À l’occasion des élections régionales et départementales qui se tiendront les dimanches 20 et 27 juin 2021, il nous semble pertinent d’aborder le contrôle non juridictionnel des opérations électorales. S’il revient au juge administratif d’apprécier la régularité d’un scrutin en cas de contentieux, il existe néanmoins un dispositif en amont qui permet de s’assurer du bon déroulement d’un scrutin. En effet, chaque scrutin se déroule sous le contrôle d’un organe particulier : le bureau de vote. Composé d’un président, d’au moins deux assesseurs et d’un secrétaire conformément à l’article R. 42 du code électoral, premier alinéa. Tout est organisé par le code électoral : la présidence revient en application de l’article R. 43 du code électoral au maire, aux adjoints et aux conseillers municipaux dans l’ordre du tableau. À leur défaut, les présidents sont désignés par le maire parmi les électeurs de la commune. Le secrétaire est désigné par le président du bureau de vote et les assesseurs parmi les électeurs de la commune et n’a que voix consultative, son rôle étant de rédiger le procès-verbal des opérations électorales. En cas d’absence, il est remplacé par l’assesseur le plus jeune. Compte tenu de son rôle limité à la simple rédaction, il a été jugé que la désignation par le maire, et non par le bureau, d’un employé municipal comme secrétaire n’est pas de nature à vicier les opérations électorales (CE 3 janv. 1975, Élections municipales de Nice, req. n° 84188) ou du secrétaire de mairie n’était pas irrégulière dès lors qu’il possède la qualité d’électeur (CE 14 mai 1993, Élections cantonales de Roura [Ho-A-Chuck], req. n° 138718).
La situation des assesseurs est particulière. En application de l’article R. 44 du code électoral, chaque candidat ou chaque liste en présence a le droit de désigner un assesseur, et un seul, parmi les électeurs du département. Leur nombre ne doit pas être inférieur à deux. Si, pour une cause quelconque, le nombre d’assesseurs ainsi désignés est inférieur à deux, les assesseurs manquants sont pris parmi les électeurs présents sachant lire et écrire le français, selon l’ordre de priorité suivant : l’électeur le plus âgé, puis l’électeur le plus jeune. L’article R. 45 du code électoral dispose que chaque candidat ou chaque liste de candidats en présence désigne un assesseur peut également lui désigner un suppléant pris parmi les électeurs du département. Ces suppléants exercent les prérogatives des assesseurs quand ils les remplacent. Cependant, ils ne peuvent toutefois pas remplacer ces derniers pour le dépouillement ni pour la signature du procès-verbal des opérations électorales.
Conformément à l’article R. 46 du code électoral, alinéa trois, les nom, prénoms, date et lieu de naissance et adresses des assesseurs et de leurs suppléants désignés par les candidats ou liste en présence ainsi que le bureau de vote auquel ils sont affectés, sont notifiés au maire, par pli recommandé, au plus tard le troisième jour précédant le scrutin au plus tard à 18 heures, c’est-à-dire au plus tard le jeudi. Cependant, le Conseil d’État considère que, si la liste des assesseurs, quoique n’ayant pas été envoyée par pli recommandé, a été déposée dans les délais légaux à la mairie, lesdits assesseurs doivent être considérés comme régulièrement désignés (CE 20 déc. 1972, Élections municipales Santa-Maria-di-Lota). Par ailleurs, sauf indication contraire, la désignation des assesseurs et de leurs suppléants est valable pour les deux tours du scrutin. Ainsi, dans un arrêt rendu le 17 juin 2015, le juge du Palais-Royal a jugé que, « lorsqu’une liste de candidats notifie régulièrement, avant le premier tour du scrutin, la liste de ses assesseurs, cette liste d’assesseurs reste valable pour le second tour, sauf si la liste de candidats la modifié entre les deux tours, alors même que la liste des assesseurs désignés porte une mention « premier tour » (CE 17 juin 2015, Élections municipales de Noisy-le-Grand, req. n° 385713, Dalloz actualité, 25 juin 2015, obs. J.-M. Pastor). Le maire doit délivrer un récépissé de cette déclaration, ce récépissé sert de titre et garantira les droits attachés à la qualité d’assesseur ou de suppléant. Le maire notifie l’identité des assesseurs désignés au président de chaque bureau de vote intéressé, avant la constitution desdits bureaux.
