Le 29 avril dernier, le juge des référés près le tribunal administratif de Toulouse, saisi sur le fondement de la procédure dite du « référé liberté » a rendu une ordonnance enjoignant à :
« L’administration pénitentiaire (de la maison d’arrêt de Seysses, Haute-Garonne) de dispenser Mme X d’attester sur l’honneur, à l’oral ou l’écrit, ne pas présenter l’un des symptômes du virus covid-19 et ne pas avoir été en contact avec une personne présentant ces mêmes symptômes, aux fins de la laisser accéder à cet établissement dans le cadre de l’audience disciplinaire de son client du jeudi 30 avril 2020 à 14 h 30 ».
Cette décision faisait suite à l’exigence qui avait été formulée par la direction de cet établissement auprès de l’avocat saisi par une personne détenue convoquée par la commission de discipline, consistant à ce que le conseil fournisse le document cité ci-dessus, faute de quoi, il lui serait interdit de pénétrer dans l’établissement pénitentiaire.
L’avocat a eu l’immense mérite de ne pas être « tétanisé » par cette exigence totalement exorbitante et a eu l’excellent réflexe de saisir immédiatement le tribunal administratif d’une procédure de référé liberté, procédure qui présente la particularité de se dénouer dans des délais très rapides d’au maximum 48 heures, ce qui lui permettait, en cas de succès, d’assister son client lors de la commission, fixée le lendemain 30 avril.
Cette décision sanctionne un comportement, encore, hélas, beaucoup trop fréquent, de la part de l’administration pénitentiaire, celui de s’imaginer qu’elle peut encore tout décider, celui de s’imaginer au-dessus de tout contrôle.
Il faut dire que cela a pourtant été le cas durant des décennies. Il est difficile de perdre ce pli !
Jusqu’à la fin des années 1990, rarissimes étaient les décisions sanctionnant l’administration pénitentiaire. Peur des personnes détenues de s’attaquer à cette forteresse qui les écrasait, investissement des avocats proche de zéro, jurisprudence inexistante ou presque, à part quelques arrêts très anciens du Conseil d’État…
Les choses ont fort heureusement changé !
Les juridictions administratives ont commencé à surveiller de beaucoup plus près l’activité de l’administration pénitentiaire, à pointer ses fautes, lourdes pour beaucoup d’entre elles. Le Conseil d’État, en 2003, a réduit le niveau de gravité de la faute permettant d’engager la responsabilité de l’État dans sa fonction pénitentiaire, les décisions se sont multipliées, sans pour autant devenir pléthoriques, leur densité s’est accrue.
Puis vint l’époque de l’instauration d’un contrôle des conditions de détention par les détenus eux-mêmes, cette fameuse vague des expertises de prisons donnant lieu aux premières condamnations de l’État concernant les conditions de détention inhumaines dans les maisons d’arrêt françaises.
Enfin, l’instauration quasi simultanée du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) et du Défenseur des droits, en 2007 pour le CGLPL et en juillet 2008 pour le Défenseur des droits, a accru très sensiblement le contrôle par la société de la forteresse.
Malgré ces contrôles tous azimuts, l’administration pénitentiaire, imperturbablement, continue à agir comme si elle était seule au monde, chaque chef d’établissement, chaque surveillant, imposant sa propre jurisprudence, sa propre loi, tant aux personnes détenues dont elle a la charge qu’aux « intervenants » de toute nature qui pénètrent dans le « domaine pénitentiaire ».
Tout le monde se souvient de cette avocate qui, tentant de rentrer au sein du centre pénitentiaire de Fresnes pour rencontrer un client (on n’y va jamais pour se balader), avait été confrontée à ce surveillant exigeant qu’elle ôte son soutien-gorge !
Loi d’airain du « portique », tant que vous « sonnez », vous ne rentrez pas, qui que vous soyez.
Pour autant que je me souvienne, le tollé qui avait suivi ce qu’il faut bien appeler ce scandale, n’avait que peu secoué l’administration pénitentiaire qui avait soutenu la décision de ce surveillant !
