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Le droit en débats

Avant-projet de réforme des contrats spéciaux : sources et inspirations

Alors que le ministère de la justice rend public un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux qui sera officiellement soumis à consultation publique en juillet 2022, Dalloz actualité vous propose, sous la direction des professeurs Gaël Chantepie et Mathias Latina, de participer pleinement à cette réflexion au travers d’une série de commentaires critiques de cet important projet de réforme qui complète la réforme majeure du droit des obligations de 2016. Focus sur les sources et inspirations de l’avant-projet.

Par Gaël Chantepie le 11 Mai 2022

Le ministère de la Justice a rendu publiques, le 22 avril 2022, plusieurs parties d’un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux. Cette diffusion s’inscrit dans un calendrier qui court jusqu’à l’été prochain. Après la publication des textes relatifs à la vente, au bail et au prêt, viendront successivement ceux relatifs au dépôt et à l’entreprise, mi-mai, puis les autres textes (mandat et contrats aléatoires) ainsi que les explications ayant présidé aux choix de la commission, en juillet. Une fois la publication achevée, l’avant-projet complet sera soumis à une consultation publique, prélude à l’élaboration par la Chancellerie d’un projet définitif. Sans même attendre cette phase de consultation, la publication anticipée de parties significatives de l’avant-projet suscite l’intérêt et appelle la discussion. 

L’avant-projet répond à une demande de la Chancellerie, qui en a confié la direction au professeur Philippe Stoffel-Munck au mois de mars 2020. Celui-ci a composé une commission comprenant huit membres, parmi lesquels six professeurs de droit, un avocat et un magistrat de la Cour de cassation, étant précisé que plusieurs magistrats du bureau du droit des obligations ont également participé aux réunions. La commission a sollicité les observations du Conseil supérieur du notariat et, de manière singulière, du cabinet d’avocats Clifford Chance, mais pas, semble-t-il, d’autres instances représentatives de professionnels du droit, d’associations ou de fédérations professionnelles1. La méthode retenue a consisté à répartir les différents contrats entre les membres de la commission, le plus souvent réunis par binômes. Des séances plénières ont permis de discuter les textes et d’aplanir les difficultés, le cas échéant par un vote, voire, dans de rares hypothèses, à proposer deux rédactions alternatives2. Ces arbitrages nécessaires entre plusieurs voies, entre plusieurs rédactions, ont bénéficié des réflexions déjà menées et sont guidés par les objectifs assignés à la commission. Tout en renvoyant à de futures études une analyse plus substantielle du projet de réforme, il paraît dès à présent utile d’aborder ses sources d’inspiration et ses finalités.

Sources d’inspiration

Sans doute une réforme du droit français des contrats spéciaux, « chantier aussi vaste que dévasté »3, était-elle attendue, dans le prolongement de l’ordonnance du 10 février 2016. Elle n’a pourtant pas bénéficié, à ce stade, de travaux aussi nombreux que ceux qui avaient précédé la réforme du droit des obligations, ni à l’échelle européenne ou internationale, ni même au niveau national.

Influence internationale

Alors que l’histoire de la réforme du droit des obligations était ancrée dans le développement d’un projet de droit européen des contrats4, les projets internationaux relatifs aux contrats spéciaux ont sans doute suscité moins de débats. Certes, dans le prolongement du projet de cadre commun de référence, la Commission européenne avait publié une proposition de règlement relatif à un droit commun européen de la vente5, laquelle a été assez peu exploitée dans les ouvrages de doctrine6. Ce projet européen ne semble toutefois pas avoir constitué une source réelle d’inspiration, la commission restant fidèle, par exemple, à la distinction entre les garanties d’éviction et des vices cachés, plutôt que de les fondre dans une vaste garantie de conformité7. De même, si la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises a pu exercer une influence diffuse, par exemple sur la fusion de la garantie des vices cachés et de l’obligation de délivrance8, elle ne paraît pas avoir servi de modèle aux nouveaux textes du droit de la vente. Il faudrait disposer de l’ensemble des textes pour apprécier les sources d’inspiration tirées de législations étrangères ou du droit européen des droits de l’homme, mais à ce stade, l’avant-projet semble plutôt puiser à des sources nationales.

