La vacance qui s’éternise à la tête du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) depuis maintenant bientôt trois mois n’a pas manqué de susciter de multiples interrogations tant il est vrai que, lors de l’achèvement en juin 2014 du premier mandat accompli par Jean-Marie Delarue, sa succession s’était opérée de manière fluide avec la nomination un mois plus tard par le président de la République d’Adeline Hazan, qui a terminé son mandat de six ans le 16 juillet dernier.
Rien ne pouvait laisser à penser que le choix présidentiel d’un troisième contrôleur général puisse être à ce point cornélien alors que celui du nouveau Défenseur des droits, dont le mandat également de six ans se terminait au même moment, a été réalisé sans difficultés apparentes avec la nomination de Claire Hedon.
Certains ont cru y déceler un dessein gouvernemental visant à modifier le statut de cette autorité administrative indépendante spécialisée en incorporant ses missions définies par la loi du 30 octobre 2007 dans celles plus larges du Défenseur des droits, mais cela fut déjà esquissé par le passé et la tentative échoua au Sénat.
D’autres y ont vu la marque de peu d’intérêt de l’exécutif pour les missions de cette institution alors pourtant que celle-ci aura fait preuve d’une activité considérable notamment au cours des deux dernières années.
Enfin, il en est aussi pour considérer que le respect de la dignité humaine devrait être placé sur le même plan que les objectifs d’une politique sécuritaire nécessaire et assumée et qu’au final, avoir mis l’institution entre parenthèses, même temporairement, en la privant de son leader pouvait atténuer la force de ses recommandations.
Toujours est-il qu’à n’en pas douter, cette vacance a fait naître des inquiétudes légitimes alors que l’univers de la captivité doit pouvoir être observé de manière indépendante et continue et qu’une condition de l’efficacité d’un contrôle extérieur, c’est aussi sa permanence.
En effet, ce qui caractérise la force du CGLPL, c’est cette interaction dynamique au moyen de l’envoi de délégations sur le terrain (cent cinquante visites/an). Ce dernier est toujours présent en dépêchant ses équipes de contrôleurs en alternance dans un ou plusieurs établissements relevant de son champ de compétence. Comme ce dernier documente précisément le fonctionnement des lieux de privation de liberté et dénonce systématiquement les atteintes aux droits qu’il constate, cela lui permet d’échanger en pleine connaissance de cause avec les administrations centrales de tutelle (de 2008 à 2019, ce sont 1 700 lieux de privation de liberté qui au total ont été visités).
Mais, en 2020, depuis la mi-mars, les mesures de confinement résultant de la lutte anticovid-19 ont mis en veille ce moyen d’action déterminant, les déplacements in situ étant proscrits.
Lors de la levée du confinement, le mandat d’Adeline Hazan était sur le point de s’achever et l’institution se préparait donc à amorcer une transition à la tête de l’AAI.
Depuis, plus rien, et ce n’est que fin septembre que la ministre de la transformation et de la fonction publiques a annoncé sur les bancs de l’Assemblée nationale que, d’ici au 15 octobre prochain, nous serions fixés.
Le choix du président de la République sur proposition du premier ministre s’est porté finalement sur une femme journaliste, spécialiste des affaires judiciaires, en la personne de Dominique Simonnot.
Il était plus que temps car la candidate pressentie va devoir répondre préalablement à un questionnaire écrit avant son audition par chacune des commissions des lois, laquelle sera suivie d’un vote et sa nomination n’interviendra qu’à l’issue de ce dernier.
Autrement dit, dans le meilleur des cas, la future contrôleure générale des lieux de privation de liberté ne sera pas opérationnelle avant la fin de cette année.
Pourtant, deux problématiques importantes où son expertise serait utile sont fixées d’ores et déjà à l’agenda du gouvernement qui sera amené à légiférer :
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en 2021, sur le contrôle des conditions de détention par le juge judiciaire et la régulation carcérale,
- en 2022, sur le respect du principe d’encellulement individuel et la fin du moratoire.
Pour la première, et c’est certainement le plus urgent, la situation de surpopulation carcérale chronique affectant les maisons d’arrêt a conduit depuis le début de l’année à un enchaînement en cascade de décisions judiciaires inédites qui contraignent inéluctablement le gouvernement à modifier certaines dispositions du code de procédure pénale afin de mettre en place une régulation carcérale qui garantisse aux personnes détenues le respect de leur dignité humaine.
En effet, d’abord il y a eu le retentissement arrêt quasi pilote rendu le 30 janvier 2020 par la Cour européenne des droits de l’homme condamnant la France au visa des articles 3 et 13 de la Convention européenne et l’invitant à prendre des mesures pour remédier au surpeuplement carcéral, suivi d’un revirement opéré le 8 juillet 2020 par la chambre criminelle de la Cour de cassation saisie d’une double question prioritaire de constitutionnalité (QPC) et d’une exception d’inconventionnalité sur la question du recours disponible pour faire cesser des conditions de détention indignes et de l’office du juge judiciaire en la matière. Le Conseil constitutionnel, auquel les deux QPC ont été transmises, vient à son tour de déclarer, par sa décision du 8 octobre, l’article 144-1 du code de procédure pénale non conforme à la Constitution et a fixé au gouvernement un délai assez bref de cinq mois (avant le 1er mars 2021) pour légiférer sur ce point.
Autant dire que, si le temps est compté, il faudra veiller à ce que cette réforme parvienne à restaurer un équilibre durable en détention par la mise en place d’un mécanisme efficient de lutte contre les matelas au sol et la promiscuité carcérale garantissant à chacun au moins trois mètres carrés en cellule collective tout en veillant à ce que la mise en œuvre de cette régulation n’aboutisse pas à des libérations aléatoires, inopportunes ou mal préparées.
Dans ses différents avis et recommandations rendus sur la question en 2012, puis en 2019, et le dossier thématique qu’il y a consacré en 2018, le CGLPL a fait des propositions opérationnelles qui doivent être prises en considération par les autorités et, pour s’en assurer, le troisième contrôleur général devrait ainsi être déjà en fonction.
La lutte contre la pandémie aura eu un effet positif indirect sur la densité carcérale globale puisqu’il y a actuellement autant de détenus (60622) que de places disponibles (60618), sauf que celles-ci ne sont pas réparties sur tout le territoire en fonction des besoins judiciaires et que le taux moyen d’occupation en maison d’arrêt est de 112 %, alors que nombre d’entre elles dépassent encore un taux de 120 %, voire 150 %, comme cela était le cas dans les deux établissements de l’Ouest de la France où étaient détenus les requérants à l’origine de la QPC.
Pour la seconde thématique, on est en droit d’espérer que ce troisième mandat puisse être celui qui voit enfin se terminer cette reconduction automatique du moratoire relatif à l’encellulement individuel en maison d’arrêt qui déroge au principe séculaire posé par l’article 716 du code de procédure pénale et qui fait de l’exception la règle.
Pour parvenir à atteindre l’objectif raisonnable de 80 % de cellules individuelles, il est indispensable de préparer en amont et dès l’année prochaine un plan d’ensemble prévoyant un échelonnement par palier progressif et par territoire pour atteindre cet objectif d’ici la fin du quinquennat.
Le CGLPL avait aussi fait des propositions en ce sens en 2014 et cela pourrait constituer assurément une de ses priorités d’action afin d’éviter le spectre affligeant d’une énième reconduction peu glorieuse.