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Le droit en débats

Vers un rééquilibrage sur QPC des dispositions les plus favorables aux locataires de résidence principale ?

La troisième chambre civile de la Cour de cassation a renvoyé le 30 mars devant le Conseil constitutionnel une QPC portant sur l’article 15, III de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989. Elle juge que l’obligation de relogement d’un locataire âgé et démuni qui pèse sur le bailleur lui ayant délivré congé porte une atteinte qui peut être disproportionnée aux conditions d’exercice de son droit de propriété.

Par François de la Vaissière le 05 Avril 2023

Préalable

Il est désormais bien admis que la loi d’ordre public du 6 juillet 1989 régissant les résidences principales contient des dispositions protectrices de l’habitat jugées objectivement très déséquilibrées, en dépit des mentions contraires de son article 1er dernier al. Imposant des relations locatives tant individuelles que collectives à l’équilibre. Or la réglementation issue de l’article 15 de cette loi, relative aux congés, est l’exemple presque caricatural d’un parti-pris du législateur pour sécuriser le sort du preneur, estimé économiquement et intellectuellement plus vulnérable que son bailleur, ce dernier étant supposé bénéficier de l’accès à des conseils avisés.

Droit positif

Ce texte comporte en effet au paragraphe I une limitation des facultés pour le propriétaire de donner congé à l’occupant notamment en cas d’acquisition d’un bien occupé, au paragraphe 2 une limitation des effets du congé pour vendre, avec ouverture d’un droit de préemption principal et subsidiaire, au paragraphe III l’incidence de l’âge du bailleur ou du locataire (ce qui nous occupe présentement), au paragraphe IV la répression de la fraude du bailleur, avec cette singulière observation que la loi n’envisage même pas que la fraude puisse émaner du preneur, ce qui en dit long sur la discrimination induite de la partie mieux nantie. Force est d’admettre qu’on a de longue date toléré cette situation qui est une atteinte manifeste au droit de propriété et au principe émergent dit de proportionnalité parce qu’il est tout aussi évident que l’absence de satisfaction des besoins de logement des Français (500 000 par an en métropole) ne fait que s’aggraver en cas de crise et d’inflation et qu’il faut bien rendre plus accessible l’obtention d’un logement décent, spécialement en zones tendues dont l’on vient d’étendre le territoire, ouvrant ainsi droit à l’encadrement des loyers dans la limite d’un prix administratif au-delà du cumul avec leur plafonnement, qui par l’avantage qu’il procure au locataire ne peut que l’inciter à se maintenir, et donc à réduire le « turn-over locatif ». La reprise par le bailleur ne peut donc être qu’une vision aventureuse !

Les faits de l’espèce et les tenants du problème

C’est dans ce contexte qu’un bailleur envisageant de reprendre pour lui-même au terme de la location, confronté à un arrêt défavorable de la cour d’appel de Paris du 21 juin 2022 dans le cadre de l’action en validité de congé et d’expulsion, a formé un pourvoi en cassation et, par mémoire distinct et motivé comme il se doit, a soutenu par question prioritaire de constitutionnalité (QPC) que l’article 15 susvisé doit être écarté en tant qu’il impose à un bailleur personne physique ou assimilé (société de famille) qui justifie d’un motif légitime de reprise pour habiter un relogement préalable du locataire âgé de plus de 65 ans et à faibles revenus. Plus particulièrement et avec une habileté certaine, la question prioritaire de constitutionnalité argumente en évoquant un bail ancien à faible coût et la situation du local dans une zone devenue depuis la conclusion de la convention dépourvue d’une offre suffisante, pour les raisons précisées ci-avant. Dès lors qu’il n’y a plus de logement adapté disponible pour le primo-locataire, comment pourrait-il y en avoir dans cette zone sous tension pour reloger quelqu’un qui est déjà depuis longtemps lui-même logé dans des conditions le satisfaisant ? C’est cette équation incriminant clairement la crise du logement issue d’une politique gouvernementale pour le moins passive, voire gravement coupable, que la QPC a ciblée, laquelle est déclarée recevable en ce qu’elle incrimine les limites géographiques de l’offre de relogement (qui doit correspondre à celles déterminées par l’article 13 bis de la loi du 1er septembre 1948 auquel il est renvoyé). La réglementation dont s’agit implique non seulement que le local de remplacement réponde à l’ensemble des besoins de toute nature du relogé, mais qu’il bénéficie d’un bon état et d’une hygiène normale – comprendre : sera décent – et devra se situer dans le même arrondissement, canton ou commune limitrophe selon le cas, et sans pouvoir être éloigné de plus de cinq kilomètres.

Le thèse du requérant

Nous sommes donc en présence d’un moyen reposant en réalité sur l’adage « à l’impossible nul n’est tenu », puisque le bailleur astreint au relogement ne peut au surplus trouver dans l’offre locative locale déjà très réduite que des logements à loyers élevés, faute de mieux. Certes, la loi ne mentionne nullement la similitude du niveau du loyer comme condition, mais il est certain que l’évincé ne pourra se satisfaire de conditions nettement plus onéreuses. Et cette condition n’est-elle pas implicite ? Dans cette hypothèse, le conflit se prolongera devant le juge du contentieux de la protection à qui il reviendra d’arbitrer entre la thèse de l’équivalence des locaux et celle d’une nécessaire prise en compte du marché locatif en cause, faute d’un déni de réalité. Mais à partir du moment où le locataire éligible à la protection est par essence dépourvu de ressources adaptées à ces nouvelles exigences pécuniaires, on peut se faire une idée du sort d’une telle contestation devant un juge de proximité. Le succès devant le juge constitutionnel sur l’étendue géographique serait alors une victoire à la Pyrrhus.

La solution selon la Cour de cassation

La réponse apportée par la haute juridiction, ordonnant le renvoi de cette QPC, présupposait qu’il soit retenu une atteinte aux conditions d’exercice du droit de propriété du bailleur (consid. 7) et en second lieu que cette atteinte soit estimée potentiellement disproportionnée dès lors qu’il serait impossible au bailleur de soumettre au locataire âgé, du fait d’un étroit marché locatif – obligatoirement réduit territorialement – une offre répondant à ses besoins, cette notion étant alors envisagée de façon extensive en incluant les capacités financières de l’intéressé (consid. 8).

Incertitude

L’arrêt de renvoi ne donne pas la clé de l’issue, mais il est à noter que le Conseil constitutionnel avait déjà été amené à connaître d’un autre aspect de l’article 15 litigieux, cette fois à propos de la personne à charge du locataire et de l’agrégation de leurs ressources respectives, et qu’il avait statué (décision du 20 mars 2014, n° 2014-691 DC, Dalloz actualité, 27 mars 2014, obs. Y. Rouquet et R. Grand ; AJDA 2014. 655 ; D. 2014. 1844, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; AJDI 2014. 325, point de vue F. de La Vaissière ; JT 2014, n° 163, p. 8, obs. E. Royer ; Constitutions 2014. 169, chron. P. Bachschmidt ; ibid. 364, chron. P. De Baecke ) en censurant la loi ALUR, ce qui avait été ensuite entériné par la loi MACRON la réformant pour partie. Néanmoins il est hasardeux de pronostiquer autre chose que la possible mais non certaine suppression de la nécessaire situation du local de relogement dans les cinq kilomètres de celui loué, car la problématique se situe surtout autour du sous-entendu hélas indiscutable selon lequel il paraît difficile d’imposer à un économiquement faible au surplus affaibli par l’âge de supporter un montant de loyer supérieur non seulement à celui qu’il supporte avant la reprise mais aussi à celui qu’il peut pécuniairement assumer !