Le luxe de détails des textes relatifs à la garantie de contenance dans le code civil1 contraste avec leur faible utilité pratique2, particulièrement depuis qu’une clause de style en écarte le plus souvent l’application. L’offre de réforme des contrats spéciaux de l’association Capitant en avait, semble-t-il, tiré les conséquences en ne la reprenant pas formellement. Elle laissait au droit spécial le soin d’en faire vivre l’application impérative lors des cessions de lots de copropriété3, au droit commun de la sanctionner lorsqu’elle avait causé une erreur déterminante du consentement de l’acheteur, et au droit spécial de la vente d’en maintenir le principe sur le fondement général de l’obligation de délivrance.
L’avant-projet de réforme choisit en revanche de maintenir des dispositions relatives à la garantie de contenance, dans un esprit de fidélité aux textes actuellement en vigueur. C’est ainsi que la dénomination de garantie, pourtant discutable4, est maintenue, que le nombre de textes (7) est à peine réduit et que la structure générale des textes n’évolue pas. Les nouveaux textes se substitueraient ainsi, parfois au prix de modifications cosmétiques, aux anciens. Leur intégration au sein des dispositions propres à la vente immobilière, autant que le bien-fondé de leur maintien justifient cependant leur analyse.
Sous-section 3 : De la garantie de contenance
Art. 1682 : Le vendeur est tenu de délivrer la contenance de l’immeuble telle qu’elle est portée au contrat, sous les modifications ci-après exprimées.
Art. 1683 : Si la vente d’un immeuble a été faite avec indication de la contenance, à raison de tant la mesure, et si le vendeur ne peut délivrer à l’acquéreur la quantité indiquée au contrat, il est obligé de souffrir une diminution proportionnelle du prix à moins que n’ait été stipulée aux mêmes fins l’application d’une clause pénale.
Il en est de même lorsque l’acquéreur n’exige pas la délivrance de la quantité convenue.
Art. 1683-1 : Si, au contraire, dans le cas de l’article précédent, il se trouve une contenance plus grande que celle exprimée au contrat, l’acquéreur a le choix de fournir le supplément du prix, avec les intérêts à compter de la vente s’il a gardé l’immeuble, ou de résoudre le contrat si l’excédent est d’un vingtième au-dessus de la contenance déclarée.
Art. 1683-2 : Dans les autres ventes faites moyennant l’indication d’une mesure, l’expression de celle-ci ne donne lieu, en faveur de l’acquéreur, à une diminution proportionnelle du prix qu’autant que la différence de la mesure réelle à celle exprimée au contrat est d’un vingtième en moins, eu égard à la valeur de la totalité des objets vendus, sauf disposition légale ou stipulation contraires.
Art. 1683-3 : S’il a été vendu deux fonds par le même contrat, et pour un seul et même prix, avec désignation de la mesure de chacun, et qu’il se trouve moins de contenance en l’un et plus en l’autre, on fait compensation jusqu’à due concurrence ; et l’action, soit en supplément, soit en diminution du prix, a lieu suivant les règles établies aux articles précédents.
Art. 1684 : Dans tous les cas où l’acquéreur a le droit de se désister du contrat, le vendeur est tenu de lui restituer, outre le prix, s’il l’a reçu, les frais de ce contrat.
Art. 1685 : L’action en supplément du prix de la part du vendeur, et celle en diminution de prix ou en résolution du contrat de la part de l’acheteur doit être intentée dans l’année, à compter du jour du contrat, à peine de forclusion.
Champ d’application des textes
Si les articles 1616 et suivants du code civil figurent dans une section relative aux obligations du vendeur en général, la jurisprudence en avait limité l’application, pour l’essentiel, aux seules ventes immobilières5. La « contenance » serait ainsi, désormais, la « désignation un peu vieillie de la superficie d’un immeuble »6. La commission propose en conséquence de déplacer ces textes au sein d’une section consacrée à la vente d’immeuble. Les articles 1682 et suivants verraient donc leur domaine limité à ce seul domaine, excluant de fait toute application de la garantie de contenance à des meubles.
La solution prend acte de l’utilité réduite des textes, dont on ne trouve plus guère d’applications, désormais, que dans les ventes d’immeubles à construire. À supposer qu’une question de « contenance » d’un meuble se pose, elle relèverait dès lors exclusivement du droit commun de la vente et des obligations, en mobilisant l’obligation de délivrance et les sanctions de l’inexécution contractuelle. Mais précisément, même dans le domaine de la vente immobilière, une telle solution apparaîtrait bienvenue. Le mécanisme de la garantie de contenance est en effet devenu largement inutile et injuste.