Influence nationale

Au niveau français, la doctrine avait déjà esquissé des recompositions de catégories9 ou souligné la désuétude de certains textes10. Allant plus loin, l’association Capitant avait amorcé le mouvement en proposant successivement deux versions d’un avant-projet. Après la diffusion d’un avant-projet en 2017, de nombreuses modifications avaient été apportées pour aboutir à une « offre de réforme » publiée en 202011. Considérant que plusieurs membres de l’actuelle commission avaient participé aux travaux de l’association Capitant et que, selon les termes de P. Stoffel-Munck, « l’offre de réforme » a constitué un « guide précieux »12, on pouvait s’attendre à un texte largement inspiré de ce travail antérieur. La lecture des trois premiers titres publiés contredit immédiatement cette intuition initiale. Le texte conserve certes une partie de la structure de l’offre de réforme de l’association Capitant13. C’est ainsi qu’au sein des titres relatifs à la vente ou au bail, une opposition claire est faite entre les dispositions communes et les dispositions spécifiques à certains types de vente ou de bail. Plusieurs solutions pratiques sont également reprises du projet Capitant, notamment pour les effets de la cession de bail14. Néanmoins, sur le plan formel, on ne relève qu’une poignée de textes identiques15, dont certains d’ailleurs ne font que reprendre le code civil actuel. Sur le fond, les différences sont également importantes, tant dans la méthode16 ou les dénominations17, que dans les solutions retenues. C’est le cas, notamment, de l’actuel article 1589-2 du code civil, dont la commission propose la suppression (ou la réintégration dans le CGI) quand l’association Capitant suggérait l’extension de son domaine aux promesses synallagmatiques. De même, la définition de la garantie des vices cachés verrait sa définition élargie, alors que l’offre de réforme restait fidèle à l’approche actuelle.

Au fond, de même que les avant-projets Catala et Terré reposaient sur des inspirations et des styles différents, les deux avant-projets de réforme du droit des contrats spéciaux ne présentent finalement qu’assez peu de points communs. Si inspiration il y a, elle semble avoir joué au moins autant par effet d’opposition que d’imitation. Cela peut cependant s’expliquer par l’origine des projets. Loin d’être une offre spontanée, l’avant-projet de la commission devait répondre à des finalités imposées par le ministère de la Justice.

Finalités visées

Pourquoi réformer le droit des contrats spéciaux aujourd’hui ? D’un point de vue purement pragmatique, si la Chancellerie entend soumettre la réforme des contrats spéciaux à consultation publique à brève échéance, c’est parce qu’elle lui paraît plus simple à faire adopter que celle, pourtant plus urgente socialement, de la responsabilité civile. Ou mieux, peut-être, que le ministère envisagerait de regrouper les deux réformes dans un même instrument législatif, à la faveur d’une loi d’habilitation à venir. Mais une réforme n’est pas qu’une opportunité à saisir, elle poursuit des objectifs.

Finalités visées par la Chancellerie

La mission assignée à la commission, telle qu’elle ressort des brèves explications mises en ligne, était de rénover les dispositions relatives aux contrats spéciaux, « pour les mettre en conformité avec les évolutions jurisprudentielles » et de les moderniser « afin qu’elles reflètent davantage l’importance acquise par certains contrats considérés comme mineurs en 1804 ». Ces objectifs se retrouvent dans d’autres réformes contemporaines de la législation civile à dimension économique.

