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Le droit en débats

Cour nationale du droit d’asile : les avocats, maîtres de la Cour ?

Une rapporteure à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) raconte son quotidien de l’intérieur. Une série en cinq épisodes (5/5).

Par Lou Mazer le 20 Septembre 2019

À la CNDA, 87 % des requérants sont assistés par un avocat. C’est dire si les avocats sont des acteurs incontournables de l’asile.

Une part extrêmement importante des requérants est assistée par un avocat rémunéré à l’aide juridictionnelle. Si le rapport d’activité de la CNDA ne révèle pas le pourcentage des avocats qui interviennent au titre de l’aide juridictionnelle, il convient de noter que le bureau d’aide juridictionnelle de la Cour a rendu, en 2018, 46 639 décisions, soit un tout petit peu moins que le nombre de décisions rendues par la Cour (47 314). Si l’aide juridictionnelle est généralement conditionnée à une condition de ressources, la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique dispose qu’elle est accordée, devant la CNDA, de plein droit aux étrangers résidant habituellement en France. 

Dans les faits, comment se passe la relation entre la Cour et les avocats ? Il y a d’indéniables difficultés. Nous pouvons le voir de manière régulière lors des audiences lorsque les avocats se présentent en retard, ce qui, si ce n’est pas la norme, est tout de même très fréquent. Les avocats prétextent souvent des problèmes de transport ou s’étonnent d’un « je pensais qu’il y avait d’autres affaires avant moi », ce à quoi le ou la présidente répond de manière cynique « c’est également ce que ce sont dit vos confrères, maître ».

Nous avons également pu constater à quel point la Cour est bloquée sans les avocats lorsque ces derniers ont fait grève. Ce fut le cas lors de l’examen du projet de loi asile en 2018 participant ainsi, avec la grève des rapporteurs et celle de la SNCF, à établir le taux de renvoi à 38 % cette année-là. La grève des avocats relative à l’introduction des vidéo-audiences à Lyon et à Nancy a également fait réagir la direction de la Cour et une médiation a été mise en place pour trouver une solution (celle-ci est toujours en cours).

Passer outre l’absence de l’avocat

Pendant longtemps, la Cour et ses juges ont considéré qu’une affaire ne pouvait pas être entendue en audience si le requérant avait pris un avocat intervenant au titre de l’aide juridictionnelle qui était absent ce jour-là. Toutefois, peut-être en raison des abus, la Cour a changé ses directives.

Certains critères sont pris en compte pour prendre la décision de passer l’affaire si l’avocat est absent. Certains juges considèrent que si l’avocat qui intervient à l’aide juridictionnelle a produit le recours ou un mémoire, ils peuvent passer l’affaire même en son absence. Le deuxième critère a été révélé cet été par une communication du Secrétariat général pour éviter les demandes de renvoi abusives des avocats partant en vacances. Ainsi, ne devaient pas être acceptées les demandes de renvoi liées à l’absence de l’avocat lorsque celui-ci a « prêté son concours », c’est-à-dire a accepté, à la demande du requérant, de le représenter et n’a donc pas été désigné par le bureau d’aide juridictionnelle.

Ainsi, la Cour tente, de plus en plus, de faire comprendre aux avocats qu’ils ne sont pas les maîtres de la Cour et doivent respecter les règles de la juridiction. Cet objectif et ces méthodes, que certains juges espèrent voir validées par le Conseil d’État, montrent une querelle entre la Cour qui veut toujours éviter les renvois et les avocats attachés à leurs privilèges rendus possibles par la pratique de Cour. Tout ça aux dépens du demandeur d’asile.

Un avocat qui intervient au titre de l’aide juridictionnelle est rémunéré 512 €. 50 et 80 % de cette somme est consacré au paiement des charges diverses. L’avocat est donc faiblement rémunéré pour le travail effectué pour un dossier. En effet, l’avocat est supposé rencontrer son client, parfois à plusieurs reprises pour rédiger un mémoire, être en contact régulier avec l’association qui assure le suivi du demandeur d’asile, travailler sur le dossier en apportant de la jurisprudence et des éléments d’informations géopolitiques et se présenter à l’audience à laquelle il peut attendre plusieurs heures avant le passage de son dossier. À noter également qu’un avocat de province ne touchera pas plus qu’un avocat parisien et devra voyager à ses frais. Tout cela pour un salaire compris entre 100 et 250 €…

Mais parfois, certains avocats se contentent de formuler un recours sommaire qui n’apporte rien aux débats, et rencontrent pour la première fois leur client le jour de l’audience.

Certains avocats, par leur méconnaissance du dossier ou du droit d’asile, peuvent également desservir leur client. Pour citer des exemples relatifs à l’incompétence ou en tout cas au faible investissement de certains avocats, il n’est pas rare qu’ils confondent République démocratique du Congo et Congo Brazzaville en citant des sources relatives au premier pays alors que le requérant est originaire du deuxième.. Des avocats demandent également la création d’un groupe social alors que celui-ci n’a aucune raison d’être et que les craintes de leurs clients peuvent facilement être liées à un motif politique, ethnique ou religieux. Il arrive même que les avocats plaident leur incompétence au regard de la faiblesse du dossier en expliquant qu’eux non plus n’ont pas cru aux déclarations du requérant tout en invoquant l’extrême vulnérabilité du requérant qui pourrait suffire à lui reconnaître une protection.

Par ailleurs, certains avocats ne maîtrisent pas la distinction entre qualité de réfugié et protection subsidiaire. Ils se contentent, en principe, de demander « la reconnaissance de la qualité de réfugié et à titre subsidiaire, le bénéfice de la protection subsidiaire ». Il convient toutefois de noter que la qualification juridique est, dans la majorité des cas, évidente et que seuls quelques dossiers laissent un doute quant à la protection qui pourrait être donnée au demandeur. Il s’agit principalement des problématiques liées à un groupe social ainsi que des demandes qui cumulent plusieurs motifs de persécution. Nous pouvons ainsi facilement repérer les avocats compétents qui concluent leur plaidoirie en s’appuyant sur un unique motif. D’autres avocats se méprennent et demandent le statut de réfugié « car l’État est l’agent persécuteur » alors que cette circonstance n’a aucune incidence sur la qualification juridique qui dépend en réalité du motif des persécutions.

Il y a également les avocats, nombreux, qui s’appuient sur de mauvais fondements juridiques pour réclamer la condamnation de l’OFPRA au versement d’une somme d’argent au bénéfice soit de lui-même soit du requérant. Ils peuvent ainsi confondre les articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 en fonction du bénéficiaire et s’entêtent parfois à invoquer l’article L. 761-1 du code de justice administrative alors qu’il ne concerne pas le contentieux devant la Cour nationale du droit d’asile. Ces erreurs, certes peu préjudiciables aux demandeurs d’asile, rendent toutefois compte du faible investissement de certains avocats réguliers de la Cour.

Certains avocats, notamment de jeunes avocats, s’investissent énormément et peuvent renverser le sens de la décision grâce à la pertinence de leur recours et de leur plaidoirie. D’autres – parfois connus –  n’aident en revanche pas leurs clients…

 

Épisode 1 : Mon travail comme rapporteure à la Cour nationale du droit d’asile

Épisode 2 : La politique du chiffre à la Cour nationale du droit d’asile

Épisode 3 : Cour nationale du droit d’asile : la protection subsidiaire dans les cas de conflits armés

Épisode 4 : Les demandes d’asile fondées sur l’homosexualité de la personne