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Le droit en débats

Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux : le prix dans la vente

Alors que le ministère de la Justice rend public un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux qui sera officiellement soumis à consultation publique en juillet 2022, Dalloz actualité vous propose, sous la direction des professeurs Gaël Chantepie et Mathias Latina, de participer pleinement à cette réflexion au travers d’une série de commentaires critiques de cet important projet de réforme qui complète la réforme majeure du droit des obligations de 2016. Focus sur le prix dans la vente.

Par Marie Garnier-Zaffagnini le 01 Juin 2022

À l’occasion de la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, le législateur avait remanié les textes relatifs à l’objet du contrat (art. 1163 s). Modernisant ainsi les règles attachées à son contenu, le législateur avait accordé une attention particulière au prix et avait consacré notamment les avancées jurisprudentielles des années 19901. Les règles spéciales relatives à la détermination du prix dans la vente doivent ainsi être analysées en considération de ce socle commun.

 

Textes de l’avant-projet

Art. 1603 : Le prix de la vente est librement convenu entre les parties, à moins que la loi n’en dispose autrement.

Le juge ne peut se substituer aux parties pour définir lui-même le prix ou leur imposer une méthode de détermination autre que celle qu’elles auraient prévue au contrat.

Art. 1604 : Sauf lorsque la vente est conclue en exécution d’un contrat-cadre, le prix doit être déterminé ou déterminable par un moyen quelconque arrêté par les parties et ne dépendant ni de la seule volonté de l’une d’entre elles ni d’un accord ultérieur.

Quand les éléments objectifs tirés du contrat le lui permettent, le juge est autorisé à liquider le prix.

Si le prix n’est ni déterminé, ni déterminable, la vente est nulle, de nullité absolue.

Art. 1605 : Le prix peut être laissé à l’estimation d’un tiers. Les parties sont solidairement tenues de sa rémunération.

Si le tiers n’est pas désigné par la convention, à défaut d’accord sur sa désignation après mise en demeure, le juge le nomme. Il en va de même si le tiers ne veut ou ne peut faire l’estimation ou que celle-ci vient à être annulée.

En cas d’erreur grossière commise par le tiers sur la détermination du prix, celle des parties qui se trouve lésée a le choix de faire prononcer la nullité de la vente ou d’accepter la nomination d’un nouveau tiers.

Art. 1606 : La vente conclue pour un prix vil ou symbolique n’est pas nulle pour défaut de prix sérieux si ce prix n’est pas la seule contrepartie du transfert de propriété.

Art. 1607 : Lorsque le prix a été indexé, l’absence, la disparition ou l’inaccessibilité de l’indice est réglée conformément à l’article 1167.

Art. 1608 : Les frais d’actes et autres accessoires à la vente sont, sauf stipulation contraire, à la charge de l’acheteur.

Analyse

Le prix dans la vente

Dans l’avant-projet de réforme des contrats spéciaux, le prix dans la vente fait l’objet de six articles insérés dans le chapitre relatif aux dispositions communes à toutes les ventes et, plus précisément, dans la section attachée au contenu de la vente. Ces articles suivent, à juste titre, ceux qui ont trait au bien vendu. La commission semble avoir eu pour ambition, d’une part, de détailler les règles relatives au prix, particulièrement lapidaires dans le code civil actuel, et de codifier, d’autre part, une jurisprudence qui avait pris le soin d’en préciser le régime. Toujours est-il que certaines dispositions pourraient paraître, en considération du droit commun, au mieux, superflues et, au pire, difficilement compatibles avec celui-ci.

Détermination du prix par les parties et liberté contractuelle

L’avant-projet débute, à l’article 1603, par une réaffirmation de la liberté contractuelle des parties en matière de prix, laquelle serait limitée par la loi qui pourrait en disposer autrement. Comme cela a pu être écrit2, la liberté des parties étant le principe, nul ne pourrait douter du fait que celles-ci puissent, a priori, déterminer sans entrave le montant du prix. Le principe de liberté contractuelle3 figurant aujourd’hui au sein des dispositions liminaires du droit commun des contrats, il a tout lieu de s’appliquer en matière de vente, sans qu’une disposition spéciale soit nécessaire.

