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Le droit en débats

De l’investigation sauvage à la saisie pénale débridée du compte bancaire de l’avocat

La saisie de sommes d’argent directement auprès du banquier de l’avocat porte une atteinte directe, grave et inéluctable au libre fonctionnement du cabinet d’avocat. Une réforme s’impose.

Par Vincent Nioré le 10 Juin 2021

Mais où sont donc passés le bâtonnier et le vice-bâtonnier, protecteurs des droits de la défense, du secret professionnel et du libre exercice de la profession d’avocat lorsque l’intrusion judiciaire s’invite dans la vie professionnelle de l’avocat dont le compte bancaire est investigué puis l’objet d’une saisie pénale ? Les protecteurs de l’avocat sont absents.

Le compte bancaire de l’avocat est par définition logé chez un tiers. Non-avocat. Son banquier, certes soumis au secret bancaire. Autrement dit, secret de polichinelle à l’heure du règne de la déclaration de soupçon, du contrôle d’espèces par la DGFIP, des réquisitions de toute nature, de la suspicion ancestrale et plus que jamais systématique de l’autorité judiciaire et de l’autorité administrative sur l’honoraire de l’avocat dénoncé sans complexes comme la rémunération du crime, du délit, de l’infraction reprochée au justiciable que l’avocat défend, et blanchit nécessairement par contrainte économique… Précision qui s’impose pour ne blesser personne et sauvegarder les apparences.

L’avocat serait ainsi sujet d’une contrainte à la fraude inhérente à la défense. Comme le disait, lors d’un colloque de droit pénal et fiscal à Luxembourg, notre confrère Thierry Litannie, avocat aux barreaux de Bruxelles et du Brabant Wallon : « Nous sommes des cibles et des armes qu’on tente d’utiliser contre nos clients. » Les avocats pénalistes le savent pertinemment pour être aujourd’hui régulièrement en butte à ces allégations délétères dans des dossiers sensibles de défense du « grand banditisme ».

Cette défense se révèle d’un exercice désormais quasi impossible par sa diabolisation sauf l’intervention protectrice et vigilante du bâtonnier et du vice-bâtonnier dont l’autorité ne sera pas non plus épargnée par la critique des acteurs de l’intrusion judiciaire.

Ces derniers peuvent se révéler exagérément susceptibles lorsque la vérité les taquine alors qu’eux-mêmes se définissent comme « la bouche de la loi » en communion avec les services d’enquête qui s’annoncent comme « les soldats de la loi » en présentant les avocats comme « les hors-la-loi » par la conception de montages dits frauduleux.

Tant l’investigation de l’autorité judiciaire que la saisie pénale proprement dite des valeurs incorporelles et/ou de sommes d’argent qui sont logées sur le compte bancaire de l’avocat échappent au contrôle et à la contestation du bâtonnier et par délégation, du vice-bâtonnier ou de leurs délégués.

Absence d’intervention du bâtonnier à l’occasion de la transmission des relevés du compte bancaire de l’avocat par le banquier

La chambre criminelle de la Cour de cassation, à propos de la saisie des relevés des comptes bancaires de l’avocat, a rendu le 17 décembre 2013 un arrêt (pourvoi n° 13-85.717) qui permet aux enquêteurs agissant sur commission rogatoire d’un magistrat instructeur de saisir sans l’accord de l’avocat ses relevés de comptes en requérant leur communication de la part du banquier, étant précisé qu’en cette espèce, avaient été transmis non seulement des relevés de comptes mais également des photocopies de chèques créditant le compte, c’est-à-dire des chèques des clients.

Et pourtant, une perquisition ne peut pas porter atteinte au libre fonctionnement du cabinet d’avocat comme le prévoit l’article 56-1 du code de procédure pénale sans que cette disposition soit édictée dans le texte à peine de nullité sauf la référence aux dispositions de l’article 59, alinéa 2, du code de procédure pénale qui prévoient que toutes les formalités de l’article 56-1 sont à peine de nullité.

Absence de contestation possible du bâtonnier en matière de saisie pénale d’un compte bancaire d’avocat

L’investigation du compte bancaire de l’avocat et la saisie pénale des fonds qui y sont logés échappent également à la contestation du bâtonnier.

L’honoraire de l’avocat assimilé à la rémunération de la participation par l’avocat au délit ou au crime reproché au justiciable qu’il défend

Or la saisie de sommes d’argent constitutives d’un honoraire est sujette à la contestation du bâtonnier en perquisition lorsqu’elle intervient au domicile ou au cabinet d’un avocat en application des règles de l’article 56-1 du code de procédure pénale qui en permettent la contestation.

Sur ce point, le juge des libertés et de la détention (JDL) a jugé à de nombreuses reprises lorsqu’étaient saisies en perquisition ou bien une somme d’argent en espèces constitutive d’honoraires ou bien des notes d’honoraires, des justificatifs de règlement d’honoraires, des relevés de diligences, que ces éléments étaient couverts d’ordre public par le secret professionnel sauf à ce qu’ils participent de la commission d’une infraction dont les éléments devaient s’apprécier de manière intrinsèque.

