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Le droit en débats

Brexit et coopération policière : Tea for two, and two for tea ?

L’espace judiciaire européen, bâti sur les principes de confiance et de reconnaissance mutuelles, permet une coopération pénale renforcée entre ses États membres. Terreau du mandat d’arrêt et du contrôle judiciaire européens, inspirera-t-il des mécanismes similaires au lendemain du Brexit ?

L’un des objectifs fondamentaux de l’Union européenne est d’offrir à ses citoyens un niveau élevé de sécurité au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Afin de prévenir et combattre la criminalité multinationale et transfrontalière, l’Union a développé des mécanismes de coopération policière, bâtis sur le principe d’assistance mutuelle. Cette coopération associe l’ensemble des services répressifs nationaux : services de police, services des douanes et tout autre service spécialisé dans la prévention, la détection et la répression des infractions1.

Cette coopération est engagée à deux niveaux : l’échange d’informations et l’assistance opérationnelle.

Deux canaux majeurs d’échanges d’informations cohabitent, à savoir le système d’échange d’informations Schengen (SIS) et le système d’information d’Europol (SIENA). L’Union permet ainsi la circulation d’informations entre de nombreux acteurs : les services répressifs2, les administrations douanières3, les cellules de renseignements financiers4, les bureaux de recouvrement des avoirs5 et les unités d’informations passagers6. Au-delà de ces deux principaux canaux, il existe aussi un accès automatisé entre fichiers nationaux de collecte des profils ADN, des données dactyloscopiques et d’immatriculation des véhicules7.

Plusieurs mécanismes permettent une assistance opérationnelle, tels que l’assistance entre services de police8, les observations transfrontalières9 et les équipes communes d’enquête10. En outre, en matière douanière, une assistance mutuelle entre administrations a été mise en place afin de prévenir, rechercher, poursuivre et réprimer les infractions douanières et les trafics illicites internationaux par le biais d’équipes communes d’enquêtes, de demandes de surveillances, d’enquêtes, de livraisons surveillées ou encore d’observations transfrontalières11.

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Conformément à l’Accord de retrait entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, s’est ouverte une période de transition depuis le 1er février 2020 et jusqu’au 31 décembre 202012, possiblement prolongeable jusqu’au 31 décembre 202213.

Comment s’articule la coopération des services répressifs durant cette période de transition ? Conformément aux articles 63 et 127 de l’Accord de retrait du 31 janvier 202014, l’assistance mutuelle des services de police et des douanes se poursuivra jusqu’à la fin de la période transitoire.

Aussi, les échanges d’informations sont maintenus pour les demandes reçues avant la fin de la période de transition. En outre, concernant l’accès aux bases de données européennes, l’article 8 de l’Accord de retrait prévoit qu’en principe, « à la fin de la période de transition, le Royaume-Uni n’est plus autorisé à accéder à tout réseau, à tout système d’information et à toute base de données établis sur la base du droit de l’Union ». Par dérogation, après la fin de cette période, le Royaume-Uni est autorisé à utiliser le système SIS15 pendant une durée maximale de trois mois et le système SIENA pendant une durée maximale d’un an.

Les assistances opérationnelles ci-avant présentées se poursuivent en principe lorsque les demandes d’assistance entre services de police ou douaniers ont été reçues avant la fin de la période de transition. Par exception sont maintenues les équipes communes d’enquêtes policières16 et douanières créées avant la fin de cette période. De la même manière, les observations transfrontalières d’urgence menées sans autorisation préalable par les services policiers17 ou douaniers18 se poursuivent si elles ont commencé avant la fin de cette période de transition.

Qu’adviendra-t-il de la coopération policière à la fin de cette période de transition ? Le jour de la conclusion de l’Accord de retrait, l’Union européenne promettait la mise en place d’un « partenariat ambitieux, large, approfondi et souple […] en matière de services répressifs »19. Le projet d’accord proposé par l’Union au Royaume-Uni le 18 mars 202020 prévoit effectivement plusieurs mécanismes de coopération policière inspirés des instruments existants au sein de l’Union.

En matière d’échange d’informations, le projet d’accord prévoit tout d’abord la mise en place d’une coopération entre Europol et les autorités compétentes du Royaume-Uni21. Ce partenariat n’a rien d’inédit dès lors que plusieurs États tiers à l’Union, tels que l’Islande et la Norvège, en bénéficient déjà. Ce projet prévoit également un échange d’informations et de renseignements entre les services répressifs britanniques et européens dans le cadre d’enquêtes pénales ou d’opérations de prévention des infractions22. À cette fin, ces informations pourront être échangées par l’intermédiaire d’Europol23. En revanche, il est précisé qu’aucune donnée traitée dans des bases de données de l’Union ne pourra être fournie au Royaume-Uni24. Le projet d’accord offre cependant des mécanismes de transfert automatisé des profils ADN, de données dactyloscopiques, de données relatives à l’immatriculation des véhicules25 et de données sur les passagers de vols internationaux26 similaires à ceux existants entre États membres.

