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Le droit en débats

Avocats : pourquoi une CRPC disciplinaire serait utile ?

Le vendredi 14 janvier 2022 a été présenté à l’assemblée générale du Conseil national des barreaux1 par Madame la Bâtonnière Laurence Junod-Fanget, présidente de la commission règles et usages de cette institution et membre élue du collège ordinal province, un rapport très pertinent intitulé « Réforme de la procédure disciplinaire applicable aux avocats ». À la page 6 de ce rapport, il est proposé d’instituer une procédure disciplinaire simplifiée. Cette proposition n’est pas nouvelle puisqu’elle avait été déjà formulée par la même commission sous les précédentes mandatures. Ce dispositif innovant a été défendu par la Conférence des bâtonniers de France2, notamment à travers les actions menées par son président Bruno Blanquer ainsi que par sa commission discipline.

Par Patrick Lingibé le 10 Janvier 2023

Loin de cultiver l’entre-soi reproché souvent à tort à la profession d’avocat (on se rencontre que les sanctions prononcées par les conseils régionaux de discipline CRD à l’égard des avocats poursuivis sont souvent adoucies par les cours d’appel), l’objectif de cette proposition innovante était justement de permettre aux autorités de poursuite d’avoir un outil efficace pour traiter très rapidement les « petites incivilités » pour lesquelles le recours à la procédure disciplinaire ordinaire reste inadapté, notamment en raison de sa lourdeur et de sa durée. Le Conseil national des barreaux proposait donc de mettre en place un mécanisme qui était calqué sur la procédure de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ou « du plaidé coupable » adapté à la sphère disciplinaire.

Pour rappel, prévue par les articles 495-7 à 495-16 du code de procédure pénale, la CRPC est une procédure qui permet de juger rapidement l’auteur d’une infraction. Trois conditions doivent être réunies pour l’appliquer : la première est que la personne mise en cause doit être majeure au moment des faits ; la deuxième suppose que la personne mise en cause ait reconnu les faits qui lui sont reprochés ; la troisième est que cette procédure simplifiée est limitée uniquement à la commission de certains délits. La proposition de peine convenue avec l’auteur doit être homologuée par un juge du siège. Du côté de la victime, celle-ci doit être informée sans délai de la mise en œuvre de cette procédure avant l’audience d’homologation et elle est entendue lors de cette audience si elle est présente. Elle peut faire valoir ses demandes d’indemnisation.

C’est donc un décalque de cette procédure pénale simplifiée qui était proposée par l’organe représentatif de la profession d’avocat, la procédure disciplinaire simplifiée présentée garantissant en tout état de cause d’une part, les droits de défense de l’avocat poursuivi et d’autre part, le sacramentel principe d’impartialité.

En effet, en premier lieu, le champ de cette procédure simplifiée proposée serait limité drastiquement dans son champ aux seules petites infractions de nature disciplinaire. Ainsi, à l’instar du procureur en matière de CRPC, le bâtonnier aurait la possibilité, après que l’avocat concerné ait été à même de faire valoir ses observations sur les faits reprochés ou dûment convoqué à cette fin, de proposer une sanction disciplinaire limitée aux sanctions de l’avertissement et du blâme, telles que prévues à l’article 184 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié organisant la profession d’avocat ainsi qu’aux peines complémentaires relatives à l’obligation d’effectuer une formation complémentaire en déontologie et à la publicité de la décision, à l’exclusion de toute autre sanction.

En deuxième lieu, au niveau de la transparence de la procédure vis-à-vis de l’avocat poursuivi. Ainsi, il a été prévu que cette proposition de sanction disciplinaire soit obligatoirement notifiée au domicile professionnel de l’avocat par courrier recommandé avec demande d’avis de réception, laquelle devrait contenir impérativement l’indication détaillée des faits reprochés à l’avocat et les pièces éventuelles.

En troisième lieu, au niveau de la protection des droits de la défense. Ainsi, l’avocat poursuivi disposerait d’un délai de quinze jours à compter de la première présentation du courrier à son domicile professionnel, pour accepter ou refuser la sanction proposée, sans préjudice de la reconnaissance de l’ensemble des faits reprochés. L’absence de réponse de sa part dans le délai vaudrait ainsi en tout état de cause refus. Par contre, en cas d’acceptation de la sanction proposée, le bâtonnier devrait dans ce cas saisir dans le délai d’un mois la juridiction disciplinaire, aux fins d’homologuer la sanction proposée. La juridiction disciplinaire, se réunirait, le cas échéant en formation restreinte, à bref délai, pour homologuer ou refuser d’homologuer la sanction proposée. En cas d’homologation, la juridiction disciplinaire devrait informer sans délai le procureur général de sa décision par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

En quatrième lieu, au niveau de la garantie des droits du plaignant et le regard d’une autorité externe à la profession. Ainsi, le procureur général pourrait en tout état de cause s’opposer à la décision dans le délai de huit jours à compter de la première présentation de la lettre recommandée. Il est rappelé qu’en application du dernier alinéa de l’article 197 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié organisant la profession d’avocat, c’est au procureur général que revient la mission d’assurer et de surveiller l’exécution des peines disciplinaires prononcées à l’encontre d’un avocat. Cette autorité de poursuite externe à la profession devra dans ce cas notifier son opposition à la juridiction disciplinaire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Il devrait adresser également pour information copie au bâtonnier et à l’avocat poursuivi. L’intervention du procureur général proposée constituerait une garantie pour le plaignant, cette autorité pouvant juger que la procédure de CRPC disciplinaire utilisée dans les circonstances de l’espèce ne serait pas compatible avec la gravité des faits commis par l’avocat poursuivi.

