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Le droit en débats

Confusions concernant la remise du certificat d’ITT à la victime de violence

Un décret du 31 mars 20211 prévoit qu’une victime de violences2 a le droit de demander une copie du certificat médical rédigé sur réquisition. Ainsi, l’article D. 1-12 du code de procédure pénale fixe les modalités d’une telle remise « lorsque celui-ci a été requis par un officier ou agent de police judiciaire, un magistrat ou une juridiction ». Dans les unités médico-judiciaires (UMJ), où tous les jours des certificats sont établis par les médecins légistes pour déterminer la durée d’incapacité totale de travail (ITT) des victimes de violences, l’application de ce nouveau décret soulève cependant quelques questions.

Par Cécile Manaouil le 15 Décembre 2021

Quels sont les examens concernés ?

On peut s’interroger sur l’énumération des autorités : un officier ou agent de police judiciaire (OPJ ou APJ), un magistrat ou une juridiction. Certes, les médecins légistes examinent des victimes sur réquisition provenant des services enquêteurs ou du parquet. Plus à distance des faits de violence, les médecins experts examinent des victimes sur ordonnance de commission d’expert (OCE) et non sur « réquisition » des juges, notamment du juge d’instruction3 et du juge des enfants et des expertises pour les juridictions, en particulier par jugement du tribunal correctionnel statuant sur intérêts civils4.

L’article D. 1-12, V et VI du code de procédure pénale vise les certificats de victimes de violence pour fixer l’ITT permettant de caractériser l’infraction5 mais pourquoi ajouter les juridictions ? Les rapports d’expertises sont adressés aux conseils des parties civiles et non directement à la victime par la plupart des médecins experts judiciaires dans le cadre du respect du contradictoire6. Cette extension aux expertises n’est en pratique pas mise en œuvre à ce jour, mais pourrait modifier la communication des rapports d’expertise à l’avenir. C’est par l’intermédiaire de son avocat que la victime dispose du rapport d’expertise la concernant.

Quelles modalités de remise à la victime de violence ?

Faut-il systématiquement informer la victime de ce nouveau droit ou simplement répondre à une sollicitation de sa part ? Le texte n’impose pas d’information puisqu’il est noté que « la remise d’une copie du certificat médical à la victime se fait à la demande de celle-ci »7. De plus, il est prévu par l’article D. 1-12 que la remise d’une copie du certificat médical à la victime peut être faite par le service enquêteur mais aussi le procureur de la République, le juge d’instruction et le greffe de la juridiction de jugement.

Il semble exister la même confusion avec une assimilation des certificats médicaux aux rapports d’expertises alors que le financement, la désignation du médecin, la temporalité, les personnes présentes lors de l’accédit n’en font pas la même entité… Un rapport d’expertise adressé au juge et aux parties est bien différent d’un certificat médical d’ITT établi sur réquisition.

Auparavant, les certificats rédigés partiellement durant la consultation étaient ensuite adressés aux autorités requérantes après avoir été complétés, relus et corrigés. Aucun exemplaire n’était remis directement au patient.

Depuis la parution du décret du 31 mars 2021, si le légiste fournit directement le certificat à la victime à l’issue de la consultation, cela nécessite une rédaction immédiate et un allongement du temps des plages de consultations. De plus, la remise du certificat médical à la victime suscite parfois des contestations, notamment si la victime est en désaccord avec le nombre de jours d’ITT (incapacité totale de travail) retenu.

Soit le légiste propose une remise ultérieure du certificat médical qui « peut être réalisée par tout moyen, y compris par voie dématérialisée, par l’envoi d’une version numérisée du certificat à l’adresse électronique de la victime. Elle ne peut être effectuée par courrier lorsque la victime réside à la même adresse que la personne à l’encontre de laquelle celle-ci a déposé plainte »8. Il est donc prévu un envoi postal ou par mail à défaut d’une communication immédiate lors de la consultation. Nous proposons à la victime de fournir une adresse postale autre que celle du domicile familial pour lui envoyer le certificat. Le décret n’exige pas que l’envoi se fasse en lettre recommandée avec accusé de réception.

