Quelques dates clés marquent cette évolution sociétale
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1970 : loi rendant obligatoire le contrôle d’alcoolémie après une infraction ou accident. Les seuils du taux d’alcoolémie des conducteurs sont fixés à 0,80 g/l de sang pour la contravention et 1,20 g/l de sang pour le délit ;
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1973 : obligation du port de la ceinture de sécurité, hors agglomération aux places avant pour les véhicules mis en circulation depuis le 1er avril 1970 et du port de casque pour les motocyclistes en et hors agglomération et les cyclomotoristes hors agglomération ;
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1978 : loi sur la prévention de l’alcoolisme ;
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1983 : loi fixant à 0,80 g/l de sang ou 0,40 mg/l d’air expiré le taux maximum d’alcool autorisé pour la conduite automobile. Ce taux sera abaissé à 0,70 g/l en 1994 puis 0,50 g/l en 1995. En 2015, un taux maximum de 0,20 g/l est instauré pour les jeunes conducteurs ;
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1992 : entrée en vigueur du permis à points instauré par la loi n° 89-469 du 10 juillet 1989 ;
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2003 : déploiement du contrôle automatisé-sanction automatisée (radars) ;
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2004 : mise en application du permis probatoire ;
- 2013-2016 : mise en place et développement des radars mobiles sans flash dans des voitures banalisées.
Durant cette longue période, de nombreuses mesures sont venues soit renforcer la lutte contre les comportements à risque, tels que l’alcool, les stupéfiants ou encore les excès de vitesse, soit durcir les sanctions existantes.
Le principe de la responsabilité et de la faute personnelle du conducteur commise à l’occasion de la conduite d’un véhicule pouvait se suffire à lui-même quand, très majoritairement, les procédures étaient rédigées après l’interpellation du conducteur sur les lieux de l’infraction. Toutefois, en 19721, le législateur ajoutait l’article L. 21-1 au code de la route, aux termes duquel « le titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule est responsable pécuniairement des infractions à la réglementation sur le stationnement des véhicules pour lesquelles seule une peine d’amende est encourue, à moins qu’il n’établisse l’existence d’un événement de force majeure ou qu’il ne fournisse des renseignements permettant d’identifier l’auteur véritable de l’infraction ».
Cette présomption de responsabilité se développera au fil des évolutions législatives et réglementaires en matière de sécurité routière. C’est ainsi que l’article L. 21-2 du code de la route résultant de la loi du 18 juin 19992 a étendu le mécanisme de la responsabilité pécuniaire du titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule – inspiré de celui prévu par l’article L. 21-1 du même code – aux contraventions à la réglementation sur les vitesses maximales autorisées et aux signalisations imposant l’arrêt des véhicules.
L’idée sous-jacente était qu’une infraction ne pouvait rester impunie au seul motif que le conducteur était absent ou qu’il n’était pas possible, pour le ministère public, de prouver la responsabilité personnelle du titulaire du certificat d’immatriculation dans la commission de l’acte répréhensible.
L’amorce de la responsabilité du fait d’autrui en matière d’infraction routière trouve son origine dans l’article 21 de l’ordonnance du 15 décembre 19583 qui précisait que « lorsque le conducteur a agi en qualité de préposé, le tribunal pourra, compte tenu des circonstances de fait et des conditions de travail de l’intéressé, décider que le payement des amendes de police prononcées en vertu du présent code ainsi que des frais de justice qui peuvent s’ajouter à ces amendes seront en totalité ou en partie à la charge du commettant ».
L’article 21-2 du code de la route inséré par l’ordonnance du 18 juin 1999 précisera que, « lorsque le certificat d’immatriculation du véhicule en infraction est établi au nom d’une personne morale ou d’une entreprise individuelle, le représentant légal de la personne morale est présumé être le conducteur du véhicule au moment des faits »4.
Ces dispositions trouveront finalement une nouvelle assise législative lors de la création du nouveau code de la route par ordonnance en septembre 20005, l’ancien code de la route ne répondant plus aux impératifs de lisibilité, de compréhension et de cohérence.
