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Le droit en débats

La CEDH face au droit d’accès à la connaissance de ses origines : un pas en avant, deux pas en arrière

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rejeté la requête de deux personnes nées grâce à un don de gamètes qui souhaitaient accéder à des informations sur leur donneur. Si elle reconnaît que la Convention européenne des droits de l’homme protège le droit à la connaissance de ses origines, elle ne condamne toutefois pas la France, estimant qu’on ne saurait lui reprocher son rythme d’adoption de la réforme car il n’y a pas de consensus européen sur la question de l’accès aux origines.

Par Marie-Christine Nozain le 20 Octobre 2023

Dans un arrêt de chambre du 7 septembre 2023 (Dalloz actualité, 2 oct. 2023, obs. D. Vigneau), la CEDH a jugé que l’article 8 de la Convention protège le droit à la connaissance de ses origines et qu’il pèse sur l’État une obligation positive de garantir aux intéressés un droit d’accès à leurs origines. En l’espèce, cette possibilité est intervenue cependant plus de douze ans après la demande des requérants d’accéder à leurs origines. Toutefois, la Cour estime qu’il n’existe pas de consensus clair sur la question de l’accès aux origines mais seulement une tendance récente en faveur de la levée de l’anonymat du donneur, et conclut qu’elle ne saurait reprocher son rythme d’adoption de la réforme à l’État qui n’a donc pas méconnu son obligation positive de garantir aux requérants le respect effectif de leur vie privée.

Un constat de l’état du droit et de la jurisprudence européenne

L’article 8 de la Convention protège le droit à la connaissance de ses origines de la personne conçue avec un don de gamètes

Ainsi que le rappelle la Cour, l’article 8 de la Convention protège le droit à la connaissance de ses origines (§ 109). Citant les jurisprudences pertinentes sur ce point au § 106, qui concernent l’accès à leurs origines des enfants nés sous X et des enfants adultérins, la Cour considère que ce droit s’applique aussi à la situation des personnes conçues avec un don de gamètes. Elle n’estime pas nécessaire dans les circonstances de l’espèce d’examiner le grief sous l’angle de la vie familiale, le volet vie privée de l’article 8 de la Convention lui paraissant couvrir l’ensemble des doléances exprimées par le requérant.

Obligation positive des États membres de garantir aux intéressés un droit d’accès à leurs origines

Si l’article 8 de la Convention tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, à cet engagement peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée et familiale dont le principe a été établi dans l’arrêt rendu dans l’affaire Marckx c/ Belgique (13 juin 1979, n° 6833/74). Celles-ci peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée, jusque dans les relations des individus entre eux, comme le faisait valoir la requérante (§ 86) qui déplore l’absence de toute protection de ses intérêts dans la mise en balance des intérêts en jeu et rejette un système qui ne prend en compte que les rapports entre le donneur et le receveur au détriment des droits de l’enfant (§ 88).

La Cour se réfère au § 66 de l’arrêt Hämäläinen c/ Finlande (CEDH, gr. ch., 16 juill. 2014, n° 37359/09, D. 2014. 1639 ; ibid. 2015. 1408, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2014. 565, obs. B. de Boysson ; RTD civ. 2014. 831, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 855, obs. J. Hauser ) qui définit une série d’éléments pertinents pour l’appréciation du contenu des obligations positives incombant aux États. Elle précise, selon une jurisprudence constante sur ce point, que les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents ; de même, dans les deux hypothèses, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (§ 103).

Pour déterminer l’ampleur de cette obligation, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de principes jurisprudentiels rappelés au § 105 selon lesquels la marge d’appréciation des États est large lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates.