La question se pose de la sécurité de l’envoi d’un document médical vers une adresse électronique non sécurisée. Réticents à l’idée d’envoyer un certificat sur une simple adresse mail, nous avons étudié la possibilité d’une messagerie sécurisée par un mot de passe choisi par la victime au moment de la consultation, mais cela suscitait de la méfiance et de l’incompréhension de la part de certaines victimes. Autre possibilité, le recours à un envoi sur l’espace santé numérique du patient. En effet, chacun dispose ou disposera à terme de « Mon Espace Santé »9. Il est possible d’envoyer un document en pièce jointe, sur un mail à l’adresse : @patient.mssante.fr. L’adresse mail peut être générée à partir de l’identifiant de sécurité sociale10 connu lors du passage à l’hôpital.

Ne faudrait-il pas solliciter l’avis de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) et de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) de cette instauration par voie réglementaire d’un envoi de certificat médical par voie dématérialisée sans plus de préconisations ? Certes, ce n’est pas une dérogation au secret médical au sens de l’article 226-14 du code pénal, puisque l’envoi se fait au patient directement mais on regrette l’absence de sécurisation de l’envoi. Lorsqu’elle est consultée, la CNIL11 émet souvent des réserves sur les dispositions relatives aux données de santé12.

Quelles victimes ?

Même si la plupart des situations retrouvées dans notre service rendent la remise immédiate ou ultérieure du certificat à la victime de violences, ou son représentant légal, possible, un point de confusion est de savoir si cette remise directe du certificat est réservée aux victimes de violence conjugale ou concerne toutes les victimes de violence.

Victimes de violences conjugales ou toutes victimes de violence ?

Les dispositions du décret du 31 mars 2021 sont prises pour l’application de l’article 10-5-1 du code de procédure pénale, résultant de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 « visant à protéger les victimes de violences conjugales ». L’article 10-5-1 dispose que « lorsque l’examen médical d’une victime de violences a été requis par un OPJ ou un magistrat, le certificat d’examen médical constatant son état de santé est remis à la victime selon des modalités précisées par voie réglementaire ». Mais, bien que répondant à une demande des associations œuvrant auprès des victimes de violences conjugales dans les suites du Grenelle des violences conjugales13, et inséré dans une loi « visant à protéger les victimes de violences conjugales », cet article 10-5-1 est inséré dans un sous-titre III « des droits des victimes ». Ainsi, il ne serait pas limité aux victimes au sein du couple. Cependant, on pourrait considérer que son application est renvoyée à un décret qui restreint le champ des victimes concernées.

Cependant, la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 a également ajouté, à l’article 10-2 du code de procédure pénale, au nombre des droits des victimes : « 10° S’il s’agit de victimes de violences pour lesquelles un examen médical a été requis par un OPJ ou un magistrat, de se voir remettre le certificat d’examen médical constatant leur état de santé. » Cet article est inséré dans le même sous-titre III « des droits des victimes » que l’article 10-5-1 mais ne renvoie pas à un décret. Il serait dès lors applicable à toute victime.

Au total, les articles 10-2 et 10-5-1 du code de procédure pénale ont été modifiés par une loi consacrée aux victimes de « violences conjugales » mais intégrés dans un chapitre du code de procédure pénale qui concerne toutes les victimes. Le décret du 31 mars 2021 étant inséré dans une section « des victimes de violences au sein du couple », cela est source de confusion pour déterminer le périmètre d’application.

Il paraît difficile de justifier un accès limité au certificat médical aux seules victimes de violence au sein du couple alors même que cette notion ne repose que sur les seuls dires de la victime en consultation. Certaines victimes sont réticentes à expliquer les circonstances des violences. Dans la très grande majorité des cas, il n’est pas précisé sur la réquisition la nature des violences (physique, psychique, sexuelle, etc.) ou le contexte (intrafamilial, conjugale ou autre).