Chaque conseiller municipal assesseur peut également désigner son suppléant soit parmi les autres conseillers municipaux, soit parmi les électeurs de la commune. Il doit en informer le maire avant l’ouverture du scrutin. Il convient de préciser également qu’un même électeur peut être désigné comme suppléant d’assesseurs de plusieurs bureaux de vote du même département. Cependant, il ne peut être ni président, ni suppléant d’un président, ni assesseur titulaire dans aucun bureau de vote. De même, en aucun cas un assesseur et son suppléant ne peuvent siéger en même temps.
S’agissant des compétences, il convient de distinguer entre celles propres du président du bureau de vote et celles qui relèvent de la collégialité, en l’espèce, le président et les assesseurs désignés par les candidats en lice.
Le président dispose de plusieurs prérogatives qui lui sont reconnues par différentes dispositions du code électoral.
► Constatation publique et mention au procès-verbal de l’heure d’ouverture et l’heure de clôture du scrutin (C. élect., art. R. 57, 1er al.).
► exercice de la police de l’assemblée : nulle force armée ne pouvant, sans son autorisation, être placée dans la salle de vote ni aux abords de celle-ci et les autorités civiles et commandants militaires sont tenus de déférer à ses réquisitions (C. élect., art. R. 49). Il convient de rappeler qu’une réquisition effectuée par le président du bureau de vote ne peut avoir pour objet d’empêcher les candidats ou leurs délégués d’exercer le contrôle des opérations électorales ou toute prérogative prévue par les lois et règlements (C. élect., art. R. 50, 1er al.). Ainsi, dans un arrêt rendu le 17 décembre 2008, le juge du Palais-Royal a considéré que l’évacuation de la salle de vote avant que débute le dépouillement du premier tour de scrutin alors que cette mesure de police n’était pas justifiée par la nécessité de maintenir l’ordre public entraînait l’annulation de scrutin « les électeurs ont été privés de la possibilité d’exercer le droit qui leur appartient de surveiller le dépouillement du scrutin ; la circonstance que des représentants des listes en présence ont été admis à assister au dépouillement n’est pas de nature à couvrir l’irrégularité qui entache les opérations de dépouillement » (CE 17 déc. 2008, Élections municipales de La Couture (Vendée), req. n° 317472).
► Responsabilité des bulletins de vote déposés dans la salle (C. élect., art. R. 55, 1er al.). Cette responsabilité est lourde car il doit veiller à assurer l’égalité des candidats pour participer au scrutin avec un risque sérieux d’annuler en cas d’atteinte à cette égalité. Le troisième alinéa de l’article précité permettant aux candidats ou à leurs mandataires de remettre directement au président d’un bureau de vote les bulletins, le Conseil d’État a jugé dans un arrêt rendu le 17 décembre 2008 que « c’est à bon droit que le tribunal administratif a annulé les opérations électorales dès lors que le président du bureau de vote s’est opposé, violation de l’article R. 55 du code éléctoral, au dépôt par M. A… de bulletins de vote à son nom avant l’ouverture du bureau de vote, portant atteinte à la liberté et à la sincérité du scrutin » (CE 17 déc. 2008, Élections municipales de Bellefoisse [Bas-Rhin], req. n° 317293).
► Détention de l’une des clés de l’urne, l’autre clé restant entre les mains d’un assesseur tiré au sort (C. élect., art. L. 63 du code électoral, 1er al.).