Un contrôle restreint exercé par la Cour européenne des droits de l’homme

La Cour choisit ainsi de retenir une ample marge d’appréciation en ce qui concerne les moyens à mettre en œuvre pour garantir aux intéressés le respect effectif de leur vie privée, en rappelant que dans l’affaire X, Y et Z c/ Royaume-Uni (CEDH 22 avr. 1997, n° 21830/93, § 44, D. 1997. 583 , note S. Grataloup ; ibid. 362, obs. N. Fricero ; RTD civ. 1997. 1011, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 1998. 92, obs. J. Hauser ), en 1997, elle avait indiqué que si les techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) étaient en cours en Europe depuis plusieurs décennies, il n’existait pas d’assentiment général des États membres quant à savoir s’il était préférable, du point de vue de l’enfant ainsi conçu, de protéger l’anonymat du donneur de sperme ou de donner à l’enfant le droit de connaître l’identité de celui-ci.

La Cour s’appuie sur les résultats d’une étude du Comité européen de coopération juridique, publiée en décembre 2022, sur l’accès aux origines des personnes conçues par don de gamètes menée dans vingt-cinq États par le Conseil de l’Europe. Elle en déduit que ces États sont partagés sur la question de l’accès aux origines (§ 67).

La Cour rappelle ensuite que cette marge d’appréciation se trouve néanmoins réduite par le fait qu’un aspect essentiel de l’identité des personnes se trouve au cœur-même des présentes requêtes. C’est ce qui a été jugé dans plusieurs affaires qui ont trait à la sexualité, l’un des aspects les plus intimes de la vie privée et dans lesquelles des personnes, notamment mineures, n’étaient pas protégées par la législation de leur pays, par exemple, Christine Goodwin c/ Royaume-Uni (CEDH, gr. ch., 11 juill. 2002, n° 28957/95, AJDA 2002. 1277, chron. J.-F. Flauss ; D. 2003. 525, et les obs. , obs. C. Bîrsan ; ibid. 1935, chron. J.-J. Lemouland ; RDSS 2003. 137, obs. F. Monéger ; RTD civ. 2002. 782, obs. J. Hauser ; ibid. 862, obs. J.-P. Marguénaud ), affaire dans laquelle la Cour a estimé que l’État défendeur ne peut plus invoquer sa marge d’appréciation en la matière, sauf pour ce qui est des moyens à mettre en œuvre afin d’assurer la reconnaissance du droit protégé par la Convention.

Toutefois, pour finaliser son raisonnement et retenir une marge d’appréciation élargie, la Cour effectue, mutatis mutandis, de façon plutôt elliptique, un rapprochement entre le droit de connaître ses origines, le droit à la reconnaissance d’un lien de filiation avec leurs parents d’intention des personnes nées d’une mère porteuse (CEDH 22 nov. 2022, D.B. et autres c/ Suisse, n° 58817/15, D. 2023. 807, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1615, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2022. 569, obs. A. Dionisi-Peyrusse ) et le droit à l’identité de genre des personnes LGBTI (CEDH 31 janv. 2023, Y c/ France, n° 76888/17, AJDA 2023. 1344 , note C. Grossholz ; D. 2023. 239, et les obs. ; ibid. 400, point de vue B. Moron-Puech ; AJ fam. 2023. 168, obs. L. Brunet ; ibid. 70, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; AJCT 2023. 376, obs. P. Jacquemoire ; RTD civ. 2023. 332, obs. J.-P. Marguénaud ). Pourtant, pour les deux affaires, aucune loi n’autorise la gestation pour autrui (GPA) ou la mention d’un sexe neutre à l’état civil, alors que la loi de bioéthique a consacré le droit des couples à recourir à l’AMP. Le droit des couples à concevoir un enfant et à recourir pour ce faire à la procréation médicalement assistée relève également de la protection de l’article 8, pareil choix constituant une forme d’expression de la vie privée et familiale (CEDH, gr. ch., 3 nov. 2011, S.H. et autres c/ Autriche, n° 57813/00, § 82, AJDA 2012. 143, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2011. 2870, et les obs. ; ibid. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2011. 608, obs. A. Mirkovic ; RTD civ. 2012. 283, obs. J.-P. Marguénaud ).

