Communiqué de presse du conseil des ministres du 11 avril 2012 :
« Le projet de loi renforçant la prévention et la répression du terrorisme complète sur plusieurs points l’arsenal législatif permettant de lutter contre le terrorisme. Il améliore l’efficacité de la répression de la provocation aux actes de terrorisme et de l’apologie de ces actes en sanctionnant ces infractions par un délit figurant non plus dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais dans le code pénal. Ainsi, les règles de procédure et de poursuite de droit commun, de même qu’une partie des moyens d’investigation qui sont ceux de la lutte anti-terroriste, pourront être applicables. Il n’est en effet pas normal que ces infractions, parce qu’elles sont actuellement soumises au régime des délits de presse, soient par exemple prescrites à l’issue d’un délai de trois mois, ou ne puissent permettre le recours à la détention provisoire. En effet, il ne s’agit pas en l’espèce de réprimer des abus de la liberté d’expression, mais de sanctionner des faits qui sont directement à l’origine des actes terroristes »
Plus de 7 ans après le communiqué du conseil des ministres du 11 avril 2012, le volet « RH fonction publique » de la radicalisation semble (enfin ?) mobilisé.
Si les définitions théoriques du droit pénal sont connues :
• les actes de terrorisme sont, au sens des dispositions de l’article 421-1 du code pénal1, des infractions commises « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur »
• le délit d’apologie d’actes de terrorisme est, au sens de l’article 421-2-5 du code pénal, une manifestation – acte, propos, écrit, dessin - présentant publiquement, sous un jour favorable, un crime ou un délit terrorisme et/ou son/ses auteurs.
La difficulté à appréhender judiciairement le délit d’apologie du terrorisme, notamment au sein de la fonction publique, notamment en raison des liens maintenus avec le régime très protecteur du droit de la presse, subsiste.
C’est ce que vient nous rappeler un arrêt rendu le 3 juillet 2019 par la cour d’appel de Versailles.
I/ Une question d’actualité, des questions de droit
La fonction publique n’est pas imperméable aux sirènes de la radicalité. Les médias évoquent les incidents émaillant la vie de nos administrations2 et nos institutions se mobilisent.
Ainsi, dans son rapport annuel3 du 10 juillet 20194, l’observatoire de la laïcité insiste encore sur les besoins de former élus, cadres et agents des trois fonctions publiques5.
De même, le 11 avril 2019, le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, dans son premier bilan6 du plan national de prévention de la radicalisation (PNPR)7, vise notamment la parution, le 27 février 20188 de deux décrets fixant les modalités de radiation/mutation des civils/militaires radicalisés parmi les fonctionnaires exerçant des missions de souveraineté .
Enfin, le 27 juin 2019, les députés Éric Diard et Éric Poulliat, dans leur rapport relatif aux « services publics face à la radicalisation »10, dressent un état des lieux de certains secteurs du service public et formulent 35 propositions tendant notamment à améliorer l’efficacité des enquêtes administratives Lors de l’accès à la fonction publique et de la carrière des agents.
Qu’en est-il sur le plan pénal ?
Un droit pénal à la frontière du droit de la presse et du droit commun ?
La CEDH rappelle que si la répression de ces faits relève de la marge d’appréciation des autorités nationales, l’ingérence qui résulte d’une condamnation du chef d’apologie du terrorisme doit être « nécessaire » et garantir un juste équilibre entre la liberté d’expression et le légitime droit d’une société démocratique à se protéger contre les agissements terroristes
Cet équilibre, subtil, se reflète dans l’évolution voire les hésitations de la répression pénale du délit d’apologie du terrorisme.
L’apologie du terrorisme est, à l’origine, un délit relevant du droit de la presse
L’apologie du terrorisme, lors de son introduction par la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986, est un délit de presse visé à l’article 24 al. 6 de la loi du 29 juillet 188112. L’infraction « bénéficie » ainsi d’un cadre procédural très favorable aux personnes mises en cause13 et ne peut être réprimée que si son caractère public est rapporté au sens de l’article 23 de la loi de 1881.
L’apologie du terrorisme relève-il, depuis la loi du 13 novembre 2014, totalement du droit pénal de droit commun ?
