Dans le prolongement de la section III qui traite des effets du prêt quant à l’emprunteur1, la section IV vient clore le chapitre relatif au prêt à usage en précisant quels sont les effets de ce contrat quant au prêteur. Relativement courte, elle aborde des thèmes importants tels l’obligation de délivrance, la garantie d’éviction ou encore les vices de la chose prêtée.
Section IV : Des effets du prêt quant au prêteur
Art. 1888 : La remise de la chose emporte l’obligation d’en délivrer les accessoires, notamment tout bien ou information que requiert son usage.
Art. 1889 : Le prêteur est tenu de laisser l’emprunteur user de la chose ainsi qu’il a été convenu, mais il n’est pas obligé de lui en conférer la jouissance paisible.
Art. 1890 : Lorsque la chose prêtée comporte des vices tels qu’elle puisse causer un dommage à celui qui s’en sert, le prêteur est responsable si le vice était caché, qu’il le connaissait ou aurait dû le connaître et n’en a pas averti l’emprunteur.
Art. 1891 : Lorsque le prêt est intéressé, la responsabilité du prêteur est appréciée avec plus de rigueur.
Analyse
L’obligation de délivrance
La section s’ouvre avec un article relatif à l’obligation de délivrance du prêteur, dont il n’existe pas d’équivalent dans le code civil. L’article 1888 de l’avant-projet énonce, en effet, que « la remise de la chose emporte obligation d’en délivrer les accessoires, notamment tout bien ou information que requiert son usage ».
On note, tout d’abord, que l’obligation de délivrance englobe une obligation d’information. La gratuité du prêt n’empêche pas d’attendre du prêteur qu’il fournisse à l’emprunteur les informations nécessaires à une utilisation correcte et sécurisée de la chose prêtée. En ce sens, la Cour de cassation a déjà jugé qu’un garagiste qui prête un véhicule de remplacement à son client est tenu d’une obligation d’information à son égard2. À n’en pas douter, la disposition devra être lue à l’aune de l’article 1891 de l’avant-projet qui précise que, lorsque le prêt est intéressé, la responsabilité du prêteur est appréciée avec plus de rigueur.
On remarque, ensuite, que la formulation est semblable à celle retenue pour le contrat de vente3 ainsi que pour le contrat de bail4, sans toutefois être parfaitement identique. Il n’est pas indiqué que le prêteur est tenu de mettre le bien à la disposition de l’emprunteur et l’obligation de délivrer les accessoires découle ici de la remise de la chose. Le texte a ainsi été adapté au caractère réel du contrat de prêt. Puisque la remise constitue une condition de formation du contrat, il n’y a pas lieu de prévoir que le prêteur est tenu de mettre le bien à la disposition de l’emprunteur. Il ne faut cependant pas perdre de vue que la Commission propose de qualifier le prêt intéressé de contrat consensuel5. Dans ce cas, l’obligation de délivrance des accessoires découle bien plus de la conclusion du contrat que de la remise de la chose. Plus encore, cette obligation ne saurait être réduite aux accessoires : elle doit comprendre l’obligation de délivrer la chose elle-même.
La garantie d’éviction
Si le code civil est silencieux quant à la garantie d’éviction en matière de prêt à usage, la doctrine enseigne que le prêteur est tenu de garantir l’emprunteur de l’éviction de son fait personnel, non de l’éviction du fait des tiers6. L’article 1889 de l’avant-projet ne dit pas autre chose en énonçant que « le prêteur est tenu de laisser l’emprunteur user de la chose ainsi qu’il a été convenu, mais il n’est pas obligé de lui en conférer la jouissance paisible ». À nouveau, la solution est pleinement justifiée au regard de la gratuité du prêt.
Les vices de la chose prêtée
« Lorsque la chose prêtée comporte des vices tels qu’elle puisse causer un dommage à celui qui s’en sert, le prêteur est responsable si le vice était caché, qu’il le connaissait ou aurait dû le connaître et n’en a pas averti l’emprunteur » : la Commission reprend la disposition contenue à l’article 1891 du code civil en y apportant deux modifications.
Premièrement, le texte contient la précision selon laquelle le vice doit être caché. Se trouverait ainsi codifiée la solution retenue par la Cour de cassation qui consiste à refuser d’indemniser l’emprunteur lorsque le défaut de la chose était apparent7.
Deuxièmement, il est indiqué que le prêteur est responsable s’il connaissait le défaut ou aurait dû le connaître. Le code civil envisage uniquement le défaut connu, mais la jurisprudence pose une présomption de connaissance des vices de la chose par le prêteur professionnel8. La formulation retenue par la Commission permet assurément le maintien de cette solution. Les juges pourront considérer que le prêteur, en raison de sa qualité de professionnel, aurait dû connaître le vice dont il s’agit. Pour autant, il faut reconnaître que le texte va plus loin. Il permet d’engager la responsabilité du prêteur non professionnel qui n’aurait pas eu une connaissance effective du vice ayant causé le dommage. La proposition est donc moins favorable au prêteur.