Un contrôle de proportionnalité fondée sur l’intérêt prédominant de la société

Rappelant, toujours mutatis mutandis, deux jurisprudences, l’une sur le partenariat enregistré (CEDH 24 juin 2010, Schalk et Kopf c/ Autriche, n° 30141/04, § 106, D. 2011. 1040, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2010. 333 ; RFDA 2011. 987, chron. H. Labayle et F. Sudre ; Constitutions 2010. 557, obs. L. Burgorgue-Larsen ; RTD civ. 2010. 738, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 765, obs. J. Hauser ) et l’autre sur la reconnaissance d’un lien de filiation entre un enfant et l’ancienne compagne de sa mère biologique (CEDH 24 mars 2022, C.E. et autres, n° 29775/18, § 110, D. 2022. 1342 , note H. Fulchiron ; ibid. 2023. 855, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2022. 336, obs. M. Saulier ; ibid. 240, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2022. 349, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 371, obs. A.-M. Leroyer ), la Cour considère que la loi s’inscrit dans le cadre d’un consensus européen qui serait en train d’apparaître et qu’ainsi, même s’il n’est pas à l’avant-garde, le législateur ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir créé plus tôt la loi reconnaissant un droit d’accès aux origines.

Compte tenu de cette marge d’appréciation élargie, la Cour se livre ensuite à un contrôle de proportionnalité dans lequel l’État part avec une longueur d’avance qui dure jusqu’en 2022, date à laquelle la requérante a eu accès à une procédure supposée lui permettre de connaître l’identité de son donneur. Après s’être longuement étendue sur l’historique des lois de bioéthique en France de 1994 à 2022 (§§ 37 à 49), après avoir rappelé les recommandations favorables à l’accès aux origines du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) en 2005 et 2018, la Cour conclut au final que le législateur a bien pesé les intérêts et droits en présence au terme d’un processus de réflexion riche et évolutif sur la nécessité de lever l’anonymat du donneur (§ 123).

S’agissant de l’accès aux informations médicales, la Cour se borne à confirmer l’analyse du Conseil d’État dans sa décision du 12 novembre 2015, publiée au Lebon, sur le point de la compatibilité des dispositions de l’article L. 1244-6 du code de la santé publique avec l’article 8 de la Convention.

Un raisonnement incomplet

Une analyse incomplète qui ignore les conventions et instruments internationaux pertinents

D’une part, la Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine du 4 avril 1997 est le seul instrument juridique contraignant pour la protection des droits humains dans le domaine biomédical. Elle a été ratifiée par la France par l’article 1er de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique. Il est constant que l’article 1er de la Convention stipule que « Les parties à la présente Convention protègent l’être humain dans sa dignité et son identité et garantissent à toute personne, sans discrimination, le respect de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales à l’égard des applications de la biologie et de la médecine. » et son article 2 que : « L’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science ».

Pourtant, en méconnaissance de l’article 2 précité de la Convention d’Oviedo, la Cour relève que « C’est finalement la crainte d’une baisse des dons et celle d’une remise en cause de la paix des familles et de la protection du donneur qui l’ont emporté, le législateur préférant ne pas distinguer l’anonymat des dons de celui du donneur malgré les propositions de lever celui de ce dernier sur le modèle du conseil national de l’accès aux origines créé à la faveur des personnes nées sous X » (§ 120), donnant raison aux scientifiques qui mettent en avant la nécessité de préserver le stock de gamètes pour conclure que l’atteinte au droit au respect de la vie privée des enfants issus d’un don, est justifiée.

D’autre part, si la Cour cite les articles de la Convention internationale des droits de l’enfant comme juridiquement applicables au litige, elle n’en tire pas les mêmes conséquences qu’elle a pu le faire dans d’autres affaires, par exemple pour les droits des enfants conçus par gestation pour autrui, pourtant beaucoup plus controversée dans le débat public que le droit à l’assistance médicale à la procréation et à la connaissance de ses origines.