Certains magistrats ont pu cependant se convaincre que l’honoraire constituait la rémunération de l’infraction, la rémunération de la participation par l’avocat au délit ou au crime reproché au justiciable qu’il défend, en amont par sa complicité par le conseil donné – qui en tant que tel n’est pas répréhensible – et en aval par le recel ou par le nécessaire blanchiment conscient de l’argent perçu par sa connaissance des confidences reçues. Des perquisitions ont eu lieu en cabinet d’avocats pénalistes sur le fondement de retranscriptions d’écoutes téléphoniques des clients de l’avocat, versées au dossier, jusqu’à la saisie de notes d’honoraires de l’avocat de la défense par le magistrat en charge de l’enquête plus tard désavoué par le JLD après contestation du bâtonnier.

Il apparaît ainsi qu’aujourd’hui, à travers la qualification de blanchiment, nouvelle tarte à la crème du monde judiciaire, que l’avocat pénaliste, car c’est bien de lui qu’il s’agit principalement, est suspecté de blanchir telle infraction reprochée au justiciable qu’il défend, à travers la perception de ses honoraires.

Si bien que les mentalités n’ont pas évolué. L’honoraire de l’avocat est perçu comme l’élément permettant de l’incriminer et de l’anéantir comme défenseur. Or l’honoraire de l’avocat ne participe jamais d’une opération de blanchiment de l’infraction reprochée au client.

Combien d’efforts faudra-t-il fournir pour que les acteurs du monde judiciaire ne vivent plus dans le déni de la dure réalité de la défense ?

Absence de règle protectrice en matière de saisie pénale d’un compte bancaire d’avocat

En effet, il existe un vide juridique alors que la protection par la présence du bâtonnier existe lorsqu’il s’agit de pratiquer une perquisition dans le coffre bancaire d’un avocat qui obéit aux règles de l’article 56-1 du code de procédure pénale. Aucun magistrat ne s’est jamais aventuré à saisir les éléments logés dans un coffre bancaire hors la présence du bâtonnier car le coffre bancaire est perçu comme l’extension du cabinet ou du domicile de l’avocat.

Ainsi, les sommes d’argent constitutives d’honoraires doivent-elles subir un régime juridique différent lorsqu’il s’agit ou bien de les saisir en cabinet d’avocat, les règles de l’article 56-1 du code de procédure pénale s’imposant, ou bien de les saisir sur le compte bancaire de l’avocat qui, dans cette hypothèse précise, ne bénéficie pas de la protection de son bâtonnier.

Une réforme s’impose d’autant qu’elle vient d’échapper aux esprits soucieux de rétablir la confiance du peuple en sa justice.

Il faut nous reporter aux textes des articles 706-141 à 706-147 du code de procédure pénale, et plus précisément aux dispositions des articles 706-153 et 706-154 du code de procédure pénale.

Les dispositions de l’article 706-153 du code de procédure pénale prévoient qu’au cours de l’enquête de flagrance ou de l’enquête préliminaire, le juge des libertés et de la détention, saisi par une requête du procureur de la République, peut ordonner par une décision motivée, comme en matière de perquisition d’ailleurs à propos de l’exigence de motivation, la saisie des biens ou droits incorporels dont la saisie est prévue par les dispositions de l’article 131-21 du code pénal. Il est précisé que le juge d’instruction peut, au cours de l’information, ordonner cette saisie dans les mêmes conditions sans avoir recours au JLD. La décision prise par le JLD sur la requête du procureur de la République aux fins de saisie est notifiée au ministère public, au propriétaire du bien ou du droit saisi et, s’ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien ou sur le droit, lesquels peuvent déférer cette décision au président de la chambre de l’instruction ou à la chambre de l’instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision du JLD.

Doivent nous interpeller les dispositions dérogatoires de l’article 706-154 du code de procédure pénale qui permettent, par dérogation, à l’officier de police judiciaire, autorisé par le procureur de la République ou par le juge d’instruction, de procéder lui-même à la saisie d’une somme d’argent versée sur un compte ouvert auprès d’une banque. Il peut s’agir du compte d’un cabinet d’avocat. Aucune exigence de marquer préalablement à la saisie contre l’avocat des indices antérieurs de sa participation à la commission d’une infraction comme auteur ou comme complice n’est requise par les textes. Par conséquent, il suffit pour le procureur de la République ou pour le magistrat instructeur, d’autoriser par tous moyens – y compris par SMS semble-t-il – l’officier de police judiciaire à saisir telle somme d’argent figurant sur le compte bancaire d’un avocat nécessairement présumé être l’auteur d’une infraction. Il s’agira nécessairement d’honoraires par définition soumis au secret professionnel et qui, lorsqu’ils sont saisis en cabinet d’avocat, précisément, une somme d’argent constitutive d’honoraires, supposent la présence du délégué ou de son bâtonnier avec pouvoir de contestation. Il appartiendra alors au procureur de la République ou au juge d’instruction de saisir le JLD afin qu’il se prononce par ordonnance motivée sur le maintien ou la mainlevée de la saisie, et ce dans un délai de dix jours à compter de sa réalisation.

