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Le droit en débats

Brexit et mandat d’arrêt européen : will we believe in yesterday ?

L’espace judiciaire européen, bâti sur les principes de confiance et de reconnaissance mutuelles, permet une coopération pénale renforcée entre ses États membres. Terreau du mandat d’arrêt et du contrôle judiciaire européens, inspirera-t-il des mécanismes similaires au lendemain du Brexit ?

Le mandat d’arrêt européen (MAE) est « une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté »1. Rupture substantielle et formelle avec les règles de l’extradition, il se caractérise par une procédure dépolitisée entièrement judiciarisée, une généralisation de la remise des nationaux, une suppression partielle du contrôle de la double incrimination pour les infractions graves et un encadrement des motifs de refus.

Dans le cadre de la mise en œuvre du Brexit, conformément à l’accord de retrait du 31 janvier 20202, s’ouvre une période de transition jusqu’au 31 décembre 2020, prolongeable deux ans par consentement mutuel avant le 1er juillet 2020, durant laquelle et sauf exceptions prévues dans l’accord de retrait, « le droit de l’Union est applicable au Royaume-Uni et sur son territoire »3.

Qu’adviendra-t-il des MAE émis avant et durant cette période ? L’article 62 de l’accord précise que la décision-cadre sur le MAE s’appliquera dès lors que « la personne recherchée a été arrêtée avant la fin de la période de transition aux fins de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, quelle que soit la décision de l’autorité judiciaire d’exécution quant au maintien en détention ou à la mise en liberté provisoire de la personne recherchée »4.

Cependant, l’article 185 de l’accord prévoit une faculté, pour les États membres, de refuser, à l’avenir, d’extrader leurs ressortissants au Royaume-Uni en exécution d’un MAE, nonobstant l’absence de motif de non-exécution du MAE5. L’Allemagne, l’Autriche et la Slovénie ont actionné cette faculté et n’ont donc plus à motiver leur refus d’exécuter un MAE6.

Le Royaume-Uni n’a, pour sa part, pas déclaré qu’il refuserait l’extradition des ressortissants britanniques vers ces trois pays. Le délai d’un mois dont il disposait pour ce faire a expiré. Les juridictions britanniques pourront toujours fonder leur refus sur le droit à un procès équitable, comme l’a fait en 2018 la Cour suprême d’Irlande, approuvée par la Cour justice de l’Union européenne, s’agissant d’un mandat requis par la Pologne7.

Quels accords se substitueront au MAE au lendemain du Brexit ? Dans la déclaration politique consécutive à l’accord de retrait, il est précisé que « les parties devraient mettre en place des arrangements effectifs reposant sur des procédures simplifiées et des délais permettant au Royaume-Uni et aux États membres de remettre des suspects et des condamnés avec efficacité et rapidité, avec des possibilités de déroger à l’exigence de double incrimination et de déterminer l’applicabilité de ces arrangements à ses propres ressortissants ainsi que pour les infractions politiques »8.

Le 18 mars 2020, la Commission européenne a transmis au Royaume-Uni un projet d’accord, à la suite d’une consultation des instances européennes9. Il reprend presque verbatim l’accord relatif à la procédure de remise conclu en 2006 entre la Norvège, l’Islande et les États membres10. Il s’agit d’une procédure simplifiée inspirée du MAE, avec une plus grande liberté de choix incarnée par un système de « déclarations » des États.

La compétence ratione materiae du MAE, à savoir « des faits punis par la loi de l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’un maximum d’au moins douze mois ou, lorsqu’une condamnation à une peine est intervenue ou qu’une mesure de sûreté a été infligée, pour des condamnations prononcées d’une durée d’au moins quatre mois »11 est reprise à l’identique dans ce projet d’accord12. À l’image du MAE et de la procédure de remise prévue par l’accord de 2006 avec la Norvège et l’Islande, la procédure est entièrement judiciarisée sans intervention du pouvoir politique13. L’autorité chargée d’exécuter le MAE est, par principe, l’autorité judiciaire compétente, mais les États peuvent désigner une autorité centrale pour ce faire14.