Face aux nécessités notamment de la lutte contre l’insécurité routière, le législateur, en dérogeant au principe de la responsabilité pénale du conducteur, a porté sur les fonts baptismaux les articles L. 121-1, L. 121-2 et L. 121-3 qui, aujourd’hui encore, servent de cadre juridique à la responsabilité pénale du conducteur et du titulaire du certificat d’immatriculation.
Le troisième alinéa de l’article L. 121-3 du code de la route dispose que, « lorsque le certificat d’immatriculation du véhicule est établi au nom d’une personne morale, la responsabilité pécuniaire prévue au premier alinéa incombe, sous les réserves prévues au premier alinéa de l’article L. 121-2, au représentant légal de cette personne morale ».
Dans la pratique, force est de constater que cette disposition a permis au représentant légal de la personne morale de protéger le salarié, auteur de l’infraction, en procédant au paiement de l’amende et en se gardant bien de dénoncer l’usager du véhicule de l’entreprise ou en soutenant être dans l’impossibilité de le désigner.
Cette situation a été relevée par tous les acteurs de la sécurité routière et tout particulièrement par le comité interministériel de la sécurité routière qui, lors de la réunion du 2 octobre 2015, a dénoncé que « trop souvent, une infraction commise par un usager au volant d’un véhicule mis à sa disposition par son employeur n’aboutit pas au paiement de l’amende ni au retrait des points. Ceci provoque le sentiment que tous ne sont pas égaux devant la sanction. Au demeurant, les accidents de la route sont la première cause de mortalité au travail : empêcher que les règles soient éludées est donc à ce titre également une mesure de sécurité routière indispensable » et a proposé la création d’une contravention de non-révélation de l’identité du conducteur par le représentant d’une personne morale propriétaire du véhicule en infraction.
C’est sur la base de cette proposition que le gouvernement, dans le cadre du projet de loi de modernisation de la justice du 21e siècle6, déposait le 4 mai 2016 devant la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale l’amendement CL 179 instituant, pour les personnes morales propriétaires ou locataires d’une flotte de véhicules, à compter du 1er novembre 2016, l’obligation de communiquer l’identité de la personne physique qui conduisait au moment des faits, afin d’éviter son impunité, notamment en matière de perte de points.
L’article 121-6 du code de la route : des difficultés d’interprétation
Le poète Nicolas Boileau écrivait ; « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ». Il faut croire que la sémantique de ce nouvel article a échappé à cette citation tant les interprétations qui demeurent encore deux années plus tard divisent les spécialistes du droit routier.
L’article 121-6 du code de la route, créé par la loi du 18 novembre 2016, dispose que, « lorsqu’une infraction constatée selon les modalités prévues à l’article L. 130-9 a été commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d’immatriculation est une personne morale ou qui est détenu par une personne morale, le représentant légal de cette personne morale doit indiquer, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou de façon dématérialisée, selon des modalités précisées par arrêté, dans un délai de quarante-cinq jours à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention, à l’autorité mentionnée sur cet avis, l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule, à moins qu’il n’établisse l’existence d’un vol, d’une usurpation de plaque d’immatriculation ou de tout autre événement de force majeure.
Le fait de contrevenir au présent article est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. »
Cette disposition renvoie à l’article L. 130-9 du même code qui précise que, « lorsqu’elles sont effectuées par ou à partir des appareils de contrôle automatique ayant fait l’objet d’une homologation, les constatations relatives aux infractions dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État font foi jusqu’à preuve du contraire ».
