Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

Le droit en décadence ?

L’exemple de la procédure civile, entre légistique défaillante et numérique envahissant…

Par Corinne Bléry le 09 Mars 2022

Ce n’est pas la première fois que les processualistes critiquent les réformes de la procédure civile, tant pour ce qui est du contenu que pour ce qui est de la méthode. La politique de petits pas incessants, ayant remplacé la tradition des « Noëls du procédurier », réfléchis et plus rares, ne peut qu’aboutir à un résultat peu heureux (v., en dernier lieu, Dalloz actualité, 19 oct. 2021, Le droit en débats, obs. C. Bléry). De fait, à chaque texte – loi, décret ou arrêté –, le public destinataire est déçu, car il y a trop ou trop peu. À tel point que tous n’aspirent qu’à une pause, quelle que soit la qualité des textes en vigueur aujourd’hui. Les magistrats pointent une « forme de lassitude, de désespérance sur le sens de leurs missions, chahutées par des réformes incessantes, rendues inefficaces par des systèmes informatiques obsolètes, souvent paralysants, et par une logique de gestion de la pénurie devenue insupportable » (F. Fevre [CNPG] et J. Boulard [CNPP], respectivement président de la conférence nationale des procureurs généraux et de la conférence nationale des premiers présidents de cour d’appel ; Gaz. Pal. 18 janv. 2022, p. 37, obs. S. Amrani-Mekki).

Chacun se dit qu’il va s’accommoder de l’existant, aussi peu satisfaisant soit-il, mais qu’il ne veut plus décrypter, essayer de comprendre, intégrer des nouveautés, à sa pratique de juge, d’avocat, de greffier, d’huissier – bientôt commissaire – de justice… ou à son enseignement. Le calme est nécessaire « avant d’envisager ensemble une réforme plus globale et systémique du modèle de procès civil » (S. Amrani-Mekki, art. préc., p. 37), sans précipitation et en pensant au justiciable plutôt qu’au budget de la justice.

Mais le calme n’est pas d’actualité. Au contraire, trois textes concernant la procédure civile viennent d’être adoptés (sur l’ensemble, v. Dalloz actualité, 3 mars 2022, obs. F.-X. Berger ; ibid., obs. C. Lhermitte) :

• le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 « favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et modifiant diverses dispositions » [sic] ;

• deux arrêtés techniques appelés par le décret : l’arrêté du 24 février 2022 « pris en application de l’article 1411 du code de procédure civile » (mais qui est antérieur d’un jour à l’article 1411) et l’arrêté du 25 février 2022 « modifiant l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel ».

Ces trois textes ont été publiés au Journal officiel du 26 février, entre la Saint-Lazare (23 févr.) et Mardi gras (1er mars)… Pour autant, le processualiste ne voit pas de résurrection de la procédure civile et n’a guère envie de fête. Son humeur est plutôt adaptée au mercredi des Cendres (2 mars) : elle est donc empreinte d’une certaine tristesse, mais aussi (d’un peu) de colère, tant les dispositions relatives à la déclaration d’appel (la modification de l’article 901 et celle des articles 3 et 4 de l’arrêté du 20 mai 2020, v. C. Lhermitte, art. préc.) sont désastreuses. L’émoi suscité sur les réseaux sociaux, spécialement Twitter et LinkedIn (sans exhaustivité, v. ceux de J. Jourdan-Marques, M. Barba, « Avokayon », et C. Lhermitte, F. Cuif, etc.) dans la « communauté processualiste » est sans précédent pour un texte de procédure civile…

Comment ne pas voir qu’un droit qui va si mal est un droit en décadence, comme a pu l’être le droit romain au Bas-Empire ? Pouvons-nous espérer un sursaut et un retour à une procédure civile de qualité grâce à une légistique différente ?