Sur ce point, il est particulièrement étonnant qu’une distinction n’ait pas été opérée entre prêt désintéressé et prêt intéressé. Pourquoi ne pas considérer, comme cela a pu être suggéré par certains auteurs9, que le prêteur intéressé est responsable lorsqu’il connaissait ou aurait dû connaître le vice tandis que le prêteur désintéressé n’est, quant à lui, responsable que dans l’hypothèse où il le connaissait ? Imaginons, par exemple, qu’un particulier prête son matériel à un ami, que ce matériel est défectueux et qu’il cause une blessure à l’emprunteur. Puisque le prêt est ici désintéressé, on pourrait admettre que la responsabilité du prêteur n’est pas engagée, sauf si celui-ci avait une connaissance effective du défaut à l’origine du dommage. À l’inverse, si ce matériel est prêté par une entreprise à son client pour lui permettre de l’essayer avant de l’acheter, la responsabilité de cette entreprise pourrait être engagée quand bien même elle n’aurait pas eu connaissance du défaut, compte tenu du caractère intéressé du prêt. La Commission affirme explicitement, dans le commentaire de l’avant-projet, qu’une telle distinction ne lui a pas paru souhaitable : « même désintéressé, il est des cas où le prêteur aurait dû connaître le défaut affectant son bien et en avertir le prêteur ». Il n’est cependant pas certain que le texte soit interprété de cette façon. Les juges pourraient parfaitement appliquer deux régimes différents en lisant l’article 1890 à la lumière de l’article 1891, dont il résulte que la responsabilité du prêteur est appréciée avec plus de rigueur lorsque le prêt est intéressé.
Proposition alternative
Les articles qui suivent seraient regroupés, non pas dans une section, mais dans une sous-section, de manière à harmoniser la structure des différents chapitres10.
Art. 1888 : Lorsque le prêt à usage est consensuel, le prêteur est tenu de mettre la chose prêtée à la disposition de l’emprunteur.
L’accord des parties, lorsque le prêt est consensuel, ou la remise de la chose, lorsque le prêt est réel, emporte l’obligation d’en délivrer les accessoires, notamment tout bien ou information que requiert son usage.
L’article 1888 de l’avant-projet est réécrit pour tenir compte de la dualité du prêt à usage qui est tantôt un contrat réel, tantôt un contrat consensuel.
Art. 1889 : Le prêteur est tenu de laisser l’emprunteur user de la chose ainsi qu’il a été convenu, mais il n’est pas obligé de lui en conférer la jouissance paisible.
L’article 1889 de l’avant-projet est conservé.
Art. 1890 : Lorsque la chose prêtée comporte des vices tels qu’elle puisse causer un dommage à celui qui s’en sert, le prêteur est responsable si le vice était caché, qu’il le connaissait ou aurait dû le connaître et n’en a pas averti l’emprunteur.
OU
Art. 1890 : Lorsque la chose prêtée comporte des vices tels qu’elle puisse causer un dommage à celui qui s’en sert, le prêteur est responsable si le vice était caché, qu’il le connaissait et n’en a pas averti l’emprunteur.
Lorsque le prêt est intéressé, le prêteur est également responsable dans l’hypothèse où il aurait dû connaître le vice.
Il est proposé soit de reprendre à l’identique l’article 1890 de l’avant-projet, soit de retenir un régime différent selon que le prêt est intéressé ou désintéressé.
Art. 1891 : Lorsque le prêt est intéressé, la responsabilité du prêteur est appréciée avec plus de rigueur.
L’article 1891 de l’avant-projet est conservé.
1. V. notre analyse précédente, Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux : des effets du prêt à usage quant à l’emprunteur, Dalloz actualité, 28 sept. 2022.
2. Civ. 1re, 25 nov. 2003, n° 01-16.291, CCC 2004. Comm. 20, obs. L. Leveneur ; RDC 2004. 718, obs. A. Bénabent.
3. Art. 1619 de l’avant-projet. Sur ce point, v. G. Chantepie, Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux : l’obligation de délivrance, Dalloz actualité, 13 juill. 2022.
4. Art. 1721 de l’avant-projet.
5. Art. 1877 de l’avant-projet. V. notre précédente analyse, Avant-projet de réforme des contrats spéciaux : la formation du prêt à usage, Dalloz actualité, 15 juin 2022.
6. G. Cattalano-Cloarec, Le contrat de prêt, LGDJ, 2015, n° 523 ; J.-Cl. civ. Code, v° Prêt à usage – Obligations de l’emprunteur, par F. Grua et N. Cayrol, LexisNexis, 2021, nos 7 s.
7. Soc. 18 mars 1975, n° 74-11.014.
8. Com. 24 nov. 1980, n° 79-10.233, RTD civ. 1981. 650, obs. G. Cornu. Pour une analyse de cette jurisprudence v. C. Rossetto, Article 1891 du code civil : le point sur une jurisprudence en trompe-l’œil, RCA 2021. Étude 6.
9. F. Grua et N. Cayrol, Prêt à usage – Obligations du prêteur, préc., n° 48.
10. Sur ce point, v. notre précédente analyse, Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux : des effets du prêt à usage quant à l’emprunteur, préc.