En matière d’assistance opérationnelle, le projet propose le maintien d’une assistance mutuelle27 permettant notamment la création d’équipes communes d’enquête28. Est également soumis au Royaume-Uni un Protocole d’assistance mutuelle des administrations douanières29 qui reprend la possibilité d’une assistance sur demande ou spontanée dans le but de prévenir et réprimer les fraudes douanières.

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Il semble finalement qu’à l’issue de la période de transition, malgré les nombreux mécanismes de substitution proposés par l’Union, la coopération policière entre le Royaume-Uni et les États membres ne pourra pas être aussi étroite qu’auparavant. En effet, le niveau d’accès à l’information sera nécessairement plus faible en l’absence des mêmes accès aux bases de données SIENA et SIS.

Les inquiétudes quant à la sécurité britannique post-Brexit sont-elles justifiées ? Le Royaume-Uni est un partenaire clé dans la lutte contre le terrorisme en Europe, il apparaît comme le deuxième plus gros contributeur aux systèmes d’information d’Europol30. Or, alors que le risque terroriste n’a pas disparu, le retrait du Royaume-Uni de l’Union réduit dangereusement ses canaux d’évaluation des menaces stratégiques.

Le gouvernement britannique, qui semble souhaiter une coopération policière inchangée, acceptera sans doute les instruments offerts par l’Union dans son projet d’accord mais tentera sûrement de négocier un accès direct aux bases de données européennes. Ses représentants avancent qu’une approche fragmentaire de la future coopération entre le Royaume-Uni et l’Union risquerait de créer des lacunes opérationnelles, affaiblissant ainsi la sécurité des citoyens de toute l’Europe32.

Rob Wainwright, britannique et directeur d’Europol jusqu’en mai 2018, prévenait que les bases de données européennes étaient utilisées quotidiennement par la police britannique et demeuraient indispensables à la sécurité du pays33. En effet, malgré la négociation d’un accès à Europol, le Royaume-Uni deviendra nécessairement un membre de second rang de l’organisation, n’aura pas un accès direct aux bases de données et ne pourra pas diriger de projets opérationnels. En outre, la négociation d’un accès à la base de données SIS, qui n’est pas proposé dans le projet d’accord, pourrait prendre des années.

Il sera tout de même observé que la coopération policière européenne est doublée d’une coopération au niveau international. Aussi, l’absence d’accès aux bases de données européennes posera-t-elle une véritable difficulté au Royaume-Uni ? En effet, le système de signalement de l’organisation mondiale Interpol est encore largement utilisé par les États membres, lesquels ont intérêt à doubler leurs signalements SIS de signalements Interpol dans la mesure où les personnes ou objets recherchés peuvent sortir à tout moment du territoire européen. À en croire la presse d’investigation, les alliés les plus proches du Royaume-Uni, dont la France, auraient assuré les Britanniques qu’ils interrogeraient – contra legem – les bases de données européennes à leur demande s’ils venaient à en être privés d’accès34. Enfin, le Royaume-Uni demeurera membre d’institutions de partage de renseignements en matière antiterroriste telles que le Club de Berne ou le Groupe antiterroriste35.

Partagée entre la nécessité d’un maintien de la sécurité en Europe et la volonté de ne pas accorder tous les avantages de l’espace de liberté, de sécurité et de justice à un Royaume-Uni séparatiste, espérons que l’Union européenne ne fera pas le choix de l’orgueil et saura manœuvrer pour garantir aux citoyens européens une sécurité inchangée.

 

 

Notes

1. TFUE, art. 87.

2. Décis.-cadre 2006/960/JAI du Conseil, 18 déc. 2006, relative à la simplification de l’échange d’informations et de renseignements entre les services répressifs des États membres de l’Union européenne (JO L 386 29 déc. 2006, p. 89).

3. Convention établie sur la base de l’art. K.3 du traité sur l’Union européenne relative à l’assistance mutuelle et à la coopération entre les administrations douanières (JO C 24, 23 janv. 1998) (ci-après « Convention Naples II »).

4. Décis. 2000/642/JAI du Conseil, 17 oct. 2000, relative aux modalités de coopération entre les cellules de renseignement financier des États membres en ce qui concerne l’échange d’informations (JO L 271, 24 oct. 2000, p. 4).

5. Décis. 2007/845/JAI du Conseil, 6 déc. 2007, relative à la coopération entre les bureaux de recouvrement des avoirs des États membres en matière de dépistage et d’identification des produits du crime ou des autres biens en rapport avec le crime (JO L 332, 18 déc. 2007, p. 103).

