Une mission « flash » a donc été lancée par la Chancellerie en octobre dernier. Son président, Georges Richelme, qui était jusqu’à la fin de l’année dernière, président de la Conférence générale des juges consulaires de France, a dirigé les travaux de cette commission composée largement par les membres des professions intéressées par la matière. Les travaux de cette commission ont commencé le 5 octobre à l’occasion d’une réunion en présence de Bruno Le Maire et d’Éric Dupond-Moretti.
Nous connaissons la situation : l’État a souhaité soutenir au maximum les entreprises pendant la crise et il n’a pas lésiné sur les moyens : octroi d’aides ponctuelles, report de charges, chômage partiel à grande échelle, prêts garantis par l’État (PGE), mesures facilitant l’accompagnement de la prévention et le traitement des passifs, etc.
Entouré par les représentants de différentes professions et notamment par les experts-comptables, les avocats, les juges consulaires, cet ancien président du tribunal de commerce de Marseille a mené cette mission à bien et en a présenté les conclusions en février 2021. Son rapport a été remis le 19 février dernier en présence des ministres Eric Dupont-Moretti, Agnès Pannier-Runacher et Alain Griset.
Que peut-on retenir de cette mission et de ses objectifs, dans un climat d’attentisme soutenu par la prolongation des aides d’État et alors même que la déflagration des procédures ne s’est pas produite, chacun étant encouragé à attendre ? Cette mission a mis en évidence plusieurs éléments qu’il convient d’exposer ici.
La centralisation des informations
Le rapport Richelme préconise la mise en place d’une plateforme permettant de centraliser toutes les informations destinées à un dirigeant d’entreprise déboussolé, écrasé par le poids d’informations particulièrement riches émanant de nombreuses sources. Tout ceci nécessite donc une coordination et cette plateforme serait donc bienvenue. Sous réserve cependant qu’elle soit ergonomique et d’un maniement aisé pour satisfaire les dirigeants d’entreprise de toute nature, y compris ceux qui sont les moins familiarisés avec internet, ce qui est souvent le cas pour les dirigeants de TPE et des petites PME.
Le permis de conduire une entreprise
Le rapport préconise aussi une formation du dirigeant à l’occasion d’une première immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Cela permettrait notamment de le tenir informé sur les mesures qu’il doit prendre en cas de difficultés et sur les critères d’alerte qu’il doit alors s’appliquer à lui-même.
Le déclenchement des mesures de prévention
Une réflexion a eu lieu sur l’alerte : elle serait confiée aux experts-comptables qui sont naturellement informés de la situation de leurs clients. En l’état, il a été choisi de ne pas leur imposer un devoir d’alerte mais, en revanche, de leur demander d’informer leurs clients en cas de survenance de difficultés pour les inciter à prendre les mesures de redressement nécessaires.
Cela serait accompagné par une communication du dispositif légal existant, notamment sur la prévention. Cela pourrait concerner particulièrement les experts-comptables qui ont pour mission d’assurer le dépôt des comptes et des prévisions de trésorerie.
Une mesure d’incitation, notamment fiscale, serait à cet égard bienvenue pour que les dirigeants soient bien incités à recourir à ces mesures de prévention.
En ce qui concerne les commissaires aux comptes, dont le champ d’action a été singulièrement réduit par la loi « Pacte » du 22 mai 2019 qui a considérablement relevé leur seuil d’intervention (L. n° 2019-486 du 22 mai 2019, art. 20 ; Décr. n° 2019-514 du 24 mai 2019), il a été question d’inciter les entreprises à demander aux commissaires aux comptes une mission particulière d’accompagnement, ce qui pourrait faciliter l’obtention d’aides d’État en sécurisant mieux le dispositif.
Il est aussi envisagé de demander que soit pérennisée la « réforme covid » permettant l’alerte du commissaire aux comptes dès la première phase de la procédure d’alerte, le tribunal étant aussitôt informé (Ord. n° 2020-341 du 27 mars 2020 ; V. CNCC, Prévention des difficultés des entreprises. Mise en œuvre de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes dans le contexte particulier de la crise sanitaire covid-19 et des mesures d’urgence prises par ordonnance, avr. 2020).
En outre, lorsqu’une banque dénonce un concours avec le préavis habituel de soixante jours (C. mon. fin., art. L 313-12), elle doit informer son client de sa possibilité de recourir à la Médiation du crédit aux entreprises. Il serait prévu d’y ajouter une information sur les dispositifs de prévention existants et une même démarche serait faite par les administrations fiscales et sociales qui ont connaissance de difficultés.
L’accompagnement pendant la prévention
Le rapport privilégie l’aide aux petites ou aux très petites entreprises et, à cet égard, la question de l’accompagnement du dirigeant pendant la prévention est posée. En effet, les TPE et les PME n’ont que très rarement et difficilement recours à la prévention qu’ils ne connaissent pas car les dirigeants sont souvent animés par une peur du tribunal.
Ainsi, pour avoir accès aux créanciers sociaux et obtenir des moratoires, le passage par un mandat ad hoc pourrait être rendu obligatoire. Là encore, il s’agit de favoriser des dispositifs d’incitation car le mandataire ad hoc peut être un intermédiaire efficace et renforcerait la crédibilité de l’entreprise qui serait estimée viable à la suite d’un audit. C’est en effet cette phase de validation qui manque souvent lorsque des délais sont demandés, au cas par cas par des dirigeants souvent déboussolés.