La loi du 13 novembre 2014, pour améliorer l’efficacité de la répression de l’apologie du terrorisme, faits qui « ne sont pas des abus de la liberté d’expression » mais « des faits directement à l’origine des actes terroristes » (cf. supra), une infraction soumise à la procédure de droit commun tout en réservant sa répression à la condition d’être exprimée « publiquement ».
L’art. 421-2-5 du code pénal dispose que « le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende ».
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 18 mai 201814 déclare les articles 421-2-5, 422-3 et 422-6 du code pénal relatifs à l’apologie d’actes de terrorisme, conformes à la Constitution15.
Le Conseil estime en effet que la définition de l’infraction est suffisamment précise, les peines applicables adaptées et l’atteinte portée à la liberté d’expression proportionnée et énonce :
« En instituant le délit d’apologie publique d’actes de terrorisme, le législateur a entendu prévenir la commission de tels actes et éviter la diffusion de propos faisant l’éloge d’actes ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et des infractions, dont participe l’objectif de lutte contre le terrorisme (…) l’apologie publique, par la large diffusion des idées et propos dangereux qu’elle favorise, crée par elle-même un trouble à l’ordre public » 16
La Cour de cassation, dans un arrêt récent, applique cette définition : l’apologie du terrorisme17 est le « fait d’inciter publiquement à porter sur ces infractions ou leurs auteurs un jugement favorable ».
La publicité reste, malgré la réforme de 2014, un élément constitutif de l’infraction d’apologie du terrorisme. Oui mais quelle publicité ? Celle de droit commun ? Celle définie par le droit positif de la presse ?
Des questions, résultant de l’adoption de l’article 421-2-5 du code pénal, persistent néanmoins :
• Cette exigence de publicité tient-elle en ce que les propos sont tenus dans un lieu public ou bien en ce que leur auteur a la volonté de les rendre publics ?
• La jurisprudence mise en œuvre en matière d’infractions à la loi du 29 juillet 1881, exigeant, pour retenir la publicité des propos en cause, que leurs destinataires ne soient pas liés entre eux par une communauté d’intérêts18, s’applique-t-elle ?
Le point n’est pas anodin. La facilité voire la possibilité de poursuivre et de réprimer pénalement des faits d’apologie du terrorisme commis au sein de nos services publics par des agents en dépend.
C’est l’option « droit de la presse » qui a été retenue.
Dès le 12 janvier 201519, la circulaire du ministère de la justice publiée à la suite des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015, précise dans la dernière page de son annexe :
« L’article 421-2-5 du code pénal réprime le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes.
L’apologie consite à présenter ou commenter des actes de terrorisme en portant sur eux un jugement moral favorable. La condition de publicité, prévue par l’article 23 de la loi sur la liberté de la presse, est exigée pour caractérisée l’infraction »
La note de la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du 3 février 2015 confirme, de manière quelque peu contradictoire avec l’exposé des motifs de la loi du 13 novembre 201420, l’option retenue :
« Le délit d’apologie des actes de terrorisme, même sorti de la loi sur la liberté de la presse, réprime un abus de la liberté d’expression. La liberté d’expression étant l’un des piliers de la démocratie, une interprétation restrictive des prohibitions s’impose et le droit pénal général doit également répondre à cette exigence. Dès lors, au vu de la rédaction du texte, en raison de la nature spécifique de l’infraction qui touche à la liberté d’expression, et bien que l’infraction ne soit plus incriminée par la loi du 29 juillet 1881, le critère de publicité de l’apologie publique du terrorisme parait toujours pouvoir être défini par l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 et par la jurisprudence qui y est attachée. »
L’infraction d’apologie suppose donc toujours, pour pouvoir être retenue, un élément de publicité défini par l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 et la jurisprudence liée : l’agissement apologétique n’est une infraction pénale que s’il a été accompli dans un lieu public et/ou devant des personnes qui ne relèvent pas d’une même « communauté d’intérêts ».
Qu’est-ce que l’apologie faite « publiquement » selon le droit de la presse ?
La jurisprudence récente précise cette exigence de publicité.
Dans un premier arrêt n° 16-86.965 du 11 juillet 2017, la chambre criminelle casse un arrêt de relaxe en relevant, au visa de l’article 421-2-5 du code pénal, que « selon ce texte, le délit d’apologie d’actes de terrorisme est constitué lorsque les propos qu’il incrimine ont été prononcés publiquement, c’est-à-dire tenus à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre publics ».