Mécanisme de la garantie de contenance
Les articles 1616 à 1623 du code civil prévoient un mécanisme passablement complexe, destiné à traiter deux situations distinctes7.
Soit la vente a été faite avec un prix fixé par référence à une mesure (par ex. : terrain de 200 m² à 100 €/m²), et la délivrance d’une moindre quantité, ou à l’inverse d’une quantité supérieure, entraîne la réduction du prix ou un supplément de prix, voire la résolution du contrat.
Soit, de manière plus courante, la vente a été faite avec l’indication d’une contenance, sans que celle-ci soit corrélée au prix (par ex. : terrain de 200 m² pour 20 000 €), et la délivrance d’une moindre quantité ou d’une quantité supérieure n’entraînera une réduction ou un supplément du prix que si la différence excède 5 %.
Quelle que soit la variété de vente, la « garantie de contenance » n’est rien d’autre qu’une modalité spécifique de l’obligation de délivrance du vendeur, qui comprend la « conformité matérielle de la chose vendue »8. Le système évoque évidemment l’alternative offerte au créancier entre la résolution du contrat et la réduction du prix, avec l’ajout d’une augmentation du prix en cas de délivrance d’une quantité supérieure. La spécificité des biens immobiliers implique en effet qu’on ne puisse, le plus souvent, rectifier la quantité délivrée, parce que le bien ne peut être divisé, matériellement ou juridiquement. Les articles 1616 et suivants prévoient ainsi un régime spécifique et largement exclusif des autres actions du vendeur9. Mais ce mécanisme a progressivement été privé de l’essentiel de son utilité par son caractère supplétif.
Caractère supplétif de volonté
La garantie de contenance est actuellement supplétive de volonté, sauf à l’égard des vendeurs professionnels10 ou ayant commis une faute lourde ou dolosive11. Par conséquent, la clause qui en écarte l’application est devenue de style dans les ventes immobilières12. Le contraste est frappant avec l’impérativité attachée à l’article 46 de la loi du 10 juillet 1965, lequel prévoit un mécanisme similaire en matière de vente de lots de copropriété. Les articles 1682 et suivants de l’avant-projet ne traitent pas directement du caractère impératif ou supplétif de la garantie de contenance. Néanmoins, leur proximité avec les textes initiaux, autant que l’objectif affiché par la commission de promouvoir la liberté contractuelle ne laissent guère de doutes sur l’interprétation à retenir des textes. Quoi qu’il en soit, le mécanisme proposé ne différerait pas de l’ancien et n’offrirait donc qu’une effectivité limitée aux seules ventes consenties par des professionnels.
Limitation de la portée de l’obligation de délivrance
C’est là, précisément, que gît l’injustice potentielle du mécanisme de la garantie de contenance dans les ventes à prix global. De manière paradoxale, en effet, les articles 1618 et 1619 du code civil permettent aux vendeurs professionnels de s’exonérer de leur obligation de délivrance dès lors que la différence entre la superficie convenue et celle délivrée n’excède pas 5 %. L’exemple de la vente d’immeuble à construire est particulièrement évocateur. Dans ce cas, la vente se fait sur plans et l’acheteur n’a aucun moyen de connaître la superficie exacte de l’immeuble autrement que par les stipulations contractuelles. Et pourtant, la jurisprudence a admis que les articles 1616 et suivants trouvaient à s’y appliquer, tant dans le secteur libre13 que dans le secteur protégé14. L’effet pervers est dénoncé depuis longtemps15. Alors que les clauses de sauvegarde usuellement insérées dans les ventes du secteur libre prévoient une tolérance dans l’écart entre la superficie convenue et la superficie délivrée autour de 3 %16, dans les VEFA, en l’absence de clause, le vendeur dispose de la marge de 5 % de la garantie de contenance, alors même qu’il est tenu d’indiquer la « surface de chacune des pièces et dégagements »17. À quoi s’ajoute un régime particulièrement sévère pour l’acheteur puisque l’action doit être exercée dans un délai préfix d’un an à compter du contrat18 ou, en matière de vente d’un immeuble en l’état futur d’achèvement, à compter du transfert de propriété, constaté par la livraison19. En résumé, le faible intérêt pratique des articles 1616 du code civil se double d’une faveur injustifiée pour les constructeurs.
Alternative envisageable
Est-il alors nécessaire de maintenir la garantie de contenance au sein du code civil, même dans une version applicable aux seules ventes immobilières ? Considérant que ce mécanisme est une application de l’obligation de délivrance du vendeur, dotée d’un régime dérogatoire, il faut envisager ce qu’il adviendrait en son absence. Le vendeur d’immeuble resterait tenu de son obligation de délivrance, qui inclut implicitement, mais nécessairement, l’obligation de délivrer la contenance exacte de la chose vendue. Deux hypothèses seraient alors envisageables20.