Le projet d’accord offre aux États la possibilité de renoncer au contrôle de la double incrimination par déclarations sur la base d’une réciprocité15, pour les trente-deux infractions pour lesquelles ce contrôle a été supprimé dans le cadre du MAE16. Le Royaume-Uni n’avait pas renoncé à exercer ce contrôle dans le cadre de la procédure de remise prévue par l’accord de 2006 avec la Norvège et l’Islande17. En fera-t-il de même à l’égard des États membres ?

Les motifs traditionnels de refus en droit commun de l’extradition, à savoir la nationalité du ressortissant18 et le caractère politique de l’infraction19, demeurent également ouverts aux parties alors qu’ils n’existent pas dans le cadre du MAE. Le Royaume-Uni n’a toutefois pas déclaré retenir ces motifs dans ses relations avec la Norvège et l’Islande20. Peut-être prendra-t-il la même décision à l’égard des États membres ? La clause de non-discrimination21, motif de non-exécution facultative, transposé volontairement par certains pays dont le Royaume-Uni, dans le cadre du MAE, est expressément consacrée22. Les motifs de non-exécution obligatoire (amnistie, principe de non bis in idem et minorité pénale) et facultative (prescription, classement sans suite, poursuite des mêmes faits, etc.) du MAE ont été repris à l’identique23. Dans l’Extradition Act de 2003, le Royaume-Uni avait ajouté un motif fondé sur la sécurité nationale, peut-être l’inclura-t-il dans ses négociations avec les États membres24.

Le projet d’accord garantit, entre autres, à la personne arrêtée les droits procéduraux acquis, au fil des directives européennes, dans le cadre du MAE25. En effet, il lui est remis dans les meilleurs délais une letter of rights contenant des informations sur ses droits et le droit d’être entendu par une autorité judiciaire si la personne recherchée ne consent pas à la remise.

Ont notamment été garantis le droit à la traduction du mandat et à l’interprétation durant la procédure, le droit effectif26 à un avocat dans le pays émetteur qui assiste l’avocat du pays récepteur, le droit effectif27 à l’aide juridique dans l’État de réception jusqu’à la décision finale d’exécution (ou non) du mandat, le droit d’informer une personne sans retard indu sauf circonstances exceptionnelles limitativement énumérées28, le droit de communiquer avec un tiers, le droit d’informer les autorités consulaires du pays d’exécution, si le ressortissant est étranger. Les droits spécifiques prévus pour la personne mineure arrêtée ont également été repris29. Ces droits ne sont pas garantis avec la même précision dans le cadre de la procédure de remise prévue par l’Accord de 2006 avec la Norvège et l’Islande30. La Commission européenne a prévu, dans son projet d’accord, des garde-fous aux droits acquis dans le cadre du MAE, bien que la Cour de justice de l’Union européenne ait jugé qu’il n’existe aucun « motif sérieux et avéré de croire que la personne faisant l’objet dudit mandat d’arrêt européen risque d’être privée des droits reconnus par la Charte et la décision-cadre à la suite du retrait de l’Union de l’État membre d’émission »31.

Le Royaume-Uni acceptera-t-il le projet soumis par la Commission européenne le 18 mars 2020 ? Le MAE survivra-t-il au Brexit en revêtant le costume des pays nordiques sur lequel ont été minutieusement cousus les droits procéduraux garantis par l’Union ? À défaut d’accord, les demandes de remise seront fondées sur les conventions du Conseil de l’Europe, dont la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957.

Si ce devait être le cas, les droits fondamentaux incarneront, une fois de plus, un pont indéfectible entre les États membres et le Royaume-Uni, permettant le maintien d’une coopération judiciaire renforcée au-delà de l’appartenance à l’Union européenne. When all our troubles will seem so far away, we’ll believe in yesterday…

 

 

Notes

1. Art. 1er de la décis.-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JOUE L 190, 18 juil. 2002), transposé en droit français par l’art. 17 de la L. n° 2004-204, 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, modifiant le titre X du livre IV du code de procédure pénale et créant un chapitre IV intitulé « Du mandat d’arrêt européen et des procédures de remise entre États membres résultant de la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 13 juin 2002 », contenant les art. 695-11 à 695-51, C. pr. pén. (ci-après « décision-cadre du 13 juin 2002 »).

2. Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique du 31 janvier 2020 (ci-après « accord de retrait du 31 janv. 2020 ») (JOUE L 29/66 du 31 janv. 2020).

3. Accord de retrait, 31 janv. 2020, art. 127.

4. L’art. 62 s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence la Cour de justice de l’Union européenne qui avait précisé le 19 septembre 2018 que la notification d’une décision de retrait de l’Union est sans incidence sur l’exécution d’un mandat d’arrêt européen (CJUE 19 sept. 2018, aff. C-327/18, PPU RO). Lorsque l’autorité judiciaire d’émission compétente a des doutes sur le fait que la personne recherchée a été arrêtée conformément à la décision-cadre du 13 juin 2002, avant la fin de la période de transition, elle peut demander confirmation de l’arrestation à l’autorité judiciaire d’exécution compétente, dans les dix jours suivant la fin de la période de transition. Sauf si elle a déjà fourni une confirmation, cette dernière est tenue de répondre dans un délai de dix jours à compter de la réception de la demande (Accord de retrait, 31 janv. 2020, art. 64).

5. Accord de retrait, 31 janv. 2020, art. 185.

6. Déclaration de l’Union européenne faite conformément à l’article 185, 3e al., de l’Accord sur le retrait du 31 janvier 2020 (JOUE L 29/188, 31 janv. 2020).

7. CJUE 19 sept. 2018, aff. C-327/18, RO ; dans cette décision, la Cour de justice de l’Union européenne précise qu’un État membre peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen en raison « des défaillances systémiques et généralisées du pouvoir judiciaire de l’État membre d’émission » (Dalloz actualité, 7 sept. 2018, obs. P. Dufourq).

8. Pt 87 de la déclaration politique fixant le cadre de relations futures entre l’Union européenne et les États membres (JOUE C 34, 31 janv. 2020).

9. Projet d’accord sur le nouveau partenariat entre l’Union européenne et le Royaume-Uni du 18 mars 2020 (ci-après « projet d’accord du 18 mars 2020 »).

10. Accord entre l’Union européenne et la République d’Islande et le Royaume de Norvège relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne et l’Islande et la Norvège (JOUE L 292 du 21 oct. 2006).

11. Décis.-cadre, 13 juin 2002, art. 2, § 1.

12. Projet d’accord, 18 mars 2020, art. 78.

13. Projet d’accord, 18 mars 2020, art. 84, § 1, “Determination of the judicial competent authorities”, p. 260 ; décis.-cadre, 13 juin 2002, consid. 5.

14. Projet d’accord, 18 mars 2020, art. 84 et 85, reprenant les art. 6 et 7 de la décis.-cadre de 2002.

15. Projet d’accord, 18 mars 2020, art. 78, § 4.

16. Décis.-cadre, 13 juin 2002, art. 2, § 2. Les infractions visées doivent être punies dans l’État membre d’émission d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté d’au moins trois ans.

17. C. Guillard, Mandat d’arrêt européen et retrait d’un État membre de l’Union européenne, Rev. UE 2020. 81 .

18. Projet d’accord, 18 mars 2020, art. 82, « Nationality exception », p. 260. Cette option est prévue dans les mêmes conditions à l’art. 7 de l’accord entre les États membres et la Norvège et l’Islande.

19. Projet d’accord, 18 mars 2020, art. 81, « Political offence exception », p. 259. Si les parties peuvent déclarer refuser d’exécuter la procédure de remise au regard du caractère politique de l’infraction, il existe des exceptions. En effet, pour les infractions terroristes des articles 1 et 2 de la Convention européenne de suppression du terrorisme, l’association de malfaiteur visée à l’article 78, § 3, du projet, en vue de commettre un des actes des articles susmentionnés et autres que celles incriminées à l’article 3 et 14 de la directive du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme l’exécution de la procédure de remise ne pourra pas être refusée. Cette option est prévue dans les conditions similaires à l’article 6 de l’accord entre les États membres et la Norvège et l’Islande.