Enfin, le décret du 28 décembre 20167 a inséré un article R. 130-11 dans le code de la route qui détermine que « font foi jusqu’à preuve du contraire les constatations, effectuées par ou à partir des appareils de contrôle automatique ayant fait l’objet d’une homologation, relatives aux infractions sur :
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« Le port d’une ceinture de sécurité homologuée dès lors que le siège qu’il occupe en est équipé prévu à l’article R. 412-1 ;
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l’usage du téléphone tenu en main prévu aux premier, quatrième et cinquième alinéas de l’article R. 412-6-1 ;
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l’usage de voies et chaussées réservées à certaines catégories de véhicules prévu aux II et III de l’article R. 412-7 ;
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la circulation sur les bandes d’arrêt d’urgence prévue à l’article R. 412-8 ;
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le respect des distances de sécurité entre les véhicules prévu à l’article R. 412-12 ;
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le franchissement et le chevauchement des lignes continues prévus à l’article R. 412-19 ;
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les signalisations imposant l’arrêt des véhicules prévues aux articles R. 412-30 et R. 415-6 ;
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les vitesses maximales autorisées prévues aux articles R. 413-14 et R. 413-14-1 ;
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le dépassement prévu aux II et IV de l’article R. 414-4 et aux articles R. 414-6 et R. 414-16 ;
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l’engagement dans l’espace compris entre les deux lignes d’arrêt prévu aux deuxième et quatrième alinéas de l’article R. 415-2 ;
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l’obligation du port d’un casque homologué d’une motocyclette, d’un tricycle à moteur, d’un quadricycle à moteur ou d’un cyclomoteur prévue à l’article R. 431-1 ;
- l’obligation, pour faire circuler un véhicule terrestre à moteur, d’être couvert par une assurance garantissant la responsabilité civile, prévue aux articles L. 211-1 et L. 211-2 du code des assurances et à l’article L. 324-2. »
Si l’idée générale du législateur était de contraindre le représentant légal d’une personne morale à dénoncer l’auteur d’une infraction à la circulation routière afin que ce dernier n’échappe pas à une nécessaire sanction, rares furent les articles du code de la route ayant suscité autant d’interrogations, puisque pas moins de sept questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ont été transmises à la Cour de cassation entre décembre 2017 et juillet 2018.
Avant d’aborder les questions de fond, une première difficulté est apparue dans la compréhensibilité des avis de contravention des infractions initiales adressées au représentant légal de la personne morale et qui a fait l’objet le 15 novembre 2017 d’une décision du défenseur des droits8.
Les infractions prévues à l’article R. 130-11 du code de la route sont constatées par les gendarmes et les policiers affectés au centre automatisé de constatation des infractions routières (CACIR) qui est destinataire des données numériques envoyées par les appareils automatiques et c’est l’agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) qui procède à l’édition, le publipostage, le routage et l’affranchissement des différents avis de contravention établis par voie électronique ou dans le cadre du traitement automatisé des infractions, ainsi que des différents courriers nécessaires à l’élaboration de ces avis.
Les informations portées sur l’avis de la contravention initiale, dans sa première version, qui était adressé au représentant légal de la personne morale étaient confuses puisqu’elles mentionnaient l’obligation de dénoncer le conducteur tout en précisant que, si l’infraction était reconnue, il pouvait être procédé au paiement de l’amende, ce qui entraînait un retrait de point sur le permis de conduire.
Une autre difficulté est apparue pour les entreprises ou profession libérale dont la raison sociale ou la dénomination sociale se confond avec le nom patronymique du représentant légal, lequel, constatant que l’avis de contravention lui était adressé nominativement, pouvait mettre un terme à la procédure en réglant l’amende forfaitaire, malgré les avertissements portés sur l’avis et l’informant qu’il devait dénoncer le conducteur du véhicule.
Actuellement, les avis sont plus lisibles et compréhensibles puisqu’il est précisé au représentant légal de la personne morale, reconnaissant avoir commis l’infraction, de ne pas payer l’amende mais de procéder au préalable à sa désignation afin qu’un nouvel avis lui soit personnellement adressé.
C’est pourquoi l’obligation de désignation du conducteur concerne les représentants légaux de toutes les personnes morales, donc de toutes les sociétés et entreprises quelle que soit leur taille, y compris les sociétés unipersonnelles.
Il est toutefois regrettable que les informations liées aux obligations du représentant légal se trouvent dans trois cartouches épars sur l’avis de contravention et que, par ailleurs, soit toujours portée la mention évoquant le retrait de points sur le permis de conduire de l’auteur de l’infraction alors que cet avis n’a pas vocation à être régularisé par le paiement de l’amende.
Aussi, et pour simplifier la compréhension du processus des infractions commises à l’aide d’un véhicule appartenant à une personne morale, il appartient au représentant légal quel qu’il soit, y compris les personnes travaillant sous le régime libéral ou dans le cadre d’une société unipersonnelle, à la réception de l’avis de contravention pour l’une des infractions énumérées à l’article R. 130-11 du code de la route, de procéder à la désignation du conducteur, le cas échéant lui-même, sans procéder au règlement de l’amende.