► Vérification que la carte électorale ou l’attestation d’inscription en tenant lieu correspond au titre d’identité de l’électeur se présentant pour voter. Il convient de relever que cette formalité qui ne s’appliquait auparavant que dans les communes de plus de 5 000 habitants est désormais obligatoire pour toutes les communes de 1 000 habitants et plus. Sur leur demande, les assesseurs peuvent être associés à ce contrôle d’identité (C. élect., art. R. 60). Le contrôle doit être effectif et partagé avec les assesseurs. Dans une décision rendue le 21 mai 1986, le Conseil d’État a jugé que « l’absence de contrôle d’identité de nombreux électeurs, jointe à d’autres irrégularités en matière propagande, a pu, en l’espèce, et compte tenu du faible écart de voix, justifier l’annulation du scrutin » (CE 21 mai 1986, Élections cantonales de Châlette-sur-Loing, req. n° 70546).
► Proclamation publique dès l’établissement du procès-verbal, les résultats de l’élection et affiche ceux-ci en toutes lettres dans la salle de vote (C. élect., art. R. 67, dernier al.).
En ce qui concerne le bureau de vote, sa mission essentielle est de contrôler et d’assurer la régularité et la sincérité des opérations électorales. À cet effet, trois membres du bureau de vote doivent toujours être présents pendant toute la durée des opérations électorales, le bureau devant toutefois être au complet lors de l’ouverture et la clôture du scrutin. En application de l’article R. 52 du code électoral, c’est le bureau qui doit statuer et se prononcer provisoirement sur les difficultés qui s’élèvent touchant les opérations électorales par décisions obligatoirement motivées et adoptées à la majorité de ses membres ayant voix délibérative. Il convient d’indiquer que toutes les réclamations formulées et les décisions prises doivent figurer au procès-verbal avec les pièces qui s’y rapportent et qui y sont annexées après avoir été paraphées par les membres du bureau. De même, pendant toute la durée des opérations de votre, le procès-verbal qui est sous la responsabilité du secrétaire du bureau de vote est tenu à la disposition des membres du bureau, candidats, remplaçants et délégué des candidats, électeurs du bureau et personnes chargées du contrôle des opérations, lesquels peuvent y faire porter leurs observations ou réclamations. Le bureau de vote (il s’agit ici de l’ensemble des président et assesseurs, le secrétaire n’ayant qu’une voix consultative) :
• se prononce provisoirement sur les difficultés qui peuvent s’élever touchant les opérations électorales, par exemple sur la validité des bulletins de vote (C. élect., art. R. 52) ;
• constate avant l’ouverture du scrutin que le nombre d’enveloppes déposées sur la table de décharge correspond au nombre des électeurs inscrits (C. élect., art. L. 60, al. 3) ;
• constate le vote des électeurs en faisant parapher la liste d’émargement par l’électeur en face de son nom, ces différentes tâches étant réparties entre les différents assesseurs (C. élect., art. L. 62-1, dernier al.). Il convient d’être exigeant sur la signature qui doit être apposée sur la liste d’émargement, laquelle doit être personnalisée. En effet, pour le Conseil d’État, « seule la signature personnelle, à l’encre, d’un électeur étant de nature à apporter la preuve de sa participation au scrutin, la constatation d’un vote par l’apposition d’une croix sur la liste d’émargement ne peut être regardée comme garantissant l’authenticité de ce vote, alors même qu’aurait été produite a posteriori dans le cadre de l’instruction devant les premiers juges une attestation des membres du bureau destinée à démontrer la participation effective de l’électeur concerné au scrutin » (CE 11 janv. 2002, req. n° 234948, Élections municipales de Saint-Pierre [Saint-Pierre-et-Miquelon]) ;
