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Le droit en débats

De la protection contre l’occupation illicite à la sécurisation des rapports locatifs, il n’y a qu’un pas ?

Une proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite ambitionne, notamment, de sécuriser les rapports locatifs d’habitation. Au risque de rompre certains équilibres.

Par Yves Rouquet le 09 Novembre 2022

En matière de résiliation du bail (et de ses suites), en dépit de quelques « coups de canif » (portés notamment par les lois Alur du 24 mars 2014 et ELAN du 23 novembre 2018), la plupart des observateurs s’accordent à voir dans la loi du 6 juillet 1989 relative au statut des baux d’habitation et des baux mixtes d’habitation et professionnels un texte d’équilibre.

Or une proposition de loi pourrait venir rompre avec certains fondamentaux d’un corpus de règles qui, par essence, se veut protecteur de l’intérêt de la partie réputée la plus faible, le locataire.

Enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 18 octobre 2022, la proposition de loi n° 360 présentée par M. Guillaume Kasbarian, Mme Aurore Bergé et par les membres du groupe Renaissance et apparenté loi vise « à protéger les logements contre l’occupation illicite ».

Cultivant un certain mélange des genres, composé de deux chapitres (et de cinq articles), ce texte s’intéresse tour à tour à mieux réprimer le squat du logement et à sécuriser les rapports locatifs.

C’est ce second volet qui retiendra notre attention (la meilleure répression du squat du logement passe, quant à elle, par des modifications de l’article 226-4 du code pénal afin de renforcer l’appareil répressif et de redéfinir la notion de « domicile »).

Pour parvenir à ses fins (la sécurisation des rapports locatifs n’étant envisagée que du point de vue du bailleur), le texte enrichit le code pénal de l’incrimination d’« occupation du logement d’autrui sans droit ni titre », modifie l’article de la loi du 6 juillet 1989 ayant trait à la résiliation du bail d’habitation et amende un article du code des procédures civiles d’exécution relatif à l’expulsion de lieux habités ou de locaux à usage professionnel.

Double sanction pour le squatteur

La proposition de loi insère tout d’abord un article 315-1 dans le code pénal, créant un délit d’« occupation du logement d’autrui sans droit ni titre », dès lors que cette occupation intervient en violation d’une décision de justice définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux.

On peine à comprendre pourquoi cette disposition s’insère dans un chapitre consacré à la sécurisation des rapports locatifs puisqu’il est question d’occupation d’un logement sans droit ni titre. Ainsi, à ce stade, de rapports locatifs, il n’y a point (ou plus).

Quoi qu’il en soit, l’exposé des motifs précise qu’il s’agit ici de protéger, non pas la vie privée d’autrui (le délit de squat de l’article 226-4 du code pénal y pourvoit), mais la protection de la propriété privée.

Par conséquent, de la combinaison de l’article 226-4 et du nouvel article 315-1 du code pénal, il s’évince qu’un squatteur est passible de 15 000 € d’amende et d’un an de prison à raison de la matérialité de l’infraction, peines auxquelles il conviendra d’ajouter six mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende pour cause de maintien dans les lieux en dépit d’une décision de justice.

Au total, l’auteur de l’infraction encourt donc dix-huit mois de prison et 22 500 € d’amende.

Obligation d’insérer une clause résolutoire pour défaut de paiement

Alors que, de lege lata, l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 laisse aux parties toute latitude pour insérer – ou non –, dans un bail d’habitation ou mixte une clause de résiliation de plein droit à raison d’un défaut de paiement (du loyer, des charges locatives ou du dépôt de garantie), de lege feranda, il est envisagé de rendre cette clause obligatoire sur le régime applicable à la clause résolutoire, v. Rép. civ., Bail d’habitation et mixte : rapports locatifs individuels – Loi du 6 juillet 1989, par N. Damas, nos 471 s.).

Ainsi, rognerait-on sur le peu de liberté contractuelle qu’il reste aux signataires d’un bail « loi de 89 », législation déjà très largement empreinte d’ordre public.

Il s’agit toutefois d’une modification symbolique puisque, dans les faits, la très grande majorité des baux d’habitation ou à usage mixte d’habitation et à usage professionnel contient une telle clause.

Remarquons enfin que le texte n’envisageant de rendre la clause de résiliation de plein droit obligatoire que pour « tout de contrat de bail d’habitation », il épargne les baux mixtes susmentionnés.

Disparation de la suspension des effets de la clause résolutoire pendant le délai de paiement octroyé par le juge

La proposition de loi supprime purement et simplement le VII de l’article 24 de la loi de 1989 aux termes duquel « pendant le cours des délais accordés par le juge […], les effets de la clause de résiliation de plein droit sont suspendus. Ces délais et les modalités de paiement accordés ne peuvent affecter l’exécution du contrat de location et notamment suspendre le paiement du loyer et des charges ». Le texte ajoute que « si le locataire se libère de sa dette locative dans le délai et selon les modalités fixés par le juge, la clause de résiliation de plein droit est réputée ne pas avoir joué. Dans le cas contraire, elle reprend son plein effet ».