Des expériences pareilles, j’en ai plein la tête.
Il y a quelques années, alors que la maison d’arrêt de Chartres existait encore, je m’y étais rendu pour rencontrer un client, accompagné de deux stagiaires.
Après un accueil glacial de la part d’une surveillante qui refusait l’accès de mes deux stagiaires alors que j’avais organisé leur entrée par télécopie, je me suis dirigé vers le parloir avocat qui était inoccupé et j’ai tenté de m’installer dans un box plus vaste, puisque nous étions quatre en comptant mon client, de surcroît, atteint d’une maladie incurable et dont je sentais bien qu’il supporterait mal d’être confiné dans les autres box, beaucoup plus étroits. Un autre surveillant nous déloge néanmoins vers un box plus petit. Décision personnelle, irrévocable, « parce que ».
Que faire ? Après avoir protesté, nous nous sommes finalement installés - je n’allais pas repartir en laissant mon client sans l’avoir vu. L’entretien s’est déroulé et au terme de celui-ci, j’ai sonné, tapé à la porte durant près d’une heure afin que l’on vienne nous ouvrir. Un surveillant a daigné se présenter. Inutile de dire que j’étais passablement excédé. Je l’ai d’ailleurs fait sentir, d‘une part, à ce surveillant, puis à sa collègue, celle de l’entrée, qui nous a raccompagné vers la porte en me menaçant de « ne pas me laisser ressortir avant de m’avoir dit ce qu’elle avait à me dire ». Une fois dehors, je l’ai entendue crier : « Je vous souhaite de vous tuer sur la route ! ».
Après avoir fait remonter cet incident, j’ai tout de même reçu un courrier d’excuses de la direction de la maison d’arrêt de Chartres que je conserve pieusement !
Cet incident est, certes, beaucoup moins grave que ceux que j’évoque plus haut, mais il reflète aussi cette hostilité latente, cette méfiance que les avocats ressentent lorsqu’ils rentrent en détention pour exercer leurs fonctions.
Faut-il rappeler à l’administration pénitentiaire que, contrairement à ses agents qui ne prêtent serment que depuis 2011, depuis qu’un décret du 30 décembre 2010 a mis en musique les termes de la loi pénitentiaire du 23 novembre 2009 (serment facultatif pour les promotions antérieures au décret), les avocats, eux, sont assermentés depuis la nuit des temps. Lorsqu’ils pénètrent dans un établissement pénitentiaire, leur seul but est de défendre, de faire progresser le droit, et de retourner contre l’État l’arme du droit, pas de susciter des émeutes !
Commentaires
Ces pratiques totalitaires s'estomptent au fil du temps, mais sont encore trop présentes; on est sidéré lorsque l'on prend connaissance des exigences de la direction de la maison d'arrêt de Seysses vis à vis de cette avocate..
Qu'il me soit permis de raconter un tour pendable joué par une avocate parisienne pour visiter l'un de ses clients détenu dans une petite maison d'arrêt du sud de la France. Recevant un courrier de ce dernier lui demandant de venir le rencontrer d’extrême urgence, elle fait ce que bien peu auraient fait et saute dans le train.
Arrivé à destination, elle se précipite à la maison d'arrêt, porteuse de vêtements remis par la famille, sans permis de communiquer, et son tempérament méditerranéen aidant, elle parvient à embobiner le surveillant qui l'accueille afin de pouvoir rencontrer son client sur le champ.
A l'issue de cette visite des plus improvisées, se dirigeant vers la sortie accompagnée par le même surveillant, celui-ci lui demande alors qu'elle franchit la porte :"au fait, qui êtes-vous?" "vous ne le saurez jamais...." puis sans attendre que la porte se referme, elle reprend le chemin de la gare.
On imagine que le surveillant ne s'est pas vanté de cette aventure auprès de sa hiérarchie, et l'on est à peu près assuré que la très grand majorité des avocats sont infiniment plus respectueux des personnels pénitentiaires.