Nous ne présenterons pas ici les « pas » du jour de manière exhaustive. Ils sont en effet nombreux. Il y a l’extension – poussée toujours plus loin – de l’incitation ou de l’obligation de tenter de s’accorder avant de pouvoir saisir un juge (v. C. Bléry, art. préc.) ; elle nous semble de plus en plus désolante car porteuse d’un mépris croissant envers le « justiciable aux petits litiges », qui doit de plus en plus se débrouiller. Il y a la création d’une procédure spécifique d’apposition de la formule exécutoire sur le titre exécutoire des avocats créé par la loi Confiance, la modification de l’article 700 du code de procédure civile, etc.

C’est d’abord, et encore (v. C. Bléry, art. préc.), la légistique qui nous retiendra ; puis, nous nous attarderons sur deux innovations concernant le numérique, au gré de notre humeur de « cendres »…

Légistique

Le décret et ses arrêtés publiés le 26 février 2022 suscitent réflexions et critiques qui ne sont pas nouvelles mais renouvelées – un degré supplémentaire étant cependant atteint.

* La réforme incessante, au mépris de son guide de légistique, que le gouvernement ne suit pas, a des conséquences néfastes, malheureusement trop connues des destinataires des textes. C’est ainsi que les nouveaux textes corrigent souvent, pour ne pas dire systématiquement désormais, les erreurs de leurs aînés (tout jeunes aînés) car tout a été trop vite rédigé, sans vision d’ensemble et de cohérence.

Le décret du 25 février n’échappe pas à la règle, mais franchit allègrement un cran supplémentaire.

Dans la « règle », le décret du 25 février effectue deux corrections dans des renvois d’un texte à un autre – les erreurs étant issues du décret du 11 octobre 2021 : ainsi, désormais, l’article 806 renvoie à l’alinéa 4 de l’article 799 (relatif à la procédure sans audience), déplacé en 2021, et non plus à l’alinéa 3 (permettant un dépôt de dossier), inséré en 2021 ; une référence hors sujet, au premier alinéa de l’article 175-1 du décret du 27 novembre 1991 (art. créé en 2021), est supprimée…

De manière moins anodine, car touchant le fond et non plus la forme, le décret modifie l’article 1411 relatif aux injonctions de payer… dont la précédente mouture est, elle aussi, issue du décret du 11 octobre 2021, avant même son entrée en vigueur (v. infra).

Si l’erreur est humaine et pardonnable (sauf persévérance), il n’est pas acceptable de faire entrer dans cette catégorie « retouches » des correctifs qui ne sont pas de la procédure : l’un, prévu à l’article 2 du décret du 25 février, concerne le droit des sûretés, l’autre, prévu à son article 3, les actes authentiques électroniques à distance. Les cavaliers législatifs sont prohibés ; les « cavaliers réglementaires » devraient l’être tout autant. Le risque, pour les personnes concernées (notaires notamment), de passer à côté n’est pas assez compensé par la notice du décret.

Même si « péché avoué est à moitié pardonné », l’alinéa 2 de l’article 3 du décret laisse songeur. Il dispose que « la modification apportée par le présent article à l’article 20 [du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971] a un caractère interprétatif ». « Interprétatif » signifie « qui sert d’interprétation, qui contient une interprétation » ; une interprétation étant, dans son sens 1, l’« action d’interpréter, d’expliquer un texte, de lui donner un sens ; énoncé donnant cette explication » (v. Larousse, Interprétetion). C’est avouer, reconnaître que le texte précédent était mal écrit. Est-ce pour autant pardonnable ? L’effet juridique concret pourra causer des difficultés : s’il permet une validation des actes déjà reçus conformes à l’interprétation (v. F.-X. Berger, art. préc.), à l’inverse, il risque d’entraîner l’annulation de ceux qui ne le sont pas ou la nécessité de les régulariser.

* Un souci relatif à la langue française est aussi perturbant. Nous avons déjà remarqué l’utilisation de termes dans un sens courant – voire influencé par les réseaux sociaux – ainsi de « notification » d’informations (pour le Portail du justiciable, v. Dalloz actualité, 5 mars 2020, obs. C. Bléry et J.-P. Teboul).

