Article 1964 : Sont aléatoires par essence les contrats dans lesquels chacune des parties court une chance de gain en même temps qu’un risque de perte, dépendant en leur totalité d’un événement incertain.
Tels sont :
- Le jeu et le pari ;
- La rente viagère, quand elle est constituée à titre onéreux ;
- La tontine.
Le contrat d’assurance est aléatoire soit par essence, soit par détermination de la loi.
Article 1965 : Est incertain l’événement dont les parties ignorent, lors de la conclusion du contrat, s’il s’accomplira ou même qu’il est déjà accompli.
À défaut d’incertitude, le contrat est nul.
Article 1966 : Ces contrats ne donnent pas lieu à rescision pour cause de lésion, aussi énorme soit-elle.
Toutefois, si la chance de gain de l’une des parties était dérisoire, cette partie peut demander l’annulation de son engagement.
Analyse
D’une dualité de définition… Avant la réforme du droit commun des contrats, le code civil définissait deux fois la catégorie des contrats aléatoires. D’abord, au sein de l’ancien article 1104 qui énonçait que « lorsque l’équivalent consiste dans la chance de gain ou de perte pour chacune des parties, d’après un événement incertain, le contrat est aléatoire ». Ensuite, dans l’ancien article 1964 du code civil qui définissait le contrat aléatoire « comme une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain ». Cette dualité de définition était largement critiquée. Définir deux fois une même notion, avec des mots différents, n’était pas une bonne méthode, et ce d’autant que les deux définitions étaient imparfaites. En effet, la définition de l’ancien article 1104 laissait entendre que chacun des avantages attendus par les parties au contrat devait nécessairement reposer sur une chance, comme dans le pari. Or, matériellement, l’incertitude peut n’affecter que la prestation d’une des parties, comme dans le contrat d’assurance1. Quant à l’ancien article 1964, il semblait indiquer que le contrat aléatoire pouvait n’être incertain que pour une des parties seulement alors que l’aléa doit nécessairement exister dans l’esprit des deux parties, chacune acceptant un risque de perte dans l’espoir d’une chance de gain. En 2016, le législateur fit donc le choix de reprendre la définition de l’ancien article 1964 en en gommant l’imperfection. Depuis, le contrat aléatoire est défini dans l’article 1108, alinéa 2, du code civil, et uniquement dans cet article : un contrat est aléatoire « lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain ».
… à une sous-catégorie de contrats aléatoires. La commission a toutefois regretté que ce soit la définition de l’ancien article 1964 du code civil qui ait été choisi, et non celle de l’ancien article 1104. La définition issue de l’ordonnance de 2016 serait beaucoup trop large2. Elle permettrait d’intégrer dans le giron des contrats aléatoires, pour reprendre les mots de Portalis, non seulement les contrats par lesquels les parties tentent la fortune (jeux et paris, rente viagère etc.), mais également ceux par lesquels elles souhaitent être rassurées contre ses caprices (assurance de dommages)3. Or, pour la commission, seuls les premiers seraient des « contrats aléatoires purs »4. Les seconds appartiendraient à une autre catégorie de contrats : les contrats de couverture au sein desquels l’assurance de dommages devrait être rangée5. Reste que la commission n’avait la compétence ni pour modifier la définition des contrats aléatoires (afin d’en réduire le périmètre), ni de créer une nouvelle catégorie de contrats (les contrats de couverture). Elle propose ainsi, dans l’article 1964 ressuscité, de créer au sein de la catégorie des contrats aléatoires de l’article 1108, une sous-catégorie, celle des « contrats aléatoires par essence ». Autrement dit, les contrats aléatoires de l’article 1108 seraient composés de deux sous-catégories : les contrats essentiellement aléatoires et les contrats aléatoires « par détermination de la loi »6, dont on pressent, sous la plume de la commission, qu’ils n’ont d’aléatoires que le nom.
Cantonnement du régime commun. En effet, le régime commun proposé dans les articles 1965 et 1966 de l’avant-projet ne serait applicable qu’aux contrats essentiellement aléatoires de l’article 1964, à l’exclusion des contrats aléatoires par détermination de la loi. L’intention de la commission est très claire : « cet article et le suivant (1965 et 1966) fixent, en s’inspirant de la jurisprudence, quelques règles communes à tous les contrats aléatoires au sens de l’article 1964 proposé »7. Ce cantonnement est pourtant contestable. Il revient à priver les contrats aléatoires par détermination de la loi de ce régime commun. Or, au premier rang de ces contrats figure le contrat d’assurance de dommages… Ainsi, l’article 1108 serait vidé de sa substance, le régime commun aux contrats aléatoires ne valant plus que pour les contrats essentiellement aléatoires. Par un choc en retour, l’enjeu de qualification serait considérable, et ce, alors que la définition donnée des contrats essentiellement aléatoires est, pour le moins, obscure.
