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Le droit en débats

La confidentialité de la conciliation : absolue ou relative ?

Par Georges Teboul le 24 Octobre 2022

La Cour de cassation vient d’affirmer le caractère absolu de la confidentialité de la prévention, non seulement à l’égard des tiers, comme cela avait été fait précédemment (Com. 15 déc. 2015, n° 14-11.500, Consolis Denmark [Sté] c. Mergermarket Limited [Sté], Dalloz actualité, 17 déc. 2015, obs. A. Lienhard ; D. 2016. 5, obs. A. Lienhard ; ibid. 1894, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas ; Rev. sociétés 2016. 193, obs. P. Roussel Galle ; Légipresse 2016. 12 et les obs. ; RTD com. 2016. 191, obs. F. Macorig-Venier ), mais aussi à l’égard de ses participants.

Une confidentialité nécessaire

On avait bien compris qu’il fallait empêcher des tiers de nuire à l’efficacité de la conciliation (H. Bourbouloux, Confidentialité et transparence réconciliées pour la prévention et le traitement des difficultés, BJE mai 2012 n° 0087, p. 183), ce qui paraissait légitime.

Cependant, il existe une possibilité de dérogation : nous savons en effet que, lorsque le tribunal statue sur l’ouverture d’une sauvegarde, d’un redressement judiciaire ou d’une liquidation judiciaire, la confidentialité peut être levée dans le cadre posé par l’article R. 611-44 du code de commerce.

L’entorse à la confidentialité doit être, par définition, très restreinte, afin d’éviter de vider cette confidentialité de sa substance. La loi a donc prévu des conditions strictes pour la levée de cette confidentialité lorsqu’une procédure collective est ensuite ouverte (Com. 22 sept. 2015, n° 14-17.377, Serero c. Crédit du Nord, Dalloz actualité, 6 oct. 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 1950 ; ibid. 2016. 1894, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas ; Rev. sociétés 2015. 761, obs. P. Roussel Galle ; RTD civ. 2016. 114, obs. H. Barbier ; RTD com. 2016. 189, obs. F. Macorig-Venier ). Elle ne peut donc être demandée à tout moment, mais seulement au début de la procédure collective.

L’expression nécessaire des droits de la défense du débiteur

Il paraît logique cependant que le débiteur puisse conserver la possibilité de se défendre, soit lorsqu’il fait l’objet d’une demande de sanction, soit lorsque l’un des créanciers appelés à la procédure de prévention engage une procédure contre lui. À cet égard, le procédé de contournement qui consiste à permettre l’utilisation d’un rapport de conciliateur pour justifier ultérieurement une procédure de sanction devrait être écarté (v. G. Teboul, Quelques aspects procéduraux de la réforme…, LPA 24 mars 2009, p. 3, spéc. p. 5 et, contra, Com. 27 sept. 2011, n° 10-20.308).

En l’espèce (Com. 5 oct. 2022, n° 21-13.108, Dalloz actualité, 19 oct. 2022, obs. G. C. Giorgini ; D. 2022. 1752 ), la Cour de cassation a refusé au dirigeant de l’entreprise débitrice qui avait participé à la conciliation d’utiliser les documents de cette procédure de prévention contre l’un des créanciers qui était partie à la prévention.

Les arguments du dirigeant paraissaient pourtant convaincants car il souhaitait contester la mise en jeu de sa caution solidaire, la banque créancière l’ayant assigné après l’échec d’une conciliation et l’ouverture d’une liquidation judiciaire. Son argument était sans doute maladroit car il indiquait que l’obligation de confidentialité prévue pour la conciliation « ne s’applique qu’à l’égard des tiers et non entre les parties à cette procédure » alors que le texte de l’article L. 611-15 ne fait pas ce distinguo et vise « toute personne appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc » ou qui, « par ses fonctions », en a connaissance.

Mais il ajoutait que les pièces relatives à la conciliation étaient indispensables à l’exercice de son droit à la preuve et proportionnées aux intérêts en présence. La cour d’appel l’avait débouté et il s’était pourvu en cassation qui a rejeté son pourvoi.

Une confidentialité à adapter aux droits de la défense du débiteur

Doit-on admettre que la confidentialité est absolue au point de refuser au débiteur et/ou à son dirigeant la possibilité de se défendre, au point d’exonérer de toute responsabilité un créancier qui se serait mal comporté ? Il semble qu’une telle décision pourrait être injuste, notamment si l’échec de la conciliation est imputable à tel ou tel créancier, au titre de son comportement, ou de la violation des obligations contenues dans le protocole de conciliation.

