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Le droit en débats

Changement de la mention du sexe à l’état civil pour un mineur trans

Dans une décision inédite, la cour d’appel de Chambéry a, le 25 janvier 2022, accepté la modification de la mention du sexe sur l’état civil d’un mineur trans non émancipé. Cette possibilité, non prévue par la loi, est admise par la juridiction par le jeu d’un contrôle de proportionnalité.

Par Lisa Carayon et Laurie Marguet le 28 Mars 2022

C’est très certainement une première en France : la cour d’appel de Chambéry a accepté la modification de la mention du sexe à l’état civil d’une personne mineure1. L’affaire concernait un jeune homme trans (FtH) de dix-sept ans. La demande de changement de sexe qu’il avait présentée à seize ans au tribunal judiciaire de Chambéry avait été rejetée au motif que la loi ne prévoyait pas un tel changement pour les mineur·es non émancipé·es. Cette position est cependant infirmée par la cour d’appel. Si la solution constitue une avancée pour les droits des personnes trans, le raisonnement suivi n’en est pas moins (partiellement) contestable.

Rappels sur la procédure de modification de la mention du sexe à l’état civil

La procédure de modification de la mention du sexe à l’état civil a connu, ces dernières années, des évolutions capitales. Longtemps, elle n’était possible, pour la Cour européenne des droits de l’homme2 comme pour la Cour de cassation3, que si la personne apportait la preuve de trois conditions : celle d’un « comportement social » correspondant au sexe revendiqué ; celle d’un « diagnostic de transsexualisme » établi et celle de la disparition de « tous les caractères [du] sexe d’origine ». Il découlait de ces conditions l’exigence non seulement d’une prise en charge médicale mais plus encore d’une modification corporelle de l’apparence conduisant, notamment, à la transformation des organes génitaux et, par conséquent, à la stérilisation des personnes.

Cet état du droit a cependant fini par céder face aux revendications des personnes trans ne souhaitant pas subir des d’opérations chirurgicales, notamment stérilisantes, pour accéder à la reconnaissance civile de leur identité4. La position de la Cour de cassation commence timidement à évoluer en 20135, période à partir de laquelle, prenant acte des incitations publiées par voie de circulaire quelques années plus tôt6, les juridictions n’exigent plus formellement que les requérant·es aient procédé à la modification chirurgicale de leurs organes génitaux mais « seulement » qu’ils et elles prouvent l’irréversibilité des changements physiques réalisés. Cela étant, la modification de l’état civil n’en restait pas moins conditionnée à un parcours médical dès lors que la condition de « diagnostic transsexuel » demeurait. Plus encore, dans les faits, la réalité des exigences jurisprudentielles conduisait au maintien de la condition de stérilisation, n’aurait-elle été provoquée que par voie hormonale.

La position française finit cependant par se heurter aux exigences toujours plus strictes de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière. Par une décision rendue à l’encontre de la France en 20177, la Cour affirme en effet fermement que la reconnaissance juridique de l’identité de genre des personnes ne saurait être conditionnée à des transformations corporelles et, en particulier, à une stérilisation8. En 20169, anticipant sa condamnation, la France a alors substantiellement modifié les conditions de modification de la mention du sexe à l’état civil. L’article 61-5 du code civil prévoit désormais que la transformation de l’état civil peut intervenir dès lors que la personne présente en quelque sorte une forme de « possession d’état » du sexe revendiqué. Le texte cite quelques exemples illustrant les éléments constitutifs de ce nouveau triptyque « nomen, tractatus, fama » : avoir obtenu le changement de son prénom, être connu·e sous le sexe revendiqué par son entourage, se présenter publiquement – comprendre aussi « physiquement » – comme appartenant au sexe revendiqué. Si les personnes trans peuvent évidemment demander un traitement hormonal ou une opération de conversion sexuelle, cette démarche n’est désormais plus nécessaire à la modification de leur état civil et l’article 61-6 du code civil affirme même explicitement que « le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande » de modification de la mention du sexe.

La question semblait dont réglée, du moins textuellement10. Mais un problème restait sans réponse : si l’article 61-5 du code civil ouvrait la procédure à « toute personne majeure ou mineure émancipée », qu’en était-il des personnes mineures ? C’est sur ce point que se prononce la cour d’appel de Grenoble dans la décision ici commentée.