En l’espèce, les propos litigieux avaient été tenus par une personne qui « se trouvait en présence des seuls gendarmes qui l’escortaient, dans un fourgon cellulaire ou dans les geôles du tribunal devant lequel il devait comparaître ».
Le 13 décembre 2017 (n°17-82.030), la chambre criminelle confirme un arrêt de relaxe : « La condition de publicité fait défaut dès lors que les propos sont tenus à des militaires, liés par une communauté d’intérêts, dans une enceinte militaire, hors la présence de tiers ».
Dans un récent arrêt du 19 juin 2018 (n° 17-87.087), la chambre criminelle rappelle que le prévenu qui, en l’espèce, a tenu les propos apologétiques dans une maison d’arrêt en présence de membres de l’administration pénitentiaire, a eu, faute de communauté d’intérêts, l’intention de rendre lesdits propos publics et doit donc être retenu dans les liens de la prévention.
La communauté d’intérêts, exonératoire du caractère public et donc incompatible avec la pénalisation de l’apologie du terrorisme, suppose donc, comme le rappelle le premier avocat général François Cordier dans un avis du 16 novembre 201821 :
-
« la démonstration d’un ciment juridique ou contractuel, soit que les membres sont liés contractuellement entre eux, soit qu’ils sont membres d’un groupement institué par un texte légal ou réglementaire, ou par un instrument juridique s’apparentant à un contrat »22 (Christophe Bigot23)
- « une appartenance commune, des aspirations et des objectifs partagés, formant une entité suffisamment fermée pour ne pas être perçue comme des tiers par rapport à l’auteur des propos mis en cause »
II/ Exemple et illustration : la difficile mobilisation de délit d’apologie du terrorisme au sein de la fonction publique
Il nous a paru dès lors intéressant d’analyser le processus judiciaire ayant abouti à l’arrêt rendu le 3 juillet dernier par la cour d’appel de Versailles en ce qu’il interroge l’efficacité du droit positif face à des manifestations présumées apologétiques au sein de la fonction publique.
Rappel des faits
Par courrier adressé au procureur de la République courant août 2016, un directeur départemental des Finances publiques dénonce les agissements d’un stagiaire .
L’homme aurait le 27 juillet 2016, au lendemain de l’assassinat du prêtre Jacques Hamel et un mois après avoir été affecté, dans le cadre de son stage, au sein du service, tenu devant les agents, des propos apologétiques25 : « Daech c’est bien (…) le père va rejoindre son Dieu (…) c’est une bonne chose (…) tout le monde pense la même chose (…) je n’aurais de pitié que pour moi et mes enfants »
Il aurait également menacé une agente en lui adressant un signe d’égorgement pour répondre à une remarque qui, selon lui, aurait justifié une condamnation à mort sous Daech.
L’enquête révèle en outre un comportement inadapté au sein du service (prières, chants, propos très sexués, port d’une arme blanche) ainsi que la consultation, à son domicile, de sites de vidéos de décapitation.
Les agents témoins ajoutent que le stagiaire suscite crainte et malaise par ses autres propos, son comportement et ses pratiques singulières – signature changeante, explication sur l’usage de la taqîya lors des oraux de concours.
Une information judiciaire est ouverte des chefs d’apologie publique d’actes de terrorisme et de consultation habituelle d’un service de communication de sites provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie.
Début 2018, le juge d’instruction délivre une ordonnance de non-lieu.
Outre la disparition de l’infraction de consultation des sites terroristes à la suite des décisions du Conseil constitutionnel des 10 février et 15 décembre 201726, le juge estime non constituée l’infraction d’apologie de terrorisme faute de caractère « public » des lieux de commission des faits : l’étage où les propos ont été tenus est réservé au service.
Le parquet interjette appel : les propos apologétiques avérés ont bien été tenus publiquement en ce que, si le lieu de commission des faits – l’open space au sein duquel travaillent les agents – n’est pas un lieu public, le stagiaire a volontairement fait en sorte que ses propos soient entendus par des personnes auxquelles il n’est pas lié par une communauté d’intérêts : le mis en examen n’est que stagiaire et n’a été que très récemment affecté au sein du service au sein duquel il a tenu les propos litigieux.