De la même façon, dire que le juge ne peut se substituer aux parties pour fixer le prix ou bien « leur imposer une méthode de détermination autre que celle qu’elles auraient prévue »4, c’est simplement rappeler une règle de principe : celle de la force obligatoire des contrats5. C’est bel et bien la force obligatoire qui interdit aux parties de modifier le contrat unilatéralement ou qui fonde la non-immixtion du juge dans le contrat. Ce n’est, en effet, que par exception que le juge peut réviser le contrat6.

Articulation avec les articles 1163, 1164 et 1165 du code civil

Par ailleurs, au sein de l’article 1604, l’adjectif déterminable a été ajouté à celui de « déterminé » de l’article 1591 du code civil7. Il s’agit, encore, d’une redondance au regard de l’article 1163 du code civil qui précise déjà que la prestation, quelle qu’elle soit, doit être « déterminée ou déterminable »8. La réitération de cette règle n’est, toutefois, pas inutile en matière de vente, compte tenu de l’importance de cette détermination. Elle pose, néanmoins, en considération de sa formulation actuelle, un double problème d’articulation.

Avec l’article 1163 du code civil, d’abord, qui énonce, dans son alinéa 3, que la prestation est considérée comme déterminable « lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire ». Or l’article 1604 proposé indique que le prix, s’il n’est pas déterminé, doit être « déterminable par un moyen quelconque arrêté par les parties et ne dépendant ni de la seule volonté de l’une d’entre elles, ni d’un accord ultérieur ». La méthode de déterminabilité du prix dans l’article 1604 du code civil n’est donc pas le décalque de celle du droit commun. De la différence de formulation entre le droit commun et le droit spécial doit-on déduire que la commission a souhaité formuler une règle spéciale, en matière de vente, dérogeant à la règle générale ? L’article 1604 proposé ne mentionne plus, de fait, la référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, cette référence étant difficilement soluble dans l’expression « moyen quelconque arrêté par les parties ». Par ailleurs, elle interdit expressément que la détermination du prix soit laissée à la volonté unilatérale d’une partie. Or cette dernière n’est pas exclue, textuellement, par l’article 1163, ce qui avait questionné la doctrine. Celle-ci avait majoritairement conclu, néanmoins, qu’il convenait de lire l’article 1163 à l’aune des articles 1164 et 1165, ces derniers formant alors des exceptions à l’exclusion implicite de la volonté unilatérale par l’article 1163. Or une lecture a contrario de l’article 1604 de l’avant-projet permettrait de déduire, à l’inverse, que la volonté unilatérale, spécialement exclue du droit de la vente, est un mode de déterminabilité admissible en droit commun.

Avec les articles 1164 et 1165 du code civil, ensuite. L’article 1604, alinéa 1, dispose ainsi que, « sauf lorsque la vente est conclue en exécution d’un contrat-cadre, le prix doit être déterminé ou déterminable ». L’écriture de cet alinéa est, au mieux, maladroite, au pire, en contradiction avec le droit commun. La commission a, sans doute, souhaité faire un renvoi implicite à l’article 1164. Toutefois, littéralement, l’article 1604, alinéa 1 de l’avant-projet signifie que le contrat de vente, conclu en exécution d’un contrat-cadre, est valable, même en l’absence de détermination du prix. Or lorsque l’article 1164 du code civil prévoit que, dans un contrat-cadre, le prix pourra être « fixé unilatéralement par l’une des parties », il ne vise pas le contrat d’exécution. Il a toujours été clair, en effet, que le prix des ventes conclues en exécution du contrat-cadre devait être déterminé ou déterminable au moment de leur conclusion. Autrement dit, le contrat d’exécution du contrat-cadre, s’il prend la forme d’une vente, doit nécessairement prévoir un prix déterminé ou déterminable, ce qui semble être remis en cause par la formulation de l’article 1604 de l’avant-projet.

Nullité absolue ou relative ?

