Beaucoup ont été heurtés et y ont vu une immixtion de deux magistrats du parquet de la Cour d’appel de Versailles dans le pré carré de la défense.
Tant il est vrai que la première occurrence du titre se voulait provocatrice : poser à la forme affirmative, presque de manière sentencieuse que « se taire est rarement la meilleure façon de se défendre » ne pouvait qu’exaspérer les robes noires.
Il n’est cependant pas question ici de polémiquer dans la mesure où tous les acteurs de la vie judiciaire peuvent bien donner leur avis sur des sujets qui ne constituent qu’une préoccupation lointaine de leur exercice professionnel.
Pour autant, le dernier mot doit revenir à la défense afin de clore un débat stérile, fondé sur un postulat juridique contestable.
Un débat stérile…
La thèse des auteurs est plus nuancée que ne le laissait supposer leur titre : ils se proposent de démontrer que le droit au silence « peine à trouver sa juste place devant les juges nationaux pour réussir son acculturation ».
Ils l’illustrent principalement en s’interrogeant sur la pertinence de la répétition de l’avertissement oral du droit de se taire devant le tribunal susceptible, selon eux, de « jeter le plus souvent la confusion dans l’esprit du prévenu » et d’« instiller le doute sur la loyauté de l’enquête » et même de lui « inspirer la tentation de se rétracter ».
Ces assertions auraient mérité quelques développements tant la relation de cause à effet nous échappe.
On conçoit mal en effet par quel ressort psychologique la notification du droit de se taire, noyée d’ailleurs dans celles de répondre aux questions ou de faire une déclaration, pourrait amener le prévenu à revenir sur ses déclarations.
À supposer la légalité de ce retour en arrière, le hiatus serait teinté au surplus d’une hypocrisie certaine amenant à considérer que ce droit existerait bel et bien et ne pourrait être remis en cause, mais qu’il ne devrait surtout pas être notifié, au motif que « les juges ont toujours besoin de l’entendre pour bien juger, et pas seulement pour condamner, la conscience en paix, ceux-là seuls qui avouent leur faute ».
Faut-il comprendre a contrario que ceux qui se taisent seraient moins bien jugés par des magistrats que leur conscience tourmenterait ?
Les auteurs, pour justifier plus encore leur critique sur la pertinence de la notification du droit de se taire lors de l’audience, posent comme une évidence que la loi se montrerait « prudente à l’égard de l’aveu », exhorterait même « tacitement la justice à renoncer définitivement à la religion de l’aveu », qui ne serait donc « plus la reine des preuves ».
Convenons seulement que les progrès scientifiques dans la collecte des preuves ont pu relativiser son importance.
Pourtant, la thèse défendue par les auteurs tend à démontrer le contraire : si l’aveu n’est qu’un élément parmi tant d’autres, pourquoi remettre en cause l’exercice du droit au silence lors de l’audience, au risque de privilégier ces séances interminables de questions, pourtant déjà posées à de multiples reprises ?
Car, l’audience n’est souvent qu’une resucée de l’enquête en ce qu’il est peu fréquent qu’elle permette d’apprendre ce que l’on ne savait déjà.
Pour le béotien, lorsque les faits sont niés, l’impression est que l’on essaie de faire trébucher le prévenu afin qu’il se contredise, pour en conclure qu’il ment et donc qu’il est coupable.
Au vrai, la pratique professionnelle de l’avocat ne s’embarrasse pas de ces questionnements : elle considère que le silence se justifie au premier chef au stade de l’enquête de police, à un moment où il est interdit à la défense d’avoir accès au dossier.
Car, en réalité, c’est bien à ce moment-là, et plus spécifiquement lors de l’entretien avec le suspect, avant qu’il ne soit auditionné par un fonctionnaire de police, que l’avocat devra décider avec lui de la conduite à tenir.
Nous ne voyons pas, en pratique, que la question du droit au silence se pose au seuil de la salle d’audience.
Mais, au bout du compte, l’objection des auteurs dont la légalité est, rappelons-le, douteuse, paraît dérisoire et ils sont bien obligés de concéder que le droit au silence exercé au cours de l’audience est un choix rarissime.
Pourquoi dès lors s’aventurer sur un terrain glissant ?
À moins qu’il ne s’agisse d’un ballon d’essai annonçant une critique plus globale du droit de se taire, lors de l’instruction notamment.
De ce point de vue, le parallèle tracé avec « la défense de rupture » procède d’une confusion dans la mesure où cette défense ne vise pas à dénoncer « le sort inique que lui réserve un système judiciaire ».
L’exercice du droit au silence lors de l’audience ne saurait s’accorder de près ou de loin à « la défense de rupture » qui, théorisée par Marcel Willard1 et incarnée par Jacques Vergès2, tend à la remise en cause de l’ordre établi et, partant, de la légitimité des magistrats à juger.