Il convient de rappeler, à cet égard, que plusieurs régions et notamment celle des Hauts-de-France en partenariat avec le tribunal de commerce de Lille Roubaix, sous l’impulsion du président Feldman, ont mis en place des dispositifs d’aides réellement incitatifs pour la prévention.
La détection par le tribunal
Le rapport pointe à cet égard des insuffisances car la détection par les tribunaux de commerce n’est pas estimée assez performante. Il est donc envisagé de favoriser au sein d’organismes existants et notamment les maisons du droit, le recours à des juges consulaires honoraires qui pourraient utilement conseiller les dirigeants de TPE/PME pour les orienter vers les mécanismes de prévention qui paraîtraient les plus adaptés. Il convient de rappeler à cet égard le rôle que jouent les centres d’information et de prévention (CIP) implantés dans chaque région sous l’égide d’un CIP national.
Les signaux faibles
Ce vocable sibyllin mérite une clarification. Nous nous référons ici à la définition suivante : « un signal faible est un évènement, une information, un indicateur […] non immédiatement intelligible mais qui témoigne d’une dissonance dans la compréhension que l’on a d’un phénomène, d’un système ou d’une organisation ». Cette dissonance peut être révélatrice d’un dysfonctionnement ou d’une dérive … (J. Escande, J.-C. Le Coze, C. Proust et G. Marlair, Signaux faibles : un concept pertinent ?, avr. 2014, ).
Il est ici proposé de mettre en place un signal de détection des difficultés qui soit réellement performant et il est envisagé d’élargir le critère habituel de dix salariés. Il s’agit de connecter les informations disponibles pour l’État avec les informations détenues par les greffiers des tribunaux de commerce, les informations disponibles sur les incidents de paiements, etc.
Il importe aussi de penser à ne pas fausser les instruments de détection que constituent par exemple les inscriptions de privilèges. L’idée de ne pas inscrire des privilèges sous un seuil de 200 000 ainsi que l’allongement de délais des inscriptions peuvent paraître à cet égard critiquables.
Les directives actuellement données aux caisses sociales de ne pas assigner leurs débiteurs peuvent, sur un long délai s’avérer contre-performantes. Il faudrait au contraire inciter les entreprises débitrices à recourir à la prévention pendant cette phase transitoire plutôt que d’attendre la sortie de la crise et les placer devant un mur de la dette qui serait à ce moment-là infranchissable.
Il faut aussi développer les mesures d’incitation pour la prévention. Ainsi, le rapport propose de proroger le dispositif actuel covid sur la suspension des mesures d’exécution et des paiements pendant la conciliation. Cette suspension des poursuites serait aussi appliquée aux cautions.
Il est aussi proposé de permettre à des entreprises subissant des difficultés conjoncturelles, d’obtenir la conversion de créances fiscales en obligations remboursables, ce qui pourrait faciliter des plans de continuation.
Enfin, il faudrait encourager les dispositifs d’aides régionales qui permettent de faciliter le recours à la prévention y compris pour les très petites entreprises. À cet égard, il a été proposé par les administrateurs et mandataires judiciaires une mission à un coût réduit qui pourrait être de l’ordre de 1 500 € pour formuler un diagnostic. Il faut, en effet, penser à présent à trier les entreprises qui seront sauvables et celles qui ne le seront pas pour éviter un acharnement thérapeutique malvenu.
Que faire à présent ?
Cet article n’est naturellement pas exhaustif sur ce rapport qui mérite la lecture et dont le président Richelme a bien voulu nous commenter les aspects les plus saillants. Pour notre part, ce socle nous paraît être singulièrement positif et nous ne pouvons que féliciter les participants à ce travail d’équipe ainsi que son président pour le travail accompli.
Nous pensons qu’il faut à présent accompagner cette réflexion en fixant des objectifs qui pourraient être les suivants :
- soutenir la prévention en développant une réelle incitation, la prévention devant être perçue comme un moyen efficace d’obtenir des échelonnements de créances, des avantages et éventuellement des abandons de créances dans des conditions sur lesquelles, il faut mieux communiquer. Les dirigeants seront d’autant mieux invités à recourir à la prévention qu’ils y seront effectivement incités. Or, à l’heure actuelle, les dispositifs prévus par les tribunaux ne sont pas connectés avec la possibilité d’obtenir des aides d’État et notamment des PGE.
- l’alerte ne doit pas être perçue comme punitive, ce qui est trop souvent le cas actuellement. La mise à disposition d’informations positives doit encourager le dirigeant à se rendre vers le tribunal et à être accompagné. Pour cela, il doit pouvoir clairement bénéficier d’aides de la région et il doit en être mieux informé.
- il faut largement ouvrir les portes de la prévention en débloquant les verrous, notamment sur la recherche plus ou moins sibylline d’un état de cessation des paiements. Lorsque le dirigeant aura eu recours à la prévention, un tri pourra avoir lieu entre les entreprises qui auront vocation à bénéficier d’un soutien et celles dont il faudra accompagner la transmission ou la disparition. Ce processus doit être fait d’une manière concertée et, si possible, en vérifiant la responsabilité du dirigeant pour éviter de retarder le rebond nécessaire.
- l’État doit à présent favoriser des entreprises dont la viabilité doit être vérifiée et c’est sans doute l’un des principaux mérites de la prévention que de faire un tel diagnostic, ce qui légitimera les efforts demandés aux créanciers.
En l’état, il faut donc saluer le travail de la commission Richelme.