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Le droit en débats

Dans sa vision punitive de la réglementation sur les loyers d’habitation, notre législateur a perdu le sens de la mesure !

En insérant dans la loi de 1989 un article qui pénalise le fait, pour un bailleur ou tout intermédiaire, de refuser l’établissement d’un contrat conforme à la loi et la délivrance d’un reçu ou d’une quittance de loyer ou de dissimuler ces obligations, le législateur envoie un message désastreux.

Par François de la Vaissière le 15 Mai 2024

Nul n’ignore que dans son souci, évidemment salutaire, de protéger la partie supposée vulnérable dans un bail d’habitation, il a été introduit dans notre droit locatif de plus en plus de sanctions à l’encontre du bailleur privé, alors que la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 qui régit avec ordre public la résidence principale dispose en liminaire (art. 1er) qu’elle doit demeurer « équilibrée ». On peut certes admettre que cette frénésie ait pour but légitime de réprimer certains abus, bien que la majorité des « petits » bailleurs ne soit guère en situation d’exercer une puissance économique sur le cocontractant, mais soit plutôt encline à se plaindre des difficultés notoires à obtenir justice dans les délais raisonnables garantis par la Convention européenne des droits de l’homme lorsqu’il s’agit d’évacuer un occupant coupable d’une indéniable faute contractuelle, ou pire de reprendre possession de son immeuble squatté et dévasté, ou de recevoir la contrepartie pécuniaire d’une mise à disposition régulière, mais à laquelle on oppose souvent une particulière mauvaise foi.

Inventaire

L’inventaire des précautions réglementaires mises sur la route du propriétaire qui réalise un investissement locatif, ou qui désire seulement disposer d’un revenu alimentaire à sa retraite, est hautement dissuasif et participe certainement de la pénurie locative qu’on peut actuellement observer en zones tendues, où foisonnent des contraintes de toutes sortes incorporées progressivement, sans compter un écheveau de plafonnement ou d’encadrement des loyers pratiqués inobservé une fois sur deux, qui n’est pas la meilleure façon d’inciter à sortir de la vacance du logement envisagée comme mesure prophylactique. Qu’on songe, par exemple et non limitativement, aux pièces diagnostics divers et annexes à fournir pour la rédaction d’un bail, à la limitation du droit du bailleur à s’assurer de la solvabilité du preneur, à la pénalisation de la restitution du dépôt de garantie, aux pouvoirs donnés au juge pour réduire ou supprimer le loyer exigible afin de contrarier toute velléité de s’abstenir d’observer une réglementation abondante mais généralement ressentie comme à sens unique. Qu’on pense à cette propension assez lunaire à interdire de location cinq millions de passoires thermiques, pour le bien-être d’un locataire dont on ne peut corrélativement augmenter le loyer, alors que l’on connaît présentement une crise du secteur immobilier telle qu’il est bien des villes moyennes où il est aujourd’hui impossible de trouver un studio à louer….

Nouveau délit

C’est dans ce contexte que la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement (JO 10 avr.) a créé un article 3-4 de la loi susvisée de 1989 incriminant pénalement à hauteur d’un an d’emprisonnement, et de 20 000 € (pour les personnes physiques) ou jusqu’à 100 000 € d’amende (pour les personnes morales pénalement responsables) tout bailleur ou intermédiaire s’abstenant de délivrer une quittance ou un reçu du loyer au locataire, refusant de rectifier un acte de location pour le rendre conforme au contrat-type, ou de dissimuler ces obligations.

Était-il opportun, au sortir de la loi anti-squat du 27 juillet 2013 ayant déjà correctionnalisé de façon controversée le maintien du débiteur expulsé dans les lieux loués, tout en refusant d’exonérer le propriétaire des conséquences d’une dégradation que le squatteur lui-même aurait causé lors de sa présence illicite dans la propriété d’autrui, de créer un nouveau délit au détriment des bailleurs et de leurs administrateurs de biens à un niveau aussi manifestement déséquilibré dans le montant des sanctions, et même dans leur principe ?

La législation sur les loyers permet déjà de tirer toutes les conséquences civiles d’un pareil refus, en octroyant au juge des contentieux de la protection des pouvoirs spéciaux et généraux pour contrarier la fraude et l’ensemble des comportements abusifs d’où qu’ils proviennent.

Dans une société qui s’ensauvage nettement, le message est désastreux en ce qu’il met en relief l’impunité de certains comparé au sort d’un propriétaire qui pour être peut-être mieux nanti que son locataire ne mérite certainement pas un an de prison parce qu’il aurait laissé sans réponse une demande de quittance de loyer.

Folie, démesure et inefficacité

C’est folie de s’affranchir à ce point d’une décence commune qui impose la proportionnalité des peines comme principe général du droit répressif. On est dans la démesure qui frappe d’inefficacité cette tendance à généraliser les sanctions pénales à toute occasion, alors que chacun sait, d’une part que si la non-délivrance d’une quittance en contravention avec l’article 21 de la loi de 1989 venait à créer un dommage au preneur alors inapte à obtenir une aide au logement de ce fait, le juge civil ne manquerait pas de l’indemniser, d’autre part que le refus d’établir un contrat de bail conforme d’une résidence principale seule en cause en loi de 1989 est sans conséquence juridique dans une législation entièrement d’ordre public, et qu’il existe déjà un contenu normatif largement protecteur de la potentielle victime dans l’article 3 de la loi de 1989 imposant à tout moment à chaque partie d’établir un tel contrat.

Rédaction inappropriée

Voir enfin dans cet aspect de la loi nouvelle un effort des pouvoirs publics pour surtout contrarier la location « au noir », comme quelques commentateurs l’envisagent, n’est pas hors de propos, mais alors la rédaction adoptée est peu appropriée, car l’emploi du mot « refus » suppose qu’une demande probante du preneur ait été formalisée, ce qui est peu probable alors que bien des candidats locataires ont « galéré » pour se loger dans l’étroit marché actuel, et que l’existence d’un bail verbal a été reconnue dès lors qu’il ne s’accompagne pas d’une dissimulation fiscale, ce qui est fréquent quand il s’agit de parties profanes de part et d’autre, qui fuient devant la complexité bureaucratique de l’opération, sans autre arrière-pensée maligne.

C’est surabondamment qu’on ajoutera qu’étant sans rapport avec l’objet de la loi l’incorporant, qui est l’habitat dégradé, son article 31 est un cavalier législatif qui n’avait pas sa place dans ce texte.

Errements

Il est désolant que le législateur se laisse aller à de tels errements, qui démonétisent l’exemplarité de la sanction non pas par son insuffisance mais au contraire par son excès, en vidant de sa substance l’obligation à laquelle on est censé inciter. Le bailleur « ordinaire » n’est pas un odieux marchand de sommeil, il n’est pas corvéable à merci, il sait tout comme son gérant d’immeubles qu’il sera contrarié par le système judiciaire s’il venait à échapper aux contraintes de son statut, mais il veut être respecté dans un monde où il assure un besoin fondamental, où le droit à l’erreur s’est généralisé, et où il faut raison garder pour le bien de tous et le respect des engagements comme de la chose jugée.