Je lis votre billet de mauvaise humeur et m étonne de votre étonnement face à la bêtise de certains professionnels qui sont à l instar de certains détenus, de vous, de vos collègues, de moi parfois pétris de certitudes, abîmés par la répétition du quotidien, déstabiliser aussi par ce qu ils devraient faire, ce qu ils comprennent qu il faut faire et ce que le droit leur demande de faire, enfin parce que leur morale personnelle voudrait qu ils fissent....tant d injonctions paradoxales parfois teintees par l aigreur de l enfermement et le parfum parfois ennivrant des petites victoires que donnent les petits pouvoirs , oubliant souvant que le respect de la loi grandit que le respect de l autre enrichit....la justice est faite rendue controlee vecue par des hommes c est pour cela qu elle a parfois si vilain visage...La mise hors ban, l enfermement, le confinement sont autant de révélateurs de nos defauts ou sublimateurs de nos qualités.....
L'auteur de cet article a visiblement oublié de citer les avocats ayant introduit (ou tenter) des armes pour leur "client" !
Vous avez entièrement raison.
Mais qui protège l administration penitentiaire et les surveillants....., c est bien la justice !
Surveillant dans le 64.
Il suffit de respecter le reglement et se presenter a la porte sans etre hautain comme certains sont coutumiers des faits
J'ai eu le désarroi de lire beaucoup de choses dans ma vie et malheureusement cet article me sidère.
L'administration est bien des choses, positives comme négatives, mais à quel moment peut on lui reprocher de vouloir se protéger d'un enjeu sanitaire majeur ? C'est impossible. L'avocate semble outrée mais nous, personnel de l'AP, devons depuis le début de l'épidémie, attester également sur l'honneur ne pas avoir eu de symptômes ni aucuns contacts en lien avec le covid-19. Et, contrairement à cette avocate, nous devons le faire quotidiennement.
Concernant l'incident à Fresnes, il y a un règlement, il s'applique à tout le monde et il est inconcevable d'en vouloir à une personne qui a simplement fait son travail.
Ensuite, s'agissant de la CDD, permettez moi d'esquisser un sourire. En effet, j'ai pu en faire quelques-unes dans ma carrière et, en toute honnêteté, je n'ai vu que peu d'avocats défendre avec ferveur leur client.
Pour conclure, nous vivons dans deux mondes différents, le parquet de vos tribunaux étant bien plus propres que nos coursives. Il est aisé de dire que l'AP ne respecte rien quand on ne voit son client que quelques fois par an pendant que nous, surveillants, le gérons quotidiennement. C'est ainsi, il y a des bons et des mauvais dans chaque corps de métier, ce n'est pourtant pas une raison pour TOUS nous dénigrer.
Cher Avocat,
Je lis avec grande attention votre "billet d'humeur" et suis surpris de n'y lire que des choses négatives. Peut être devrions nous équilibrer la balance.
En effet, vous n'êtes pas sans savoir que nous travaillons pour le même ministère et donc pas les uns contre les autres. Pour autant, je pourrais faire montre de nombreux comportements à déboires que vous semblez taire de la part de certain/nés de vos confrères. Quid du conseil qui se déplace pour assister son client et qui se retrouve en train de l'embrasser langoureusement ? Le code de déontologie vous y autorise t'il ? Quid encore de certains qui s'imaginent que le client doit être là immédiatement, et ce, peu importe l'organisation des établissements pénitentiaires, qui, je vous le rappelle, privilégient les mouvements collectifs avant ceux individuels ? Nous ne sommes les larbins de personne, et peu importe le poste que nous occupons, juste les garants d'un service publique. Ce que vous décrivez relève désormais de cas exceptionnels, car ce que vous ne dites pas, j'ose le faire à votre place, c'est que le relationnel avec les défenseurs se sont plus qu'améliorer.
