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Le droit en débats

De la législation par les lois à la législation par la com’ *

Par Clément Cousin le 17 Novembre 2020

Le retour des attestations n’a ravi personne. Au-delà de l’étrange croyance que la paperasse que s’autodélivrent les citoyens limitera les sorties indues, leur renaissance pointe un problème bien plus fondamental. Les fidèles lecteurs du Journal officiel le savent bien et doivent s’armer de courage pédagogique lorsque les forces de l’ordre exigent la présentation d’une « attestation » là où le décret du 29 octobre n’exige qu’un « document ».

En effet, à l’instar des deux premiers épisodes de « confinement »1, un décret en a précisé les règles et celles-ci ont fait, de la part de l’exécutif, l’objet de pages de site internet et de messages via les réseaux sociaux qui, sous couvert d’en expliquer la teneur, ont en fait ajouté au texte.

Cette « législation par la com’ » est incroyablement efficace. Les citoyens ont ainsi été très rapidement persuadés au printemps dernier de la prohibition des déplacements à bicyclette et l’on voit aujourd’hui les forces de l’ordre verbaliser des déplacements professionnels de plus d’une heure ou non justifiés par deux documents.

L’autre énorme avantage de la législation par la com’ est sa simplicité de mise en œuvre : il faut et il suffit qu’une page de site internet soit éditée ou qu’un communiqué de presse soit publié. Presque magiquement, son contenu sera repris sans variation ni analyse critique par la presse, qui l’amplifiera sans modifications.

En définitive, ces deux avantages critiquent à la fois la procédure d’adoption des normes (un décret doit ainsi être signé par une personne compétente) et à la fois le vecteur de leur diffusion. Si le Journal officiel est maintenant un site internet dépendant de la Direction de l’information légale et administrative (DILA) et rattaché à Légifrance, sa lecture ne semblant pas passionner les foules, il serait tentant de lui préférer les sites de « pédagogie » du gouvernement, bien mieux référencés, mis en pages et illustrés.

Cette normativité ne poserait ainsi pas de problème en apparence : plus efficace et moins contraignante, elle serait un exemple de « disruption » juridique réussie.

Néanmoins, « disrupter » la légistique n’est pas chose aisée. En effet, un tel changement dans la manière d’édicter les normes et de les diffuser est lourd de conséquences et deux problèmes de taille se font jour.

Le premier problème – et le plus fondamental – est celui de la validité de ces normes. Il est constant qu’un certain nombre de matières sont du domaine de la loi, celle-ci pouvant, dans certains cas, renvoyer à des normes de valeur réglementaire pour en préciser la portée ou les modalités. Il est un exemple que les fidèles lecteurs du Journal officiel connaissent : l’impossibilité pour le pouvoir exécutif d’exiger un imprimé spécifique pour les déplacements et d’interdire la production de documents numériques pour les déplacements. En effet, si la loi appelle un décret pour qu’en soient précisées les modalités, cela ne permet pas que l’exécutif ajoute à la norme par d’autres voies. Légiférer par la com’ est donc ainsi d’abord exposer les citoyens à des normes juridiquement inefficaces qui, dès lors, ne tiendront pas devant un tribunal de police. Une telle méthode est à même de saper la confiance des administrés vis-à-vis de l’administration.

Le second problème – plus technique et subordonné au premier – est celui de l’absence de sécurité juridique acceptable de la législation par la com’. En effet, là où le mal aimé Journal officiel est unique en France, on compte une myriade de vecteurs de communication pour l’exécutif. Songeons qu’en plus des communiqués de presse pouvant émaner de toute administration, des nombreux sites internet (un par ministère et par agence, en plus de ceux du gouvernement et de la présidence), il faut compter avec l’ensemble des comptes de réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Instagram et autres Whatsapp) de chaque ministère, ministre, direction ou agence. Cette profusion de sources conduit à une normativité cacophonique qui conduit parfois à des contradictions épiques.

De plus, et à supposer que ces normes soient substantiellement valides et qu’une contradiction s’élève et soit portée devant un juge, la question de la preuve de la norme va immanquablement se poser. Le cours de droit pénal général manquait d’exemple de difficultés probatoires de l’élément légal de l’infraction. Cette législation par la com’ pourrait lui en fournir un puisque, si Wikipédia ou l’INA conservent certaines archives, il serait difficile d’archiver systématiquement l’ensemble des moyens de communication de l’exécutif. Dès lors, il serait possible de voir des poursuites pénales ne pas prospérer faute de preuve de la norme. Fort heureusement, à ce jour « nul n’est censé ignorer la com’ » ne figure pas (encore) dans les adages classiques.

