclaration d’appel vide de tout chef critiqué.
Et cela se comprend dès lors que les premières conclusions de l’appelant sont l’acte de procédure qui ferme définitivement la dévolution.
C’est une conséquence procédurale logique de l’évolution de cet acte de procédure voulue par le législateur mais également par la profession d’avocat. Le Conseil national des barreaux a en effet salué comme constituant une avancée – ce qui reste discutable – « L’assouplissement de l’effet dévolutif de l’appel en permettant à l’appelant principal de mentionner dans ses premières conclusions un ou plusieurs chefs manquants du dispositif du jugement critiqués dans sa déclaration d’appel » (CNB, Actualités du 23 janv. 2024), oubliant ce faisant qu’à cette souplesse répondait une exigence dont le risque n’était pas moins grand.
Admettre une solution plus souple remettrait alors en question la souplesse voulue par le législateur, et par la profession d’avocat, pour lesquels la dévolution ne devait pas résulter que du seul acte d’appel.
En effet, si un appelant peut modifier le dispositif de ses conclusions passé ses premières conclusions, cela signifie qu’il peut modifier la dévolution, pour l’étendre, à tout moment. C’est précisément ce que le législateur a exclu puisque « la formule "premières conclusions remises dans les délais prévus au premier alinéa de l’article 906-2 et à l’article 908" employée dans le premier alinéa de l’article 915-2 implique que seul le premier jeu de conclusions déposé et notifié dans les délais des articles 906-2 et 908 permet d’étendre la saisine de la cour » (Circ. du 2 juill. 2024, préc., p. 20). Le législateur ajoute que « Ainsi, l’intimé saura dès le premier jeu de conclusions de l’appelant principal les chefs du dispositif du jugement dont celui-ci demande l’infirmation », marquant la volonté de sauvegarder les droits de l’intimé.
Permettre de modifier l’étendue de la saisine de la cour d’appel par des conclusions est une avancée, dans le sens de la souplesse. Mais cette souplesse dans la dévolution a pour contrepartie une rigueur dans la présentation des conclusions, faute de quoi l’objectif recherché sera anéanti.
En définitive, si l’appelant n’indique pas tout ou partie des chefs critiqués en suite de sa demande d’infirmation, dans le dispositif de ses conclusions, la dévolution n’opère pas des chefs omis, et la cour d’appel n’en est pas saisie, de sorte qu’elle ne peut statuer, sauf à commettre un excès de pouvoir, sur les prétentions liées à ces chefs d’infirmation.
Et une caducité ?
Outre cette possibilité, pour l’intimé, de se prévaloir de l’absence d’effet dévolutif, lorsque le dispositif des conclusions ne contient aucun chef critiqué, l’intimé doit pouvoir se prévaloir d’une caducité, tout comme l’intimé confronté à des conclusions d’un appelant ne contenant pas une demande d’infirmation (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626 P, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 2046 , note M. Barba
; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero
; ibid. 1353, obs. A. Leborgne
; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet
; D. avocats 2020. 448 et les obs.
; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, A.-I. Gregori, R. Laher et A. Provansal
; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol
; 20 mai 2021, n° 19-22.316 et n° 20-13.210 P, Dalloz actualité, 4 juin 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 1217
, note M. Barba
; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero
; AJ fam. 2021. 317, édito. V. Avena-Robardet
; ibid. 381, édito. V. Avena-Robardet
).
Si l’appelant a omis de demander l’infirmation dans le dispositif de ses conclusions, alors la cour d’appel n’est pas saisie des prétentions contenues dans les conclusions.
Les conclusions attendues, en application de l’article 908, n’ont pas été régularisées.
La cour d’appel étant saisie de conclusions vides de toutes prétentions, la Cour de cassation a admis que l’intimé, qui pouvait se prévaloir de l’absence d’effet dévolutif, pouvait également saisir le conseiller de la mise en état, ou le président en bref délai, d’un incident aux fins de caducité (Civ. 2e, 4 nov. 2021, nos 20-16.208 et 20-15.757, Dalloz actualité, 18 nov. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2022. 96 , note M. Barba
; ibid. 625, obs. N. Fricero
; Rev. prat. rec. 2021. 7, chron. F. Kieffer, R. Laher et O. Salati
; v. aussi, Civ. 2e, 30 sept. 2021, n° 20-15.674 NP).
L’appelant qui demande l’infirmation, sans indiquer les chefs critiqués, est strictement dans la même situation que l’appelant qui a omis de demander l’infirmation dans le dispositif de ses conclusions.
En effet, la cour d’appel n’est alors saisie d’aucune demande.
L’appelant n’a pas régularisé, dans son délai pour conclure, les conclusions prévues à l’article 908, à savoir des conclusions qui déterminent l’objet du litige et qui contiennent des demandes au fond en conséquence de la demande d’infirmation.
L’intimé est donc recevable à conclure au fond, à titre principal, à l’absence d’effet dévolutif, et à saisir parallèlement le conseiller de la mise en état, en procédure avec désignation d’un conseiller de la mise en état, d’un incident aux fins de caducité.
Si l’intimé est appelant incident, il pourra avoir intérêt à éviter une caducité qui ferait tomber son appel incident, pour privilégier l’absence d’effet dévolutif.
Bien entendu, cette caducité suppose un dispositif de conclusions vide de tout chef d’infirmation.
Une régularisation possible ?
Évidemment, il peut être tentant pour l’appelant de se prévaloir de l’acte d’appel, en arguant qu’une formule incomplète dans le dispositif de ses conclusions suffit dès lors que l’acte d’appel a effectivement opéré dévolution pour l’ensemble des chefs critiqués.
Mais une régularisation de cette manière, séduisante a priori pour faire preuve de souplesse, ne peut s’entendre.