Mais ici, c’est le terme même d’« alinéa » qui nous semble employé dans un sens méritant une explication de texte. L’article 1er de l’arrêté du 25 février 2022 modifiant l’arrêté du 20 mai 2020 évoque « les mentions des alinéas 1 à 4 de l’article 901 du code de procédure civile ». Faut-il comprendre les mentions exigées aux 1° à 4° citées dans cet article (v. aussi: C. Lhermitte, D. actu. 3 mars 2022) ou, si l’on compte les renvois à la ligne, ce qui est prévu à la première phrase, puis aux 1° à 3° ? C’est ce qu’il faut comprendre à la lecture du Guide de légistique (v. N. Fricero, D. actu. 8 mars 2022)… ce qui nous parait non conforme au dictionnaire.
En effet, le nom « alinéa » a deux sens  : « 1. Dans un texte, ligne dont le premier mot est le plus souvent en retrait et qui marque le début d’un paragraphe. 2. Passage d’un texte entre deux de ces retraits ; paragraphe » (v. Larousse,  Alinéa). C’est ce sens 2 qu’il faut retenir. Dès lors, l’article 901 a deux alinéas :

• l’alinéa 1er dispose que « la déclaration d’appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe [ajout du décret], contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le cinquième alinéa de l’article 57, et à peine de nullité :

  1. La constitution de l’avocat de l’appelant ;
     
  2. L’indication de la décision attaquée ;
     
  3. L’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté ;
     
  4. Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible » ;

• l’alinéa 2 précise qu’« elle est signée par l’avocat constitué. Elle est accompagnée d’une copie de la décision. Elle est remise au greffe et vaut demande d’inscription au rôle ».

Cette conception « classique » des alinéas a été perdue de vue par les concepteurs des textes (et du Guide) ; leur conception plus récente ne facilite pas la lecture des textes… surtout quand leur contenu est lui-même loin d’être limpide.

* Le décret du 25 février est en outre l’illustration d’une légistique de réaction quasiment « épidermique ». Nous évoquons à nouveau la déclaration d’appel et son annexe. Aucun processualiste n’ignore le fameux arrêt « annexe de la DA » du 13 janvier 2022 (Dalloz actualité, 20 janv. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 325, obs. M. Barba  ; Lexbase hebdo privé n° 316, 27 janv. 2022, obs. C. Bléry ; JCP 2022. 202, obs. N. Fricero, etc.). Il a fait l’effet d’un coup de tonnerre, certes précédé de signes avant-coureurs (v. C. Lhermitte, art. préc.), mais sans modulation dans le temps, semant consternation et inquiétude chez les avocats et les justiciables. En effet, l’arrêt posait en principe que le recours à l’annexe de la DA ne pouvait être admis qu’en cas d’empêchement technique : soit le dépassement des 4 080 caractères du champ du RPVA (et qu’un renvoi devait être effectué depuis la DA). Le Conseil national des barreaux (CNB) avait régi en demandant un texte…

La Chancellerie a accédé aux demandes du CNB… au moins en la forme : l’article 1er, 16°, du décret a complété l’article 901, par l’ajout (susévoqué, en italique), et l’arrêté du 25 février a, d’une part, complété l’article 3 de l’arrêté du 20 mai 2020, d’autre part, réécrit son article 4. Au fond, cette réglementation « réactionnelle » ne change rien à la jurisprudence du 13 janvier qui refuse une utilisation libre de l’annexe, au pire, elle obscurcit la situation : elle est bien difficile à comprendre. Si une explication de texte est bienvenue (v. N. Fricero, D. actu. 8 mars 2022), elle nous laisse sceptique : en quoi est-il « logique » que le 4° […] ne figure pas parmi les mentions obligatoires dans le fichier XML de la déclaration d’appel ». Mme le professeur Natalie Fricero la qualifie ainsi « puisque les chefs du jugement critiqués peuvent figurer dans une annexe jointe sous la forme d’un fichier PDF, sans aucune considération du nombre de caractères (contrairement à la solution résultant de l’arrêt du 13 janvier 2022, l’annexe est régulière quel que soit le nombre de signes qu’elle comporte, fut-il inférieur à 4 080 caractères et même si le fichier XML de la déclaration d’appel, qui est toujours limitée à 4 080 caractères, ne contient aucun chef de jugement critiqué) » N’est-ce pas antinomique avec l’idée qu’il faut se passer de l’annexe quand on peut faire autrement (pour faciliter le travail du greffe) ?…