De surcroît, l’indétermination du prix semble être appréhendée, à l’alinéa 3 de l’article 1604, comme une condition d’existence de la vente et donc comme un vice d’une particulière gravité9. Cette approche a ainsi conduit la commission à énoncer que ce vice était sanctionné d’une nullité absolue. Certes, la jurisprudence avait pu sanctionner la violation de l’article 1591 du code civil par la nullité absolue10. La jurisprudence la plus récente avait, toutefois, pris le parti de la nullité relative11. Or cette jurisprudence est confortée par l’article 1179 du code civil qui prévoit que la distinction entre nullité absolue et nullité relative se fait en fonction de l’intérêt protégé par la règle violée. Si cet intérêt est privé, la nullité est relative ; s’il s’agit de l’intérêt général, la nullité est absolue. La réforme du droit commun des contrats a donc opté pour la théorie moderne de la nullité, la théorie classique, fondée sur la gravité du vice, étant définitivement abandonnée. L’alinéa 3 de l’article 1604 a donc le tort de ressusciter la théorie classique de la nullité. En considération du droit commun, la nullité pour violation de la règle de détermination du prix devrait donc être relative, puisque c’est bien l’intérêt privé des contractants qu’il s’agit ici de protéger et non pas l’intérêt général.

La détermination du prix par un tiers

L’article 1605 prévoit, par ailleurs, la possibilité de la détermination du prix par un tiers, déjà appréhendée par l’actuel article 1592 du code civil. Ces derniers énoncent que « le prix peut être laissé à l’estimation d’un tiers ». Or, il s’agit d’une vision réductrice de la mission du tiers, qui ne se limite pas à « estimer » le prix du bien vendu, mais qui consiste à le fixer précisément, comme le ferait un mandataire, tenu à des obligations d’indépendance et de loyauté12.

Le pouvoir de nomination du tiers par le juge

En outre, la combinaison des alinéas 2 et 3 de l’article 1605 interroge.

Dans le premier, il est indiqué qu’au cas où le tiers ne serait pas désigné, ou bien qu’il ne pourrait ou ne voudrait pas faire l’estimation ou encore que celle-ci viendrait à être annulée, le juge « nomme[rait] » le tiers remplaçant à défaut d’accord sur sa désignation. Ces précisions sont opportunes puisque la jurisprudence décidait jusqu’alors que le tiers ne pouvait être choisi par le juge que si le contrat l’avait expressément prévu13. L’utilisation d’un présent d’habitude « le juge le nomme », à connotation impérative, semble indiquer qu’il s’agira là d’un devoir et non d’une simple faculté.

Le second, qui vise l’hypothèse de l’erreur grossière du tiers quant à la détermination du prix, met en place, en faveur de la partie victime, une alternative. Elle pourra soit « faire prononcer la nullité de la vente », soit « accepter la nomination d’un nouveau tiers ». Cette hypothèse se situe, chronologiquement, en aval de la situation exposée par le premier alinéa. Ici, le tiers, désigné par les parties ou bien nommé par le juge, a commis une erreur grossière dans la détermination du prix. Il s’agit donc de savoir quels sont les effets de cette erreur grossière, à la fois sur l’estimation, sur la désignation du tiers et sur le contrat de vente. En droit positif, l’erreur grossière ayant pour effet de « remettre en cause »14 la détermination du prix, les parties doivent s’accorder sur la désignation d’un nouveau tiers, car le juge n’a pas la possibilité de le faire. À défaut de désignation par les parties, la jurisprudence n’a, en revanche, pas tranché la question de savoir si la vente était nulle ou bien si le juge pouvait nommer un nouveau tiers. L’alternative proposée par le texte semble clarifier l’interrogation puisqu’à défaut d’acceptation d’une nouvelle nomination, la vente serait annulée. La difficulté tient ici au vocabulaire utilisé. Si la partie lésée accepte « la nomination d’un nouveau tiers », n’est-ce pas dire qu’elle doit ratifier la nomination faite par le juge ? Alors que le premier alinéa énonce que le juge « nomme », les parties devraient, en revanche, en cas d’erreur grossière, consentir à la nomination par le juge. Cela signifie-t-il qu’en cas d’erreur grossière, les parties ne pourront pas s’accorder sur la désignation d’un nouveau tiers et devront obligatoirement demander la nomination au juge ?