6. Dir. (UE) 2016/681 du Parlement européen et du Conseil du 27 avr. 2016 relative à l’utilisation des données des dossiers passagers (PNR) pour la prévention et la détection des infractions terroristes et des formes graves de criminalité, ainsi que pour les enquêtes et les poursuites en la matière (JO L 119, 4 mai 2016, p. 132).

7. Décis. 2008/615/JAI du Conseil, 23 juin 2008, relative à l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière.

8. Convention d’application de l’accord de Schengen, 14 juin 1985, art. 39.

9. Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985, art. 40, § 1.

10. Décis.-cadre 2002/465/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative aux équipes communes d’enquête (JO L 162, 20 juin 2002, p. 1).

11. Convention Naples II.

12. Art. 126, Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique du 31 janv. 2002 (JO L 29/66, 31 janv. .2020) (ci-après « Accord de retrait »).

13. Accord de retrait, art. 132.

14. L’article 127 de l’Accord de retrait dispose que « le droit de l’Union est applicable au Royaume-Uni et sur son territoire ». L’article 63 de l’Accord de retrait prévoit pour sa part les dispositions applicables pendant la période transitoire pour les « procédures de coopération des services répressifs, coopération policière et échanges d’informations en cours ».

15. Décis. 2007/533/JAI du Conseil, 12 juin 2007, sur l’établissement, le fonctionnement et l’utilisation du système d’information Schengen de deuxième génération (SIS II). Les « signalements » se définissent comme l’ensemble des données introduites dans le SIS II pour permettre aux autorités compétentes d’identifier une personne ou un objet en vue de tenir une conduite particulière à son égard. Les « informations supplémentaires » sont les informations non stockées dans le SIS II, mais en rapport avec des signalements introduits dans le SIS II, échangées entre États membres lorsqu’ils se consultent ou s’informent mutuellement lors de l’introduction d’un signalement. Ces informations pourront être échangées avec le Royaume-Uni « pendant une durée maximale de trois mois après la fin de la période de transition ».

16. L’art. 62 de l’Accord de retrait prévoit le maintien des équipes policières communes d’enquêtes créées pendant la période de transitions.

17. Convention d’application de l’accord de Schengen, 14 juin 1985, art. 40, § 2.

18. Convention Naples II.

19. Déclaration politique fixant le cadre des relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni du 31 janvier 2020 (2020/C 34/01).

20. Projet d’accord sur le nouveau partenariat entre l’Union européenne et le Royaume-Uni du 18 mars 2020 (ci-après « projet d’accord »).

21. Projet d’accord, partie III, chap. 5 « Cooperation with Europol », p. 246.

22. Projet d’accord, partie III, chap. 4 « Cooperation on operational information », p. 243.

23. Projet d’accord, partie III, chap. 4 « Cooperation on operational information », art. LAW.OPIN.45 « Communication channels and language », p. 246.

24. L’art. LAW.OPIN.38 du projet d’accord dispose : « No data processed in databases established on the basis of Union law shall be provided to the United Kingdom in response to a request under this Chapter ».

25. Projet d’accord, partie III, chap. 2 « Exchanges of DNA, Fingerprints and vehicle registration data (“PRUM”) », p. 229.

26. Projet d’accord, partie III, chap. 3 « Transfer and processing of passenger name record data (PNR) », p. 235.

27. Projet d’accord, partie III, chap. 8 « Mutual assistance », p. 271.

28. Projet d’accord, partie III, chap. 8 « Mutual assistance », art. LAW.MUTAS.119, p. 274.

29. « Protocol on mutual administrative assistance in customs matters » (p. 402 à 407).

30. Question avec demande de réponse écrite E-000443-19 à la Commission du 28 janv. 2019.

31. Rapport annuel 2019 d’Europol sur la situation et les tendances en matière de terrorisme au sein de l’Union européenne.

32. « UK calls for treaty on post-Brexit security cooperation with EU », The Guardian, 18 sept. 2017.

33. « Europol chief says Brexit would harm UK crime-fighting », The Guardian, 22 juin 2016.

34. M. Suc, « Les services secrets britanniques ne veulent pas du Brexit », Médiapart, 17 oct. 2019.

35. Le Club de Berne, fondé en 1971, est un forum des services de renseignement des 27 États de l’Union européenne auxquels s’ajoutent la Norvège et la Suisse. Cette institution repose sur une démarche volontaire d’échange d’expériences, points de vue et difficultés communes aux services de renseignement européens. Le Groupe antiterroriste (GAT) est un groupe restreint du Club de Berne, dédié au partage de renseignements en matière de terrorisme.