Les sept QPC regroupent quelques thèmes communs comme le droit de ne pas s’auto-incriminer, le droit à la liberté de conscience, la mise à la charge du représentant légal de la personne morale d’une mission de police ou encore la condamnation de la personne morale en lieu et place de son représentant légal.
La Cour de cassation valide les dispositions de l’article L. 121-6 du code de la route mais pas son interprétation
Pour les sept QPC, la Cour de cassation a dit n’y avoir lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel, les questions soumises ne présentant pas un « caractère sérieux » selon la formule consacrée9.
Sur la liberté de conscience et le droit à ne pas s’auto-incriminer
Par requête reçue à la Cour de cassation le 17 novembre 2017, le conseil de M. X poursuivi devant le tribunal de police d’Angers du chef de non-transmission de l’identité et de l’adresse du conducteur par le responsable légal de la personne morale détenant le véhicule allègue que l’article 121-6 du code de la route méconnaît les droits de la défense, précisément le droit de garder le silence et le droit de ne pas s’auto-incriminer.
Le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser découle de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Si aucune disposition de la Déclaration de 1789 et de la Constitution de 1958 n’interdit à une personne de reconnaître librement sa culpabilité, le Conseil constitutionnel a été amené à examiner l’atteinte au droit de ne pas s’accuser lorsque la contrainte prévue consiste en une incrimination lors d’une QPC relative au fichier des empreintes génétiques. Dans sa décision du 16 septembre 201010, la Cour de cassation précise « que l’obligation pénalement sanctionnée de se soumettre au prélèvement qui n’implique pas davantage de reconnaissance de culpabilité n’est pas contraire à la règle selon laquelle nul n’est tenu de s’accuser ».
Par analogie, quand le responsable légal de la personne morale procède à sa propre désignation, cela n’emporte pas reconnaissance de culpabilité puisqu’en qualité de conducteur, il pourra toujours contester être l’auteur de l’infraction en établissant l’existence d’un vol ou de tout autre événement de force majeure ou qu’il n’apporte tous éléments permettant d’établir qu’il n’est pas l’auteur véritable de l’infraction.
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a été amenée à se prononcer sur une situation similaire le 29 juin 200711.
Dans le cas d’espèce, messieurs O’Halloran et Francis, gardiens de véhicules contrôlés en infraction pour excès de vitesse au moyen de radars, ont été invités à fournir l’identité des conducteurs en application de l’article 172 de la loi de 1988 sur la circulation routière (législation du Royaume-Uni). M. O’Halloran s’étant dénoncé, il soutenait qu’il avait été condamné uniquement à la suite de la déclaration qu’il avait été contraint de fournir sous peine de se voir infliger une sanction similaire à celle punissant l’infraction proprement dite et que, dès lors, cette contrainte est incompatible avec l’article 6, § 1 et 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Quant à M. Francis, ayant refusé de fournir les renseignements demandés, il a été condamné pour ce manquement et se plaignait « que le fait d’avoir été obligé de donner une preuve qu’il avait commis l’infraction dont il était soupçonné avait emporté violation de son droit de ne pas s’incriminer lui-même ».
La CEDH s’est posé la question de « savoir si l’obligation que l’article 172 de la loi de 1988 impose à une personne inculpée d’un excès de vitesse de formuler des déclarations l’incriminant ou pouvant conduire à son incrimination fait peser sur elle une contrainte compatible avec l’article 6 de la Convention »(§ 44).
La Cour européenne a estimé en premier lieu qu’« il n’en découle […] pas que toute coercition directe entraîne automatiquement une violation ».
En second lieu, elle « a noté que l’obligation de donner une indication simple – à savoir l’identité du conducteur du véhicule – n’était pas en soi incriminante. De plus, […] l’article 172 n’autorise pas les interrogatoires prolongés au sujet de faits dont il est allégué qu’ils sont constitutifs d’infractions pénales, et la peine sanctionnant le refus de répondre est “modérée et n’est pas privative de liberté” ».
La CEDH a estimé « qu’il n’a pas été porté atteinte à la substance même du droit des requérants de garder le silence et de ne pas contribuer à leur propre incrimination » et a pu conclure à une absence de violation de la Convention européenne.