En outre, la construction syntaxique du deuxième alinéa mène à une impasse. Si le juge peut nommer un tiers qui n’a pas été désigné par la convention, en revanche, il ne peut pas faire « de même » dans l’hypothèse où un tiers, désigné par les parties, ne pourrait ou ne voudrait plus effectuer sa mission. Dire que le juge fait « de même », c’est signifier qu’il nommera le même tiers, alors qu’il devrait, dans ce cas, nommer un autre tiers.

Enfin, si les règles relatives à la détermination du prix par les parties ou le tiers sont indispensables, l’utilité des trois derniers articles 1606, 1607 et 1608 envisagés par la commission pose question.

La vente conclue pour prix vil ou symbolique

L’article 1606 proposé énonce qu’une vente conclue pour vil prix ou prix symbolique n’est pas nulle si ce prix n’est pas la seule contrepartie au transfert de propriété. La jurisprudence avait effectivement décidé, en l’absence de texte dans le code civil, que l’acte de cession était nul lorsque le prix n’était pas sérieux, c’est-à-dire qu’il était dérisoire ou vil15. Le vil prix était assimilé, par la jurisprudence, à une absence de prix. L’article 1169 du code civil a consacré, en l’élargissant, ce principe jurisprudentiel. Il énonce, en effet, qu’« un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ». L’article 1606 vient ainsi poser une exception au principe de nullité des ventes à prix vil ou symbolique dès lors que ces dernières sont accompagnées d’une autre contrepartie sérieuse. Toujours est-il que la consécration législative de cette exception est maladroite, tant sur le plan formel que substantiel.

D’une part, sur le plan formel, les expressions de « prix vil », « prix symbolique » et « prix sérieux » sont, certes, celles qui ont été utilisées par la jurisprudence pendant près de sept décennies, mais elles ne correspondent plus aux termes employés par le droit commun. En effet, le prix vil et le prix symbolique ne sont pas autre chose que la « contrepartie dérisoire » prévue à l’article 1169 du code civil16. Une partie de la doctrine17 avait d’ailleurs déjà critiqué l’interchangeabilité des termes de vil prix, de prix non sérieux et de prix lésionnaire. Toujours est-il que le prix dérisoire ou vil renvoie à « l’hypothèse d’un déséquilibre radical, qui confine à l’inexistence »18, c’est-à-dire – avant la réforme – à une variété d’absence de cause19, ce que traduit aujourd’hui implicitement l’expression de contrepartie illusoire ou dérisoire20.

D’autre part, sur le plan substantiel, l’article 1606 suggère que la vente ne sera pas nulle pour prix vil ou symbolique dans le cas où et seulement s’il ne s’agit pas de la seule contrepartie du transfert de propriété.

Or, en premier lieu, la jurisprudence avait considéré qu’un prix symbolique n’était pas toujours dénué de sérieux, notamment lorsque le contrat mettait à la charge du repreneur une prestation en nature correspondant à la valeur du bien cédé. Le contrat ne serait pas nul, faute de prix, mais perdrait sa qualification de vente21. Ainsi, l’article 1606 qui indique que « la vente conclue pour un prix vil ou symbolique n’est pas nulle » est formulé par le biais d’un raccourci. Le prix étant l’un des deux éléments essentiels au contrat de vente, il paraît assez inopportun de conserver la qualification de vente à un contrat dont le prix confine à l’inexistence. La qualification d’échange serait, sans doute, plus appropriée.

En second lieu, un prix vil ou symbolique peut véritablement correspondre à la valeur du bien vendu, notamment en cas de cession d’une entreprise en faillite22. Il en va de même pour les ventes à prix « négatif » dans lesquelles le passif de l’entreprise concernée excède son actif23. L’article 1606, tel que formulé, ne permet pas d’envisager ces hypothèses.

