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Le droit en débats

Le code de la fonction publique est-il applicable à la magistrature judiciaire ?

Le Conseil supérieur de la magistrature dans sa formation compétente pour les manquements disciplinaires imputables aux magistrats du siège a rendu publique une décision sanctionnant un vice-président exerçant la fonction de juge des enfants et autorisant le magistrat à présenter sa démission (CSM S 249 7 juill. 2022). Cette décision apparaît intéressante parce qu’elle fait référence au code de la fonction publique entré en vigueur le 1er mars 2022. Elle pose par ailleurs la question de la stabilité des interprétations du CSM lorsqu’il statue en tant que juridiction administrative spécialisée.

Par Emmanuel Poinas le 23 Février 2023

Le CSM fait référence au statut de la fonction publique pour en écarter l’application.

Le visa du code de la fonction publique dans une décision du CSM portant sur la validité des termes d’une saisine présente un caractère troublant.

Le CSM reconnaît que certains des faits visés par la saisine ministérielle du 12 juillet 2021 peuvent être concernés par la rétroactivité de la reconnaissance de la maladie professionnelle alléguée par le magistrat. Il ajoute : « S’agissant des faits reprochés à l’intéressé pour la période postérieure au 14 octobre 2019, il y a lieu de relever qu’aucune disposition du code de la fonction publique n’interdit qu’une action disciplinaire soit engagée à l’encontre d’une personne alors même qu’elle souffre d’une forme de maladie reconnue imputable au service. »

Cette mention ainsi formulée et cette référence sont en réalité profondément ambiguës.

En effet, le code de la fonction publique exclut d’une manière générale les magistrats judiciaires de son champ d’application1.

La spécificité des procédures disciplinaires dont relèvent les magistrats de l’ordre judiciaire est en outre constamment réaffirmée par le CSM2.

Une loi simple peut-elle s’appliquer en lieu et place d’une loi organique « muette » ?

Or, bien qu’édicté par voie d’ordonnance le code de la fonction publique relève de la catégorie des lois simples et non des lois organiques.

Le statut de la magistrature, conformément à l’article 64 de la Constitution relève d’une loi organique. Il s’agit d’une garantie fondamentale à l’exercice de cette profession.

Quand bien même l’ordonnance portant loi organique relative au statut de la magistrature aurait été muette sur le point relatif à la possibilité d’une saisine dans ces circonstances, son application ne pouvait, en raison du principe de hiérarchie des normes, être appréciée sur la base d’une loi simple.

En pur droit la saisine du CSM est clairement édictée par le statut de la magistrature et relève de trois acteurs distincts : le ministre, les chefs de cours, les justiciables. Elle n’est qu’un « élément d’information » de la juridiction disciplinaire et son étendue peut varier jusqu’à la clôture des débats sous réserve du respect du principe du contradictoire3.

La motivation du CSM laisse penser que si le code de la fonction publique avait interdit la possibilité d’une saisine disciplinaire dans le cas de l’existence d’une maladie professionnelle imputable au service, une telle disposition aurait été applicable à un magistrat de l’ordre judiciaire.

Or la loi organique renvoie au statut de la fonction publique de l’État dans certaines de ses dispositions, tel n’est pas le cas pour la saisine de l’instance disciplinaire qui fait l’objet de dispositions spéciales (pour l’intervention du ministre et concernant les magistrats du siège ce sont les dispositions de l’art. 50-1 de l’ordonnance portant loi organique n° 58-1270 du 22 déc. 1958 qui s’appliquent) et par ailleurs fort lacunaires4. Les décisions antérieures du CSM, régulièrement confirmées par le Conseil d’État sont sans ambiguïté sur ce point5.

Comment interpréter une telle décision ?

Le commentateur reste dans l’expectative de ce qu’a réellement voulu écrire le CSM et n’a pas plus de perspectives sérieuses d’analyse s’agissant d’un éventuel recours devant les juridictions administratives.
Si la décision disciplinaire venait à être déférée à la censure du Conseil d’État, celui-ci retiendrait-il l’existence d’une erreur de droit ?

Rien n’est moins sûr.

Plusieurs arrêts récents en matière de droit disciplinaire des magistrats de l’ordre judiciaire ont donné lieu à des refus d’admission des pourvois6. Cette tendance, moins marquée pour les avertissements semble se développer et faire place à de moindres possibilités de contestations des décisions disciplinaires du CSM.

La Haute juridiction administrative pourrait ainsi considérer que cette erreur serait sans influence sur la qualification des griefs reprochés.

Mais comment en même temps pourrait-elle ne pas stigmatiser un risque d’atteinte à la hiérarchie des normes ?

Et qu’adviendrait-il si dans le cadre d’un pourvoi le requérant posait une question prioritaire de constitutionnalité ?