Selon la jurisprudence constante de la Cour, « l’intérêt supérieur des enfants doit primer dans toutes les décisions qui les concernent (…) Il s’ensuit qu’il existe pour les États une obligation de placer l’intérêt supérieur de l’enfant, et également des enfants en tant que groupe, au centre de toutes les décisions touchant à leur santé et à leur développement » (CEDH, gr. ch., 8 avr. 2021, Vavřička et autres c/ République tchèque, n° 47621/13, §§ 287-288, D. 2021. 1176, entretien M.-L. Moquet-Anger ; ibid. 1602, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2022. 808, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2021. 309, obs. M. Saulier ; RTD civ. 2021. 364, obs. J.-P. Marguénaud ; 6 juill. 2020, Neulinger et Shuruk c/ Suisse, n° 41615/07, § 135, D. 2010. 2062, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2011. 1374, obs. F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2010. 482, Pratique A. Boiché ; RTD civ. 2010. 735, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD eur. 2010. 927, chron. M. Douchy-Oudot et E. Guinchard ; 26 nov. 2013, X c/ Lettonie, n° 27853/09, § 96, D. 2013. 2848 ; ibid. 2014. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2014. 58, obs. A. Boiché ).

Dans l’arrêt Mennesson c/ France (CEDH 26 juin 2014, n° 65192/11, AJDA 2014. 1763, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2014. 1797, et les obs. , note F. Chénedé ; ibid. 1773, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 1806, note L. d’Avout ; ibid. 2015. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1007, obs. REGINE ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2014. 499, obs. B. Haftel ; ibid. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RDSS 2014. 887, note C. Bergoignan-Esper ; Rev. crit. DIP 2015. 1, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 144, note S. Bollée ; RTD civ. 2014. 616, obs. J. Hauser ; ibid. 835, obs. J.-P. Marguénaud ), la Cour a ainsi noté que si « seuls [les parents] ont fait le choix des modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises », les conséquences du refus de transcription « portent aussi sur celle des enfants eux-mêmes, dont le droit au respect de la vie privée, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation, se trouve significativement affecté » (§ 99). En d’autres termes, la Cour suggère que les enfants ne sont pas responsables d’une situation issue du choix de leurs parents et ne devraient donc pas avoir à en subir les conséquences. Pour parvenir à ce changement de perspective, les juges européens ont examiné la situation factuelle sous un prisme conventionnel différent : le droit à l’identité.

Enfin, dans sa jurisprudence, la Cour « dit invariablement devoir prendre en considération les instruments et rapports internationaux pertinents, en particulier ceux d’autres organes du Conseil de l’Europe, pour interpréter les garanties offertes par la Convention et déterminer s’il existe dans le domaine concerné une norme européenne commune. C’est à la Cour qu’il appartient de décider des instruments et rapports internationaux qu’elle juge dignes d’attention ainsi que du poids qu’elle entend leur accorder » (CEDH, gr. ch., 27 avr. 2010, Tănase c/ Moldova, n° 7/08, § 176).

En l’espèce, alors qu’elle cite, au titre des « éléments de droit international pertinents », la recommandation 2156 (2019) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Don anonyme de sperme et d’ovocytes : trouver un équilibre entre les droits des parents, des donneurs et des enfants », la Cour ne lui accorde aucune place dans son analyse et lui préfère une enquête se limitant à vingt-six des États parties à la Convention. Pourtant, selon cette recommandation : « L’identité du donneur ne serait pas révélée au moment du don à la famille, mais au 16e ou 18e anniversaire de l’enfant ainsi conçu, qui serait informé (de préférence par l’État) de l’existence d’informations complémentaires concernant les circonstances de sa naissance. La personne conçue par don pourrait alors décider si elle veut accéder à ces informations et si elle souhaite établir le contact. »

On notera au surplus que l’ensemble des pays de l’Europe de l’Ouest à l’exception de la France et de la Belgique admettent depuis longtemps le droit des enfants d’accéder à la connaissance de leurs origines, l’Italie ayant pour sa part été condamnée par la CEDH (25 sept. 2012, Godelli c/ Italie, n° 33783/09, D. 2012. 2309, et les obs. ; ibid. 2013. 798, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 1235, obs. REGINE ; ibid. 1436, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2012. 554, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2013. 104, obs. J. Hauser ). La Cour a pris en compte essentiellement l’opinion des pays d’Europe de l’Est (Lettonie, Monténégro, Macédoine du Nord, Pologne, Serbie, Slovénie, Ukraine), accordant ainsi aux États membres des délais conséquents et une large marge d’appréciation pour mettre en place des modalités d’accès aux origines.