Il demeure que l’emploi du standard de la contrepartie dérisoire par l’article 1169 est bien plus approprié à la résolution de ces problématiques dans la mesure où il implique une mise en balance des contreparties au regard de l’économie globale du contrat. Une disposition spéciale pour la vente semble dès lors revêtir peu d’utilité.

La référence à l’indice

En second lieu, l’article 1607 n’opère qu’un renvoi inutile à l’article 1167 du code civil qui dispose que, « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus ».

La charge des frais et autres accessoires

En dernier lieu, l’article 1608, qui règle la question de la charge des frais et autres accessoires à la vente, n’a pas sa place dans la section relative au contenu de la vente. En effet, l’article 1608 devrait figurer dans la section relative aux effets de la vente et, plus particulièrement, aux obligations de l’acheteur qui résident, justement, dans le paiement du prix, déterminé selon les modalités de la présente section, et des frais de la vente. L’article 1593 du code civil énonce d’ailleurs déjà que l’acheteur a la charge de ces frais, et le présente bien comme une obligation de ce dernier. Cependant, la portée de l’article 1593 avait été réduite à peau de chagrin24, puisque, le texte n’étant pas d’ordre public25, les contractants peuvent tout à fait décider de les faire supporter par le vendeur. Par ailleurs, cet article est inopposable au créancier qui peut, indifféremment, demander le règlement des frais à l’un ou l’autre des contractants26.

Proposition alternative

Art. 1 : Le prix est un élément essentiel de la vente. Il doit être déterminé ou déterminable lors de sa conclusion.

À défaut de détermination du prix, la vente est nulle, de nullité relative.

Cet article est une modification des articles 1603 et 1604 proposés par la commission.

D’abord, plutôt que de réaffirmer la liberté des parties dans la détermination du prix, l’alinéa 1 précise que le prix est un « élément essentiel » au contrat de vente, en réponse à l’actuel article 1114 du code civil qui dispose que l’offre « comprend les éléments essentiels du contrat ». Il faudrait, de la même façon, indiquer que la chose ou le « bien » vendu est un élément essentiel du contrat.

Ensuite, il est indiqué que le prix doit être déterminé ou déterminable, sans autre précision. Le droit commun suffit en effet pour préciser le sens du terme « déterminable ». Quoi qu’il en soit, le contrat de vente, conclu en exécution du contrat-cadre, devra toujours comporter un prix déterminé ou déterminable lors de sa conclusion.

Enfin, l’alinéa 2 énonce que l’indétermination du prix entache la vente d’une nullité relative, et non absolue, et ce, pour deux raisons :

• d’une part, parce la jurisprudence avait opté, à partir des années 2000, pour la nullité relative fondée sur l’intérêt privé du contractant.

• d’autre part, pour éviter toute velléité de retour à la conception classique de la nullité fondée sur la gravité du vice, ce qui serait en contradiction avec le droit commun.

Art. 2 : La détermination du prix peut être confiée à un tiers. Le cas échéant, celui-ci procède à sa fixation de manière loyale et indépendante. Les parties sont solidairement tenues de la rémunération du tiers.

Si le tiers n’est pas désigné par le contrat, et à défaut d’accord entre les parties sur la désignation d’un tiers, le juge procède à sa nomination à la demande de la partie la plus diligente.

Si le tiers ne peut ou ne veut pas procéder à la fixation du prix ou si celle-ci était annulée, faute d’accord entre les parties sur la désignation d’un nouveau tiers, le juge procède à la nomination de ce dernier à la demande de la partie la plus diligente.

En cas d’erreur grossière commise par le tiers dans la détermination du prix, et à défaut d’accord entre les parties sur la désignation d’un nouveau tiers, le juge pourra, à la demande de la partie la plus diligente, procéder à une nouvelle nomination ou bien prononcer la nullité de la vente.

L’article 2 opère une modification formelle et substantielle de l’article 1605 proposé.

D’une part, l’alinéa 1 fixe désormais clairement la fonction et les obligations du tiers qui s’est vu confier la détermination du prix. À la manière d’un mandataire, le tiers ne doit pas seulement effectuer une estimation du prix de la chose vendue mais bien procéder à sa fixation. À ce titre, il est soumis à des obligations de loyauté et d’indépendance.

