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Le droit en débats

Décret du 27 mai 2020 visant à agir contre les violences au sein de la famille : un recul stupéfiant des droits des victimes

Par Jean-Michel Garry et Aurore Boyard le 05 Juin 2020

Décrétée cause nationale par le président de la République dès le 25 novembre 2017, la lutte contre les violences faites aux femmes (et plus généralement les violences intrafamiliales) vient de vivre un recul stupéfiant avec la publication au Journal officiel de la République française du 28 mai 2020 du décret n° 2020-636 du 27 mai 2020 dont l’article 2, modifiant les dispositions de l’article 1136-3 du code de procédure civile, vient mettre à néant toutes les avancées obtenues de haute lutte par les défenseurs des droits des victimes.

Ces avancées consistaient, tout d’abord, en la promulgation d’une loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 dont le principal apport était de réduire les délais de prononcé de la décision du juge aux affaires familiales en matière d’ordonnance de protection : ainsi, le juge doit rendre sa décision dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date d’audience. Cette loi a également étendu la protection aux victimes séparées (ne vivant plus avec leur bourreau) et permis la mise en place du bracelet antirapprochement.

Puis des instructions incitant à lutter contre ce type de violences ont été adressées à l’intégralité des parquets de France avec la volonté forte d’organiser des cellules de réaction rapides dans le ressort des cours d’appel et coordonnant les services de police, de gendarmerie, les magistrats du siège et du parquet, avec le concours des avocats.

On a pu constater des résultats concrets mitigés selon les endroits, les parquets ayant une surcharge de travail telle que certains n’arrivaient pas à faire face à l’afflux de plaintes qui leur était adressé. Les avocats étaient alors confrontés, avec les magistrats et personnels de greffe, au manque de moyens humains et techniques. L’effet pervers de cette impossibilité de réactivité rapide amenait souvent le Conseil de la victime à saisir le juge aux affaires familiales d’une requête aux fins d’obtention d’une mesure de protection, un simple dépôt de plainte étant suffisant pour ce faire, comme l’a rappelé la loi du 28 décembre 2019.

Le Syndicat des avocats de France a saisi les juges aux affaires familiales de requêtes aux fins d’ordonnance de protection, voire d’assignation, en demandant des dates auprès des greffes avec une très grande variabilité dans la possibilité d’obtenir des dates rapprochées, comme l’esprit du texte le veut, si bien que, ça et là, des dates à deux, trois, quatre, voire cinq mois étaient accordées, créant une disparité sur le territoire français. Le caractère d’urgence, pour des affaires fixées à plusieurs mois, était susceptible d’évoluer ce qui amenait certains juges à rendre des décisions de rejet de mesures de protection estimant qu’au jour de la décision, l’urgence ou le danger n’étaient plus caractérisés.

Ce type de décisions, cohérent sur le strict plan du droit, ne l’était pas sur le plan humain.

Face à cette problématique, le gouvernement s’était engagé à ce qu’un décret, rapidement publié après la loi du 28 décembre 2019, vienne pallier cette difficulté qui pouvait être assimilée à un véritable déni de justice. Prévu en avril 2020, ce texte était très attendu par l’ensemble des professionnels de la lutte contre les violences intrafamiliales.

Le décret du 27 mai 2020, publié le lendemain au Journal officiel, est malheureusement loin de combler les attentes tant il semble éloigné de la réalité du fonctionnement du système judiciaire.

Si le décret prévoit que le juge aux affaires familiales doit « rendre sans délai une ordonnance fixant la date d’audience », en revanche, il oblige le demandeur (la victime) à notifier au défendeur (le mis en cause) « par voie de signification », donc par l’intermédiaire d’un huissier de justice, la requête, les pièces et l’ordonnance fixant la date d’audience, qui lui a été préalablement donnée dans ladite ordonnance.

Il convient ensuite à la victime de remettre « l’acte de signification au greffe dans un délai de vingt-quatre heures à compter de l’ordonnance fixant la date de l’audience, à peine de caducité de la requête ».