Quid des majeurs protégés ?

Par ailleurs, on notera qu’aucune disposition spécifique n’a été prise pour les majeurs protégés mais on pourra considérer, au vu des réformes récentes, que le certificat devrait être communiqué directement à la personne et non à son mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Si l’on se réfère au droit commun de l’accès au dossier médical, « lorsque la personne majeure fait l’objet d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne, la personne en charge de la mesure » a accès aux informations. « Lorsque la personne majeure fait l’objet d’une mesure de protection juridique avec assistance, la personne chargée de l’assistance peut accéder à ces informations avec le consentement exprès de la personne protégée. »14 Le tuteur peut accéder au dossier médical sans besoin d’obtenir le consentement de la personne protégée contrairement au curateur. C’est seulement si la personne protégée « n’est pas apte à exprimer sa volonté » que la personne « chargée de la mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne » peut intervenir15.

Quid des mineurs ?

Initialement, il n’y avait pas de disposition spécifique pour les mineurs. Cependant, il faut concilier cet accès au certificat médical avec les règles générales régissant l’accès au dossier médical. Le mineur est sous l’autorité de ses père et mère jusqu’à ses 18 ans ou son émancipation16. Les droits des mineurs sont exercés par les titulaires de l’autorité parentale17 mais le mineur peut s’opposer à l’information de ses parents, à la condition notamment de la présence d’une personne majeure l’accompagnant18. Sous réserve de l’opposition du mineur à l’information de ses parents lors des soins, le droit d’accès est exercé au dossier par le ou les titulaires de l’autorité parentale19.

En consultation de victime mineure de violence, une partie de l’entretien a lieu en présence uniquement du mineur. Le certificat serait remis à son représentant légal, or le mineur a pu confier au cours de la consultation, des faits dont il ne souhaite pas faire part à son représentant légal.

De même, dans les situations de violences intrafamiliales, le contexte familial est souvent complexe et remettre le certificat médical à un des représentants légaux de la victime mineure peut être mal interprété par le ou les autres représentants légaux impliqués dans le conflit. Le mineur est parfois accompagné du parent mis en cause. Parfois, il n’est accompagné d’aucun de ses parents. La question se pose de savoir comment le parent ou les parents absents de la consultation seront informés de la possibilité d’obtenir le certificat.

En cas de violences sexuelles commises sur une personne mineure, il est également délicat de fournir un certificat à son père ou à sa mère, où pourront être mentionnées des informations concernant une contraception, la date du dernier rapport consenti, l’âge des premiers rapports…

Répondant aux difficultés exprimées par des médecins de la Société française de médecine légale et d’expertises médicales et de la Société française de pédiatrie médicolégale, un nouveau décret a été publié au Journal officiel le 25 novembre 2021.

Le décret n° 2021-1516 du 23 novembre 2021 précise les dispositions du code de procédure pénale relatives aux modalités selon lesquelles les personnes victimes de violences peuvent obtenir copie du certificat médical réalisé par un médecin requis par les autorités judiciaires, afin de préciser les règles applicables lorsqu’il s’agit d’une victime mineure, notamment en cas de suspicion de violences intrafamiliales.

Le décret du 23 novembre 2021 ajoute un alinéa VII à l’article D. 12-1 du code de procédure pénale précisant que, lorsque l’examen concerne une victime mineure, le médecin n’a pas l’obligation de remettre une copie du certificat aux représentants légaux de la victime qui en font la demande s’il estime que cette communication pourrait être contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant, « notamment en cas de suspicion de violences intrafamiliales, ou si le mineur disposant d’un degré de maturité suffisant le refuse ».

La confusion vient du fait qu’il est noté des violences « intrafamiliales » sur mineur, ce qui évoque une violence exercée par un ascendant, alors que cet article est inséré dans une section des victimes de violences au sein du couple. Certes, un mineur ou une mineure peut être victime de violences par son partenaire, donc au sein d’un couple mais c’est beaucoup moins fréquent que les violences par ascendant.