Comme cela a été dit (C. Lhermitte, art. préc.), il nous semble que ce n’est pas l’article 901 qu’il fallait modifier mais, éventuellement, l’article 930-1 pour introduire un empêchement technique justifiant un renvoi à l’annexe et la cantonner à l’hypothèse d’une déclaration d’appel par voie électronique. Cela semble d’ailleurs être l’intention qui a présidé aux modifications de l’arrêté technique qui encadre l’annexe.
La publication d’un décret et/ou un arrêté « interprétatif(s) » ne serait pas superflue… mais le mieux serait encore de régler la question technique à l’origine de l’arrêt « annexe de la DA » et de ses « pansements » textuels mal écrits…

* La technique est encore une autre pierre d’achoppement de la légistique en matière de CPVE. Le pouvoir réglementaire semble souvent faire la course – une course de lenteur ou de vitesse selon le cas – avec les informaticiens (C. Bléry, « Peut-on faire confiance à la justice civile numérique ? », in A. Giudiccelli, E. Caprioli [dir.], La confiance numérique. Travaux de la chaire sur la confiance numérique, LexisNexis, 2022, p. 301 s., spéc. p. 315). Il semble que la manœuvre informatique permettant de retirer la limite des 4 080 caractères dans le champ RPVA soit simple à effectuer et possible techniquement. C’est bien cette limite de 4 080 signes qui a justifié la solution de l’annexe, pis-aller qui a été utilisé, sans doute plus libéralement qu’il n’aurait dû. Et c’est l’utilisation libérale de l’annexe qui, à son tour, a entraîné l’arrêt si sévère du 13 janvier, puis les modifications de textes de droit… dont l’un (l’article 901 modifié) semble déconnecté de la CPVE !

À l’inverse, l’article 456 (v. infra) semble anticiper des difficultés techniques qui ne sont pas à l’ordre du jour et ne le seront peut-être jamais.

Il faudrait davantage associer des informaticiens à la conception des textes pourqu’il adaptent l’outil au juriste. Ensuite, il est plus pertinent de laisser chacun faire son affaire de la technique dès lors qu’il respecte les garanties juridiques (confidentialité, conservation, etc.). C’est praticable, le Québec le prouve. Cela résulte de l’article 2 de la loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (LCCJTI), dans lequel le code de procédure civile québécois s’inscrit : l’alinéa 1er dispose qu’« à moins que la loi n’exige l’emploi exclusif d’un support ou d’une technologie spécifique, chacun peut utiliser le support ou la technologie de son choix, dans la mesure où ce choix respecte les règles de droit, notamment celles prévues au code civil » et l’alinéa 2 précise qu’« ainsi, les supports qui portent l’information du document sont interchangeables et, l’exigence d’un écrit n’emporte pas l’obligation d’utiliser un support ou une technologie spécifique ».

À suivre une telle démarche que nous appelons toujours de nos vœux (depuis 2019, v. JCP 2019, suppl. au n° 14, 8 avr. 2019, p. 56), les textes peuvent s’occuper des principes généraux sans entrer dans le détail informatique, gagner en hauteur de vue et en stabilité (comme Portalis, le grand juriste, l’exposait dans le Discours préliminaire au Code civil)…

Le numérique

Parmi les nombreuses dispositions, nous aborderons deux innovations d’importance inégale, mais l’une et l’autre suscitées par le mouvement croissant de dématérialisation de la procédure civile. La première innovation concerne l’établissement du jugement sur support électronique et plus spécialement la signature électronique ; la seconde consiste en la création d’une nouvelle plateforme. Là encore, la méthode peut être critiquée, mais aussi le fond car la technique semble faire oublier la procédure… quand ce n’est pas la réalité.

