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Le droit en débats

Couvrez ce sein que je ne saurais voir… sur la plage

À l’été 1997, Julien Clerc chantait :
« Faut des ronds, faut des courbes,
Des marchands d’marrons, rue Lecourbe.
Faut des ballons, des cerceaux
Et les seins de Sophie Marceau.
»
Pourtant, certaines publications sur les réseaux sociaux laisseraient entendre que certains représentants des forces de l’ordre, sur la plage, n’auraient pas vraiment à cœur d’arrondir les angles…

Par Camille Manya le 01 Septembre 2020

Une drôle d’affaire, qui agite réseaux sociaux et médias locaux et nationaux, se serait déroulée dans une station balnéaire des Pyrénées-Orientales. Le 20 août dernier, sur la plage de Sainte-Marie-La-Mer, deux gendarmes réservistes auraient demandé à plusieurs femmes de se couvrir la poitrine avec leurs maillots de bain. La commune de Sainte-Marie-La-Mer a immédiatement communiqué, indiquant qu’il s’agissait d’un acte isolé, indépendant de sa volonté. Elle précise qu’aucun acte réglementaire, applicable sur le territoire communal, n’interdit aux femmes de bronzer seins nus, sur la plage.

Quel est le cadre juridique du bronzage seins nus, appelé couramment topless ?

Cette pratique n’est pas interdite par la loi. Le code pénal sanctionne le délit d’exhibition sexuelle (C. civ., art. 222-32) mais il n’interdit de profiter du soleil ou de la baignade les seins nus, sur une plage. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt de sa chambre criminelle du 4 janvier 2006, n° 05-80.960.

Il est, par ailleurs, jugé depuis bien longtemps que la nudité du corps humain, pour des raisons de sport, d’hygiène ou d’esthétique, n’a rien en soi qui puisse outrager une pudeur normale, même délicate, s’il ne s’accompagne pas de l’exhibition des parties sexuelles ou d’attitudes ou gestes lascifs et obscènes (par exemple, l’arrêt de la cour d’appel de Riom du 16 nov. 1937, DH 1938. 109 ; RSC 1938. 301, évoque ce cas précis). Récemment, la Cour de cassation a considéré que le fait pour une femme d’exhiber sa poitrine constitue bien le délit d’exhibition sexuelle mais ne saurait être sanctionné dès lors que le comportement relève d’une démarche de protestation politique (cas d’une ex-Femen, Crim. 26 févr. 2020, n° 19-81.827).

En revanche, dans les rues adjacentes à la plage, une femme ne peut se promener les seins nus.

Le tribunal correctionnel de Grasse a, dans un jugement du 29 mai 1965 (JCP 1965. II. 14323), estimé que le spectacle d’une femme s’exhibant la poitrine entièrement nue, dans les rues d’une ville, même à proximité d’une plage, était de nature à provoquer le scandale et à offenser la pudeur du plus grand nombre. Du côté de la loi, rien n’interdit donc à une femme de bronzer sur la plage seins nus.

En effet, on imagine mal un acte réglementaire interdire cette pratique.

Rappelons que le maire d’une commune est compétent pour prendre toutes les mesures nécessaires au maintien de la sécurité publique sur le territoire de sa commune, en vertu de l’article L. 2212-2 et suivants du code général des collectivités territoriales.

Au même titre qu’il peut par exemple, réglementer la vitesse en agglomération, par la voie d’un arrêté municipal, il pourrait interdire la pratique du topless sur les plages de sa commune, en prévoyant une interdiction, ainsi qu’une sanction en cas de non-respect.

La plage n’échappe pas à la règle.

On se souvient de la polémique, il y a quelques années, à propos, cette fois, d’une interdiction de se vêtir d’une certaine façon, en l’occurrence, de porter sur certaines plages des burkinis.

Le Conseil d’État a mis un coup d’arrêt à ces arrêtés, en précisant, dans une ordonnance du 26 août 2016 (nos 402742 et 402777), que le burkini ne cause aucun trouble à l’ordre public et son interdiction menaçait les libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle.

Citons l’exception de Paris-Plage sur les quais de Seine, qui agrémente l’été parisien. Dans un arrêté municipal en date de 2006, le maire de Paris avait édicté que « le comportement du public doit être conforme aux bonnes mœurs, à la tranquillité, à la sécurité et à l’ordre public […]. Sont notamment interdits : les tenues indécentes (naturisme, string, monokini, etc.). »

De son côté, le tribunal administratif de Montpellier a déjà eu à se prononcer sur la légalité d’un arrêté municipal pris par le maire de la Grande-Motte, qui interdisait, en dehors des plages et de la promenade de la mer, de se trouver sur la voie publique en étant seulement vêtu d’une tenue de bain, le torse nu. Par un jugement du 18 décembre 2007 (n° 053863), la juridiction a précisé qu’en l’absence de circonstances locales particulières, le seul caractère immoral allégué desdites tenues, à le supposer même établi, ne peut fonder légalement leur interdiction, nonobstant le caractère limité dans le temps de celles-ci. Cet arrêté a ainsi été annulé.

Il s’agit d’une application pure et simple de la position du Conseil d’État, plus haute juridiction administrative, qui considère, dans son arrêt Commune d’Arcueil, du 8 décembre 1997, n° 171134, que l’atteinte à la moralité publique ne peut fonder une intervention au titre de la police générale, que si cette atteinte résulte de circonstances locales particulières et est à l’origine de troubles à l’ordre public.

Il n’est pas inutile aussi de rappeler que le juge administratif doit contrôler pleinement les motifs qui justifient une mesure de police, et notamment les risques de troubles à l’ordre public, ainsi que la proportionnalité de la mesure retenue au regard de ces risques.

C’est ce que le Conseil d’État a précisé dans son célèbre arrêt Benjamin de 1933.

Si l’affaire de la commune de Sainte-Marie-La-Mer poussait le maire à prendre un arrêté interdisant la pratique du topless sur la plage, on peut légitimement penser que le juge administratif censurerait ce dernier en l’absence de circonstances locales l’exigeant.

Mais le maire de la Commune de Sainte-Marie-La-Mer ne semble, en tout état de cause, nullement envisager de prendre un arrêté en ce sens.

Dès lors, si, sur la plage, les femmes sont libres de se vêtir, elles sont également en droit de se dévêtir.