Dans son arrêt du 18 mai 2018, la chambre de l’instruction infirme l’ordonnance de non lieu, relevant également que si le lieu de commission des faits n’est pas public, le mis en examen a bien eu la volonté de rendre publics des propos apologétiques puisque la nature des propos tenus et le comportement adopté au sein du service dès son arrivée l’ont « détaché » de la communauté d’intérêts des autres agents :
« si les agents de cette administration constituent en fait et en droit une communauté d’intérêts, par son comportement et la nature même des propos tenus, XX a montré vouloir s’extraire de cette communauté et poursuivre des objectifs radicalement opposés aux missions de service public attachées à ses fonctions d’agent du centre des finances publiques, propos tenus à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre public. »
Théorie de l’acte détachable ? Théorie d’une communauté d’intérêts nécessitant une appartenance ancrée ? Qu’ont choisi les juridictions saisies ?
Par jugement du 21 kanvier 2019, le tribunal correctionnel de Versailles retient l’infraction dans sa matérialité et son intentionnalité.
Le tribunal relève que les propos litigieux, n’ont pas été tenus dans un lieu public mais devant un public « captif », soit les agents travaillant au sein d’un même service en open space et tente un revirement de jurisprudence.
Se basant sur l’exposé des motifs de la loi 13 novembre 2014, le tribunal estime que, l’efficacité même de la répression impose que l’adverbe « publiquement » ne soit pas défini par l’article 23 de la loi de 1881 mais en référence au droit commun.
Le tribunal correctionnel fait valoir que le concept de « communauté d’intérêts ›› pertinent en matière de diffamation et d’injure, est inadapté s’agissant de l’infraction d’apologie du terrorisme :
« Il serait paradoxal d’exclure de la répression des propos ou comportements apologétiques au motif qu’ils ont été tenus devant une assemblée partageant les mêmes aspirations, au risque de favoriser le prosélytisme d’idées considérées comme fondamentalement dangereuses pour l’ordre et la sécurité publique ; En conséquence, il y a seulement lieu de rechercher si le prévenu a tenu les propos à haute voix avec la volonté de les rendre publics ; Que tel est bien le cas en l’espèce »
Le tribunal relève, au surplus, qu’en l’espèce, le critère de communauté d’intérêts ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce, puisque :
-
la communauté d’intérêts est un groupe composé d’individus partageant une identité, des expériences et préoccupations, passions ou intérêts communs, l’existence d’un ciment juridique ou contractuel pour des raisons objectives et subjectives ;
-
or, objectivement : le prévenu, stagiaire affecté moins d’un mois avant les faits n’appartient pas à la communauté d’intérêts que constituent les agents du service ;
- subjectivement : Le prévenu, dès son affectation au sein du service, a adopté un comportement exclusif de toute volonté d’intégration et poursuivi des objectifs radicalement opposés aux missions de service public en faisant une référence constante à Daech, et en violant les règles déontologiques du service public, en particulier l’obligation de neutralité.
Le tribunal retient donc le stagiaire dans les liens de la prévention et le condamne à une peine d’1 an d’emprisonnement dont 6 mois avec sursis outre notamment, à titre de peine complémentaire, l’interdiction de toute fonction ou emploi public pendant une durée de 5 ans.
Le stagiaire qui conteste depuis l’origine et avec constance les faits poursuivis. Il interjette appel du juge. Il estime en effet pour l’essentiel n’avoir entendu que partager avec des futurs collègues :
-
un simple ressenti : il n’est en rien touché par un assassinat qui ne le concerne ni lui, ni ses proches ;
- sa culture et ses connaissances sur des sujets culturels d’actualité notamment Daech et le droit selon, les juristes salafistes de Raqua
Il regrette le geste d’égorgement adressé à un agent tout en soulignant l’absence d’intention de menacer.
L’arrêt rendu le 3 juillet 2019 par la cour d’appel de Versailles
Dans son arrêt du 3 juillet 2019, la cour infirme sèchement le jugement.
Refusant d’entrer dans le débat ouvert sur la notion de publicité, la cour limite son analyse à « l’absence de caractère public » du lieu de commission et à « l’évidence » de « l’existence d’une communauté d’intérêts entre les agents d’un même service administratif »
La cour enfonce le clou et estime « de façon surabondante » que les faits ne relèvent en tout état de cause pas de l’apologie mais du « manque de compassion » et d’une « provocation de mauvais goût » :
« il n’est pas établi que le prévenu ait fait ou voulu faire l’apologie du terrorisme (…) le manque de compassion n’a fort heureusement jamais constitué une infraction pénale (…) le geste parfaitement déplacé d’égorgement à la suite de la remarque désobligeante d’une collègue de travail relève d’un penchant pour la provocation de mauvais goût. »
Le stagiaire est relaxé au terme de trois années de procédure.