Les personnes trans mineures : entre droit commun et contrôle de proportionnalité

La requête présentée à la cour d’appel de Chambéry concernait un mineur de dix-sept ans, ayant déjà, avec l’accord de ses parents, fait modifier son prénom et qui, en outre, suivait un traitement hormonal. Celui-ci se présentait comme un jeune homme depuis plusieurs années aux yeux de son entourage familial, amical et scolaire. Pour obtenir la modification de la mention de son sexe à l’état civil, deux séries d’arguments étaient présentées à la cour.

Premièrement était invoquée l’application du droit commun de l’autorité parentale. Plus exactement, il était argué que le silence de l’article 61-5 du code civil concernant les personnes trans mineures non émancipées ne saurait signifier qu’elles ne peuvent pas modifier le sexe mentionné sur leur état civil mais seulement qu’elles ne peuvent agir que représentées par les titulaires de l’autorité parentale (conformément aux art. 371 s. C. civ.). Dès lors que l’article 61-5 précise explicitement que les mineurs émancipés peuvent changer de sexe à l’état civil sans autorisation parentale, il faudrait comprendre a contrario que les mineurs non émancipés ne peuvent y procéder qu’avec cette autorisation11.

Il est vrai que, sur ce point, le (relatif) silence conservé par le législateur pouvait revêtir une double signification : servir l’argument avancé par la requête ou, tout au contraire, être compris comme une interdiction de principe de la modification du sexe sur l’état civil des mineur·es12. Les travaux parlementaires n’apportent ici qu’un éclairage modéré. Introduite au cours de la discussion parlementaire par voie d’amendements13, la nouvelle procédure ne concernait initialement que les personnes majeures. La situation des personnes mineures émancipée n’a ensuite été discutée qu’à la marge (en raison du faible nombre de cas possiblement concernés), et introduite par voie d’amendements14. C’est dans ce cadre que plusieurs parlementaires proposent alors (sans succès) de réglementer la situation des mineurs non émancipés. L’amendement 138 (rejeté) proposait ainsi de supprimer la condition de majorité posée par l’article 61-5, considérant que cette exclusion des personnes mineures contredisait l’article 3-1 de la CIDE ; de manière subsidiaire l’amendement 139 (rejeté lui aussi) proposait « d’abaisser l’âge auquel il sera possible de demander un changement d’état civil de 18 à 16 ans sans autorisation parentale préalable » et l’amendement 141 (là encore rejeté) soutenait que, « pour les mineurs de 6 à 16 ans, l’autorisation d’un des parents sera requise ». Ces amendements (visant à permettre le changement de sexe sans le double consentement parental en deçà de 18 ans) indiquent bien que, sans les modifications proposées, la modification de la mention du sexe est bien possible avec le consentement des représentants de l’enfant. En ce sens, d’autres parlementaires, qu’ils soient pour l’extension de l’article 61-5 du code civil aux seuls mineurs émancipés15 ou contre toute forme d’extension16, considèrent également qu’il s’agit pour eux de déterminer les cas dans lesquels le consentement parental n’est pas requis pour la modification du sexe à l’état civil d’une personne de moins de 18 ans (sans que cela exclue cette modification pour les mineurs non émancipés soutenus par leurs parents).

Par ailleurs, à l’appui de la thèse de la validité de la procédure de changement de sexe pour les personnes mineures, la requête mentionnait également la possibilité déjà existante pour les personnes mineures de changer de prénom, y compris pour des motifs de transidentité, sur demande de leurs représentants légaux et avec leur accord au-delà de treize ans17. Elle mentionnait, dans le même sens, la possibilité déjà existante pour les personnes mineures de transformer leur apparence physique (par exemple) par hormonothérapie. Changement de prénom, modification de l’apparence, possibilité de « se présenter » dans un sexe revendiqué : les mineur·es peuvent donc remplir les conditions de la fameuse « possession d’état » d’homme ou de femme.

La cour d’appel de Chambéry ne suivra cependant pas les parents dans leur argumentation fondée sur le droit commun de l’autorité parentale. Au contraire, la cour, dans une formulation au demeurant prudente, affirme qu’une « lecture stricte [de l’article 61-5 du code civil] peut conduire à déclarer irrecevable la demande formée par les représentants légaux [du mineur] en considérant notamment qu’elles ont pour objectif de protéger les mineurs non émancipés d’une décision ayant d’importantes conséquences pour leur avenir afin de leur laisser le temps de maturation de leur démarche ».