D’autre part, la cohérence est rétablie entre les alinéas 2, 3 et 4 puisque, d’abord, les hypothèses de non-désignation d’un tiers par les parties et celles dans lesquelles le tiers a été désigné, mais ne veut ou ne peut plus effectuer sa mission, sont formellement séparées. Ensuite, parce qu’en cas d’erreur grossière, les parties retrouvent la possibilité de désigner elles-mêmes un nouveau tiers. C’est, en effet, seulement à défaut d’accord que le juge pourra procéder à une nouvelle nomination du tiers ou bien prononcer la nullité de la vente. L’échange est ainsi sécurisé : la nullité n’interviendra qu’en second recours et l’option est laissée au juge et au choix de la partie lésée.

Art. 3 : Quand les éléments objectifs tirés du contrat le lui permettent, le juge est autorisé à liquider le prix.

La reprise de cet article, sans modification, est, en revanche, parfaitement opportune. Laisser au juge la possibilité de liquider lui-même le prix, sans que les parties soient obligées de recourir à un tiers expert, facilite les échanges et participe de leur célérité.

 

Notes

1. La jurisprudence avait mis fin, le 1er décembre 1995, à une jurisprudence incertaine en matière de détermination du prix dans les contrats-cadres de distribution ; v. Cass., ass. plén., 1er déc. 1995, nos 91-15.578, 91-15.999 et 93-13.688, D. 1996. 13 , concl. M. Jeol , note L. Aynès ; ibid. 1998. 1, chron. A. Brunet et A. Ghozi ; RTD civ. 1996. 153, obs. J. Mestre ; RTD com. 1996. 316, obs. B. Bouloc ; ibid. 1997. 1, étude M. Jeol ; ibid. 7, étude C. Bourgeon ; ibid. 19, étude C. Jamin ; ibid. 37, étude T. Revet ; ibid. 49, étude D. Ferrier ; ibid. 67, étude M. Pédamon ; ibid. 75, étude P. Simler .

2. M. Latina, Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux : droit commun et règles supplétives, Dalloz actualité, 20 mai 2022.

3. C. civ., art. 1102.

4. Il s’agit ici de la consécration d’une jurisprudence constante, v. Civ. 1re, 24 févr. 1998, n° 96-13.414 P, D. 1998. 90 ; RTD civ. 1998. 898, obs. J. Mestre ; D. Affaires 1998. 531, obs. J. F ; BJS 1998. 465, note Couret ; 19 janv. 1999, n° 97-10.696 P, CCC 1999, n° 52, note Leveneur (fixation judiciaire du prix par des éléments extérieurs à la convention des parties.

5. C. civ., art. 1193.

6. C. civ., art. 1995.

7. C. civ., art. 1591 : « Le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ».

8. La commission, à ce titre, a également pris le soin d’intégrer une jurisprudence constante qui considérait que le prix était bien déterminable lorsque celui-ci était « lié à la survenance d’un événement futur ne dépendant pas de la seule volonté de l’une des parties ni d’accords ultérieurs entre elles », v. Com. 7 avr. 2009, n° 07-18.907, Dalloz actualité, 29 avr. 2009, obs. X. Delpech ; D. 2009. 2731 , note P.-G. Marly ; ibid. 2010. 1043, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2009. 321, obs. B. Fages .

9. De la même façon, v. A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux et commerciaux, 14e éd., LGDJ, coll. « Précis Domat », 2021, p. 49, n° 35.

10. Civ. 3e, 29 juin 1994, nos 92-15.929 et 92-17.763, RDI 1995. 120, obs. J.-C. Groslière et C. Saint-Alary-Houin ; Com. 12 nov. 1997, n° 96-11.147.