• estampille au moyen d’un timbre portant la date du scrutin la carte électorale ou l’attestation d’inscription du votant, ces différentes tâches étant réparties entre les différents assesseurs (C. élect., art. R. 61, al. 2 et 3). Ce travail est réparti entre les assesseurs et revêt une importance capitale dans les opérations de vote, sa méconnaissance pouvant entraîner l’annulation du scrutin. Ainsi, dans un arrêt rendu le 1er février 1984, le juge du Palais-Royal a jugé que « constitue une manœuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin, nonobstant l’écart de voix, le fait que les fonctions d’émargement, d’estampillage des cartes d’électeur et de contrôle de l’urne aient été assurées pendant tout le scrutin, non par les assesseurs et leurs suppléants, mais, selon un “tableau de service” établi par le maire et maintenu malgré les protestations des candidats, par des personnes étrangères aux bureaux de vote et au surplus candidates pour la plupart sur la liste du maire sortant » (CE 1er févr. 1984, Élections municipales de Blénod-lès-Pont-à-Mousson, req. n° 51139) ;
• signe, dès la clôture du scrutin, la liste d’émargement. La liste d’émargement est une copie de la liste électorale certifiée par le maire sur laquelle figure l’ensemble des électeurs du bureau de vote concerné. Le vote de chaque électeur est constaté par sa signature apposée à l’encre en face de son nom sur cette liste, d’où le terme de liste d’émargement (C. élect., art. R. 62). La signature de la liste d’émargement est importante, le juge du Palais a considéré que « des listes d’émargement non signées par les membres du bureau et déposées à la sous-préfecture seulement le lendemain du scrutin, en violation de l’article L. 68, sont dépourvues de force probante et ne permettent pas la vérification des opérations électorales » (CE 28 mars 1984, Élections municipales de La Tour-du-Pin, req. n° 51667) ;
• désigne les scrutateurs parmi les électeurs présents sachant lire et écrire, lorsqu’ils ne sont pas désignés préalablement par les candidats ou les listes. Les scrutateurs sont répartis par table de quatre au moins (C. élect., art. L. 65, 1er al.). Le rôle des scrutateurs est détaillé de manière précise par le troisième alinéa de l’article L. 65 du code électoral : à chaque table, un des scrutateurs extrait le bulletin de chaque enveloppe et le passe déplié à un autre scrutateur ; celui-ci le lit à haute voix ; les noms portés sur les bulletins sont relevés par deux scrutateurs au moins sur des listes de comptables préparés à cet effet ;
• surveille le dépouillement et peut y participer si le nombre des scrutateurs est insuffisant (C. élect., art. R. 64, 1er al.) ;
• signe les deux exemplaires du procès-verbal rédigé par le secrétaire et joint au procès-verbal les feuilles de pointage et les bulletins blancs, nuls et litigieux (C. élect., art. R. 67, 2e al.). Les délégués des candidats ou des listes en présence sont également obligatoirement invités à contresigner les deux exemplaires du procès-verbal ;
• détruit, en présence des électeurs, les bulletins considérés comme valables (C. élect., art. R. 68, dernier al.) ;
• en cas de plusieurs bureaux de vote, transmet au bureau dit centralisateur, les deux exemplaires du procès-verbal, les membres du bureau de vote centralisateur signant le procès-verbal de recensement des bureaux de vote (C. élect., art. R. 69).
À côté de ce bureau de vote, il convient de rappeler qu’en application de l’article L. 67 du code électoral, tout candidat ou son représentant dûment désigné a le droit de contrôler toutes les opérations de vote, de dépouillement des bulletins et de décompte des voix, dans tous les locaux où s’effectuent ces opérations, ainsi que d’exiger l’inscription au procès-verbal de toutes les observations, protestations ou contestations sur lesdites opérations, soit avant la proclamation du scrutin, soit après. Aux termes de l’article R. 47 du code électoral, chaque candidat, binôme de candidats ou liste de candidats a le droit d’exiger la présence en permanence dans chaque bureau de vote d’un délégué habilité à contrôler toutes les opérations électorales. Chaque candidat, binôme de candidats ou liste de candidats ne peut désigner qu’un seul délégué par bureau de vote. Un même délégué peut être habilité à exercer ce contrôle dans plusieurs bureaux de vote.
Nous constatons donc que la démocratie et le vote qui en est l’incarnation disposent pour chaque scrutin d’une organisation particulière visant à s’assurer des modalités de son déroulement.