La solution résulte d’une mise en œuvre insuffisante du contrôle de proportionnalité

On reste surpris par le niveau de généralité où se place la CEDH alors qu’un contrôle in concreto des droits individuels des requérants était attendu d’elle. Doit-on comprendre de la référence à l’arrêt (Godelli, § 68), qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur les droits et intérêts en présence lorsque le législateur a mis en place un mécanisme d’accès aux origines qui permet une pesée des droits et intérêts en présence ? Or, la Cour a examiné et synthétisé les droits individuels des requérants sous le vocable de « revendications des personnes conçues par don » pour rétrograder un droit conventionnel au rang de simple intérêt « comme étant de plus en plus légitimes » (§ 122).

Ayant appris la vérité de ses origines génétiques en 2009, la requérante a engagé en février 2010 des démarches pour connaître l’identité du donneur de gamètes et des informations sur son patrimoine génétique. Ses prétentions ne semblaient pas hors de portée du législateur dès lors que l’accès aux origines avait été autorisé dès 2002 pour les enfants nés sous X, situation qui soulevait des questions morales ou éthiques encore plus délicates que le don de gamètes.

Certes la loi de bioéthique du 29 juillet 1994 consacrait les principes d’anonymat et de gratuité des dons d’une part, de libre consentement des donneurs d’autre part. Mais, il ressort clairement des débats que le principe d’anonymat n’avait pas pour but de protéger en premier chef la vie privée des donneurs, contrairement à l’idée directrice qui semble fonder le raisonnement très civiliste des juges. La loi posait un principe de solidarité (on ne choisit pas la personne à qui l’on donne) et ses corollaires, la gratuité du don et l’anonymat entre donneurs et receveurs.

Or, l’article 8 exige que les autorités nationales ménagent un juste équilibre entre les intérêts de l’enfant et ceux de ses parents et que, ce faisant, elles attachent une importance particulière à l’intérêt supérieur de l’enfant, qui, selon sa nature et sa gravité, peut l’emporter sur celui des parents (v. le récapitulatif des principes généraux dans l’arrêt Abdi Ibrahim c/ Norvège (CEDH, gr. ch., 21 janv. 2021, § 145).

Si l’intérêt des parents légaux est moindre que celui de leurs enfants, quel peut être le poids à accorder à celui du donneur de gamètes qui en définitive a accompli un acte altruiste pour aider un couple infertile en souffrance de ne pouvoir devenir parents ?

Président honoraire de la section du contentieux du Conseil d’État, Bernard Stirn dans son ouvrage, Les libertés en question (13e éd., LGDJ, coll. « Clefs » 2023), considère que « la bioéthique rejoint les libertés publiques au travers des débats qui portent, autour de la naissance et de la procréation, sur l’interruption volontaire de grossesse, l’assistance médicale à la procréation et la gestation pour autrui, la recherche sur l’embryon, l’accouchement sous X et l’accès aux origines ».

On notera à ce sujet que la Cour fait état, dans l’exposé du cadre juridique et de la pratique pertinente, qu’en 2011, dans un rapport officiel du gouvernement, une accusation était portée à l’égard des jeunes de vouloir chercher des « parents » voire de prôner une « biologisation de la filiation » (§ 43). En effet, une autre rationalité équivoque émerge de la lecture des différents rapports préparatoires de la loi de 2022 : oui à la « PMA pour toutes » à condition de conférer symboliquement une origine biologique à la parentalité par l’accès des enfants à la connaissance de leur « géniteur ».

