Dans le code civil, le droit de la vente recèle de multiples dispositions consacrées aux modalités de formation du contrat. Faute de textes traitant des avant-contrats, du dédit ou des arrhes dans le droit commun, la pratique et la jurisprudence avaient pris appui sur ces dispositions propres à la vente. Le phénomène n’est pas isolé et l’ordonnance du 10 février 2016 a été l’occasion d’élever certains mécanismes du droit de la vente au rang du droit commun1, parfois de manière incomplète2. À l’occasion d’une réforme des contrats spéciaux, conçue comme le prolongement logique de la réforme du droit des obligations, faut-il maintenir de tels textes au sein du droit de la vente, au titre de sa fonction de modèle pourtant largement discutée désormais ?3 Ou profiter de l’occasion pour transférer certaines dispositions en droit commun ?
La formation de la vente pose de manière évidente cette difficulté. La commission a choisi de rassembler, au sein d’une sous-section relative au consentement, divers textes relatifs aux avant-contrats de vente4 et aux modalités spécifiques de formation de la vente. Les articles 1584, 1592 à 1594 reprennent en substance le contenu des articles 1587, 1588 et 1590 du code civil, sans y ajouter d’autres variétés (ex. vente aux enchères, vente à tempérament, etc.). Si le contenu des textes proposés n’est pas strictement identique à l’original, la structure retenue maintient leur champ d’application au seul contrat de vente. Sur ces deux points, les textes de l’avant-projet pourraient être améliorés.
Art. 1584 : À l’égard des biens que l’on est dans l’usage de goûter ou d’essayer avant d’en faire l’achat, il n’y a point vente tant que l’acheteur ne les a pas agréés.
Art. 1592 : Si la vente a été faite avec des arrhes, chacun des contractants peut se rétracter : celui qui les a données en les perdant et celui qui les a reçues en restituant le double.
Art. 1593 : Si la vente a été faite avec faculté de dédit, l’acquéreur peut se rétracter en abandonnant au vendeur la somme convenue.
Le dédit exercé de mauvaise foi n’opère point.
Art. 1594 : Le versement d’une somme d’argent par l’acheteur au vendeur est présumé l’être à titre d’acompte.
Vente à l’agréage, vente à l’essai
Les articles 1587 et 1588 du code civil traitent respectivement des ventes à l’agréage et à l’essai. La différence entre les deux résiderait dans le degré de latitude dont dispose l’acheteur pour refuser de conclure. Alors que dans la vente à l’essai, l’acheteur devrait s’appuyer sur des critères objectifs, il disposerait, dans la vente à l’agréage, d’un choix uniquement guidé par sa subjectivité5. L’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux propose de fusionner les deux mécanismes en reprenant le régime de la vente à l’agréage, dans un texte dont la rédaction s’inspire directement de l’article 1587 du code civil. Ce choix n’avait pourtant rien d’évident.
D’abord, la nature de cette faculté offerte à l’acheteur est assez incertaine. La plupart des auteurs considèrent qu’elle résulterait d’une promesse unilatérale de vendre, dont l’option serait exercée arbitrairement par celui-ci6. Au regard de l’article 1122 du code civil, il pourrait également s’agir d’un délai de réflexion spécifique, au cours duquel devrait avoir lieu la dégustation7. Quitte à reprendre ce texte, il paraîtrait utile d’en préciser la nature, ce que ne permet assurément pas sa rédaction.
Précisément, ensuite, la formulation proposée n’a guère pour elle que la nostalgie des professeurs de droit face aux textes du code de 1804. Car tout de même, si le code civil est un texte destiné à l’ensemble des citoyens, pourquoi y maintenir une règle dont tout juriste sait qu’elle n’est applicable, en dépit de sa lettre, que dans de rares hypothèses consacrées par l’usage ? Non, il n’est pas possible de déguster les produits alimentaires standardisés proposés dans les étals des grandes surfaces, et il est inutile de le suggérer en reprenant une formulation désuète !
À cet égard, enfin, le texte ne précise en rien son articulation avec les usages et pratiques applicables à la formation de la vente mobilière. Certes, il fusionne les ventes à l’essai et à l’agréage, en supprimant la distinction opérée jusqu’alors8. Ce faisant, la situation de l’acheteur se trouve améliorée, puisqu’il disposerait du droit discrétionnaire d’agréer le bien, peu important les qualités recherchées au cours de l’essai ou de la dégustation. Cela correspond mieux aux pratiques constatées, la plupart des ventes dites « à l’essai » (voitures, vêtements) reportant la conclusion du contrat à l’exercice du choix par l’acheteur. Mais cela ne concerne, de nouveau, qu’un nombre limité d’hypothèses, largement définies par des usages commerciaux ou agricoles, ou des pratiques de commercialisation des produits. Pourquoi en maintenir le principe dans le code civil, alors d’une part que la jurisprudence en cantonne l’application au strict domaine des usages courants9, lesquels persisteraient en l’absence même de disposition y renvoyant expressément, et d’autre part, que les parties peuvent en écarter l’application10 ?