* Les modifications des articles 456 et 458, entrées en vigueur dès le 27 janvier 2022, n’ont guère suscité de réactions qu’à présent (v. cependant, sur l’art. 456, Lexbase, édition du 3 mars 2022, N0626BZ9, obs. C. Simon).

Rappelons tout d’abord que les articles 454 à 456 exigent certaines énonciations pour la rédaction du jugement : certaines touchent le fond, d’autres constituent des exigences formelles au sens strict, d’autres se rapportent à la procédure antérieure (J. Héron, par T. Le Bars et K. Sahli, Droit judiciaire privé, 7e éd., Lextenso, 2019, nos 490 s. ; L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 11e éd., LexisNexis, 2020, nos 709 s.). C’est ainsi que :

  • l’article 455 intéresse le fond de l’affaire, en exigeant notamment une motivation,
     
  • l’article 454 permet de vérifier la régularité de la procédure antérieure en exigeant la mention du nom des juges qui ont délibéré du jugement,
     
  • le même article 454 appelle des énonciations de pure forme : l’indication de la juridiction dont le jugement émane, de sa date, du nom du greffier, etc., ainsi que l’article 456.

Cet article 456 du code de procédure civile (issu du décret n° 2012-1515 du 28 décr. 2012) prévoit que le jugement peut être établi sur support électronique (al. 1er). Dans ce cas, les procédés utilisés doivent en garantir l’intégrité et la conservation et il est signé électroniquement au moyen d’un procédé de signature électronique qualifiée, répondant aux exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 (al. 2). L’article 456, alinéa dernier (4 aujourd’hui), appelle un arrêté du garde des Sceaux : trois ont été pris, d’abord un arrêté du 18 octobre 2013 pour la Cour de cassation, puis un arrêté du 9 avril 2019 permettant l’établissement des jugements des tribunaux de commerce sur support électronique et leur signature dématérialisée (Dalloz actualité, 19 avr. 2019, obs. C. Bléry et T. Douville) et un arrêté du 20 novembre 2020 grâce auquel les décisions juridictionnelles rendues par les juridictions de l’ordre judiciaire en matière civile, à l’exclusion des décisions rendues par les tribunaux de commerce et les tribunaux mixtes de commerce, vont pouvoir être signées électroniquement (JCP 2020. 1406, obs. C. Bléry).

Or notre décret du 25 février a ajouté un alinéa 3 qui dispose : « Le retrait de la qualification d’un ou plusieurs éléments nécessaires à la production de la signature constitue un vice de forme du jugement ». En lien avec cet ajout, l’article 458 a été retouché : l’alinéa 1er modifié en 2022, dispose que « ce qui est prescrit par les articles 447, 451, 454, en ce qui concerne la mention du nom des juges, 455 (al. 1er) et 456 (al. 1er et 2) doit être observé à peine de nullité ».

Le décret prévoit donc une situation assez particulière, celle du « retrait de la qualification d’un ou plusieurs éléments nécessaires à la production de la signature », nécessairement « électronique ». Elle serait « déclassée » : à la suite d’un événement, la signature ne serait plus « qualifiée », ou ne serait plus du tout une signature électronique, faute d’avoir eu un processus de « production » conforme aux exigences du décret de 2017.