La position de la Cour européenne n’est pas nouvelle puisque la Commission, siégeant en chambre du conseil, avait conclu le 26 mai 197512 que la mise en cause de la responsabilité pénale d’un propriétaire de véhicule trouvé en stationnement irrégulier, sans qu’il puisse ou veuille désigner le conducteur ni établir que le véhicule avait été utilisé contre son gré, ne violait pas l’article 6 de la Convention européenne.
Puis, le 17 mai 199513, pour une affaire qui débute le 21 juillet 1990, lorsque le requérant circulant en Espagne à bord de sa voiture a été verbalisé pour excès de vitesse détecté par radar, il fut sommé de donner le nom et le domicile de la personne qui conduisait le véhicule le jour du contrôle. Il lui a été précisé qu’à défaut de cette désignation, il serait considéré comme l’auteur d’une faute grave. En réponse à cette injonction, le requérant fit savoir qu’il était dans l’impossibilité d’identifier le conducteur, ayant prêté son véhicule le jour des faits à plusieurs proches. Le 10 septembre 1990, la direction provinciale du trafic routier lui infligea une amende de 50 000 pesetas pour s’être refusé à identifier le conducteur de son véhicule, conformément à l’article 72.3 du code de la route (législation espagnole).
Le requérant invoquant la violation de l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Commission, siégeant en chambre du conseil, considéra que la règle qui « oblige le propriétaire d’un véhicule, ou toute autre personne désignée par le propriétaire comme conducteur du véhicule, à assumer la responsabilité de son utilisation ou à fournir l’identité du véritable conducteur […] n’est pas contraire à l’article 6 de la Convention » en précisant que « l’intéressé n’est pas dans tous les cas tenu de s’avouer coupable ou d’accuser un proche, mais il peut, en fonction des circonstances, montrer qu’il est totalement étranger à l’infraction commise par le conducteur, en démontrant notamment que la voiture a été utilisée par une personne qui lui est inconnue ou à laquelle il n’avait pas donné son autorisation ».
La Cour de cassation, dans sa décision de non-lieu à renvoi du 7 février 201814, a donc conclu que « l’article L. 121-6 du code de la route, dont les dispositions sont dépourvues d’ambiguïté, assure un juste équilibre entre les nécessités de la lutte contre l’insécurité routière et le droit de ne pas s’auto-incriminer, ne méconnaît pas les droits de la défense et le droit de ne pas s’auto-incriminer ».
Ainsi, le fait pour le représentant légal de se dénoncer comme étant le conducteur de l’infraction n’est pas contraire ni à la présomption d’innocence ni au droit de ne pas s’incriminer dès lors qu’il appartiendra au ministère public, compte tenu du mode opératoire de la constatation de l’infraction, de prouver sa culpabilité et que le conducteur pourra toujours, en application de l’article 537 du code de la route, rapporter la preuve contraire par écrit ou par témoins.
La mise à la charge du représentant légal de la personne morale d’une mission de police
Par requête reçue à la Cour de cassation le 12 avril 2018, le conseil de la société Y, poursuivie devant le tribunal de police de Bourg-en-Bresse du chef de non-transmission de l’identité et de l’adresse du conducteur par le responsable légal de la personne morale détenant le véhicule, allègue que l’article 121-6 du code de la route oblige le représentant légal, pour satisfaire l’obligation de désigner l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule, à procéder à des missions de police, en lieu et place du ministère public.
La Cour de cassation dans son arrêt du 27 juin 2018 rejetait cette lecture au motif que l’article L. 121-6 du code de la route « ne met pas à la charge du représentant légal de la personne morale une mission relevant d’un service de police dans la mesure où il doit seulement communiquer un renseignement relatif à la gestion de l’entreprise et non pas procéder à une enquête ».
Le 3 juin 2018, le rapporteur de la Cour de cassation rappelle, dans le cadre de cette QPC, que le représentant légal « qui gère l’entreprise ayant une flotte de véhicules automobiles est nécessairement tenu au courant de l’identité des personnes qui utilisent lesdits véhicules. Soit le véhicule automobile est attribué à une seule et même personne et la question de l’identité ne se pose pas, soit le véhicule est partagé et l’entreprise doit nécessairement savoir par qui il est conduit par la consultation du carnet de bord ou de tout autre moyen de vérification ».