Vente avec arrhes
La vente avec arrhes offre à l’acheteur la faculté de se rétracter, le vendeur conservant alors la somme d’argent (« arrhes ») qui lui a été versée à l’origine. Le mécanisme est réversible, de sorte que le vendeur peut également renoncer à vendre, en restituant à l’acheteur le double des arrhes. Reprenant la formulation de l’avant-projet Capitant (art. 17), l’article 1592 de l’avant-projet modernise le texte de l’article 1590 du code civil, en étendant son champ d’application de la promesse de vente à l’ensemble des ventes11. C’est cependant s’arrêter au milieu du gué, tant les arrhes sont couramment employées au-delà du contrat de vente, par exemple pour des contrats d’entreprise. Le code de la consommation vise d’ailleurs la qualification d’arrhes pour les contrats de vente ou de prestation de services12, ce qui justifierait d’en étendre la portée à l’ensemble des contrats13. Les arrhes étant une variété de dédit, on se trouve face à la difficulté inhérente à une réforme des contrats spéciaux dissociée du droit commun des obligations. À cet égard, la formulation de l’article 1592 de l’avant-projet mériterait d’être harmonisée avec celle de l’article 1122 du code civil. Ce texte, qui annonce les mécanismes des délais de réflexion et de rétractation, prévoit en effet que la loi, autant que le contrat, peut les prévoir. Or la vente avec arrhes n’est rien d’autre qu’un contrat assorti d’un délai de rétractation contractuel, « délai avant l’expiration duquel son bénéficiaire peut rétracter son consentement ». Il serait donc utile de déplacer le texte consacré aux arrhes dans le droit commun, au même titre d’ailleurs que la faculté de dédit.
Vente avec faculté de dédit
La faculté de dédit permet à un contractant de se rétracter, le plus souvent en contrepartie d’une somme d’argent, alors appelée « dédit ». De même que les arrhes, le dédit n’a rien de propre au contrat de vente. La clause est utilisée couramment dans des contrats à durée déterminée, afin de ménager à l’une ou l’autre des parties la possibilité d’en sortir moyennant le versement d’une somme d’argent. Certes, la terminologie de la pratique est assez flottante, le dédit étant également dénommé résiliation, voire « break up fees »14. Quoi qu’il en soit, il est dommage que le dédit ne soit pas l’objet d’une disposition de portée générale, plutôt que limitée au contrat de vente. Les textes relatifs aux arrhes, acomptes et dédit trouveraient parfaitement leur place à la suite de l’article 1122 du code civil.
Abstraction faite de l’emplacement du texte et de son champ d’application, l’article 1593 de l’avant-projet appelle plusieurs remarques. D’abord, il vise exclusivement l’hypothèse d’une faculté de dédit à titre onéreux. Or la jurisprudence admet que le dédit puisse être stipulé à titre gratuit15. Ensuite, le texte ne dit rien de l’hypothèse où la somme n’aurait pas été versée, mais simplement convenue entre les parties. C’est pourtant un mode habituel de mise en œuvre du dédit. Enfin, le texte consacre une solution, déjà admise par la jurisprudence16, en prévoyant que « le dédit exercé de mauvaise foi n’opère point ». Cette solution est pourtant en contradiction avec la nature même d’une faculté de dédit, dont l’exercice devrait être discrétionnaire17.
Versement d’une somme d’argent par l’acheteur
Reprenant l’article 16 de l’avant-projet Capitant, l’article 1594 de l’avant-projet prévoit que « le versement d’une somme d’argent par l’acheteur est présumé l’être à titre d’acompte ». La règle était déjà admise par certains auteurs, dans l’hypothèse où un doute pouvait exister avec les qualifications d’arrhes ou de dédit18. Il est utile de le préciser dans le code civil, compte tenu de la règle du droit de la consommation, qui présume au contraire la qualification d’arrhes19. L’enjeu n’est pas anodin, car en l’absence de clause ou de texte spécial, la vente est réputée parfaite et ne laisse donc pas de droit de rétractation, quelle qu’en soit la qualification, à l’acheteur. Il serait également utile de prévoir le sort des sommes versées, qui pourraient produire intérêt, à l’image du droit de la consommation.
Propositions alternatives
Art. 1584 : Supprimé.
Il est proposé de supprimer l’article 1584 de l’avant-projet, considérant que les usages relatifs à la vente à l’agréage ou à l’essai ne nécessitent pas le support de la loi.
Art. 1592 à 1594
Deux versions alternatives sont proposées. La première impliquerait d’insérer les textes relatifs aux arrhes et au dédit dans le droit commun des obligations, à la suite de l’article 1122 du code civil consacré aux délais de réflexion et de rétractation.
La seconde maintiendrait la structure proposée par la commission, au sein d’une sous-section relative au consentement à la vente, avec une rédaction amendée.
Première version.
Art. 1122-1 : Si le contrat a été conclu avec des arrhes, chacune des parties peut rétracter son consentement : celle qui les a données en les abandonnant et celle qui les a reçues en restituant le double.