La notion de signature qualifiée vient du règlement dit « eIDAS » (règl. [UE] n° 910/2014, 23 juill. 2014) qui a consacré leur équivalence aux signatures manuscrites (art. 25, § 2) : de manière générale, une signature électronique repose sur une fonction de hachage permettant de dégager une empreinte unique d’un document, sur des clés cryptographiques (la clé privée détenue par le signataire sert à signer tandis que la clé publique sert à vérifier la signature), sur un certificat électronique qui contient notamment les données d’identification du signataire, et sur un procédé de signature. Une signature électronique qualifiée présente des garanties particulières, notamment en ce que le certificat de signature utilisé est qualifié (v. C. Bléry et T. Douville, art. préc. ; T. Douville, Signature électronique : publication du décret d’application, D. 2017. 1975 ).

Le nouvel alinéa 3 de l’article 456 nous apprend que, lorsqu’un tel déclassement de la signature se produit, cela constitue un « vice de forme » du jugement. Il faut, semble-t-il, imaginer une contestation par un plaideur de la signature électronique, dans l’hypothèse où, par exemple, le certificat expirerait (C. Simon, art. préc.) ? Un juge ne semble pas pouvoir prononcer le déclassement. En tout cas, il n’appelle pas une caducité, mais constitue un « vice de forme ».

La notion est surprenante, puisque « vice de forme » ou « de fond » est une terminologie employée par le code de procédure civile à l’égard des actes de procédure. La nullité pour vice de forme obéit à un régime spécifique prévu aux articles 114 et 115 (C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et de l’Union européenne 2021/2022, S. Guinchard [dir.], 10e éd., Dalloz Action, 2020, nos 272.81 s. ; C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, nos 1054 s.). On peut résumer ainsi les deux règles posées à l’article 114 « pas de nullité sans texte » – sauf formalité substantielle ou d’ordre public et « pas de nullité sans grief ».

Pour les jugements, l’article 458 parle de « nullité » sans autre précision et prévoit un régime différent : le prononcé de la nullité du jugement n’est pas subordonné à l’existence d’un grief, même en cas d’irrégularité de pure forme ; en revanche, la nullité ne pourra être réclamée que dans un cadre déterminé, à savoir dans le cadre d’une voie de recours, appel ou pourvoi en cassation ; en effet, l’article 460 dispose que « la nullité d’un jugement ne peut être demandée que par les voies de recours prévues par la loi » (J. Héron, par T. Le Bars et K. Sahli, Droit judiciaire privé, 7e éd., Lextenso, 2019, nos 506 s.).

Or la liste de l’article 458, alinéa 1er (v. supra), aurait un caractère limitatif pour les règles qui régissent directement l’instrumentum… « tout au plus faut-il réserver le cas d’un jugement qui présenterait une anomalie importante, si rare ou si curieuse que les rédacteurs du code de procédure civile auraient omis de l’indiquer ou d’en prévoir la sanction » (J. Héron, op. cit., n° 508). De plus, la jurisprudence sanctionne l’inaccomplissement d’une formalité substantielle, non inscrite dans la liste de l’article 458, alinéa 1er, et qui touche à la procédure antérieure : l’inaccomplissement d’une telle formalité substantielle entraîne la nullité du jugement (Cass., ch. mixte, 21 juill. 1978, n° 75-14832 P, pour une absence de communication obligataire de l’affaire au ministère public ; adde C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, op. cit., n° 1161).

Pourquoi l’alinéa 3 nouveau de l’article 456 est-il exclu de la liste de l’article 458, alinéa 1er ? Il ne peut être sanctionné par la nullité, sauf à voir dans le « vice de forme » qu’il crée une formalité substantielle ou un vice « rare ou curieux » omis de la liste de l’article 458 ?!

Une autre interprétation (divination ?) est de considérer que l’article 114 s’applique à ce vice de forme et que le prononcé de la nullité suppose la preuve d’un grief… Le demandeur à la nullité (le plaideur condamné par un jugement entaché d’un tel « vice de forme » et qui veut le faire tomber) pourra difficilement prouver une telle perturbation dans sa défense (en faveur de cette vision, v. C. Simon, art. préc.). Mais le jugement n’est pas un acte de procédure et l’article 114 nous semble hors sujet.