La Cour rappelle que l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme protège un droit à l’identité et à l’épanouissement personnel (§ 106). Pourtant, la Cour n’a pas cru devoir se prononcer sur les griefs de la requérante qui expose que la famille légale serait davantage préservée si elle pouvait évoluer dans un contexte apaisé, en l’absence de souffrance due à la quête de l’identité (§ 87). La réalité du parcours de vie de la requérante montre qu’en l’espèce, cette dernière n’a pas rejeté sa filiation. Le raisonnement procède d’une négation du vécu social de cette personne contrainte à un long parcours juridictionnel pour obtenir la reconnaissance de son droit. Il refuse de reconnaître la réalité des souffrances morales infligées à la requérante, victime du mensonge procréatif de parents, supposé la protéger (prenant en cela des décisions conformes à la « norme sociale » du « ni vu, ni connu », à la demande et sur les conseils des Centres d’étude et de conservation des ovocytes et des spermatozoïdes humains [CECOS]). Cette blessure narcissique est peut-être moins mutilante que celles évoquées par la Cour dans l’arrêt Y. c/ France, mais il en est résulté une nécessité de reconstruction identitaire et par-dessus tout, un besoin de vérité. Malheureusement, il ne ressort pas des termes de l’arrêt de la Cour que le principe de respect de la dignité humaine ait été pris en considération puisqu’elle qualifie les débats législatifs autour de la loi de bioéthique de processus de réflexion riche et évolutif.

On notera surtout que ce processus a duré une vingtaine d’années, de 2002 avec la jurisprudence Odièvre, à 2022, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’effectivité du droit des requérants à la connaissance de leurs origines.

L’évolution jurisprudentielle ne garantit pas le droit effectif d’accès des requérants à leurs origines

À supposer même que la solution retenue soit pertinente en ce qu’elle met en place un mécanisme d’accès aux origines conformément à l’arrêt Godelli, il n’en reste pas moins que ce mécanisme ne garantit pas un droit effectif d’accès des requérants à leurs origines, notamment en raison des délais excessifs d’adoption de la loi. Le jugement laisse de côté plusieurs éléments essentiels qu’il ne fait qu’évoquer, sans en tirer les conséquences.

L’impossibilité de retrouver les donneurs et de les contacter pour connaître leurs intentions sur la levée du secret de leur identité

Au fil des jurisprudences, l’état du droit a été clarifié et la CEDH a construit un droit fondamental de la personne à la connaissance de ses origines biologiques, distinct du droit de la filiation. En particulier, il a été jugé que les personnes essayant d’établir leur ascendance ont un intérêt vital, protégé par la Convention, à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle (CEDH 13 juill. 2006, Jäggi c/ Suisse, n° 58757/00, §§ 38 et 43, RTD civ. 2006. 727, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 2007. 99, obs. J. Hauser ), que cette connaissance ait ou non un effet sur l’état civil de la personne.

Les obligations positives pour assurer la protection effective des droits et libertés garantis par la Convention peuvent impliquer, une « procédure effective et accessible » qui permette d’avoir accès à « l’ensemble des informations pertinentes et appropriées » recueillies et mémorisées par les pouvoirs public pour connaître et comprendre son enfance et ses années de formation (CEDH 7 juill. 1989, Gaskin c/ Royaume-Uni, n° 10454/83, § 49), pour retracer son identité personnelle (CEDH, gr. ch., 13 févr. 2003, Odièvre c/ France, n° 42326/98, § 42, AJDA 2003. 603, chron. J.-F. Flauss ; D. 2003. 739, et les obs. ; ibid. 1240, chron. B. Mallet-Bricout ; RDSS 2003. 219, note F. Monéger ; RTD civ. 2003. 276, obs. J. Hauser ; ibid. 375, obs. J.-P. Marguénaud ), ou pour identifier les risques pour la santé auxquels il avait été exposés (CEDH 19 févr. 1998, Guerra et autres c/ Italie, n° 14967/89, § 60, AJDA 1998. 984, chron. J.-F. Flauss ; D. 1998. 370 , obs. J.-F. Renucci ; ibid. 371, obs. N. Fricero ; RTD civ. 1998. 515, obs. J.-P. Marguénaud ; 9 juin 1998, McGinley et Egan c/ Royaume-Uni, n° 21825/93, § 101 ; 19 oct. 2005, Roche c/ Royaume-Uni, n° 32555/96, § 162, AJDA 2006. 466, chron. J.-F. Flauss ).