11. Civ. 3e, 21 sept. 2011, n° 10-21.900, Dalloz actualité, 4 oct. 2011, obs. C. Dreveau ; D. 2011. 2711 , note D. Mazeaud ; ibid. 2012. 459, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; RDI 2011. 623, obs. M. Poumarède ; 24 oct. 2012, n° 11-21.980, AJDI 2013. 137 ; ibid. 540 , obs. S. Porcheron ; 11 févr. 2014, n° 12-25.756.

12. Sur ce point v. A. Bénabent, op. cit., n° 34.

13. Com. 26 juin 1990, n° 88-14.444 P, Rev. sociétés 1993. 96, note I. Urbain-Parleani ; RTD civ. 1991. 113, obs. J. Mestre ; ibid. 356, obs. P. Rémy ; RTD com. 1991. 87, obs. B. Bouloc .

14. Com. 6 juin 2001, n° 98-18.503 ; 4 févr. 2004, n° 01-13.516, D. 2004. 2330 , note C. Bloud-Rey ; Rev. sociétés 2004. 863, note J. Moury ; RTD civ. 2004. 310, obs. P.-Y. Gautier ; ibid. 502, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2004. 587, obs. B. Bouloc ; 19 avr. 2005, n° 03-11.790, D. 2005. 1289, obs. A. Lienhard ; ibid. 2950, obs. J.-C. Hallouin et E. Lamazerolles ; RTD civ. 2005. 613, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 2005. 537, obs. C. Champaud et D. Danet ; ibid. 2006. 183, obs. B. Bouloc .

15. Civ. 16 nov. 1932, S. 1934. 1. 1, note Esmein ; Com. 25 avr. 1967, Bull. civ. III, n° 168 ; Civ. 1re, 20 oct. 1981, Bull. civ. I, n° 301.

16. V. Rép. civ, Vente : formation, par O. Barret et P. Brun.

17. B. Starck, H. Roland et I. Boyer, Les obligations. Tome 2. Contrat, Litec, 1998, n° 988 ; G. Chantepie, Sanction par la nullité absolue de la vente consentie sans prix sérieux, D. 2008. 954 .

18. G. Chantepie, art. préc. ; J. Carbonnier, « Vers le degré zéro du droit : de peu, de tout et de rien », in Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 2001, p. 89.

19. Civ. 3e, 13 nov. 1986, Bull. civ. III, n° 160 ; 16 juill. 1998, Bull. civ. III, n° 169 ; D. 1998. IR. 191.

20. Le lien entre la contrepartie illusoire et dérisoire et l’absence de cause était d’ailleurs explicite dans l’avant-projet Catala qui disposait, à son article 1125 que « l’engagement est sans justification, faute de cause réelle, lorsque, dès l’origine, la contrepartie convenue est illusoire ou dérisoire ».

21. Civ. 3e, 26 sept. 2007, n° 06-16.292 ; P.-Y. Gautier, Vente à un euro : les autres contreparties du transfert de propriété doivent être dûment établies, RTD civ. 2005. 157  : « Tout ce qu’on pourrait en tirer serait une requalification du contrat de la vente en… autre chose ; pas un échange, mais un contrat innommé ».

22. Com. 22 févr. 1983, Bull. civ. IV, n° 72 ; Civ. 1re, 12 déc. 1984, Gaz. Pal. 1985. 2. Somm. 143 ; Com. 3 janv. 1985, Bull. civ. IV, n° 8 ; Civ. 3e, 3 mars 1993, n° 91-15.613 P, RTD civ. 1994. 124, obs. P.-Y. Gautier ; RTD com. 1993. 665, obs. C. Champaud et D. Danet .

23. Com. 6 janv. 1987, Rev. sociétés 1987. 597, note Randoux.

24. Sur ce point, v. Rép. civ., Vente : effets – Obligation de payer le prix, par O. Barret, P. Brun, nos 780 s.

25. Civ. 23 déc. 1931, Gaz. Pal. 1932. 1. 433.

26. Le notaire, par exemple, peut demander aux deux parties la paiement de ses honoraires au regard de l’acte authentique qu’il a établi pour la vente d’immeuble, v. Civ. 30 janv. 1889, DP 1889. 1. 400 ; 23 et 29 oct. 1889, DP 1890. 1. 390.