Ainsi, les délais (trois ans au plus) que le juge pourra octroyer au locataire surendetté ou non en application, respectivement, des paragraphes VI et V de l’article 24 de la loi de 1989, n’auraient désormais plus d’autre finalité que de permettre au preneur de régler sa dette.

Une fois la résiliation de plein droit constatée par le juge, le locataire sera expulsable. Quand bien même, dans le même temps, le magistrat aura-t-il estimé que, dans le respect des intérêts du bailleur, la dette locative était « rattrapable », moyennant l’octroi de délais (C. civ., art. 1343-5).

Le texte réduit par conséquent considérablement l’office du juge.

En contradiction avec l’esprit de la loi, cette suppression de la suspension des effets de la clause résolutoire pendant le délai accordé pour le paiement de sa dette par le locataire (il n’est pas trop fort de parler de « résiliation automatique du bail ») serait en totale rupture avec ce que prévoit le statut des baux d’habitation depuis 1948 (L. du 1er sept. 1948, art. 80 ; L. du 22 juin 1982, art. 25 ; L. du 23 déc. 1986, art. 19 ; L. du 6 juill. 1989, art. 24).

Réduction des délais de procédure

En la matière, le texte propose, d’une part de réduire le délai séparant l’assignation de l’audience et, d’autre part, de limiter ceux accordés aux occupants dont l’expulsion a été ordonnée.

Réduction de deux à un mois du délai séparant l’assignation de l’audience

Aux termes de l’article 24 de la loi de 1989, « À peine d’irrecevabilité de la demande, l’assignation aux fins de constat de la résiliation est notifiée à la diligence de l’huissier de justice au représentant de l’État dans le département, au moins deux mois avant l’audience ».

Au mépris de la finalité de ce délai et de la réalité du « terrain », la proposition de loi entend réduire le délai incompressible devant séparer l’assignation de l’audience de deux à un mois.

Il ne faut en effet pas perdre de vue que ce délai est destiné à permettre au préfet de saisir l’organisme compétent désigné par le plan départemental d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées (PDALHPD), afin que celui-ci réalise un diagnostic social et financier, lequel doit être transmis à l’audience, ainsi qu’à la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (CCAPEX).

C’est encore plus vrai dans le secteur du logement social, où des mesures spécifiques de prévention des expulsions sont prévues (à ce sujet, v. Droit et pratique des baux d’habitation, Dalloz action 2022/2022, chap. 813).

La mise en œuvre de ces mécanismes prend du temps et réduire le délai tel que proposé revient à condamner bon nombre de tentatives de sauvetage du contrat.

Or il peut être de l’intérêt bien compris du bailleur de ne pas obérer les chances de son cocontractant de rétablir sa situation.

Réduction des délais accordés aux occupants dont l’expulsion a été ordonnée

Selon les articles L. 412-3 et L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement. Ces délais ne peuvent aujourd’hui être inférieurs à trois mois et supérieurs à trois ans.

Le texte nouveau entend les réduire, de manière à les faire passer, respectivement, à un mois et à un an.

S’il ne s’agit plus ici de tenter de sauver le bail, il est question de laisser le temps à l’occupant expulsable afin que celui-ci retrouve un logement (on rappellera que le droit au logement affirmé à l’article 1er de la loi de 1989 est un objectif de valeur constitutionnelle, v. Cons. const. 29 juill. 1998, n° 98-403 DC, JO 31 juill. ; AJDA 1998. 739 ; ibid. 705, note J.-E. Schoettl ; D. 1999. 269 , note W. Sabete ; ibid. 2000. 61, obs. J. Trémeau ; RDSS 1998. 923, obs. M. Badel, I. Daugareilh, J.-P. Laborde et R. Lafore ; RTD civ. 1998. 796, obs. N. Molfessis ; ibid. 1999. 132, obs. F. Zenati ; ibid. 136, obs. F. Zenati ).

La réforme suggérée, qui rétablit l’état du droit antérieur à la loi ALUR du 24 mars 2014, envoie un message clair à la personne expulsée, quand bien même le délai accordé reste renouvelable.

On pourra, là encore, s’étonner que cette proposition de modification de texte intervienne dans le cadre d’un chapitre destiné à la sécurisation des rapports locatifs, puisque, par définition, nous ne sommes plus dans le temps du contrat. Et peut-être ne l’avons-nous jamais été, l’article L. 412-3 du code des procédures civiles d’exécution ayant vocation à s’appliquer « sans que ces occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation ».

Renvoyée à la Commission des affaires économiques, cette proposition de loi est examinée par cette commission les 10 et 16 novembre 2022.