L'histoire du droit ne vous fait pas grâce, vous semblez omettre de raconter, d'échanger autour des déboires ayant également ternis l'image de votre profession. On dit de la justice qu'elle a la mémoire sélective, je tends à comprendre pourquoi aujourd'hui.
Enfin, Maître, heureusement que l'administration penitentiaire ne s'offusque pas chaque fois que l'un de vos confrères s'adresse de manière déplorable à l'un de ses agents, oubliant au passage que vous n'avez d'ordre à donner à personne, car nous pourrions également nous targuer de rédiger des billets d'humeurs aussi long que mes bras.
Cordialement
Je n’apprend rien à personne ,en rappellant donc que La prison est un endroit sensible.
Aux portique tout le monde y est soumis même les directeurs des centres.
Ceci logiquement pour des raisons de sécurité principalement.
Nous surveillants y travaillons avec des moyens de protections ne prévoyant pas de détenus armés en détention.
Nous vivons dans le même espace sans arme ,leur tournons le dos Bien que certains minoritaires peuvent débordé et nous agresser.
D’ou la nécessité absolue de veiller à minimiser la possibilité d’entrée d’arme en détention. Et ce enfin de minimiser les conséquences physiques de ces éventuelles agressions.
Les visiteurs de prisons sont initiés à cette règle, la grande majorité y adhère . Quand ils se rendent en prison, ils font en sorte de ne pas porter de vêtements ou chaussures composés de masse métallique !
Une petite minorité sont dans la provocation et se complaint à médire sur la profession. Profession qui est pour la plupart des surveillants alimentaire et nous sommes nombreux à privilégier le côté social prévu dans la définition de nos missions dans nos relation avec les personnes détenus.
Nous sommes des êtres pourvus d’humanité et sommes pour la plupart très emphatiques .
La règle de zéro tolérance aux portique est pour ma part une condition Sine qua none purement sécuritaire.
Il s'agit bien, je le lis comme tel d'un billet d'humeur. Les avocats ont été les seuls, au nom du respect du droit de la défense d'entrer en détention, malgré la crise sanitaire et tous les efforts pour éviter que le virus ne se propage à l'intérieur des murs de la prison. Même si l'attestation sur l'honneur écrite ou oral était maladroite, elle témoignait du souci de précaution.
Très peu d'avocats ont continué de venir.
La tribune de M Noël est caricaturale de l'administration pénitentiaire.
Vous critiquez un système qui est parti à la dérive , aussi bien de votre côté que du côté de l'AP..... Vous vous étonnez de pratiques qui ne sont pas généralisables, mais qu'il vous plaît de voire complètement établies et fondées; alors que ce n'est pas le cas.... Vous dispensez des commentaires sur ce que vous pensez être un quotidien carcéral inhumain..... Vous réagissez tel un privilégié, portant un regard sur ce qu'il ne vit pas , qu'il ne conçois pas, car trop encré dans son confort d'observateur minimaliste.... La justice , Monsieur, est à l'image de ceux qui la conduisent : elle n'a jamais été impartiale, parce que "humaine"... comment peut-on définir ce qui est juste et injuste, sachant que la justice a changé de visage des milliers de fois au cours de l'histoire de l'humanité. Vos critiques sont acerbes, car elles sont l'incarnation de votre positionnement dans cette histoire.... Au même titre que vous vous permettez de juger ce que vous ne connaissez point; j'exerce mon droit en tant que libre penseur, de faire de même avec vous... Le droit de chaque citoyen , est de vivre libre de toute atteinte physique ou morale sur sa personne. Nous avons soit disant la chance, de vivre dans une société, où, si ce principe n'est pas respecté , on est en capacité de réclamer l'application d'une sanction à l'encontre du contrevenant. Or , dans une période d'instabilité sociale, politique et économique ; provoqué par le COVID 19, les citoyens cherchent à préserver leur vie, et celles dont on leur a confié la responsabilité. Que l'on soit Pénitentiaire, ou personne incarcérée; chaque "vie" compte .... Les précautions ne sont jamais extrêmes, lorsqu'il s'agit de la préserver celle-ci....