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Le droit en débats

La détention provisoire, variable d’ajustement de la crise sanitaire

La situation est exceptionnelle et, sauf à habiter sur une autre planète du système solaire, nul ne peut avoir échappé à cette révolution du quotidien qui, pour la plupart d’entre nous, consiste à vivre confiné en attendant des jours meilleurs.

À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles dans quantité de domaines.

Par Sébastien Schapira le 01 Avril 2020

Tout le monde s’accorde ainsi à reconnaître la nécessité d’adapter, par exemple, le droit du travail ou le droit fiscal pour permettre à l’économie de continuer à fonctionner, même au ralenti. Mais jusqu’où peut-on réduire nos libertés au nom de la menace sanitaire ?

C’est la question qui se pose à la lecture des dispositions relatives à la détention provisoire de l’ordonnance portant adaptation des règles de procédure pénale prise le 25 mars dernier (ord. n° 2020-303, 25 mars 2020).

Notre pays est un champion de l’incarcération, qu’il s’agisse de personnes en détention provisoire ou condamnées. Manifestement, il entend le rester.

Votée l’année dernière et entrée en vigueur ce mois, la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice) interdit désormais l’aménagement d’une peine supérieure à une année de prison.

Depuis que l’état d’urgence sanitaire a été décrété, la situation des détenus et tout particulièrement de ceux qui sont en détention provisoire s’est encore aggravée.

La situation sanitaire a, dans un premier temps, provoqué une vague de décisions de remises en liberté.

À cette occasion, des magistrats ont constaté que les conditions actuelles de la détention ne permettaient pas le « respect de la totalité des mesures barrière », outre que les activités au sein des établissements pénitentiaires étaient réduites et les parloirs famille supprimés.

De plus, la situation ne permettant pas de savoir quand des interrogatoires pourraient de nouveau être organisés, ces magistrats ont relevé qu’il était « impossible d’en faire supporter les conséquences aux mis en examen ».

On pouvait dès lors s’attendre à ce que la garde des Sceaux, sans être laxiste, fasse le même constat et favorise un recours plus large aux mesures alternatives à la détention, en réponse à la mise en danger de la santé des détenus.

Or, bien au contraire, l’ordonnance rendue le 25 mars dernier prévoit le prolongement de plein droit de la détention provisoire de deux à six mois supplémentaires et allonge de trente jours le délai d’examen des appels en la matière.

Ainsi, le 30 mars dernier, un mis en examen incarcéré pour la première fois qui se préparait à rencontrer le juge des libertés et de la détention pour un débat sur sa détention a reçu, quelques jours avant ce rendez-vous et sans la moindre explication préalable, une ordonnance « constatant la prolongation de plein droit de la détention provisoire ». L’exécutif ayant automatiquement prolongé la période de détention provisoire, le juge n’a pu que constater qu’il n’y avait plus lieu à organiser un débat contradictoire.

Ce détenu ne rencontrera donc pas le juge comme prévu, ne pourra pas demander sa remise en liberté à l’aide de son avocat et demeurera enfermé d’office, plusieurs mois supplémentaires, dans une prison traversée par la violence et la panique, ce qui provoquera certainement une incompréhension et un sentiment d’injustice légitimes.

On s’organise en France, et tant mieux, pour transférer des malades en réanimation vers d’autres régions, voire d’autres pays ; pour que des caissières puissent avec courage venir travailler ; pour que des services essentiels à la continuité de la nation puissent fonctionner.

Ne pourrait-on pas aussi, quand il s’agit de la liberté de femmes et d’hommes présumés innocents, mettre tout simplement en place des visioconférences permettant la tenue de débats contradictoires pour statuer sur l’éventuelle prolongation d’une mesure qui doit demeurer l’exception ?

La liberté et la présomption d’innocence seraient-elles à ce point secondaires qu’il ait été ainsi décidé de priver un justiciable de façon arbitraire de la possibilité de voir son juge, d’être défendu ?

Cette ordonnance ne fait malheureusement que confirmer la tendance actuelle : le recours massif à la détention provisoire dans des affaires souvent mineures pour lesquelles un contrôle judiciaire strict ou un placement sous surveillance électronique aurait suffi.

Derrière les motifs fourre-tout que sont les risques de pression ou de concertations – alors même que chacun dispose d’un téléphone portable en détention –, on envoie tous les jours des individus déboussolés dans des prisons en proie aux trafics, à l’ignorance, au fanatisme et plus prosaïquement aux puces de lits. Après les puces, c’est maintenant le pangolin qui s’est invité en prison et qui menace nos libertés.

Espérons que ce texte indigne d’une démocratie sera rapidement censuré par le Conseil d’État pour rappeler que non, la liberté et la présomption d’innocence ne sont pas des variables d’ajustement de cette crise sanitaire, aussi grave soit-elle.