Le représentant légal n’a pas une obligation de résultat dans la désignation du conducteur du véhicule mais une obligation de moyens. À ce titre, il lui appartient de mettre en œuvre un suivi des véhicules de l’entreprise soit en mettant en place des carnets de bord ou de suivi, soit un système de géolocalisation doté d’un badge conducteur, soit tout autre moyen qui entre dans ses obligations de gestionnaire de l’entreprise.
Par ailleurs, le représentant légal de la personne morale doit être mis en garde contre la pratique qui consisterait à ne donner comme seules informations que le nom, l’adresse et le numéro du permis de conduire du salarié, voire d’un ex-salarié pour se libérer de son obligation sans autre preuve tangible.
En effet, le 19 septembre 2016, la juridiction de proximité de Paris, pour relaxer des fins de la poursuite le titulaire du certificat d’immatriculation, même en qualité de redevable de l’amende encourue pour l’inobservation de l’arrêt imposé par un feu de signalisation, a jugé que les prescriptions de l’article L. 121-3 du code de la route avaient été satisfaites dès lors qu’il avait été fourni l’identité, l’adresse ainsi que la référence du permis de conduire du conducteur au moment des faits.
Le 30 mai 201715, la Cour de cassation casse cette décision au motif « qu’en se prononçant ainsi, par des motifs qui se bornent à reproduire les seules allégations du prévenu, que ne corroborait aucun élément de preuve, la juridiction de proximité n’a pas justifié sa décision ».
Ainsi, outre les renseignements sur l’identité et les références du permis de conduire de l’auteur supposé de l’infraction, le responsable légal de la personne morale devra nécessairement produire une preuve d’attribution ou d’utilisation du véhicule fautif.
La Cour de cassation ne se prononce pas sur l’interprétation de l’article L. 121-6 dans le cadre d’une QPC
Si la réponse aux autres QPC apporte un éclairage précis sur la jurisprudence de la Cour de cassation et de la CEDH, la question juridique qui taraude les juristes du droit routier porte bien sur l’interprétation de cet article dans son volet répressif.
Le dernier alinéa précise que « le fait de contrevenir au présent article est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe ». Cette rédaction ne pose généralement pas de problème de compréhension, l’auteur de l’infraction devant supporter, au titre de sa responsabilité pénale, la condamnation qui s’attache à la violation de la disposition législative ou réglementaire.
Cet alinéa a été interprété par le ministère public du Centre automatisé de constatation des infractions routières (CACIR) comme devant s’appliquer non pas au responsable légal de la personne morale sur lequel pèse l’obligation de désigner l’auteur de l’infraction mais sur la personne morale qu’il représente.
Cette interprétation n’est pas anodine dans le résultat puisque pour une personne physique l’amende encourue ne peut excéder la somme de 750 €, pour une personne morale et en application des dispositions de l’article 131-41 du code pénal : « Le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par le règlement qui réprime l’infraction ». Ainsi, l’amende forfaire pour une infraction de quatrième classe est fixée à 135 €, 90 € pour l’amende forfaitaire minorée et 375 € pour l’amende forfaitaire majorée. Pour une personne morale, les condamnations sont portées à 675 €, 450 € et 1875 €.
La QPC qui a été enregistrée à la Cour de cassation le 6 juillet 2018 interrogeait la plus haute juridiction sur la constitutionnalité de la condamnation de la personne morale au regard du principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines tel que prévu par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
Dans son arrêt n° 2548 du 3 octobre 201816, la Cour de cassation a justement considéré que cette question n’appelait pas de réponse de sa part puisque le choix du ministère public du CACIR de mettre à la charge de la personne morale la condamnation résultant de la violation d’une obligation personnelle de son représentant légal ne relevait pas d’une disposition légale mais de l’interprétation de l’article L. 121-6 du code de la route qu’elle se réserve d’examiner dans le cadre normal d’un recours.