Autrement dit, la victime, souvent désargentée, affaiblie et apeurée se voit contrainte, à ses frais, de faire signifier tous les actes de procédure à son adversaire, les déposer au greffe, le tout dans un délai impératif et quasiment intenable de vingt-quatre heures à compter de l’ordonnance fixant la date d’audience.

Force est de constater que ce tour de force apparaît quasiment impossible dans des juridictions d’une relative importance !

En effet, la victime pouvant bénéficier de l’aide juridictionnelle doit remplir un dossier, y annexer des documents auxquels elle n’a souvent plus accès, ayant été contrainte de fuir son domicile. Un bureau d’aide juridictionnelle, pour accorder une décision même en urgence, demande a minima quelques semaines pour rendre sa décision.

Par ailleurs, l’huissier de justice ne peut que rarement tout quitter pour traiter la demande toutes affaires cessantes ; les démarches à réaliser qui nécessitent la préparation de l’acte et son déplacement au domicile ou sur le lieu de travail du mis en cause, puis, une fois sa régularisation effectuée, sa transmission à l’avocat, apparaissent, même avec la meilleure volonté du monde, difficilement raisonnable de manière instantanée. Dès lors, à réception de l’acte, l’avocat, qui doit, à peine de caducité, remettre l’acte avant l’expiration d’un délai de vingt-quatre heures, se trouve engagé dans un véritable sprint, qui apparaît ne pas avoir été perçu par les auteurs du texte dégagés de toute contingence matérielle. Enserrer une action aussi importante pour le respect des droits humains dans un délai aussi court apparaît totalement déraisonnable et, en tous les cas, de nature à réduire considérablement les droits de la victime assistée par un conseil.

La question de savoir à quel moment ce délai de vingt-quatre heures commence à courir peut légitimement être posée.

Le texte nous dit « dans un délai de vingt-quatre heures à compter de l’ordonnance fixant la date d’audience ». Il ne s’agit donc pas de l’heure à laquelle le greffe adressera l’ordonnance de fixation à l’avocat, puisqu’il est mentionné « à compter de l’ordonnance ». Il faut donc considérer que la date et l’heure de signature de cette ordonnance par le juge doivent être prises en compte, lequel, pour l’application de ce texte et contrairement aux habitudes, devra alors mentionner, non seulement le jour, mais également l’heure à laquelle son ordonnance aura été signée.

Dans le respect de l’esprit du texte, le greffe doit lui aussi s’engager dès lors dans un sprint pour porter à la connaissance de l’avocat demandeur ladite ordonnance dans les meilleurs délais. Qu’en est-il si le greffe n’adresse pas cette ordonnance dès sa signature à l’avocat, mais le lendemain, ou quelques heures après ?

Ce temps sera-t-il déduit de ce délai de vingt-quatre heures ouvert à la victime et dont l’expiration entraîne la caducité de la requête en mesures urgentes et, donc, l’impossibilité d’agir ? L’avocat de la victime doit-il prendre la précaution de faire constater le jour et l’heure de la remise de l’ordonnance pour pouvoir bénéficier du plein délai de vingt-quatre heures ?

Mieux encore, il n’a pas été précisé ce qui se passerait si l’ordonnance de fixation était signée un vendredi… Quid des vingt-quatre heures accordées à la partie et à son Conseil pour régulariser la procédure un week-end ? Doit-on préciser que les palais de justice, et notamment les services de greffe en cette matière, sont fermés les week-ends et jours fériés ?

Reste le mécanisme du RPVA, c’est-à-dire la voie électronique de communication avec les greffes ouverte aux avocats. Cette possibilité ne manque pas toutefois, là encore, de poser question sur le plan juridique et pratique quant à la computation des délais prévue par le code de procédure civile qui se fait par jour, par mois ou par année, mais pas par heure.

Les modalités pratiques prévues par ce décret apparaissent totalement incompréhensibles au regard de l’esprit et de l’intitulé du texte visant à protéger les victimes.