Pour autant, la cour ne s’arrête pas à cette lecture restrictive des textes et opère un contrôle de proportionnalité sur l’« interdiction » faite au requérant de modifier la mention de son sexe durant sa minorité.

C’est que la seconde série d’arguments portait précisément sur l’atteinte disproportionnée à la vie privée du mineur causée par l’absence de modification de son sexe à l’état civil qui entraînait une discordance entre son état civil, son apparence et son comportement social. Outre les difficultés quotidiennes liées à cette discordance, il était avancé que l’absence de modification de la mention du sexe dès la minorité pourrait avoir des effets néfastes à long terme pour le requérant. Malgré la modification de son prénom, la mention du sexe apparaît en effet sur les diplômes ainsi que, par exemple, sur le certificat de participation à la Journée défense et citoyenneté, documents qui suivent ensuite la personne tout au long de sa vie.

Le premier élément du contrôle de proportionnalité pris en compte par la cour est l’âge du mineur (17 ans et demi) ce qui pourrait laisser penser que les magistrat·es ont anticipé le fait qu’un rejet de la demande conduirait simplement à ce que le jeune homme doive renouveler sa requête quelques mois plus tard. Est ensuite soulignée la constance des démarches entreprises depuis plusieurs années : modification de la mention du prénom et suivi médico-psychologique notamment. L’action conjointe des deux parents au soutien de la demande de leur fils est ensuite reprise, non comme élément de recevabilité de la demande, mais comme une composante du contrôle de proportionnalité participant à démontrer la cohérence du parcours du requérant. Constatant que ce dernier se présente indubitablement comme étant du sexe masculin, la cour conclut que, dans le cas d’espèce, lui opposer une interdiction de modifier son état civil porterait une atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée telle que protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La cour reprend ici, notamment, l’argument de la mention du sexe sur les diplômes comme un élément d’appréciation de la disproportion des conséquences qu’aurait pour le requérant une déclaration d’irrecevabilité de sa demande au seul regard de sa minorité. Elle prononce donc la modification demandée.

Cette décision doit être saluée pour sa portée individuelle mais peut être critiquée dans son argumentation. Notamment parce que tirer une interdiction du silence de la loi reste un argumentaire problématique. Dans un système libéral, un tel raisonnement est même critiquable dès lors qu’en principe, l’absence d’une disposition législative suppose soit l’autorisation du comportement non encadrée, soit le renvoi au droit commun. Plus encore, ce raisonnement impose aux juges une double appréciation : non seulement celle de la « qualité » de la « possession d’état sexuée » des mineur·es mais aussi celle de l’intensité des éléments du contrôle de proportionnalité. Une double appréciation qui complique la tâche des requérant·es, limite leur capacité à agir sans ministère d’avocat et multiplie les risques d’inégalités dans le traitement des demandes. C’est pourquoi il serait souhaitable que le pouvoir législatif clarifie sa position quant à la situation des personnes trans mineures, quitte à fixer un âge minimal pour procéder à cette modification et à exiger leur consentement personnel18.

Une énième modification des textes qui serait inutile si la France renonçait simplement à mentionner le sexe sur l’état civil des personnes…19 un horizon encore bien lointain.

 

Notes

1. Les autrices signalent que la décision ici commentée a été rendue à partir de conclusions qu’elles ont contribué à rédiger dans le cadre du Groupe d’information et d’action sur les questions procréatives et sexuelles (GIAPS).

2. CEDH 25 mars 1992, B. c. France, req. n° 13343/87, AJDA 1992. 416, chron. J.-F. Flauss ; D. 1993. 101 , note J.-P. Marguénaud ; ibid. 1992. 323, chron. C. Lombois ; ibid. 325, obs. J.-F. Renucci ; RTD civ. 1992. 540, obs. J. Hauser .

3. Cass., ass. plén., 11 déc. 1992, n° 91-11.900, D. 1993. 1 ; RTD civ. 1993. 97, obs. J. Hauser .

4. Sur la diversité de parcours des personnes trans et la multiplicité de leurs positions face aux modifications corporelles, v. not. E. Beaubatie, Transfuges de sexe. Passer les frontières du genre, La Découverte, 2021.