Cette décision a également la vertu de rappeler que, si la question prioritaire de constitutionnalité est le droit reconnu à toute personne partie à un procès ou une instance de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, elle ne peut être mise en œuvre pour contrôler la constitutionnalité de l’interprétation faite par une partie au procès de cette même disposition.
L’interprétation du ministère public du CACIR qui a fait clairement le choix de sanctionner la personne morale pour une infraction commise par son représentant légal n’est pas partagée par une grande partie des juridictions répressives, même s’il a été validé par le ministère de la justice lors d’une réponse à une question écrite posée le 31 août 201717 par un sénateur au motif que « le fait que l’avis de contravention pour non-désignation soit adressé à la personne morale est l’expression du choix d’engager sa responsabilité pénale du fait de son responsable légal, permis par la mise en application d’un principe général du droit pénal. Ce choix permet également un levier dissuasif plus efficace, par la possibilité d’infliger une amende quintuplée, la loi du 18 novembre 2016 ayant pris le soin de préciser à l’article 530-3 du code de procédure pénale, que ce quintuplement s’appliquait aux amendes forfaitaires ».
Toutefois, l’appréciation des faits par les tribunaux de police a conduit les juges répressifs à relaxer les sociétés qui avaient contesté leur mise en cause et à condamner les représentants légaux.
La responsabilité pénale du représentant légal s’inscrit naturellement dans le processus juridique de l’application de l’article L. 121-6 du code de la route qui trouve sa source dans la commission, par un employé de la personne morale, d’une infraction prévue à l’article R. 130-11 du même code.
Avant le 1er janvier 2017, lorsque le représentant légal d’une société contestait l’infraction initiale en invoquant l’ignorance de l’identité de son auteur, il était condamné en qualité de redevable pécuniairement de l’amende encourue pour l’infraction sur ses fonds propres.
La nouvelle loi ne fait pas injonction à la personne morale de désigner l’auteur de l’infraction, mais à son représentant légal qui assume la responsabilité de commettre intentionnellement l’infraction de non-désignation.
Dès lors, la personne morale qui n’est jamais mise en cause dans ce processus et sur laquelle ne pèse aucune obligation particulière est légitime à contester sa condamnation.
Aussi, et pour être complet sur ce sujet, il convient de rappeler que la responsabilité pénale de la personne morale a été consacrée par la réforme du code pénal qui est entrée en vigueur le 1er mars 199418 qui a créé l’article 121-2 du code pénal, selon lequel « les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.
Pour engager cette responsabilité pénale, deux conditions cumulatives doivent être remplies. La première découle de la commission d’une infraction que les organes et représentants de la personne morale et la seconde que l’infraction ait été commise pour le compte et dans l’intérêt de la personne morale. Cette première condition est naturellement remplie puisque l’article L. 121-6 du code de la route fait peser sur le représentant légal l’obligation de désigner l’auteur de l’infraction.
La seconde condition pose en revanche difficulté. La personne morale ne peut pas être responsable de tous les actes illicites réalisés par ses organes ou représentants, notamment lorsque l’infraction réalisée par le représentant ou l’organe n’a aucun rapport direct ou indirect avec l’activité de la société.
Ainsi, une infraction ne peut être imputée à la personne morale que si elle a été accomplie par un organe ou un représentant, mais également si elle a été réalisée dans le but de satisfaire son intérêt social.
Or ce n’est certainement pas l’intérêt de la personne morale que de taire l’identité de l’auteur de l’infraction puisqu’il n’en résultera aucun profit pour elle mais surtout elle s’appauvrira en payant des amendes d’un montant non négligeable.
Alors, à qui « profite le crime » ? Mais à l’auteur de l’infraction bien évidemment. C’est le seul bénéficiaire de l’infraction prévue à l’article L. 121-6 du code de la route. Il évite une amende et, surtout, il conserve son capital points sur son permis de conduire.
Par ailleurs, le représentant légal, en taisant le nom de l’auteur de l’infraction, se rend « complice » de la déresponsabilisation de l’auteur de l’infraction et échappe, sur le compte de l’entreprise, à ses obligations dont la première est d’assumer, à l’égard des salariés, ses propres responsabilités.
Enfin, dans le cas de la commission de l’infraction initiale par le représentant légal lui-même, poursuivre la personne morale revient à faire supporter à cette dernière une faute personnelle de son représentant.