Cette rédaction, que l’on veut croire rédigée par des amateurs car il est difficile de penser que le décret vienne à rendre quasi impossible la mise en œuvre de la protection des victimes, vide malheureusement de tout son sens le travail fourni par les défenseurs des victimes de violences au sein de la famille, et fragilise encore plus ces personnes nécessitant de l’aide et un soutien.

Le barreau de Toulon, engagé dans cette lutte, et ayant organisé le 5 mars dernier, en partenariat avec la cour d’appel d’Aix-en-Provence, la préfecture du Var et l’association C2A une formation sur la lutte contre les violences au sein de la famille, ne peut que déplorer ce recul dangereux pour le droit des victimes et stupéfiant en regard des annonces qui avaient été faites.

Le traitement de ce qui a été qualifié de grande cause nationale apparaît dès lors, en pratique, totalement inadapté et aberrant.

Commentaires

Des rédacteurs "hors sol", qui pensent qu'il suffit d'appuyer sur le bouton "start", pour lancer le moteur...
Notre société meurt de l'absence totale d'expérience du terrain, de décideurs qui n'évaluent jamais rien, et surtout ne prenent aucun avis, en particulier de ceux qui savent ce que c'est de signifier un acte extrajudiciaire.
Si la période de Covid 19 pouvait au moins servir à changer cela ?
Même pas !
Marc DONNEZ
Huissier de justice associé
Pdt CDHJ du Pas-de-Calais 2005-2017

suite de mon petit mot précédent.
lire "ne prennent" ... évidemment !
ne pas changer une formulation, sans la relire 3 fois.
Mea culpa

accord +++

Je soutiens cette demande tout en étant profondément indignée par la teneur de ce décret du 27 mai qui tend à supprimer les ordonnances de protection qui protègent les femmes victimes de violences et leurs enfants .
Le President de la république a fait de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles la grande cause nationale de son quinquennat et ce décret est absolument contraire à ses engagements forts et répétés.
Nos 70 associations et toutes les femmes que nous accompagnons comptons sur vous .
Avec nos sincères salutations
La présidente de la Federayion Nationale Somidarite femmes

Les promesses électorales ne sont pas tenues ce qui est courant mais le pire c'est qu'une loi votée va perdre tout son sens .Les victimes vont être livrées à elles-mêmes ou à leur bourreau.

Oui, on ne comprend pas le sens procédural de ce texte qui supprime aussi la voie de l'assignation (en abrogeant l'article 1136-4 CPC) alors qu'elle est la voie normale de saisine d'un juge en urgence.
Et quand l'alinéa 1er de l'article 1136-3 CPC énonce que le juge est saisi par une requête remise au greffe, comme une simple requête en divorce, on ne comprend pas pourquoi il faudrait remettre l'acte de signification au greffe (c'est-à-dire "placer") dans les 24 heures, ce qui ne se conçoit que si le placement saisissait le juge comme en délivrant une assignation.
Donc aucune connaissance procédurale de ces apprentis-sorciers, qui jouent avec le feu en prévoyant une sanction automatique comme un couperet pour parachever ce véritable parcours de la combattante.
Double peine pour ces femmes qui n'auront plus accès au juge et qui devront fuir de plus belle quand leur conjoint aura appris qu'elles ont tenté de les éloigner. Incroyable retournement de l'esprit des lois...

j'avais laissé un commentaire la semaine dernière.
Je ne le vois pas !
Il ajoutait au sens des commentaires ici repris, mon point de vue d'huissier de justice quant à la question de la signification des actes et des délais annoncés par les rédacteurs des textes...
Cordialement
Maître Marc DONNEZ
Président de Chambre des HDJ du Pas-de-Calais 2005-2017
BOULOGNE SUR MER 62

Une fois encore cette réforme est dictée par un souci de faire des économies de frais de fonctionnement des greffes et d'alléger leur charge de travail.

Et cela va avoir un effet inverse.