III/ Questions
Au-delà de l’élément matériel – l’arrêt estime que les premiers juges ont confondu apologie et provocation d’un goût douteux – il nous parait intéressant d’analyser ces décisions sous deux angles :
-
La pertinence du lien subsistant en la matière avec le droit de la presse à travers de la notion de publicité.
- Le caractère irréfragable de la notion de communauté d’intérêts.
L’appartenance à une « communauté d’intérêt » au sens de l’article 23 de la loi de 1881 est-elle irréfragable au sein d’un service public ?
Une communauté d’intérêts est-elle, au sein de la fonction publique, objectivement irréfragable ?
Un stagiaire de la fonction publique affecté récemment au sein d’un service dans un cadre probatoire, fait –il objectivement partie de la « communauté d’intérêts » des agents publics ?
Est-il possible de rechercher in concreto si la communauté d’intérêts est constituée quand bien même l’auteur des propos apologétiques et les « récepteurs » desdits propos sont affectés, sous des statuts et à des titres différents, à un même service ?
Oui, si on estime que le stage est une période probatoire, et que si la titularisation n’est pas automatique27.
Non, si l’on considère que les textes applicables aux stagiaires et à leurs obligations sont inclus dans ceux régissent également les titulaires de la fonction publique.
Mais dans ce cas, il devient impossible de poursuivre pénalement des propos tenus par un agent, même non titulaire, même fraichement affecté, au sein d’un service de la fonction publique dès lors que le lieu est privé », tel le service non ouvert aux usagers.
L’appartenance à une « communauté d’intérêts » au sens de l’article 23 de la loi de 1881 est-elle subjectivement irréfragable ?
Le seul succès à un concours/processus de recrutement de la fonction publique suffit-il au stagiaire à intégrer nécessairement et définitivement la « communauté d’intérêts » de ladite fonction publique ? La volonté d’un agent de rester en marge de la communauté de travail, de ses aspirations, de ses objectifs, telle qu’appréciée en l’espèce par la juridiction du premier degré, est-elle indifférente ?
Est-il possible de considérer que des comportements, « détachables des fonctions », soient également détachables de la communauté d’intérêts ?
Ne serait-il pas paradoxal d’exclure de la répression des propos ou comportements apologétiques au motif qu’ils ont été tenus devant une assemblée partageant, in abstracto mais pas in concreto, les mêmes principes/aspirations ?
N’y a t-il pas là un risque de favoriser dangereusement, au sein même de la fonction publique, un prosélytisme portant atteinte à l’ordre et la sécurité publics ?.
Est-il envisageable de détacher complètement le délit d’apologie du terrorisme du droit de la presse ?
La loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, publiée le 7 août dernier28, diversifie le mode de recrutement, de rupture et les supports contractuels liant un agent public à son employeur – l’État, la collectivité territoriale, l’hôpital – entrainant de facto une évolution de la notion de « communauté d’intérêts ».
Le gouvernement29 envisage de « sortir l’injure et la diffamation de la loi de 1881 sur la liberté de la presse pour l’inscrire dans le droit pénal commun, pour donner plus de pouvoir aux magistrats et accélérer la réponse » ( …) les dispositions de la loi de 1881 « sont devenues de véritables facteurs d’obstruction à l’application de la loi pénale » alors que « l’expression raciste ou antisémite n’est pas une opinion mais un délit, en ce qu’elle sape les principes de liberté, d’égalité et de fraternité qui fondent notre pacte républicain »30.
Dans un tel contexte, la question de l’efficacité de la répression de l’apologie du terrorisme au sein du secteur public et, en creux, du lien persistant entre l’apologie du terrorisme et du droit de la presse (art 23 de la loi de 1881) au travers de la notion de publicité, se pare d’une nouvelle actualité.
On peut certes estimer qu’il relève du droit administratif d’assurer la protection contre la radicalisation d’agents.