En dernier recours, c’est au juge de contrôler la norme émise, et notamment sa conformité au droit positif « normal ». Le Conseil d’État accepte depuis un certain temps de contrôler la légalité d’éléments de communication gouvernementale (v. CE 4 oct. 2020, n° 222666). Il a maintenu cette position en enjoignant notamment au gouvernement de diffuser un erratum par voie de communication pour rectifier une communication non conforme à un arrêté.

Mais, si le Conseil d’État avait très nettement affirmé sa volonté de contrôler les normes issues de la communication, sa position semble s’être nuancée récemment. Il a en effet (v. CE 20 oct. 2020, n° 440263) refusé d’enjoindre au gouvernement de préciser que l’horodatage des modèles d’attestation qu’il diffuse n’est pas systématiquement requis. Il fonde sa décision sur le caractère facultatif de ces modèles alors que la communication gouvernementale ne cesse d’en évoquer le caractère obligatoire (v., encore récemment, ce tweet du ministère de l’Intérieur). Il y a là un raisonnement ironique : ne pas censurer une norme illégale issue de la communication au motif qu’elle est illégale. Gageons que ce n’est qu’une décision d’espèce.

S’il s’est récemment accéléré sous l’effet de l’urgence à répondre à la pandémie, il ne faut pas omettre que la législation par la com’ est un mouvement ancien qui renvoie à un débat classique sur le droit : celui de son efficacité. Le droit dépendant fondamentalement d’un processus psychique, son efficacité dépend en grande partie de la capacité de l’auteur de la norme à persuader ses destinateurs de son caractère impératif. Il ne faudrait pas s’arrêter à un simple rejet de cette façon de prendre et de diffuser les normes. En effet, il faut réfléchir à ce que cette législation par la com’ dit de l’actuelle façon d’édicter des normes. Le sujet est vaste mais peut être résumé ainsi : pourquoi Mme Michu ne lit-elle pas le JO ?

On peut penser que la vulgarisation, à l’instar du travail de la DILA (service-public.fr), peut être une solution. Cela nécessite néanmoins une grande rigueur pour ne pas succomber à la tentation d’ajouter au texte2 et de passer d’un exercice de vulgarisation à une législation par la com’. Néanmoins, la vulgarisation n’est qu’un palliatif puisqu’au fond, il faudrait reformuler notre question : pourquoi Mme Michu n’a-t-elle pas de regard critique sur la communication et, si elle l’avait, pourquoi ne va-t-elle pas trouver les sources juridiques officielles ? Ainsi, la législation par la com’ met en lumière le défaut d’acculturation juridique de nos concitoyens. La solution ne passera que par une éducation aux règles que se donne une société pour fonctionner, c’est-à-dire au droit. Si l’on doit se féliciter que le cycle secondaire propose une nouvelle option « droit et grands enjeux du monde contemporain », il faut appeler à une politique plus ambitieuse et que cette option n’en soit plus une. Que dire en effet d’une société qui n’éduque que peu ses enfants aux règles qu’elle se donne ? Si l’ambition d’éduquer au droit advenait, les citoyens, exerçant leur regard critique et dotés de quelques rudiments juridiques, pourraient faire valoir leurs droits, parfois même leurs droits fondamentaux.

 

Notes

*. Le titre est un hommage au professeur Supiot, penseur d’un droit ouvert.

1. L’expression est au demeurant assez révélatrice de cette législation par la com’. Inconnue de la loi et des décrets pour ce qui concerne la gestion de l’épidémie de covid-19 à l’origine, elle n’est connue qu’en matière carcérale pour désigner une sanction disciplinaire ou dans certains domaines pour désigner l’isolement de matériaux ou certaines techniques industrielles. Néanmoins, elle a progressivement été adoptée par les textes, signe d’une rétroaction de la com’ sur la loi.

2. La consultation (le 10 novembre) de la page consacrée aux mesures relatives aux déplacements laisse néanmoins songeur sur cette rigueur, puisqu’y sont affirmés pêle-mêle l’obligation d’être muni d’une attestation, l’exigence d’un document supplémentaire pour certains déplacements ainsi que l’impératif de se déplacer muni d’un document d’identité.