Première hypothèse, la contenance est insuffisante
Dans ce cas, l’acheteur pourrait invoquer, selon la nature de la vente et l’importance de l’inexécution, l’exécution forcée du contrat21, la réduction du prix22 ou la résolution du contrat23, les trois sanctions pouvant être cumulées avec la réparation du préjudice éventuellement subi24. La sanction de la réduction du prix, créée par l’ordonnance du 10 février 2016, est similaire à la « diminution proportionnelle du prix » du droit positif, maintenue par l’avant-projet de réforme25. Le recours au droit commun entraînerait donc deux changements. D’une part, l’acheteur pourrait obtenir la réduction du prix en cas de différence entre la superficie convenue et la superficie délivrée inférieure à 5 %. D’autre part, son action ne serait plus enfermée dans le délai de forclusion d’un an, mais soumise au droit commun de la prescription.
L’abandon de la règle spéciale affecterait-il alors la sécurité juridique, du fait des « contestations endémiques » relatives à la superficie26 ? Il est probable que les ventes ne soient pas remises en cause plus fréquemment, dans la mesure où la résolution ne pourrait être invoquée qu’en cas d’inexécution suffisamment grave27. Au demeurant, dans une telle hypothèse, la jurisprudence admet déjà que l’acheteur déçu puisse exercer une action en nullité pour erreur, dès lors qu’elle a présenté un caractère déterminant de son consentement28. En revanche, l’action en réduction du prix laisserait planer une incertitude sur une durée plus longue qu’actuellement. Rien n’empêcherait cependant, dans les ventes entre particuliers, de ne pas mentionner la contenance ou d’insérer une clause aménageant la portée de l’obligation de délivrance aux différences substantielles de superficie, par exemple lorsqu’elles excèdent 5 %, et de limiter le délai de prescription applicable à cette action à une durée qui ne peut être inférieure à un an29.
Seconde hypothèse, la superficie délivrée est supérieure à ce qui a été convenu dans le contrat
Dans ce cas, l’inexécution se traduit par un avantage procuré indûment à l’acheteur. La garantie de contenance permet alors actuellement au vendeur d’obtenir un supplément de prix. La symétrie offerte par le texte s’explique largement par des considérations d’équité : « on n’a pas voulu qu’une erreur involontaire fût pour le vendeur une cause de perte, et pour l’acheteur une occasion de s’enrichir aux dépens d’autrui »30. Mais la clause exclusive de garantie demeure efficace à l’égard du vendeur, de sorte que l’intérêt de cette disposition est largement théorique. Si une différence substantielle était constatée, l’erreur pourrait encore être invoquée par le vendeur pour obtenir la nullité du contrat. Plus fondamentalement, il peut être avancé que le fondement même de l’obligation de délivrance de la contenance aurait basculé d’un mécanisme de pure justice corrective vers une mécanisme protecteur des intérêts de l’acheteur. Cela justifierait son exclusion au profit du vendeur.
Propositions de modifications
En résumé, considérant, d’une part, l’intérêt pratique limité de la garantie de contenance et l’avantage indirect qu’elle procure aux professionnels de la construction dans l’exécution de leurs obligations, et, d’autre part, l’existence de solutions satisfaisantes tirées de l’articulation du droit de la vente et du droit commun des obligations, il est proposé d’abroger les articles 1616 à 1623 du code civil.
Notes
1. C. civ., art. 1616 à 1623.
2. Pour des applications récentes dans des ventes d’immeubles à construire, v. cependant, Civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 18-10.650 ; 8 oct. 2013, n° 12-23.275, RDI 2013. 594, obs. O. Tournafond et J.-P. Tricoire .
3. L. 10 juill. 1965, art. 46. Ce texte est exclusif de tout recours fondé sur le droit commun de la vente (Civ. 3e, 26 nov. 2015, n° 14-14.778, Dalloz actualité, 7 déc. 2015, obs. N. Le Rudulier ; D. 2015. 2503 ; RDI 2016. 145, obs. B. Boubli ).
4. P. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Droit des contrats spéciaux, 9e éd., LGDJ, 2017, n° 359 : « la “garantie” de contenance n’est donc pas, à proprement parler, une véritable garantie : elle exécute l’obligation de délivrance ».