Définition contestable. L’article 1964 de l’avant-projet énonce en effet que « sont aléatoires par essence les contrats dans lesquels chacune des parties court une chance de gain en même temps qu’un risque de perte, dépendant en leur totalité d’un événement incertain ». À lire le commentaire de la commission, l’on comprend que cette définition a pour objet de rejeter hors de la catégorie des contrats aléatoires purs ou véritables, ceux dans lesquels l’aléa n’affecte qu’une des prestations. C’est la raison pour laquelle l’assurance est qualifiée, par l’article 1964 de l’avant-projet, soit de contrat essentiellement aléatoire (assurance sur la vie au sens historique du terme), soit de contrat aléatoire par détermination de la loi (assurance de dommages). Autant dire que la définition proposée des contrats essentiellement aléatoires n’a plus rien à voir avec celle donnée par la doctrine. En droit positif, l’expression « contrats essentiellement aléatoires » désigne en effet les contrats qui, parce que leur structure même intègre l’aléa, ne peuvent pas être envisagés sans celui-ci8. Tel est le cas, par exemple, du jeu ou du pari. À côté de ces derniers, il est possible qu’un contrat, en principe commutatif, devienne aléatoire en raison de ses stipulations, et donc par la volonté des parties. C’est le cas, par exemple, de la vente dans laquelle l’acheteur « prend en charge certains risques sans recours contre son vendeur : le prix apparaît [alors] comme ayant un caractère forfaitaire, de telle sorte que l’acquéreur peut tout aussi bien faire une “bonne affaire” si tout se passe bien, que perdre sa “mise” »9. Ces contrats sont alors dits « exceptionnellement » aléatoires10 ou encore aléatoires par accident11. Ainsi, cet article 1964 est déceptif. Il utilise une terminologie connue, mais en modifie radicalement le sens. On en voudra pour preuve que l’assurance de dommages, classée en droit positif au sein des contrats essentiellement aléatoires, en serait exclue sous l’empire de l’avant-projet.
Régime commun. Quant aux règles communes, l’avant-projet les importe de la jurisprudence. L’ordonnance du 10 février 2016 avait déjà consacré, au sein de l’article 1133, alinéa 3, la règle « l’aléa chasse l’erreur »12. L’avant-projet se propose de consacrer, en la réservant aux contrats essentiellement aléatoires de l’article 1964, l’adage « l’aléa chasse la lésion », ainsi que la nullité des contrats pour défaut d’aléa, ou aléa dérisoire ou illusoire. À ce dernier propos, on s’étonne que, pour ce faire, la commission ait proposé deux articles distincts, alors que la règle semble unique, le caractère illusoire ou dérisoire de l’aléa confinant à son inexistence13. Enfin, c’est la conception subjective de l’incertitude qui a été consacrée. L’incertitude pourra, comme en droit positif, n’exister que dans l’esprit des parties qui ignoraient si l’événement s’était réalisé ou son sens de réalisation. Des personnes peuvent en effet parier sur un match passé, dès lors qu’elles ignorent toutes les deux son résultat. L’innovation ne vient pas de la consécration de cette conception, que la jurisprudence avait retenue14, mais de la suppression de la règle spéciale qui, en matière de rente viagère, permettait l’annulation du contrat de vente si le crédit-rentier était déjà décédé avant la conclusion du contrat, même à l’insu des parties (art. 1974).
Proposition alternative
La création d’une sous-catégorie de contrats aléatoires pose beaucoup plus de problèmes qu’elle n’en résout. Elle aboutirait à réserver aux contrats essentiellement aléatoires la majeure partie du régime des contrats aléatoires. Quoique qualifiés d’aléatoires, les contrats aléatoires par détermination de la loi seraient alors orphelins de régime. La refonte de la théorie des contrats aléatoires ne peut donc être faite par la voie subreptice de la création d’une sous-catégorie. Pour cette raison, l’article 1964 proposé n’est pas repris.
Article 1 : Est incertain l’événement dont les parties ignorent, lors de la conclusion du contrat, s’il s’accomplira ou même qu’il est déjà accompli.
Article 2 : La lésion ne donne jamais lieu à sanction dans les contrats aléatoires.
Toutefois, le contrat aléatoire est nul de nullité relative si l’incertitude était, au jour de la conclusion du contrat, inexistante, illusoire ou dérisoire, sauf requalification en contrat commutatif.
D’abord, l’article 1965, alinéa 1, est repris, qui consacre la conception subjective de l’incertitude.