La notion d’apologie du terrorisme y a en effet été jugée suffisamment précise pour justifier – y compris en l’absence de tout caractère public – les mesures de lutte contre le terrorisme prévues par l’article L. 227-1 (fermeture d’un lieu de culte), L. 228-1 et suivants (mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance) et L. 229-1 (visites et saisies) du code de la sécurité intérieure31.
Mais n’est-ce pas un peut court au regard des enjeux ?
Notes
1. www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI0000237128...
2. www.challenges.fr/top-news/la-radicalisation-inegalement-repartie-dans-la-fonction-publique_660617
www.nouvelobs.com/justice/20190620.OBS14667/l-etat-face-au-casse-tete-de...
www.lagazettedescommunes.com/587947/les-fonctionnaires-ne-sont-pas-tous-...
www.lefigaro.fr/actualite-france/a-paris-la-radicalisation-dans-les-serv...
3. www.gouvernement.fr/rapport-annuel-de-l-observatoire-de-la-laicite
4. Rapport annuel de l’Observatoire de la laïcité : un besoin de formation des élus et des fonctionnaires; Présentation : 17/7/19 La gazette des communes ; Synthèse du rapport ; Rapport
5. www.lagazettedescommunes.com/602109/prevention-de-la-radicalisation-le-gouvernement-forme-les-elus-et-les-agents-territoriaux/
6. www.cnews.fr/france/2019-04-11/plan-national-de-prevention-de-la-radical...
7. www.gouvernement.fr/radicalisation-les-cinq-grands-axes-du-plan-prevenir...
8. Décrets n° 2018-141 et n° 2018-135 du 27 février 2018 pris en application du code de la Sécurité intérieure et du code de la Défense kiosque.bercy.gouv.fr/alyas/search/print/lettre-daj/9149
9. www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2019/04/dossier_de_presse
Les mesures 19 et 20 du PNPR du 23 février 2018 ont pour objet :
• «d’accompagner les ministères dans la mise en œuvre des enquêtes administratives prévues par l’article L.114-1 du code de la sécurité intérieure renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme du 30 octobre 2017 et les suites à leur donner »
• «de mobiliser et compléter les instruments juridiques permettant d’écarter de ses fonctions un agent public en contact avec des publics sur lesquels il est susceptible d’avoir une influence, et dont le comportement porte atteinte aux obligations de neutralité, de respect du principe de laïcité, voire comporte des risques d’engagement dans un processus de radicalisation. »
10. www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i2082.asp
11. Zana c. Turquie, arrêt du 25 novembre 1997, Recueil 1997-VII, § 55 ; cf. : fiche thématique « Discours de haine » publiée en mars 2019 par la CEDH ; www.echr.coe.int/Documents/FS_Hate_speech_FRA.pdf
13. www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=789143ED39E91C28...
14. Sénat, rapport d’information n°767 (2015-2016), 6 juillet 2016
15. www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018706QPC.htm
libertescheries.blogspot.com/2018/05/lapologie-dacte-de-terrorisme-devant-le.html
16. Cons. const. 18 mai 2018, n° 2018-706 QPC, § 20 ; www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018706QPC.htm
D. 2018. 1233, et les obs., note Y. Mayaud
17. Crim, arrêt n°928 du 04 juin 2019
18. LEGICOM 2006/1 (N° 35), pages 53 à 69 ; La notion de publication sur l’internet et son incidence concernant la prescription des délits en ligne Nathalie Mallet-Poujol. Crim., 26 février 2008, n°07-84.846 ; Crim 28 avril 2009, n° 08-85.249
19. www.justice.gouv.fr/publication/circ_20150113_infractions_commises_suite...
20. www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do;jsessionid=17E8401D02EC3DB5FF...
21. www.courdecassation.fr/IMG/20181116_avis_ano_17-16.047.pdf
22. Crim. 28 avril 2009, pourvoi n° 08-85.249 ; Crim. 10 avril 2018, pourvoi n° 17-80.315
23. Pratique du droit de la Presse Légipresse 2e édition, p. 115
24. www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F18933
25. www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/France/Jacques-Hamel
26. www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decis...
27. www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1564
28. www.service-public.fr/particuliers/actualites/A13542
29. www.nextinpact.com/brief/la-ministre-de-la-justice-veut-transferer-l-inj...
30. Catherine Champrenault, procureure générale auprès de la cour d’appel de Paris, tribune publiée le 6 juin par Libération
31. Décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, M. Rouchdi B. et autre