5. Outre les art. 1617 et 1618, visant expressément l’immeuble, la jurisprudence avait étendu la solution aux art. 1619 (Civ. 17 déc. 1923, DP 1924. 1. 14) et 1622 (Civ. 3e, 11 janv. 2005, n° 01-17.736, D. 2005. 246 ; ibid. 2352, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ).
6. A. Bénabent et Y. Gaudemet, Dictionnaire juridique, 1re éd., LGDJ, 2021.
7. Sur cette question, v. O. Barret, « Les recours offerts à l’acquéreur contre le vendeur au cas de superficie insuffisante de l’immeuble vendu », RTD civ. 2012. 207 .
8. J. Raynard et J.-B. Seube, Droit des contrats spéciaux, 10e éd., LexisNexis, 2019, n° 180.
9. V. ainsi, excluant une action en revendication du complément de superficie, Civ. 3e, 24 janv. 1990, n° 88-15.551, D. 1991. 165 , obs. G. Paisant .
10. C. consom., art. R. 212-1, 5°.
11. Rappr. Civ. 3e, 24 mars 1999, n° 97-18.547 : les acheteurs « ne pouvaient accepter par avance leur réduction de contenance qui n’était que du seul pouvoir du vendeur ».
12. Par ex. : « tout attributaire de bien immobilier prendra le ou les biens dans son état au jour de l’entrée en jouissance, sans exception ni réserve et sans aucune garantie pour quelque cause que ce soit, et notamment pour… toute erreur dans la désignation ou la contenance indiquée, toute différence en plus ou en moins s’il en existe et excédât-elle même un vingtième » (Angers, 9 juill. 2019, n° 17/00895).
13. Civ. 3e, 24 nov. 1999, n° 98-12.317, D. 2000. 286 , obs. O. Tournafond ; AJDI 2000. 150 ; RDI 2000. 192, obs. C. Saint-Alary-Houin .
14. Civ. 3e, 20 juin 2006, n° 05-15.464, RDI 2007. 349, obs. O. Tournafond .
15. V. not. O. Tournafond, obs. ss Civ. 3e, 24 nov. 1999, n° 98-12.317, D. 2000. 286 , obs. O. Tournafond ; AJDI 2000. 150 ; RDI 2000. 192, obs. C. Saint-Alary-Houin ; O. Barret, art. préc., nos 44 s.
16. P. Malinvaud (dir.), Droit de la construction, 7e éd., Dalloz, 2018, n° 532.42.
17. CCH, art. R. 261-13, al. 1.
18. C. civ., art. 1622.
19. Civ. 3e, 24 nov. 1999, préc.
20. L’opposition entre la vente « à tant la mesure » et la vente « en bloc », prévue dans les textes du code civil, n’est pas de nature à modifier l’analyse.
21. C. civ., art. 1221 ; par ex. : dans une vente de parcelle « à tant la mesure » résultant du découpage d’une parcelle, lorsque la quantité promise aurait pu être délivrée.
22. C. civ., art. 1223.
23. C. civ., art. 1224 s.
24. Par ex., le surcroît de droits de mutation versé par l’acheteur.
25. Elle ne devrait pas plus constituer un préjudice indemnisable permettant le recours du vendeur contre l’architecte ou le géomètre-expert (Civ. 3e, 8 nov. 2006, n° 05-16.948, D. 2006. 2952 ; ibid. 2007. 1297, chron. A.-C. Monge et F. Nési ; RDI 2007. 87, obs. O. Tournafond ).
26. F. Zenati-Castaing et T. Revet, Cours de droit civil. Contrats, PUF, 2016, n° 60.
27. C. civ., art. 1224. Certains arrêts ont admis que « si l’article 1619, alinéa 5, du code civil ne permet à l’acquéreur d’exercer une telle action qu’en cas de diminution de contenance d’un vingtième au moins, il n’en résulte pas pour autant qu’il ne pourrait se prévaloir d’une différence de moins d’un vingtième, en lien d’interdépendance avec des modifications dans l’aménagement du bien livré, à l’appui d’une demande en résolution fondée sur un manquement à l’obligation de délivrance conforme » (Colmar, 19 mars 2021, n° 19/02770).
28. Civ. 23 nov. 1931, DP 1932. 1. 129, note L. Josserand : lorsque le défaut de contenance rend l’immeuble impropre à la destination en vue de laquelle il a été acquis, la contenance devient en fait une qualité substantielle de l’objet du contrat. On peut toutefois considérer qu’une différence de superficie substantielle soit, à elle seule, une qualité essentielle de l’immeuble, déterminante du consentement de l’acheteur.
29. C. civ., art. 2254.
30. M. Troplong, De la vente, 5e éd., t. 1er, Paris, 1856, n° 339.