La confidentialité a été certes prévue pour permettre de protéger l’entreprise qui demande la conciliation, afin d’exclure toute démarche hostile, non seulement de tiers mais aussi de ceux qui participent à la conciliation et ne « joueraient pas le jeu ».

Pour autant, dès lors que la prévention est manifestement connue de ses participants, il ne faudrait pas que la confidentialité puisse devenir un paravent permettant à certains participants fautifs de s’exonérer de leurs obligations, en mettant un voile pudique sur leurs manquements éventuels.

Il semble que le caractère absolu de la confidentialité devrait être plus nuancé et qu’à tout le moins, le contrôle du juge devrait permettre de distinguer le bon grain de l’ivraie.

Les droits de la défense seraient ainsi mieux préservés car il ne faut pas oublier qu’il s’agit de l’une de nos libertés fondamentales qu’il convient aussi de protéger. De la même manière, le créancier peut invoquer le non-respect d’engagements pris à son égard, en produisant le protocole de conciliation pourtant couvert par la confidentialité.

En outre, utiliser des documents face à une partie qui les connaît déjà n’apparaît pas, par principe, abusif et la discussion de ces documents devant un juge, apparaît légitime, le juge respectant la confidentialité.

La Cour de cassation devrait donc sans doute adopter une position plus nuancée et plus conforme à nos droits de la défense, ce qui supposerait un examen au cas par cas.

Rappelons qu’au pénal, l’article 311-1 du code pénal a introduit un fait justificatif pour les éléments nécessaires à l’exercice des droits de la défense (v. not. Crim. 21 juin 2021, n° 10-87.671, Dalloz actualité, 26 juill. 2011, obs. M. Bombled ; D. 2011. 1900 ; ibid. 2823, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2011. 466 ; RDT 2011. 507, obs. J. Gallois ; RSC 2011. 853, obs. A. Cerf-Hollender ; v. aussi Soc. 31 mars 2015, n° 13-24.410,Maguin [Sté] c. Zych, Dalloz actualité, 24 avr. 2015, obs. B. Ines ; D. 2015. 871 ; ibid. 1384, chron. E. Wurtz, F. Ducloz, C. Sommé, S. Mariette et N. Sabotier ; ibid. 2016. 167, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; ibid. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta ; AJ pénal 2015. 316, obs. D. Brach-Thiel ; Lexbase Hebdo n° 125, 17 juin 2004 ; 30 juin 2004, nos 02-41.720 et 02-41.771, D. 2004. 2326, et les obs. , note H. K. Gaba ; ibid. 2760, obs. G. Roujou de Boubée ; Dr. soc. 2004. 1042, obs. J. Mouly ). L’article 48 de la charte européenne des droits fondamentaux prévoit le respect des droits de la défense pour « tout accusé » et l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme vise aussi les droits de la défense.

Des débats féconds existent sur la limitation apportée aux secrets : secret des affaires, secret médical, secret de la défense nationale, etc. La notion de secret « relatif », opposable aux tiers mais pas aux personnes intéressées en montre les limites. Le caractère communicable des documents s’apprécie en fonction de leur contenu et du contexte de la demande. Certes, il s’agit d’hypothèses différentes, mais le raisonnement paraît transposable.

Le régime des articles L. 151-1 et suivants du code de commerce montre les limites pour le secret des affaires. En l’espèce, les notions de « détenteur légitime » et celle de « protection raisonnable » pourraient être transposables. Le débiteur détient les documents qu’il veut produire d’une manière légitime et leur production devrait donc être autorisée, dans un cadre déterminé, lorsque l’exercice de ses droits à se défendre apparaît proportionné.

Au-delà, interdire à une partie de communiquer des éléments de preuve au soutien de sa défense n’est pas anodin. Le demandeur doit justifier de ses prétentions. La preuve doit être loyale et il faut rappeler que selon les principes directeurs du procès civil (C. pr. civ., art. 1 à 24) chaque partie doit pouvoir organiser sa défense en apportant les preuves requises. Le droit fondamental d’assurer sa défense équitablement peut se heurter au secret, à la confidentialité mais il conviendrait d’apprécier, en regard des enjeux, la légitimité de l’atteinte à la confidentialité, qui ne doit pas se retourner contre ceux qu’elle protège.