Si l’une des parties s’est réservé une faculté de dédit, elle peut rétracter son consentement dans le délai stipulé, le cas échéant en versant ou en abandonnant la somme convenue.
Le versement d’une somme d’argent par l’une des parties est présumé l’être à titre d’acompte. Sauf stipulation contraire, elle produit des intérêts au taux légal en matière civile, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter du versement jusqu’à la délivrance du bien.
Seconde version.
Art. 1592 : Si la vente a été conclue avec des arrhes, chacune des parties peut rétracter son consentement : celle qui les a données en les abandonnant et celle qui les a reçues en restituant le double.
Art. 1593 : Si la vente a été conclue avec faculté de dédit, l’acheteur peut rétracter son consentement dans le délai stipulé, le cas échéant en versant ou en abandonnant au vendeur la somme convenue.
Art. 1594 : Le versement d’une somme d’argent par l’acheteur au vendeur est présumé l’être à titre d’acompte. Sauf stipulation contraire, elle produit des intérêts au taux légal en matière civile, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter du versement jusqu’à la délivrance du bien.
Notes
1. V. not. C. civ., art. 1219 relatif à l’exception d’inexécution, qui généralise la solution contenue notamment à l’art. 1612.
2. C. civ., art. 1123 et 1124.
3. V. not. M.-E. Ancel, « La vente dans le Code civil : raisons et déraisons d’un modèle contractuel », in T. Revet (dir.), Code civil et modèles. Des modèles du Code au Code comme modèle, LGDJ, 2005, p. 285.
4. Sur lesquels, v. M. Latina, Le pacte de préférence de vente, Dalloz actualité, 25 mai 2022 ; La promesse unilatérale de vente, Dalloz actualité, 8 juin 2022.
5. Sur les limites de cette distinction, v. M. Mignot, J.-Cl. Civ., art. 1585 à 1588, n° 101.
6. V. not., F. Collart Dutilleul et P. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, 11e éd., Dalloz, 2019, n° 81.
7. Même si la renonciation au bénéfice de l’art. 1587 peut être tacite dès lors que les circonstances l’établissent de façon non équivoque (Civ. 1re, 12 juill. 2007, n° 05-11.791, Grands Vins d’Aquitaine [Sté] c. Société coopérative des Hauts de Gironde [Sté], D. 2007. 2235 ; Lyon, 12 sept. 2017, n° 17/06152). Le seul silence des parties, en revanche, ne saurait suffire à écarter la règle supplétive de l’art. 1587 (Civ. 1re, 24 mars 1998, n° 96-12.645, Magnien-Lagarrigue-Cairol [Sté] c. Lucas (Epx), D. 1998. 114 ; RTD civ. 1999. 377, obs. J. Mestre ; RTD com. 1998. 908, obs. B. Bouloc ).
8. Comp., C.c.Q, art. 1744, qui n’a repris que la vente à l’essai, « présumée faite sous condition suspensive ».
9. V. par ex., Nîmes, 11 oct. 2018, n° 16/03896 : « la clause […] – ainsi libellée “Vin garanti droit de goût, sain loyal et marchand, en règle avec les lois et règlements sur les fraudes, conforme, quant à la qualité, aux échantillons soumis et reconnus à la dégustation, l’analyse restant à faire” – constitue manifestement une clause de style appliquée lors de l’achat de vin et qui ne vaut pas agréage au sens de l’article 1587 du code civil dès lors que le contrat portait non pas sur du vin mais sur du raisin ».
10. V. Civ. 1re, 24 mars 1998, préc.
11. V. déjà, req. 26 déc. 1927, DP 1928. 1. 166.
12. C. consom., art. L. 214-1.
13. V. égal. en ce sens, J.-D. Pellier, Plaidoyer pour une généralisation de la distinction entre arrhes et acomptes, D. 2020. 1366 .
14. V. not., J. Granotier, Le droit unilatéral de rompre le contrat : de la faculté de dédit à la clause de « break-up fees », D. 2014. 1960 .
15. Com. 30 oct. 2000, n° 98-11.224, Lhermitte c. Sauvage [Mme], D. 2001. 3241 , obs. D. Mazeaud .
16. V. not. Civ. 1re, 10 sept. 2014, nos 13-22.722 et 13-23.409.
17. V. égal. en ce sens, F. Zenati-Castaing et T. Revet, Cours de droit civil. Contrats, 1re éd., PUF, 2016, n° 46.
18. P. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Droit des contrats spéciaux, 9e éd., LGDJ, 2017, n° 109. Mais la jurisprudence se réserve le contrôle de la qualification (v. not. Civ. 1re, 18 mars 1997, n° 95-16.135, Act’immobilier [Sté] c. Valbousquet [Mlle], D. 1997. 120 ; RDI 1997. 611, obs. D. Tomasin ).
19. C. consom., art. L. 214-1, al. 1er : « Sauf stipulation contraire, pour tout contrat de vente ou de prestation de services conclu entre un professionnel et un consommateur, les sommes versées d’avance sont des arrhes, au sens de l’article 1590 du code civil ».