À l’évidence, les textes relatifs aux contrats spéciaux ne reflètent qu’imparfaitement le droit positif. Le législateur a largement contourné le code civil en établissant, dans des lois spéciales ou d’autres codes, la réglementation de multiples contrats : crédit-bail, bail d’habitation, agence commerciale, sous-traitance, etc.18 Mais la mission de la commission ne vise qu’une rénovation partielle du droit des contrats spéciaux. Il n’était pas question de le réorganiser profondément, en réintégrant des textes spéciaux au sein du code, par exemple la loi du 6 juillet 1989, ou en déplaçant des textes d’un code à l’autre19. L’objectif est limité à l’intégration dans le code des précisions ou modifications substantielles apportées par la jurisprudence à l’occasion de l’interprétation des textes du code civil. On songe évidemment aux règles relatives aux avant-contrats, déjà partiellement codifiées à l’occasion de la réforme du droit des obligations, à la présomption de connaissance du vice caché par les vendeurs professionnels, à la nature de la nullité de la vente de la chose d’autrui, etc. L’avant-projet n’a d’ailleurs pas consacré l’ensemble des solutions jurisprudentielles. Ainsi, notamment, l’exercice de la faculté de substitution dans une promesse de vente serait expressément qualifié de cession de contrat20. Autre exemple, l’avant-projet admet que l’acheteur déçu dispose d’une option entre la garantie des vices cachés et l’ensemble des vices du consentement, et pas seulement en cas de dol21. Une entreprise de réforme ne saurait ainsi se limiter à une codification à jurisprudence constante.

Précisément une modernisation des textes était assurément nécessaire, tant ils ne coïncidaient plus avec leur utilisation quotidienne. C’est particulièrement frappant s’agissant du bail ou du contrat d’entreprise, où l’utilité pratique de certains textes du code civil, réelle, contrastait avec l’impression de désuétude avancée de pans entiers des sections successives. Recomposer le droit des contrats spéciaux autour de briques élémentaires, comme l’envisage la commission, répond à cet enjeu. Il resterait cependant à discuter de l’intégration au sein du code civil de ce qui est devenu l’un des enjeux principaux des contrats du quotidien, les contrats relevant du secteur numérique. Lacunaire dans le nouveau droit des obligations, sa réglementation mériterait assurément de figurer au titre des principes fondamentaux du droit des contrats spéciaux. S’il n’est pas certain que la mission de la commission ait inclus ce volet, il paraîtrait opportun de l’y intégrer.

Finalités visées par la commission

Car, après tout, tout en suivant les objectifs assignés par la Chancellerie, la commission a visé des objectifs propres, évoqués par P. Stoffel-Munck dans sa présentation générale. La commission a souhaité favoriser la liberté, faire œuvre de réalisme, proposer une réforme pratique, tout en aspirant à une forme de sagesse. Sans les discuter dans le détail, ces aspirations inspirent au moins deux réflexions.

La commission a été guidée, d’une part, par le souci de « faire œuvre pratique ». Mais comment parvenir à s’adresser à la fois aux praticiens et aux citoyens ? Faut-il par exemple tenir compte de la multitude de types de contrats issus de l’imagination de la pratique ? Le législateur a déjà nommé de nombreux contrats dans des lois spécifiques ou d’autres codes. Les ouvrages consacrés à la matière ne se limitent pas, généralement, aux seules formes civiles des contrats spéciaux, et intègrent des développements nourris sur des contrats de la vie des affaires, de droit immobilier, etc. Il est probable, d’ailleurs, qu’une codification des contrats commerciaux présenterait un grand intérêt pour les praticiens. Mais un droit civil des contrats spéciaux n’est pas qu’un droit de praticiens. Il est le socle des règles supplétives qui s’appliqueront à l’ensemble des contrats du quotidien. Il faut donc veiller à proposer des règles accessibles et précises pour les contractants dont le code constituera la trame, même inconsciente, de leur accord.

La modernisation du droit des contrats spéciaux passerait, d’autre part, par une « faveur pour la liberté »22, laquelle se justifierait par l’existence de règles de protection des contractants dans le code de la consommation, voire dans le droit commun des contrats. À suivre la commission, le droit des contrats spéciaux n’aurait pas à protéger des catégories de contractants à raison de leur position contractuelle (par ex. acheteur ou locataire), une telle protection étant déjà assurée au titre de leur qualité de consommateur ou d’adhérent. Une telle analyse est pourtant discutable. Certes, le droit de la consommation, pour s’en tenir à lui, a conduit à protéger l’acheteur ou le locataire, en renforçant les informations requises, en limitant les pratiques commerciales admises, ou en excluant certaines clauses du contrat. Mais cela n’implique pas que les acheteurs ou locataires, en général, ne mériteraient pas une telle protection, à raison de leur position contractuelle. Et la commission l’admet d’ailleurs en creux. Ainsi, alors que le projet fait le choix de ne plus protéger impérativement l’acheteur contre les vices cachés, en réduisant la présomption de connaissance du vice par les vendeurs professionnels, permettant la stipulation de clauses exonératoires, elle maintient la sanction de la lésion à l’égard du seul vendeur d’immeuble, laquelle va pourtant directement à l’encontre des règles du droit commun ou même du droit de la consommation. Sans doute le souci de ne pas modifier radicalement les équilibres existants a-t-il prévalu, en la matière. Mais le choix opéré en faveur de plus de liberté n’est pas une conséquence nécessaire de l’émergence d’autres formes de protection du contractant. Il s’agit bien au contraire d’un choix de politique juridique, qui mérite d’être discuté plus avant.