Or, suite à la saisine de la Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation (CAPADD) par la requérante, il lui a été répondu « qu’il ressortait des informations recueillies que le donneur était décédé, et qu’elle ne pouvait pas, « en l’absence de consentement personnel et exprès » de ce dernier, et « en l’état actuel de la législation », lui communiquer les données identifiantes et non identifiantes ». En réponse, la Cour affirme qu’elle ne sous-estime pas les craintes de la requérante et du requérant que les donneurs ne soient pas retrouvés, compte tenu des difficultés à retrouver leurs dossiers, ou qu’ils ne consentent pas à la divulgation des informations les concernant puisqu’un anonymat absolu et définitif leur avait été garanti. Cette dernière hypothèse s’est d’ailleurs concrétisée dans le cas de la requérante (§ 131). Cela reste une simple hypothèse de la Cour à ce stade.

Or, il ressort du rapport annuel d’activité de la CAPADD malencontreusement publié quelques jours après la communication du délibéré de l’affaire, qui n’a donc pas pu être soumis au contradictoire des débats, que saisie de 434 demandes d’accès aux origines, la Commission n’a pu envoyer que trois réponses positives, soit un accès aux origines effectif dans seulement 0,69 % des cas. Elle n’a pu identifier que 129 donneurs dont 23 sont décédés.

Or, le décès du donneur avant la mise en place de la loi, qui n’a donc pas été mis en mesure de donner son consentement, est-il un obstacle absolu à l’accès aux données identifiantes et non identifiantes existantes ? L’arrêt Gaskin c/ Royaume-Uni (CEDH 7 juill. 1989, n° 10454/86, § 49) semble indiquer clairement le contraire : « Aux yeux de la Cour, les personnes se trouvant dans la situation du requérant ont un intérêt primordial, protégé par la Convention, à recevoir les renseignements qu’il leur faut pour connaître et comprendre leur enfance et leurs années de formation. Cependant, on doit aussi considérer que le caractère confidentiel des dossiers officiels revêt de l’importance si l’on souhaite recueillir des informations objectives et dignes de foi ; en outre, il peut être nécessaire pour préserver des tiers. Sous ce dernier aspect, un système qui subordonne l’accès aux dossiers à l’acceptation des informateurs, comme au Royaume-Uni, peut en principe être tenu pour compatible avec l’article 8, eu égard à la marge d’appréciation de l’État. Il doit toutefois sauvegarder, quand un informateur n’est pas disponible ou refuse abusivement son accord, les intérêts de quiconque cherche à consulter des pièces relatives à sa vie privée et familiale ; il ne cadre avec le principe de proportionnalité que s’il charge un organe indépendant, au cas où un informateur ne répond pas ou ne donne pas son consentement, de prendre la décision finale sur l’accès. Or il n’en allait pas ainsi en l’espèce. ». En l’espèce, la CAPADD n’a pas été investie par la loi du pouvoir de prendre la décision finale sur l’accès au dossier.

Si dans l’arrêt Odièvre, la Cour a précisé que la question de l’accès à ses origines et de la connaissance de l’identité de ses parents biologiques n’est pas de même nature que celle de l’accès au dossier personnel établi sur un enfant pris en charge, au terme d’un contrôle de proportionnalité des intérêts en présence, la Cour a retenu dans le cas particulier de l’espèce, outre la mise en place du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP), le fait que la requérante a eu accès à des informations non identifiantes sur sa mère et sa famille biologique lui permettant d’établir quelques racines de son histoire dans le respect de la préservation des intérêts des tiers (§ 48) pour écarter la violation de l’article 8.

On relève également que s’agissant de l’accès aux origines des personnes nées sous X., en cas de décès de la femme ayant accouché, le législateur a prévu que son identité serait communiquée aux demandeurs, à moins qu’elle ne s’y soit formellement opposée. On peine à comprendre pourquoi le droit d’accès aux origines diffère selon que la personne dont l’identité est demandée est une femme ou un homme.