La procédure disciplinaire pour les magistrats de l’ordre judiciaire doit-elle être repensée ?

La faiblesse des garanties statutaires offertes par le statut de la magistrature en matière de procédure disciplinaire a déjà été décrite, notamment par d’anciens membres de cette instance7. La restriction apparente de l’ouverture des droits à former un pourvoi doit être rapprochée d’autres critiques formulées contre des décisions du CSM, qui, selon ces analyses ont déjà enfreint le principe de la hiérarchie des normes8.

Le fait que les statuts de la fonction publique aient été récemment codifiés démontre que le législateur peut organiser une refonte du droit applicable aux agents publics pour prendre en compte les évolutions législatives, afin de rendre la compréhension du statut plus cohérente.

En l’état, le statut de la magistrature a souvent été réformé, mais les dernières réformes, notamment celle de 2016 ne sont pas allées jusqu’à inscrire au nombre des principes fondamentaux auxquels le Conseil est soumis ni de préciser des points essentiels de procédure pouvant prêter à discussion.

Les rapports d’activité du CSM mentionnent fréquemment la volonté de voir augmenter les possibilités d’investigations du conseil. Mais il n’a jamais été pour l’instant question de renforcer les garanties statutaires dans un tel contexte9.

Le CSM et l’assermentation des témoins : un exemple de pratiques divergentes

Pour ne citer que cet exemple, les pratiques du CSM ont varié en matière d’assermentation des témoins appelés à se présenter devant ses formations. Le Conseil d’État a toujours été considéré qu’aucune disposition de la loi organique n’imposait une telle pratique10. Mais le CSM l’a déjà admis à plusieurs reprises et ces témoignages recueillis sous serment à l’audience ont justifié le renvoi des magistrats des poursuites exercées contre eux11.

Il existe donc des variations notables dans l’appréciation procédurale du CSM quant à la gestion des procédures qui lui sont soumises ce qui rend très complexe l’appréhension de la législation applicable.

L’obligation de rappeler au témoin de dire la vérité est par ailleurs prévue par le code de procédure civile, le code de procédure pénale et le code de justice administrative. Elle pourrait être qualifiée de principe général résultant de la nécessaire loyauté des procédures et d’égalité de traitement des parties devant la possibilité de rapporter des preuves et être intégrée à des dispositions nouvelles.

Comment imaginer de fonder une appréciation disciplinaire alléguée contre un agent sur une prise de position qui n’aurait aucune vocation à refléter la vérité ?

Le caractère inégalitaire de toute procédure disciplinaire ne doit pas être oublié

La procédure disciplinaire est nécessairement une procédure inégalitaire qui résulte du pouvoir de direction que l’autorité judiciaire en tant qu’elle est une structure administrative, exerce sur ses membres. Elle est l’accessoire d’un pouvoir disciplinaire et à ce titre elle doit permettre aux personnes accusées de bénéficier d’un minimum de garanties pour prévenir le risque d’arbitraire.

La décision CSM S 249 du 7 juillet 2022 vient illustrer de manière très directe la nécessité de procéder à d’indispensables clarifications en la matière.

Les projets de réforme de la loi organique actuellement évoqués devraient pouvoir s’en saisir pour tenter de mettre un terme à ces nombreuses difficultés d’interprétation.

 

1. C. fonct. publ., art. L. 6.
2. CSM S 235, 16 janv. 2019.
3. CE 29 sept. 2020, n° 335144, inédit ; 26 oct. 2005, n° 278224, mentionné aux tables, D. 2006. 179 .
4. Sur le caractère déroutant des dispositions encadrant l’exercice du pouvoir disciplinaire au sein du corps judiciaire, v. not., M. Le Pogam, Le Conseil supérieur de la magistrature, LexisNexis, p. 16 s. Cet ouvrage a été écrit par un ancien membre du CSM.
5. Sur l’affirmation d’une procédure « sui generis » CSM S 235, 16 janv. 2019, préc.
6. CE 15 nov. 2022, n° 466619, inédit ; 14 oct. 2022, n° 460163, inédit.
7. M. Le Pogam, Le Conseil supérieur de la magistrature, op. cit.
8. D. Rousseau, Affaire Levrault, quand le CSM fragilise le statut des magistrats, Actu-Juridique.fr, 16 sept. 2022.
9. V. par ex., le dernier rapport d’activité du CSM, Regards sur une mandature.
10. CE 12 déc. 2007, n° 293301, mentionné aux tables, Lebon ; AJDA 2008. 932 , note E. Tsalpatouros ; ibid. 2007. 2408 .
11. CSM S 120, 13 déc. 2001CSM S 122, 28 févr. 2002.