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Le droit en débats

Le délit d’écocide : une « avancée » qui ne répond que très partiellement au droit européen

La Convention citoyenne avait proposé l’introduction en droit interne du crime d’écocide. Le projet de loi climat lui a substitué le délit d’écocide. Mais les conditions drastiques mises à la réalisation de ce délit ne permettent même pas de respecter les obligations européennes datant de 2008 en termes de droit pénal de l’environnement.

Par Corinne Lepage le 17 Février 2021

Chacun connaît les difficultés auxquelles se heurte la justice française, dont les moyens sont les plus faibles de toute l’Europe et dont l’organisation judiciaire qui renforce de manière constante les prérogatives d’un parquet non indépendant pose un réel problème au niveau de la Cour européenne des droits de l’homme.

Au sein de ce système, le droit pénal de l’environnement est un parent plus que pauvre, moins de 1 % des délits reconnus et 50 % d’infractions liées à la chasse ! C’est peu de dire que la France n’a pas respecté la directive 2008/99/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008, relative à la protection de l’environnement par le droit pénal, puisqu’en dehors de l’eau et des espèces protégées, l’atteinte à l’air, au sol et même d’une certaine manière les pollutions générées par les déchets ne sont pas réprimées en tant que telles. Les infractions n’existent que pour autant qu’il y ait la violation d’une mise en demeure émise par l’autorité administrative ; le simple non-respect d’un arrêté d’autorisation par exemple ne fait l’objet que d’une contravention, ce qui signifie qu’en réalité, ce type d’infraction n’est jamais réprimé.

Un texte est récemment intervenu et un second va intervenir pour améliorer cette situation.

Le présent propos est centré sur le second et, plus précisément, sur la faiblesse d’un texte qui ne répond même pas aux exigences du droit de l’Union européenne.

Les incidences probables de la loi du 24 décembre 2020

On passe rapidement sur le premier texte au demeurant fort important pour souligner qu’il n’est pas certain qu’il améliore la situation.

1. Tout d’abord, multiplier les pôles chargés d’instruire les dossiers environnementaux n’a de sens que pour autant que l’on multiplie les moyens financiers et le nombre de magistrats, greffiers experts, etc., chargés de gérer ces dossiers. La lenteur avec laquelle les affaires sont instruites au pôle santé environnement de Paris (par exemple, le non-lieu prononcé dans l’affaire des algues vertes est intervenu en janvier 2021 pour des faits qui se sont produits en 2009…) témoigne de cette réalité. De plus, les juridictions de droit commun ont rendu de très grands arrêts et jugements en matière de santé et d’environnement ; les affaires Erika, jugée par la Cour de cassation en septembre 2012, ou Maincy, jugée par la cour d’appel de Paris en 2019, en témoignent.

2. Quant aux conventions judiciaires d’intérêt public en matière environnementale, il est peu probable qu’elles constituent un progrès. L’État a une grande habitude d’arrangements avec les pollueurs et, s’agissant de la réparation du préjudice écologique, ce sont toujours les collectivités locales ou les associations qui ont fait progresser le droit et jamais l’État, y compris lorsque le domaine public était atteint. Les conventions judiciaires d’intérêt public sont certes réservées aux personnes morales mais, précisément, ce sont elles qui ont intérêt à se passer de la publicité d’un procès environnemental. Le risque de réputation est finalement parfois beaucoup plus important que l’amende, même forte, à laquelle l’entreprise peut être condamnée. Dès lors, on voit bien l’intérêt du monde économique, on voit beaucoup moins celui de l’environnement et encore moins celui des victimes et celui des acteurs de la sphère environnementale qui se battent pour l’application du droit de l’environnement.

L’introduction de l’écocide change-t-elle la donne ?

Tout d’abord, le terme écocide comporte la racine « cide », laquelle vient du latin caedere qui signifie tuer. L’écocide consiste donc à tuer la maison ou l’écosystème. Il ne peut donc s’agir d’un délit. L’écocide ne se conçoit que comme un crime car il comporte la destruction complète du milieu et donc nécessairement intègre directement ou indirectement la notion d’« humanicide », qui est un crime contre l’humain privé de la possibilité de vivre dans son milieu et donc destiné à mourir.

Se référer donc à un délit d’écocide pose en soi un problème. Peut-on a minima considérer qu’il s’agit de l’introduction droite interne d’un délit général d’atteinte à l’environnement, dans les conditions prévues par la directive 2008 ?

Les nouvelles dispositions prévues par le projet de loi

Le projet de loi, dans ses articles 67 et 68, crée un nouveau délit sous un article L. 173-3-1 du code de l’environnement consistant dans le fait d’exposer directement la faune et la flore ou la qualité de l’eau à un risque immédiat d’atteinte grave et durable.