 

Notes

1. P. Stoffel-Munck, Présentation de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux.

2. V. not., art. 1648, sur le terme du délai de l’action en garantie des vices cachés. Deux versions sont proposées, l’une enfermant l’action dans le délai de l’article 2232 du code civil, l’autre limitant le délai de l’action à dix ans après la délivrance.

3. A. Bénabent, « Les difficultés de la recodification : les contrats spéciaux », in Le Code civil 1804-2004. Livre du bicentenaire, Dalloz-Litec, 2004, p. 245.

4. V. sur ce point G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, nos 10 s.

5. COM/2011/0635 final.

6. À l’exception cependant de l’ouvrage de F. Zenati-Castaing et T. Revet, Cours de droit civil. Contrats, PUF, 2016, spéc. nos 84 s.

7. Proposition de règlement, art. 99.

8. CVIM, art. 39.

9. V. not., rattachant le contrat de prêt d’argent aux contrats de prestations de service, en tant qu’il réalise une opération de crédit, F. Collart Dutilleul et P. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, 11e éd., Dalloz, 2019, n° 833.

10. V. not., au sujet du contrat d’entreprise, J. Raynard et J.-B. Seube, Droit des contrats spéciaux, 10e éd., LexisNexis, 2019, n° 460.

11. Association Henri Capitant, Offre de réforme du droit des contrats spéciaux, Dalloz, 2020 ; sur ce projet, v. not. H. Kassoul et D. Gantschnig (dir.), L’offre de réforme des contrats spéciaux. Réflexions libres à partir du projet de l’Association Henri Capitant, Dalloz, 2021.

12. P. Stoffel-Munck, Présentation de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, préc.

13. Sur cette question, v. M. Latina, La structure du projet, Dalloz actualité, Droit en débats, à paraître.

14. Avant-projet, art. 1738 ; projet Capitant, art. 61.

15. Avant-projet, art. 1594 (projet Capitant, art. 16) ; art. 1611 (art. 24 modifié) ; art. 1628 (art. 38) ; art. 1691 (art. 49, al. 2) ; art. 1750 (art. 67 mod.) ; art. 1879-2 (art. 111).

16. C’est ainsi notamment que le choix de l’avant-projet Capitant de placer un titre préliminaire consacré aux « Droits et obligations spéciaux », solution défendue parfois en doctrine (A. Bénabent, art. préc.), n’a pas été repris.

17. Comp. prêt de consommation (avant-projet) / prêt translatif (projet Capitant).

18. V. not. G. Lardeux, Le droit des contrats spéciaux hors le Code civil, LPA 14 sept. 2005, n° 183, p. 3.

19. Même si la commission suggère de déplacer les textes actuels relatifs aux baux ruraux (art. 1764 à 1778) ou au bail à cheptel (art. 1800 à 1831) au sein du code rural et de la pêche maritime.

20. Art. 1591, al. 2. La solution existait sans doute déjà en germe depuis la définition de la cession conventionnelle de contrat (C. civ., art. 1216).

21. Comp. Civ. 1re, 14 mai 1996, n° 94-13.921 (erreur), D. 1998. 305 , note F. Jault-Seseke ; ibid. 1997. 345, obs. O. Tournafond ; RTD com. 1997. 134, obs. B. Bouloc  ; 6 nov. 2002, n° 00-10.192 (dol), D. 2002. 3190, et les obs. ; RTD com. 2003. 358, obs. B. Bouloc .

22. P. Stoffel-Munck, art. préc.