Cette confusion, que l’on veut croire involontaire, participe d’ailleurs d’une propension plus générale à caricaturer voire dénigrer un droit, pour le ravaler à une posture de contestation radicale, donc à le remettre en cause.
… qui repose sur un postulat erroné
Pour autant, ladite chronique a peut-être pêché par excès d’audace de ses auteurs.
Au regard d’une ambition affichée tendant à interroger le droit au silence exercé au cours de l’audience, que les auteurs qualifient de « stratégie aventureuse », ils ont voulu à toute force partir sur une base solide, mais se sont laissés aller à affirmer un principe, en forme de postulat, pour le moins contestable.
Ainsi, énoncer que « le silence ne peut être reproché et retenu à charge contre » la personne mise en cause, traduit au mieux l’indifférence, malheureusement assez banale chez les magistrats, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
De ce point de vue, se dispenser d’évoquer notamment son arrêt Murray c/ Royaume-Uni du 8 février 1996 (n° 18731/91) relève presque de la performance, d’autant qu’il apporte une réponse nette et précise à leur questionnement.
En effet, il a, pour le coup, sérié le débat sur « le sens et la portée du droit au silence » en posant qu’il ne s’agissait en rien d’un droit absolu, en ce sens que si son exercice ne peut à lui seul suffire à emporter condamnation, il peut parfaitement affermir d’autres éléments à charge, et être allégué comme tel par les juges.
Sa motivation est sans ambiguïté :
« Il est tout aussi évident pour la Cour que ces interdictions ne peuvent et ne sauraient empêcher de prendre en compte le silence de l’intéressé dans des situations qui appellent assurément une explication de sa part, pour apprécier la force de persuasion des éléments à charge… » […] « Les conclusions tirées de son refus, lors de son arrestation, pendant l’interrogatoire de police et au procès, de donner une explication à sa présence dans la maison étaient dictées par le bon sens et ne sauraient passer pour iniques ou déraisonnables en l’espèce ».
Pour les juges européens, garder le silence n’est donc pas sans risque, et peut à bon droit être retenu contre l’accusé sur qui pèsent des charges suffisamment sérieuses.
Ce qui est défense est parfois aussi accusation, et inversement : si l’exercice de ce droit peut constituer une échappatoire commode, il peut aussi affermir la conviction des juges pour, in fine, parachever la condamnation.
C’est dire que les avocats ne conseillent pas de se taire à la légère, considérant l’environnement juridique français qui veut que l’innocence ne se tait pas ; elle se « clame », selon l’expression consacrée.
D’ailleurs, le silence est dans l’esprit ou, pour être indulgent, dans le subconscient de nombreux policiers et magistrats, le premier indice de culpabilité.
L’expérience tend d’ailleurs à démontrer que l’exercice de ce droit dans la phase policière n’est pas la règle.
On peut le regretter dans la mesure où le positionnement de la défense devrait être binaire.
Soit les enquêteurs disposent des preuves de culpabilité du suspect, à tout le moins de son implication, et alors il serait logique de le présenter à un juge afin qu’il puisse se défendre en ayant accès au dossier.
L’audition, dans ce cadre, est superflue et renvoie de manière évidente à la « religion de l’aveu ».
Soit le dossier est vide ou fragile, et alors on conçoit que l’interrogatoire devienne crucial.
Là, plus encore, l’aveu est au centre de l’enquête. Pourquoi, dès lors, coopérer à sa propre accusation ?
Le positionnement du parquet s’embarrasse moins de réflexion : il subit le droit au silence plus qu’il ne l’accepte.
À l’heure où l’on annonce une énième réforme de la procédure pénale qui promet notamment la création d’une « procédure coffre », c’est-à-dire hermétique au regard critique de la défense et une redéfinition toujours plus restrictive du régime des nullités ; à l’heure aussi où le ministre de l’Intérieur remet en cause frontalement l’État de droit ; à l’heure encore où le cacique d’un parti politique d’extrême droite aux portes du pouvoir projette de sortir de « la camisole » des droits de l’homme ; bref, à l’heure où la France pourrait basculer dans un régime que l’on peinerait à qualifier de démocratique, il ne nous semble pas opportun ni de s’interroger sur la pertinence de l’exercice d’un droit de la défense, ni sur les stratégies que peuvent mettre en œuvre les avocats, comme on a pu l’entendre aussi d’autres magistrats à l’occasion des auditions de la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France.
Cette mise à l’index est inquiétante, spécialement venant de ceux qui, aux termes de l’article 66 de la Constitution, sont gardiens de la liberté individuelle.
1. M. Willard, La défense accuse, Éditions sociales,1938.
2. J. Vergès, De la stratégie judiciaire, Éditions de Minuit, 1968.