L’article L. 173-3 du code de l’environnement réprime aujourd’hui l’atteinte à la santé ou la sécurité des personnes ou la dégradation substantielle de la faune de la flore de la qualité de l’air du sol ou de l’eau en cas d’infraction administrative (non-respect des prescriptions administratives, absence d’autorisation administrative et non-respect d’une mise en demeure). Le projet de loi renforce les sanctions pour les porter à cinq ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende dès lors que les atteintes durent au moins dix ans.

Plus novatrice est l’introduction d’un titre III dans le livre II du code de l’environnement, intitulé « Atteinte générale aux milieux physiques ». Il s’agit donc bien des bases des délits d’atteinte à l’environnement au sens large du terme.

Le texte crée trois nouvelles infractions :

• L’article L. 230-1 institue la mise en danger délibérée de l’environnement (air et eau) par méconnaissance d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité ayant entraîné des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore ou la faune. Ces dispositions ne trouvent à s’appliquer que si les dommages durent dix ans et dans l’hypothèse où les décisions administratives n’ont pas été respectées.

• L’article L. 230-2 concerne l’abandon des déchets en violation des règles prévues par le code de l’environnement et dans la mesure où ils entraînent des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la faune et la flore ; il s’agit en réalité d’une infraction de pollution des sols.

• L’article L. 230-3 i définit l’écocide comme les infractions prévues à l’article L. 230-2 et au II de l’article L. 173-3 lorsqu’elles sont commises en ayant connaissance du caractère grave et durable des dommages sur la santé, la faune, la flore et la qualité de l’air, de l’eau et des sols susceptibles d’être induit par les faits.

Avant même d’aborder la question du droit européen, il convient de souligner la sévérité de l’avis du Conseil d’État.

Le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi climat, a descendu en flamme ce texte dans la mesure où « le projet de loi n’assure pas une répression cohérente graduée proportionnée des atteintes graves et durables à l’environnement selon l’existence ou non d’une intention ». De plus, le Conseil d’État fait observer que la loi réprime de manière différente et incohérente les comportements intentionnels causant des atteintes graves et durables à l’environnement. Il donne donc un avis tout à fait négatif sur cette partie du texte ce qui devrait conduire à sa réécriture complète.

Rappel des obligations communautaires

L’article 3 de la directive 2008/99/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal précise : « Les États membres font en sorte que les actes suivants constituent une infraction pénale lorsqu’ils sont illicites et commis intentionnellement ou par négligence au moins grave :

  • le rejet, l’émission ou l’introduction d’une quantité de substances ou de radiations ionisantes dans l’atmosphère, le sol ou les eaux, causant ou susceptibles de causer la mort ou de graves lésions à des personnes, ou une dégradation substantielle de la qualité de l’air, de la qualité du sol, ou de la qualité de l’eau, ou bien de la faune ou de la flore ;
     
  • la collecte, le transport, la valorisation ou l’élimination de déchets, causant ou susceptibles de causer la mort ou de graves lésions à des personnes, ou une dégradation substantielle de la qualité de l’air, de la qualité du sol, ou de la qualité de l’eau, ou bien de la faune ou de la flore ;
     
  • le transfert de déchets ;
     
  • l’exploitation d’une usine dans laquelle une activité dangereuse est exercée ou des substances ou préparations dangereuses sont stockées ou utilisées, causant ou susceptible de causer, à l’extérieur de cette usine, la mort ou de graves lésions à des personnes, ou une dégradation substantielle de la qualité de l’air, de la qualité du sol ou de la qualité des eaux, ou bien de la faune ou de la flore ;
     
  • la production, le traitement, la manipulation, l’utilisation, la détention, le stockage, le transport, l’importation, l’exportation ou l’élimination de matières nucléaires ou d’autres substances radioactives dangereuses, causant ou susceptibles de causer la mort ou de graves lésions à des personnes, ou une dégradation substantielle de la qualité de l’air, de la qualité du sol, ou de la qualité de l’eau, ou bien de la faune ou de la flore ;
     
  • la mise à mort, la destruction, la possession ou la capture de spécimens d’espèces de faune et de flore sauvages protégées sauf dans les cas où les actes portent sur une quantité négligeable de ces spécimens et ont un impact négligeable sur l’état de conservation de l’espèce ;
     
  • le commerce de spécimens d’espèces de faune ou de flore sauvages protégées ou de parties ou produits de ceux-ci, sauf dans les cas où les actes portent sur une quantité négligeable de ces spécimens et ont un impact négligeable sur l’état de conservation de l’espèce ;
     
  • tout acte causant une dégradation importante d’un habitat au sein d’un site protégé ;
     
  • la production, l’importation, l’exportation, la mise sur le marché ou l’utilisation de substances appauvrissant la couche d’ozone. »

• Article 4 : Incitation et complicité

Les États membres veillent à ce que le fait d’inciter à commettre de manière intentionnelle un acte visé à l’article 3 ou de s’en rendre complice soit passible de sanctions en tant qu’infraction pénale.