5. Civ. 1re, 13 févr. 2013, n° 11-14.515, Dalloz actualité, 1er mars 2013, obs. I. Gallmeister ; D. 2013. 1089, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2013. 182, obs. G. Vial ; RTD civ. 2013. 344, obs. J. Hauser .

6. Circ. 14 mai 2010, DACS n° CIV/07/10.

7. CEDH 6 avr. 2017, A.P., Garçon et Nicot c. France, req. nos 79885/12, 52471/13 et 52596/13, Dalloz actualité, 18 avr. 2017, obs. T. Coustet ; D. 2017. 1027, et les obs. , note J.-P. Vauthier et F. Vialla ; ibid. 994, point de vue B. Moron-Puech ; ibid. 2018. 765, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2017. 299, obs. F. Viney ; ibid. 329, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2017. 350, obs. J. Hauser ; ibid. 825, obs. J.-P. Marguénaud .

8. En 2015, la Cour avait déjà affirmé que l’accès à des modifications corporelles ne pouvait être subordonnées à une stérilisation préalable, v. CEDH 10 mars 2015, Y. Y. c. Turquie, req. n° 14793/08, Dalloz actualité, 19 mars 2015, obs. T. Coustet.

9. L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, de modernisation de la justice du XXIe siècle.

10. Sur la réalité pratique de la mise en œuvre de ce texte v. M.-X. Catto, Changer de sexe à l’état civil depuis la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, Cahiers Droit, Sciences & Technologies, 9/2019, p. 107-129.

11. Les deux parents soutenant ici la démarche de leur fils, il n’était point besoin de discuter le point de savoir si l’accord d’un seul des deux pourrait être suffisant. Il semble cependant possible de dire qu’étant donné l’importance des conséquences sociales de l’assignation de sexe, la modification de cette mention n’est pas un acte courant de l’autorité parentale.

12. Popularité par le film Tomboy (C. Sciamma, 2011), le documentaire Petite fille (S. Lifshitz, 2020), ou encore la bande-dessinée Appelez-moi Nathan (Q. Zuttion, Payot, 2018), la situation des mineur·es trans a surtout été documentée par les sciences humaines ; v. par ex. A. Alessandrin, Mineurs trans : de l’inconvénient de ne pas être pris en compte par les politiques publiques, Agora débats/jeunesses, 2016/2, n° 73, p. 7.

13. Ass. nat., 19 mai 2016, amendements nos 282, 283, 150 et 178.

14. Rapport de M. Détraigne, au nom de la commission des lois, n° 839 (2015-2016), p. 108 : à propos des mineurs émancipés : « Pour ces raisons, votre commission a écarté la possibilité, prévue en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale, pour un mineur émancipé, de demander la modification de la mention du sexe sur ses documents d’état civil. Même émancipé, un mineur ne peut accomplir certains actes sans l’autorisation de ses parents, comme être adopté ou se marier. De plus, comme l’a souligné M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la Justice, en séance publique à l’Assemblée nationale, cette disposition ne répondrait à aucun besoin puisqu’un seul cas aurait été signalé à ses services ».

15. Ass. nat., 12 juill. 2016, E. Binet.

16. Ass. nat., 12 juill. 2016, J.-Y. Le Bouillonnec.

17. C. civ., art. 60. Formellement, le consentement de la personne mineure n’est pas requis en deçà de treize ans, y compris pour des motifs de transidentité mais il est probable que l’opposition d’un enfant de moins de treize ans mais en âge de s’exprimer constituerait un défaut d’« intérêt légitime » à la modification.

18. Bien que les situations de « détransition » soient extrêmement rares et essentiellement liées aux discriminations vécues par les personnes trans (v. not. La conférence Détrans… de qui et de quoi parlons-nous ?), il convient de rappeler que le processus de modification de la mention du sexe à l’état civil est parfaitement réversible : la personne pourrait ainsi parfaitement revenir sur cette décision une fois majeure.

19. M.-X. Catto, « La mention du sexe à l’état civil », in S. Hennette-Vauchez, M. Pichard et D. Roman (dir.), La loi et le genre. Études critiques de droit français, CNRS éditions, 2014, p. 29.