Une modification bienvenue aurait été une meilleure réécriture de l’article 458, peu satisfaisant en l’état, or sa nouvelle rédaction le rend encore moins clair : le texte issu du décret du 25 février exclut l’alinéa 3 de l’article 56… lui-même peu limpide.

Il mêle droit et informatique et le ménage n’est pas toujours heureux.

* La dématérialisation de l’injonction de payer

L’article 1er, 20°, du décret a modifié l’article 1411 relatif aux injonctions de payer (v. supra). Cette modification est en vigueur, sans doute depuis le 27 février 2022 : l’article 6 du décret prévoyait une date d’entrée en vigueur à une date fixée par arrêté et au plus tard le 1er mars 2022… Ledit arrêté était bien prêt à temps ; il a même été pris le 24 février, soit un jour avant le décret, mais… il ne fixe pas de date, donc il faut en déduire qu’il est entré en vigueur le lendemain de sa publication.

L’ancien alinéa 1er (« Une copie certifiée conforme de la requête et de l’ordonnance est signifiée, à l’initiative du créancier, à chacun des débiteurs ») est remplacé par les deux alinéas suivants :

« Une copie certifiée conforme de la requête accompagnée du bordereau des documents justificatifs et de l’ordonnance revêtue de la formule exécutoire est signifiée, à l’initiative du créancier, à chacun des débiteurs. L’huissier de justice met à disposition de ces derniers les documents justificatifs par voie électronique selon des modalités définies par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Si les documents justificatifs ne peuvent être mis à disposition par voie électronique pour une cause étrangère à l’huissier de justice, celui-ci les joint à la copie de la requête signifiée. »

La version « mort-née » du décret du 11 octobre 2021 prévoyait la signification au débiteur de la copie de l’ordonnance, revêtue de la formule exécutoire, avec celle de la requête ; les documents justificatifs produits à l’appui de celle-ci étant joints à la copie de la requête. La mouture « 2022 » remplace la signification des documents, joints à la requête, par une mise à disposition desdits documents par voie électronique par les soins de l’huissier (bientôt commissaire) de justice (al. 1er) sauf cause étrangère à l’officier ministériel, auquel cas c’est la solution de la jonction à la copie de la requête signifiée qui prend le relais (al. 2). L’alinéa 1er appelle un arrêté technique… celui du 24 février, donc.

La réforme de l’injonction de payer par le décret du 11 octobre 2021 nous semblait être « un pâle ersatz de celle qui aurait dû voir le jour, en application de la loi Belloubet, à savoir celle de la dématérialisation de cette procédure, traitée par une juridiction nationale (la JUNIP) qui a été abandonnée » (C. Bléry, art. préc., et les réf.). La réforme de la réforme mort-née réintroduit de la dématérialisation et une plateforme. Cette dernière n’est plus une juridiction : c’est une « plateforme de services de communication électronique sécurisée dénommée “Mes Pièces” (www.mespieces.fr), mise en œuvre sous la responsabilité de la Chambre nationale des commissaires de justice, et intégrée au réseau privé sécurisé [des] huissiers (RPSH) ».

Sur un plan pratique, la solution peut laisser de côté les justiciables – débiteurs destinataires de l’ordonnance d’injonction de payer, et donc des pièces mises à disposition en ligne – qui n’utilisent pas le numérique (F.-X. Berger, art. préc.). L’abandon de la JUNIP avait, en partie, été justifié par cette considération et, en plus grande partie, par des raisons financières. Dès lors que les coûts vont être assumés par la CNCJ, la considération de l’illectronisme passe à la trappe…

Sur un plan juridique, plusieurs réflexions peuvent être effectuées :

• si notre organisation (extra)judiciaire s’enrichit d’une nouvelle plateforme, la notion n’est toujours pas définie par les textes ;