• Article 5 : Sanctions

Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les infractions visées aux articles 3 et 4 soient passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives.

Venons-en à l’essentiel à savoir la prétention d’introduire un écocide dans le droit français.

La conformité du projet de loi avec les exigences européennes

En réalité, le compte n’y est pas, dans la mesure où la volonté du gouvernement de réduire de manière drastique le champ d’application des nouveaux délits conduit à une série de verrous qui créent une incompatibilité avec les exigences européennes.

En premier lieu, le délai de dix ans exigés pour la durée des dommages, nécessaire pour que l’infraction puisse être constituée, est une double hérésie. D’une part, il est très difficile de prouver au moment où l’infraction est commise que les effets de l’infraction vont durer dix ans et, au bout de dix ans, le délit est prescrit puisque la prescription est de six ans. De plus, cette exigence est disproportionnée d’autant plus qu’aucune condition liée à la durée du dommage n’est prévue dans les textes communautaires. Apporter la preuve ab initio de ce que les dommages causés vont durer plus de dix ans, preuve qui pèsera sur le ministère public et les victimes – puisqu’il s’agit d’un élément constitutif de l’infraction – risque de s’avérer dans la plupart des cas impossible et conduire à des discussions qui seront très éloignées de l’essentiel à savoir avoir commis volontairement une atteinte au milieu quelle que soit la gravité de cette atteinte.

En second lieu, l’intention est définie de manière très étroite comme la connaissance des risques encourus d’atteintes graves et durables. Or la négligence est considérée par le droit communautaire comme un élément intentionnel constituant l’infraction. Sur ce point, le texte n’est pas conforme aux exigences européennes. Certes, la jurisprudence Erika (Crim. 25 sept. 2012) a retenu la négligence comme constitutive de l’infraction et de la responsabilité civile (alors que la convention sur la responsabilité civile du fait des pollutions de mer par hydrocarbures excluait la responsabilité de l’affréteur sauf s’il avait commis une faute volontaire). Mais cette définition extrêmement étroite rendra très difficile la prise en considération de la négligence comme élément constitutif de l’infraction et c’est précisément pour cela qu’elle a été retenue.

En troisième lieu, le projet implique un élément de gravité. Or la directive communautaire fait référence à une dégradation substantielle. Il n’est pas évident que les deux concepts soient de valeur équivalente, la gravité étant plus exigeante que la dégradation substantielle.

En quatrième lieu, le champ d’application du projet de loi ne couvre pas tous les domaines retenus par la directive. Il en va notamment ainsi des radiations ionisantes qui, comme par hasard, sont oubliées ou de la dégradation des habitats qui n’est pas visée. Or le droit pénal est interprétation stricte.

Enfin, on peut s’interroger sur la question de l’incitation visée à l’article 4 de la directive qui prévoit sa répression au même titre que la complicité. Celle-ci ne fait pas de problème puisqu’il s’agit de droit pénal général et que par conséquent la complicité sera punie comme le délit lui-même. En revanche, sur l’incitation qui peut, dans le domaine environnemental prendre des formes très diverses, le doute fait plus qu’exister. Ainsi, le fait pour un conseil d’administration de refuser des crédits indispensables pour éviter une pollution pourrait-il être réprimé ?

Conclusion

En définitive, avec plus de dix ans de retard, puisque la France devait transcrire avant 2010 ce texte, le projet de loi climat n’est même pas en capacité de répondre aux exigences minimales du droit communautaire. Dès lors, la notion d’écocide dans sa plénitude et un véritable abus de langage.

Dès lors, certes, le projet de loi climat constitue un progrès puisqu’il renforce les pénalités et étend le champ d’application de la répression au domaine des dommages causés au sol et à l’air. Mais les conditions particulièrement rigoureuses mises à la constitution de l’infraction risquent de rendre très difficile l’utilisation de ces nouvelles dispositions. Mesurées, à l’aune de la création de la convention judiciaire d’entraide publique, ces nouvelles infractions risquent fort de ne pas déboucher demain dans le prétoire.

Espérons que la réécriture indispensable du texte après l’avis du Conseil d’État conduira un peu plus d’ambition…