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Le droit en débats

Les demandes d’asile fondées sur l’homosexualité de la personne

Une rapporteure à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) raconte son quotidien de l’intérieur. Une série en cinq épisodes (4/5).

Par Lou Mazer le 19 Septembre 2019

Les médias comme les hommes et femmes politiques véhiculent, peut-être malgré eux, l’idée que l’OFPRA et la CNDA, les deux institutions chargées d’examiner les demandes d’asile, ne semblent pas bien connaître la situation des personnes homosexuelles dans leurs pays d’origine. Cette image a été fortement médiatisée en mai 2018 lorsque des associations se sont mobilisées pour empêcher l’expulsion de Moussa, un jeune Guinéen alléguant être persécuté dans son pays en raison de son homosexualité1. Il a ainsi été soutenu par l’association Aides mais également par des hommes et femmes politiques comme Olivier Faure, Benoît Hamon et Emmanuelle Cosse. Cette dernière déclarait « Il est temps que ce gouvernement fasse preuve d’humanité » tandis que Aides demandait sur Twitter « la protection de l’État pour toute personne gay, bi, lesbienne ou trans arrivant de pays notoirement homophobes et dangereux ».

C’est exactement la jurisprudence de la Cour et c’est également la ligne observée par l’OFPRA pour instruire les demandes d’asile des personnes alléguant des craintes en raison de leur orientation sexuelle. De nombreux rapports d’ONG internationales renseignent parfaitement sur la situation des personnes homosexuelles en Guinée.

Le problème, c’est-à-dire le motif de rejet d’une demande d’asile pour la très grande majorité des personnes déboutées, réside dans l’établissement de l’orientation sexuelle. L’OFPRA et la Cour, chargés d’examiner les demandes d’asile et d’octroyer une protection à celles et ceux qui ont des craintes d’être persécutés, notamment en raison de leur orientation sexuelle, ne peuvent s’appuyer sur les seules affirmations des demandeurs sans vérifier cette information.

Il s’agit d’une demande extrêmement particulière.

À la différence des demandes d’asile fondées sur des motivations politiques ou sur une conversion religieuse, les demandes fondées sur l’orientation sexuelle ne nécessitent aucun document de preuve, qui, s’ils sont faux, peuvent coûter très cher aux personnes demandant l’asile2. Ne seront pas non plus exigés des personnes homosexuelles des connaissances complètes sur l’idéologie d’un parti ou la pratique religieuse ni un engagement les rendant particulièrement visibles.

Cette demande d’asile est ainsi examinée sous le prisme de l’intime conviction et non sur la base de preuves. Nous attendons ainsi des personnes qu’elles nous livrent des éléments et anecdotes personnalisés, notamment sur la prise de conscience de leur orientation sexuelle dans un pays qui pénalise l’homosexualité ou dans lequel l’homosexualité est réprimée par la population pour des raisons de tradition ou de religion. Elles sont également interrogées sur leurs relations afin d’examiner si leurs compagnons ou compagnes ont une existence réelle. Elles doivent également revenir sur d’éventuelles persécutions subies en raison de leur orientation sexuelle.

Officiers de protection à l’OFPRA comme rapporteurs et membres de la formation de jugement à la Cour sont mal à l’aise à l’égard de cette demande d’asile. Nous sommes ainsi gênés de leur poser des questions sur leur ressenti et leurs relations amoureuses. Il arrive que nous ne soyons pas complètement convaincus, dans un sens comme dans l’autre. Dans ce cas, le doute bénéficie généralement au demandeur d’asile et une protection est octroyée par la Cour.

Les demandes sont rejetées, le plus souvent soit parce que les éléments du récit sont peu développés et peu personnalisés, soit parce qu’ils sont stéréotypés. En effet, le nombre de demandes qui font intervenir un viol dans l’enfance de la part d’un garçon plus âgé et le développement progressif d’une relation amoureuse avec celui-ci est extrêmement important. De la même manière, de nombreux demandeurs invoquent une sexualité débordante, y compris lors de l’enfance durant laquelle ils auraient commis des agressions sexuelles sur d’autres petits garçons. Enfin, les récits stéréotypés mentionnent presque toujours des garçons qui aiment s’habiller comme les filles et n’aiment pas jouer avec celles-ci. Les demandeuses homosexuelles sont plus rares mais certaines mentionnent avoir été « introduites au lesbianisme » après une déception amoureuse avec un homme.

Ces clichés révèlent ainsi une approche hétérocentrée de l’homosexualité de la part de nombreux demandeurs d’asile. L’homme homosexuel serait ainsi l’homme efféminé ou celui qui n’est homosexuel que parce qu’il a subi un traumatisme dans son enfance. La femme homosexuelle est, quant à elle, la femme déçue des hommes.

Ces clichés sont parfois, malheureusement, partagés par les juges et même par les avocats. Si les juges sont extrêmement prudents dans la formulation de leurs questions, il est toutefois arrivé que certains posent des questions relatives à la sexualité de la personne, pourtant interdites par le Conseil d’État. J’ai également pu entendre, à plusieurs reprises, des avocats qui invoquaient, pour demander l’octroi d’une protection à leur client, leur style vestimentaire, leur gestuelle maniérée ou leur élégance.

 

 

1. Mobilisation autour de Moussa, homosexuel guinéen, menacé d’expulsion, Le Parisien, 3 mai 2018 ; Nouvelle tentative d’expulsion de Moussa, homosexuel guinéen menacé dans son pays, Libération, 3 mai 2018 ; Moussa, guinéen, homosexuel et menacé d’expulsion, France Info, 4 mai 2018.
2. Une filière de faux réfugiés politiques bangladais démantelée, Le Parisien, 7 avr. 2012.