Enfin en cinquième lieu, au niveau de la poursuite de l’action disciplinaire. En effet, en tout état de cause, en cas de refus d’homologation ou en cas d’opposition du procureur général à la décision d’homologation, le bâtonnier ou le procureur général pourraient toujours engager la procédure disciplinaire ordinaire à l’encontre de l’avocat poursuivi. En cas d’homologation et d’absence d’opposition du procureur général, la décision deviendrait définitive et pourrait être versée au dossier de l’avocat poursuivi.

La procédure disciplinaire simplifiée constituerait une dérogation à la procédure disciplinaire ordinaire. Elle relèverait à ce titre, par principe, de la compétence du législateur en application des dispositions de l’article 34 de la Constitution.

Il serait donc opportun que le législateur soit saisi d’un projet ou d’une proposition de loi afin de permettre au pouvoir règlementaire de fixer les modalités d’une telle procédure disciplinaire simplifiée. Elle permettrait ainsi d’instituer un outil efficace dans les mains des autorités de poursuite que sont les bâtonniers et les procureurs généraux afin que soit sanctionné très rapidement un certain nombre d’infractions disciplinaires vénielles. Ce dispositif permettrait d’apporter une réponse rapide aux plaignants, à l’instar de la procédure de la CRPC pour un certain nombre d’infractions pénales. En effet, l’objectif de l’instauration de ce disciplinaire simplifié demandé par les instances de la profession est avant tout d’apporter une réponse très rapide et très diligente à l’auteur d’une réclamation lorsque des faits non graves reprochés sont reconnus par l’avocat poursuivi.

 

Partie du projet de texte concernant la procédure disciplinaire simplifié adopté du 14 janvier 2022 par l’assemblée générale du Conseil national des barreaux :

« Chapitre V : Procédure disciplinaire

Section I : La procédure disciplinaire simplifiée

Article 189 (nouveau)

Le Bâtonnier de l’Ordre peut décider de mettre en œuvre la procédure disciplinaire simplifiée.

La procédure disciplinaire simplifiée ne peut donner lieu qu’aux sanctions de l’avertissement et du blâme telles que prévues à l’article 184 ainsi qu’aux peines complémentaires relatives à l’obligation d’effectuer une formation complémentaire en déontologie et à la publicité de la décision, à l’exclusion de toute autre sanction.

Article 189-1 (nouveau)

Le Bâtonnier de l’Ordre, après avoir convoqué ou dûment entendu l’avocat poursuivi, assisté le cas échéant par son conseil, lui propose l’une des sanctions prévues à l’article 189. Cette proposition de sanction, notifiée au domicile professionnel de l’avocat par courrier recommandé avec demande d’avis de réception, contient l’indication détaillée des faits reprochés à l’avocat et les pièces éventuelles.

L’avocat poursuivi dispose d’un délai de quinze jours, à compter de la première présentation de la lettre prévue à l’alinéa précédent, pour accepter ou refuser la sanction proposée, sans préjudice de la reconnaissance de l’ensemble des faits reprochés.

L’absence de réponse de sa part dans le délai vaut refus.

Article 189-2 (nouveau)

En cas d’acceptation de la sanction proposée, le bâtonnier saisit dans le délai d’un mois la juridiction disciplinaire aux fins d’homologuer la sanction proposée. Il lui transmet une copie du courrier visé à l’article 189-1 avec ses pièces.

La juridiction disciplinaire se réunit à bref délai, le cas échéant en formation restreinte, pour homologuer ou refuser d’homologuer la sanction proposée.

En cas d’homologation, la juridiction disciplinaire informe sans délai le procureur général de sa décision par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Le procureur général peut s’opposer à la décision dans le délai de huit jours à compter de la première présentation de la lettre recommandée. Il notifie son opposition à la juridiction disciplinaire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Il en adresse copie au bâtonnier et à l’avocat poursuivi.

En cas de refus d’homologation ou en cas d’opposition du procureur général à la décision d’homologation, le bâtonnier ou le procureur général peuvent engager la procédure disciplinaire prévue à la section II.

En cas d’homologation et d’absence d’opposition du procureur général, la décision devient définitive et peut être versée au dossier de l’avocat poursuivi. »

 

 

1. En application du premier alinéa de l’art. 21-1 de la loi n° 71-1130 du 31 déc. 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques le Conseil national des barreaux qui est un établissement d’utilité publique doté de la personnalité morale est chargé officiellement de représenter la profession d’avocat auprès notamment des pouvoirs publics.
2. La Conférence des bâtonniers de France qui fédère la quasi-totalité des barreaux de province s’est particulièrement investie dans la réforme disciplinaire, avec la participation active dans la rédaction de proposition de rédaction de textes communiquées au CNB. Sa commission discipline a réalisé à destination des bâtonnier un guide pratique qui constitue l’outil le plan complet qui existe sur la réforme disciplinaire.