Les jurisprudences antérieures de la Cour, y compris concernant le droit d’accès aux origines, montrent que, lorsque le décès est intervenu sans expression de volonté de lever ou non le secret sur leur identité, a minima le demandeur doit pouvoir bénéficier d’informations non identifiantes et que la décision de révéler ou non l’identité de la famille biologique peut être dévolue par la loi à un organe indépendant. Il est regrettable que la Cour n’ait pas exposé les différences objectives qui justifieraient de s’écarter de ces solutions pour privilégier l’anonymat absolu et définitif garanti aux donneurs, se contredisant ainsi puisque la Cour a par ailleurs (§ 112) pris en considération l’évolution de la science et de la technologie, et de celui notamment du développement des tests génétiques « récréatifs » qui ne permettent plus de garantir l’anonymat des donneurs de gamètes.

L’évolution de la science et de la technologie ne garantit plus l’anonymat des donneurs de gamètes

Dans ses observations devant la Cour, la requérante a indiqué qu’en septembre 2017, elle et neuf autres personnes conçues en France par don de gamètes avaient décidé de procéder à un test ADN récréatif. À ce jour, les statistiques des associations des personnes conçues par don, font état de 114 découvertes de donneurs et de 504 « demi-frères et sœurs génétiques ».

D’une part, les revendications des personnes conçues par don étant considérées comme des plus légitimes par la Cour, n’est-il pas légitime que les laissés-pour-compte, confrontés à une fin de non-recevoir, utilisent ces moyens scientifiques disponibles pour avoir accès à leurs origines ?

D’autre part, le rapport annuel de la CAPADD indique que « les centres de dons sont confrontés à un archivage des dossiers des donneurs et receveurs qui présente des fragilités » en mentionnant en particulier que « Enfin, jusqu’en 1994, date de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 (…), les dons « frais » (sans congélation préalable) et dirigés n’étaient pas interdits. Ces procédures ont été réalisées dans des cabinets de gynécologues libéraux. Aucune archive n’est dans ce cas disponible dans les centres de don, seuls organismes que la commission peut interroger ». Au vu de la description faite par la Commission sur la tenue des dossiers sous l’angle administratif, il est compréhensible que les adultes conçus par don d’engendrement prennent la précaution d’effectuer un test génétique avant de prendre éventuellement contact avec le donneur de gamètes désigné par la Commission. En outre, les cas connus d’erreurs dans les manipulations en laboratoire de biologie ne sont pas fréquents, mais ils existent et sont largement documentés par les médias.

Ne serait-il pas utile, voire nécessaire dans certaines situations, que le « système d’information pour l’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des donneurs », mis en place par la Commission, intègre la possibilité d’utilisation de tests génétiques ? Aujourd’hui, les tests génétiques ne peuvent pas être prescrits par les médecins dans le cadre de la recherche des origines en matière d’assistance médicale à la procréation, puisque la loi prévoit qu’ils ne sont autorisés qu’en vue de l’établissement d’un lien de filiation (C. civ., art. 325 à 331).

En ce qui concerne l’utilisation des tests en vue de l’établissement d’une filiation, la Cour a ainsi reconnu le droit du requérant à connaître son ascendance et à établir sa véritable filiation, estimant que la protection des intérêts du père présumé ne saurait constituer à elle seule un argument suffisant pour priver le requérant de ses droits au regard de l’article 8 de la Convention (CEDH 16 juin 2011, Pascaud c/ France, n° 19535/08, § 64, D. 2011. 1758, et les obs. ; ibid. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1432, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2011. 429, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2011. 526, obs. J. Hauser ).

Il aurait été souhaitable qu’en 2023 l’arrêt de la Cour prenne en compte l’évolution de la science et de la technologie intervenue depuis l’arrêt Odièvre pour statuer sur les obligations des États quant aux moyens à mettre en œuvre. On s’attendait notamment à trouver un examen précis des conditions dans lesquelles s’effectue l’accès à ce droit et à ce que l’arrêt définisse les grandes lignes d’une « procédure effective et accessible » qui permette aux requérants d’avoir accès à « l’ensemble des informations pertinentes et appropriées ».

Dans ces conditions, un élargissement à venir de la jurisprudence, à la lumière des conditions de vie d’aujourd’hui, semble s’imposer.