Ensuite, si la consécration de l’adage « l’aléa chasse la lésion » est opportune, la substance de l’article 1966, alinéa 2 est perfectible. D’une part, viser la « rescision » est réducteur. Après tout, la sanction d’un partage lésionnaire n’est pas la rescision, mais la possibilité d’obtenir un complément de part. Dès lors, en cas de partage aléatoire, les copartageants ne devraient pas pouvoir demander la correction de la lésion. C’est dire que ce n’est pas la rescision qui doit être mentionnée dans le texte, mais, plus largement, la sanction de la lésion. Au demeurant, on proposera de supprimer toute référence à la notion de rescision qui n’est rien d’autre qu’une nullité. L’utilisation de l’adverbe « jamais » dans la version alternative a pour but d’éviter toute interprétation a contrario de l’article. La lésion n’est jamais sanctionnée dans les contrats aléatoires, même lorsque le législateur a décidé, par dérogation à l’article 1168, de la prendre en compte. D’autre part, la référence à l’énormité de la lésion, qui n’apporte rien à la règle, est supprimée.
En outre, il est proposé de regrouper, à titre d’exception à l’absence de sanction de la lésion dans les contrats aléatoires, l’alinéa 2 de l’article 1965 et l’alinéa 2 de l’article 1966. L’hypothèse de l’inexistence de l’incertitude à la même nature que celle du caractère dérisoire ou illusoire de la chance de gain. L’inexistence de l’incertitude n’est en effet rien d’autre que l’inexistence de toute chance de gain. Suivant la jurisprudence, lorsque l’incertitude n’existe pas ou lorsqu’elle n’est pas sérieuse, le contrat doit être annulé, au moins si l’on est en présence d’un contrat essentiellement aléatoire au sens contemporain de l’expression.
En effet, si le contrat n’est aléatoire que par la volonté des parties, comme dans une vente sans garantie et avec prix forfaitaire, l’inexistence, le caractère dérisoire ou illusoire de l’incertitude doit entraîner une requalification du contrat en contrat commutatif. Il n’a pas semblé utile d’introduire, dans le code civil, la distinction entre contrat essentiellement et accidentellement aléatoire, telle qu’elle est comprise par la doctrine contemporaine. Il suffit en effet de préciser que le contrat est nul, sauf à ce qu’il puisse être requalifié, ce qui n’est possible que dans l’hypothèse où l’aléa n’est pas indispensable à la structure du contrat.
Enfin, la version alternative proposée précise que la nullité est relative, la règle ayant clairement vocation à protéger celui qui dont la chance était inexistante, dérisoire ou illusoire. La commission a souhaité laisser une marge de manœuvre au juge. Elle a donc passé sous silence la nature de la nullité. Pourtant, par le passé, les juges n’ont pas toujours fait bon usage, en matière de nullité, de cette marge de manœuvre, la théorie classique des nullités revenant parfois d’outre-tombe sans que l’on comprenne bien pourquoi. Le législateur pourrait être bien inspiré d’épargner à la doctrine, en la matière, les longs et pénibles débats sur la nature de la nullité pour défaut d’aléa.
1. Qui était d’ailleurs classé dans la catégorie des contrats aléatoires par l’ancien article 1964.
2. P. Stoffel-Munck et A. Seriaux, Les contrats aléatoires – Présentation, in Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, p. 145.
3. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. 14, Paris, 1836, spéc. p. 535.
4. V. le commentaire sous l’article 1964 de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux.
5. P. Stoffel-Munck et A. Seriaux, art. préc.
6. Avant-projet, art. 1964.
7. V. le commentaire sous l’article 1965 de l’avant-projet. On notera toutefois que si le cantonnement voulu par la commission ressort clairement des termes de l’article 1966 qui vise « ces contrats », soit ceux de l’article 1964 proposé, la lettre de l’article 1965 est moins nette qui ne laisse pas deviner l’exclusion des contrats non essentiellement aléatoires.
8. A. Bénabent, op. cit., spéc. n° 926 ; Y.-M. Laithier, Aléa et théorie générale du contrat, in L’aléa, Association Henri-Capitant, Journées nationales, t. XIV, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2010, p. 7 s., spéc. p. 12. Certains auteurs utilisent l’expression de contrats aléatoires par nature, J.-Cl. civ., v° Art. 1964 - Fasc. unique : contrats aléatoire – Généralités, par P. Simler, spéc. n° 4.
9. A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux, 11e éd., LGDJ, 2015, n° 935.
10. Ibid., n° 934.
11. Y.-M. Laithier, art. préc. qui utilise l’expression « contrat aléatoire par accident ».
12. Qui resterait d’ailleurs applicable à tous les contrats aléatoires au sens de l’article 1108.
13. V. proposition, infra.
14. Civ. 3e, 3, 4 juill. 2007, n° 06-13.275, cité dans le commentaire de l’avant-projet, D. 2007. 2102 ; AJDI 2007. 945 . V. aussi Civ. 1re, 8 juill. 1994, n° 92-15.551, D. 1995. 217 , note S. Porchy .