Enfin, l’article D. 1-12 du code de procédure pénale dispose que la demande « peut également être faite par l’avocat de la victime, notamment si ce dernier envisage le dépôt d’une demande d’ordonnance de protection, y compris selon les modalités prévues par l’article D. 591 du code de procédure pénale »20. Cette disposition spécifique à la victime de violences conjugales pose question quant au respect du secret médical par une unité médico-judiciaire donc un service hospitalier. Suffit-il qu’un avocat nous contacte pour lui adresser le certificat, y compris par voie dématérialisée ? Il semble nécessaire de prévoir au minimum que l’avocat nous fournisse un mandat de son client donc de la victime.

L’article D. 591 du code de procédure pénale concerne une convention passée entre le ministère de la justice et les organisations nationales représentatives des barreaux, pour que les avocats des parties puissent transmettre des documents par télécommunication sécurisée et tracée aux juridictions.

La réception de la demande sur la boîte aux lettres électronique du destinataire donne lieu à l’émission d’un accusé de réception électronique. « Toute demande transmise à une adresse électronique ne figurant pas sur la liste des adresses transmise par le ministère de la Justice en application de la convention prévue au premier alinéa est irrecevable. »

Les adresses électroniques des unités médico-judiciaires ne figurent pas dans cette liste.

Publié au Journal officiel du 25 novembre 2021, jour symbolique, ce décret n° 2021-1516 du 23 novembre 2021 entrera en vigueur le 1er février 2022. La réglementation sera-t-elle à nouveau complétée par un nouveau décret d’ici là ? Il serait souhaitable qu’une réflexion associant des magistrats et des médecins légistes de terrain mais aussi les ministères de la Santé et de la Justice, puisse avoir lieu pour clarifier cet accès, le limiter ou non aux violences au sein du couple et sur les transmissions des certificats par mail.

 

Notes

1. Décr. n° 2021-364, 31 mars 2021, relatif aux modalités de remise des certificats médicaux aux victimes de violences.

2. On utilise le terme de « victime de violences », même s’il s’agit d’un plaignant ou d’une plaignante au stade du dépôt de plainte et de l’examen sur réquisition à la demande des autorités.

3. C. pr. pén., art. 156.

4. C. pr. pén., art. 10, 434 ; C. pr. civ., art. 160.

5. V. not. C. pén., art. 222-11.

6. C. pr. civ., art. 6 et 16 ; Conv. EDH, art. 6, § 1er.

7. C. pr. pén., art. D. 1-12, II.

8. C. pr. pén., art. D. 1-12, II.

9. Mon espace santé est un nouveau service public qui permettra à chacun de stocker et partager ses documents et ses données de santé et comporte une version améliorée du dossier médical partagé (DMP). Sa généralisation est prévue pour janvier 2022.

10. Le numéro de sécurité sociale correspond au numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP). Il est créé à partir de l’état civil, formé du numéro d’inscription (NIR) à 13 chiffres et d’une clé de contrôle à 2 chiffres.

11. L. n° 78-17 du 6 janv. 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés dite « informatique et libertés » régulièrement modifiée mais pas codifiée.

12. L’ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018, prise en application de l’article 32 de la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles et portant modification de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés a permis de transposer le nouveau cadre européen en matière de protection des données à caractère personnel, composé notamment du règlement européen 2016/679 sur la protection des données (RGPD) applicable à compter du 25 mai 2018.

13. Entre le 3 sept. et le 25 nov. 2019.

14. CSP, art. L. 1111-2.

15. CSP, art. R. 1112-4, mod. par le Décr. n° 2021-684 du 28 mai 2021.

16. C. civ., art. 371-1 s.

17. CSP, art. L. 1111-2.

18. CSP, art. L. 1111-5 et L. 1111-5-1.

19. CSP, art. L. 1111-7.

20. C. pr. pén., art. D. 1-12, VI.