La situation juridique est aujourd’hui insatisfaisante au regard des appréciations divergentes dans l’application de l’article L. 121-6 du code de la route qui conduisent à un traitement différencié des justiciables.
Il faut souhaiter que la Cour de cassation ait à connaître rapidement, dans le cadre d’un pourvoi, d’une décision de condamnation d’une personne morale afin qu’une vérité judiciaire puisse éclore et rendre à cet article sa lisibilité et sa compréhension.
En conclusion, l’obligation de désigner l’auteur d’une infraction est un succès puisque, selon ANTAI19, en 2017, 83 % des responsables légaux de personne morale respectent cette obligation mais, surtout, le nombre d’avis de contravention adressés à des entreprises pour des infractions routières est en diminution de 9,4 %.
Devant ce bon résultat, on peut s’interroger sur les raisons qui ont poussé la chaîne décisionnelle, du comité interministériel de la sécurité routière au législateur, à écarter lors de la dernière réforme de la justice les personnes physiques, titulaires du certificat d’immatriculation, de cette obligation de désigner l’auteur de l’infraction alors que le comité interministériel, lors de sa réunion du 2 octobre 2015, justifiait la création de cette infraction car : « Trop souvent, une infraction commise par un usager au volant d’un véhicule mis à sa disposition par son employeur n’aboutit pas au paiement de l’amende ni au retrait des points. Ceci provoque le sentiment que tous ne sont pas égaux devant la sanction. […] Empêcher que les règles soient éludées est donc à ce titre également une mesure de sécurité routière indispensable ».
La non-désignation des auteurs d’infractions par le titulaire de la carte grise, personne physique, n’est pas une utopie et la « paix familiale » ne peut justifier que les auteurs d’infractions se cachent derrière ce paravent. Aussi, étendons cette mesure à tous comme le font déjà des pays voisins comme le Royaume-Uni ou encore l’Espagne et profitons de la réforme judiciaire en cours pour ajouter un alinéa à l’article 121-6 du code de la route et ainsi considérer que la sécurité routière s’inscrit dans une démarche collective où chaque conducteur, à titre professionnel ou personnel participe par sa responsabilité et son engagement à en faire une priorité absolue dans notre pacte social.
1. L. n° 72-5, 3 janv. 1972, tendant à simplifier la procédure applicable en matière de contraventions, JO 5 janv.
2. L. n° 99-505, 18 juin 1999, portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, art. 6, JO 19 juin.
3. Ord. n° 58-1216, 15 déc. 1958, relative à la police de la circulation routière, JO 16 déc.
4. Crim. 16 juin 2000.
5. Ord. n° 2000-930, 22 sept. 2000, relative à la partie législative du code de la route prise en application de la loi n° 99-1071 du 16 déc. 1999 portant habilitation du gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes.
6. L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, de modernisation de la justice du 21e siècle, JO 19 nov.
7. Décr. n° 2016-1955, 28 déc. 2016, portant application des dispositions des articles L. 121-3 et L. 130-9 du code de la route, JO 30 déc.
8. Défenseur des droits, 15 nov. 2017, décis. n° 2017-328.
9. Ord. n° 58-1067, 7 nov. 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel introduit par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, art. 23-2.
10. Cons. const. 16 sept. 2010, décis. n° 2010-25 QPC.
11. CEDH, gr. ch., 29 juin 2007, O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni, req. nos 15809/02 et 25624/02.
12. CEDH 26 mai 1975, n° 6170/73, non publiée.
13. CEDH, 17 mai 1995, Tora Tolmos c. l’Espagne, req. n° 23816/94.
14. Crim. 27 juin 2018, n° 18-90.013, Dalloz jurisprudence.
15. Crim. 30 mai 2017, n° 16-86.308, Dalloz jurisprudence.
16. Crim. 3 oct. 2018, n° 18-90.020, Dalloz jurisprudence.
17. Question écrite n° 01091 de M. Jean Louis Masson, réponse du ministère de la justice publiée dans le JO Sénat du 15 févr. 2018, p. 679.
18. L. n° 92-683, 22 juill. 1992, portant réforme des dispositions générales du code pénal.
19. Rapport d’activités 2017.