• c’est de la CPVE version 2 qui est ici mise en œuvre et non plus de la version 1 caractérisée par une démarche d’équivalence. La notion de mise à disposition, qui n’existait pas dans le code de procédure pénale, y a été introduite avec les premiers textes relatifs à des plateformes : v. les articles 748-3 et 748-8 modifiés par le décret du 3 mai 2019 (Dalloz actualité, 24 mai 2019, obs. C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul). Le décret du 25 février montre une fois de plus que mise à disposition d’un acte, d’une pièce, etc., et plateformisation vont de pair ;

• la notion de cause étrangère à celui qui accomplit un acte par voie électronique a été introduite en revanche dans le code de procédure civile pour la CPVE v1. Ici, l’alinéa 2 nouveau de l’article 1411 consacre heureusement une déclinaison de la cause étrangère au profit de l’huissier sollicité pour une procédure d’injonction de payer ; il entérine aussi une déclinaison du remède à la cause étrangère : un retour à une solution classique de signification (rien ne l’empêchant d’être par voie électronique si le destinataire y a consenti). La jurisprudence relative au RPVA ne pourra pas être appliquée à l’huissier de justice, mais nul doute qu’elle servira de modèle pour admettre quand un dysfonctionnement l’empêche d’utiliser la plateforme. Il est très dommage que la cause étrangère soit unilatérale et qu’elle ne puisse bénéficier au destinataire : quid s’il ne peut accéder à la plateforme pour une cause étrangère ? Quid (on l’a dit) s’il n’a pas d’ordinateur, s’il ne sait pas/ne veut pas s’en servir, etc. ? (v. aussi F.-X. Berger, art. préc.)

Certes, l’alinéa 2 de l’article 2 de l’arrêté dispose que « la consultation des documents déposés est gratuite. Le format des documents ne doit pas occasionner, pour le destinataire, un effort déraisonnable de consultation ». Mais ce vœu (pieux ?) est trop limité (seul le format ne doit pas compliquer la vie du destinataire), ce n’est pas juridique, ce n’est pas une cause étrangère et, une nouvelle fois, quid si l’effort à accomplir pour la consultation est « déraisonnable » ?

De même, si l’article 5, alinéa 3, de l’arrêté prévoit que « le système permet à l’huissier de justice de prolonger la durée de la mise à disposition », ce n’est que pour respecter le délai d’un mois fixé à l’alinéa précédent : « les pièces demeurent disponibles au minimum un mois après la signification faite en application de l’article 1411 du code de procédure civile » (sur l’absence critiquable de prolongation de ce délai en cas de signification non faite à personne, v. F.-X. Berger, art. préc.). L’alinéa 4 met en place un couperet : « À l’expiration de cette mise à disposition, les documents sont automatiquement supprimés. » Si le débiteur n’a pu consulter les documents justificatifs, n’est-il pas condamné « pour les cas résultant du procès », comme certains condamnés sous l’Ancien Régime ? À tout le moins, il risque de ne pas former opposition ou de former une opposition mal à propos s’il n’a pas accès à ces documents…

* * *

D’une manière générale, la légistique est aujourd’hui défaillante. Le décret du 25 février 2022 en est l’illustration flagrante. Les choix procéduraux ne sont pas non plus adaptés, surtout lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre la dématérialisation : le droit semble toujours en décalage par rapport à la technique, trop soumis à elle ou pas assez attentif aux possibilités informatiques. Si le numérique est un outil qui comporte de nombreux avantages, il est dangereux de vouloir l’utiliser en remplacement de l’humain, dans le seul but de faire des économies budgétaires. Il faut se hâter lentement, prendre le temps d’une réflexion globale où les considérations financières et l’informatique sont intégrées à leur juste place.

En attendant des jours meilleurs après ces larmes de « cendres », et paradoxalement, il faut appeler en urgence à l’adoption d’un nouveau texte… pour expliquer, modifier ou abroger, certaines dispositions du décret du 25 février 2022 et de ses arrêtés techniques.

La clarté est à ce prix.