20. C. Guillard, Mandat d’arrêt européen et retrait d’un État membre de l’Union européenne, art. préc.

21. La clause de non-discrimination correspond à une transposition du considérant n° 12 de la décision-cadre du 13 juin 2002 en vertu duquel « rien dans la présente décision-cadre ne peut être interprété comme une interdiction de refuser la remise d’une personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen s’il y a des raisons de croire, sur la base d’éléments objectifs, que ce mandat a été émis dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité, de sa langue, de ses opinions politiques ou de son orientation sexuelle, ou qu’il peut être porté atteinte à la situation de cette personne pour l’une de ces raisons ».

22. Projet d’accord, 18 mars 2020, art. 80, i), « Other grounds for non-execution of the arrest warrant », p. 259. Ce motif de refus n’était prévu tel quel dans la décision-cadre, ni dans l’accord avec les pays nordiques.

23. Décis.-cadre, 13 juin 2002, art. 3 et 4 ; Projet d’accord, 18 mars 2020, art. 79 et 80 (p. 257 à 259).

24. L’article 208 de l’Extradition Act prévoyait la possibilité pour le ministre de la justice d’ordonner aux juridictions britanniques de refuser l’exécution du MAE jugé contraire aux intérêts de la sécurité nationale si l’infraction a été commise dans l’exercice d’une fonction imposée ou confiée par la loi ou si une autorisation ministérielle décrétée la personne recherchée non pénalement responsable pour le fait reproché. La Commission avait considéré que ce motif était contraire à la décision-cadre. Les Britanniques se fondaient sur l’article 20 de la décision-cadre « Privilèges et immunités » (J.-Cl. Europe Traité,  « Mandant d’arrêt européen », par D. Siritzky, n° 64).

25. Manuel concernant l’émission et l’exécution d’un mandat d’arrêt européen communiqué par la Commission européenne en date du 28 septembre 2017 (p. 62 à 66).

26. L’effectivité de ce droit est assurée par le fait que si la personne arrêtée n’a pas un avocat désigné dans le pays émetteur, l’autorité compétente du pays d’exécution doit en informer rapidement l’autorité compétente du pays d’émission. Sans retard indu, cette dernière fournit à la personne recherchée des informations pour l’aider à désigner un avocat dans cet État (Projet d’accord, 18 mars 2020, art. 89, § 5 : « Rights of a requested person », p. 262).

27. L’effectivité du droit à l’aide juridique est assurée par l’État récepteur du mandat à la remise et par l’État émetteur pour les procédures effectuées dans l’État récepteur dès lors qu’elle assure un accès effectif à la justice (Projet d’accord, 18 mars 2020, art. 89, § 8 et 9 : « Rights of a requested person », p. 262).

28. Une dérogation temporaire au droit de la personne arrêté d’informer de cette situation la personne de son choix au regard de deux circonstances particulières : en cas de nécessité urgente d’éviter la mise en péril de la vie, la liberté ou l’intégrité physique d’un individu ou en cas de nécessité urgente d’éviter de compromettre considérablement les procédures pénales (art. 89, 9, b, p. 262).

29. Projet d’accord, 18 mars 2020, art. 90 : « Rights of a requested person who is a child », p. 263.

30. L’article 14 de l’accord garantit notamment le droit à l’information sur le contenu du mandat et sa possibilité de consentir à la remise, le droit au bénéfice d’un conseil et d’un interprète. La Norvège, l’Islande et les États membres ont tout de même prévu que « le présent accord respecte les droits fondamentaux et, en particulier, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Aucune référence n’est faite aux droits spécifiques des mineurs. Cet accord ayant été conclu en 2006, avant les directives européennes garantissant des droits à la personne arrêtée.

31. CJUE 19 sept. 2018, aff. C-327/18, RO, consid. n° 62.