Cette réforme va entraîner une augmentation des dépenses considérable au titre de l'aide juridictionnelle car comme souvent la personne, qui assigne pour obtenir des mesures de protection est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. L’État au lieu de dépenser de 8 euros pour un recommandé va devoir dépenser au minimum 90 € de frais d'huissier de Justice.... Cela montre une fois encore que ce gouvernement est incapable de gérer correctement les finances du pays et n' a aucune vision globale du fonctionnement de la justice...

De plus les justiciables, quel qui soit, en particulier les femmes et les hommes victimes de violences conjugales, sont en droit d'avoir accès une justice gratuite et efficace et non d'une justice faite pour alléger la charge de travail des fonctionnaires...

Enfin cette réforme dénote même plus un mépris mais une haine vis à vis des femmes victimes de violence conjugale de la part de ce gouvernement qui fait le contraire de ses engagements ...

Il serait nécessaire que le décret du 27 mai 2020 soit attaqué par les associations, les syndicats et le CNB devant le Conseil d'Etat. La publicité de cette action mettrait en lumière les contradictions du gouvernement qui complique les démarches des victimes de violence alors qu'il prétend vouloir les aidés...

@Dominique Guilien Isenlann
Emmanuel 1er est le spécialiste du « Je promets ça, mais je fais exactement le contraire ».
Alors comment s'étonner de l'existence de ce texte inacceptable ?

Il est impossible d'agir en ordonnance de protection à l'aide juridictionnelle qui met plusieurs semaines et parfois des mois à traiter ses dossiers surtout qu'ensuite la chambre des huissiers met encore du temps à désigner un huissier ...
c'est tout simplement IN GE RABLE !

bonjour ... Journaliste économique ( www.lalettredelentreprise.com) mais très attachée à la défense des droits des femmes en matière de violences conjugales, je souhaiterais communiquer sur ce décret qui vient d'être publié le 27 mai 2020 sur l'ordonnance d'eloignement du conjoint.
quelqu'un ( juriste ayant l'habitude d'adapter les textes pur le grand public) pourrait-il me faire une synthése un peu plus courte sur l'incohérence des mesures de ce nouveau décret ( demande à faire par le conjoint dans les 24 h ! )
je souhaiterais oublier ( réseaux sociaux plus mon site web) à propos de ce sujet sans écrire de maladresses.
Merci d'avance

Bonjour, Au-delà de ce décret, ne serait'il pas temps de revoir les valeurs fondatrices de notre société. On a voulu rejeter la morale chrétienne et pourtant si celle-ci habitait encore nos esprits, il y aurait certainement beaucoup moins de malheur et détresse dans notre monde. Tout en reconnaissant que tout ne serait pas évidemment parfait car l'homme est homme avec ses qualités mais aussi ses manquements et ce quelque soit son état, son statut social et son activité.
C'est là qu'il faudra un jour en revenir si nous voulons un monde meilleurs.
Amicalement

Encore un article polémique pour rien, uniquement pour critiquer.

Du grand n'importe quoi et tout le monde embraye, puisqu'il s'agit de lancer l'anathème.

Je ne vois pas où est le recul du droit des victimes ?

Au contraire, il permet d'obtenir encore plus rapidement une ODP.

Victimes désargentées ?

1 - Pas toujours...
2 - On peut avoir l'AJ en 24 heures (j'ai déposé une demande tout à l'heure et j'aurai la décision demain).
3 - Certaines protections juridiques couvrent.
4 - Le réseau Femmes Huissiers de Justice propose des actes urgents gratuits.

Par ailleurs, le Décret propose des passerelles intéressantes pour au moins obtenir des mesures relatives aux enfants.

Enfin, il y a une nouvelle possibilité de déblocage de l'épargne salariale.

Pourquoi râler tout le temps ?

Encore la preuve d'une déconnexion totale de la DACS avec la réalité du terrain...pourquoi la Chancellerie s'enferme dans sa tour et ne s'ouvre pas davantage aux praticiens et universitaires pour rédiger ses textes ? Les rares fois où cela a été fait, dans la concertation et l'échange, des textes de qualités ont pu être proposés...Mystère et confiture ?

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