Ainsi, seuls le procureur de la République ou le juge d’instruction, après la saisie pratiquée par l’officier de police judiciaire, peuvent saisir le JLD qui devra se prononcer ou bien sur le maintien ou bien sur la mainlevée de la saisie pratiquée par l’enquêteur. Il se pourrait que les magistrats saisissent le JLD après avoir été convaincus qu’aucun indice de la participation de l’avocat à la commission d’une infraction n’était marqué à son encontre, pour solliciter la mainlevée de la mesure pratiquée par l’enquêteur.

Il n’est pas prévu que le titulaire du compte, avocat, soit invité à s’exprimer lors de cette audience du JLD. Le seul recours possible du titulaire du compte saisi (comme au parquet à l’exception du magistrat instructeur) consiste à interjeter appel (non suspensif) de l’ordonnance du JLD rendue sur la requête du procureur ou du juge d’instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification de l’ordonnance. Et il conviendra d’attendre la fixation de l’audience de la chambre de l’instruction qui à Paris intervient de nombreux mois (environ une année) après l’appel…

Une atteinte directe, grave et inéluctable au libre fonctionnement du cabinet d’avocat

Il est porté atteinte au libre fonctionnement du cabinet d’avocat. C’est la totalité du compte bancaire qui peut être saisie, puis consignée à la caisse des dépôts et consignation sous la gestion patiente de l’AGRASC.

Ainsi, c’est la mort économique qui plane sur le cabinet d’avocat dont le compte bancaire a été intégralement saisi.

Le seul recours consistera en fait à intervenir auprès du procureur ou du magistrat instructeur de manière informelle afin de convaincre ces magistrats de l’impossible incrimination des sommes saisies.

D’une manière générale, il faut prévoir la présence de l’avocat titulaire du compte lors de l’audience du JLD saisi par le procureur de la République ou le magistrat instructeur aux fins de maintien ou de mainlevée de la saisie.

Il faut instituer également la présence du bâtonnier, protecteur des droits de la défense, comme la chambre criminelle le juge en matière de contestation de perquisition, lors de cette audience, et surtout, imposer la présence du bâtonnier en amont qui doit être informé de la décision envisagée par tel magistrat d’intervenir auprès de tel banquier pour la remise des relevés d’un compte bancaire ou la photocopie de chèques ayant crédité le compte ou encore de la décision prise par tel magistrat saisissant de saisir les honoraires logés sur le compte bancaire de l’avocat.

La saisie d’une somme d’argent constitutive d’honoraires en cabinet d’avocat ainsi que la saisie de fonds sur un compte bancaire constituent des mesures intrusives d’égale violence sur un plan juridique et sur un plan pratique.

Le régime actuel est discriminatoire et périlleux pour les avocats. Le bâtonnier doit être présent à tous les stades de la procédure d’intervention auprès du banquier.

Les réformes relatives à la profession d’avocat et tendant au renforcement du secret professionnel doivent être effectives. Plus que jamais, il est urgent de ne plus cantonner les revendications des avocats au seul exercice rituélique de la décoration institutionnelle du sapin de Noël par cette insupportable autocongratulation en se gargarisant de mots et de victoires académiques dénuées de sens en pratique.

Force est de constater qu’au cours de ces quinze dernières années, le regard de l’autorité judiciaire sur les sommes perçues par les avocats n’a pas changé. La profession d’avocat a échoué dans la restauration de son image ternie par la suspicion. Le paiement de l’honoraire n’est pas le lieu du blanchiment de l’infraction reprochée au justiciable dont l’avocat a charge de défense.

L’avocat est plus que jamais en risque de mort économique par la saisie de son compte bancaire. En risque de mort professionnelle par le prononcé d’une peine principale ou complémentaire de cinq années d’interdiction d’exercer la profession par le tribunal correctionnel qui peut l’assortir de l’exécution provisoire par provision aux termes de l’article 471 et de l’article 131-6-11° du code pénal. La mort professionnelle de l’avocat est au pouvoir de l’autorité judiciaire qui par cette peine vide la justice disciplinaire ordinale de tout son sens. Et la réciproque n’est pas vraie.

Les mots du président Olivier Leurent revêtent alors une force particulière lorsque s’adressant aux magistrats, il insiste sur leur devoir d’humanité : « C’est votre part d’humanité qui donnera du sens à vos décisions et qui apportera la meilleure réponse au déficit de confiance que traverse notre institution. »

Il existe une inhérence de la défense pénale avec son lot de souffrances et l’extrême dureté de ses exigences éthiques. Il doit en être tenu compte à travers la présence du bâtonnier, protecteur des droits de la défense, protecteur du libre fonctionnement du cabinet d’avocat.

Les sommes d’argent logées sur un compte bancaire d’avocat constituent des honoraires qui, par définition, participent au sens étymologique du terme de la rémunération de… l’honneur de défendre. Honoré, rémunéré pour être avocat. L’honneur d’être avocat.

Honneur. Du latin honos, honoris, qui renvoie à honnête, à la probité, au devoir, à la vertu. Rien d’autre.