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Le droit en débats

« Du rififi chez les grandes oreilles »

Étude sur les enjeux des interceptions judiciaires dans la procédure pénale au prisme de la Plateforme nationale des interceptions judiciaires.

Par Clarisse Serre et Charles Evrard le 04 Février 2020

Les auteurs tiennent à remercier chaleureusement M. Nicolas Jeanne, maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise, pour ses conseils qui ont contribué à alimenter cette réflexion.

 

La démocratisation de l’offre mobile et des smartphones depuis une vingtaine d’années a conduit à une révolution des techniques d’enquête, rendant incontournables les interceptions téléphoniques et de correspondances émises par la voie électronique dans la procédure pénale. Outre les écoutes, ces interceptions judiciaires concernent également les SMS, courriels, relevés détaillés des appels téléphoniques (les « fadet »), sonorisations et données de géolocalisation.

L’État a longtemps délégué cette mission d’interception à des prestataires privés (Elektron, Azur Integration, Foretec, Midi System, Amecs ou SGME), dont le rôle était de fournir le matériel nécessaire aux enquêteurs et de les aider à l’utiliser. Les lacunes de ce système étaient évidentes : hétérogénéité des pratiques selon les prestataires, risques en termes de confidentialité des données et de garantie du secret de l’instruction, coûts importants pour les finances publiques (les interceptions ont coûté environ 122,55 millions d’euros à l’État en 2015 selon un rapport de la Cour des comptes de 2016).

Pensée dès 2005 pour résoudre ces difficultés, la Plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) devait être la solution miracle pour rationaliser et centraliser le recours aux interceptions au sein d’une plateforme unique, renforcer la sécurité et la traçabilité de ces mesures, replacer les magistrats au cœur de leur mission de direction et de contrôle d’enquête et permettre des économies budgétaires substantielles.

Quinze ans plus tard, force est de constater que la plateforme n’est toujours pas pleinement opérationnelle et est constamment l’objet de critiques, que ce soit pour dénoncer le coût exorbitant de sa mise en place, les innombrables bugs et dysfonctionnements ou les risques en termes de sécurité et de protection des données privées. Dans un avis du 25 avril 2016, la Cour des comptes pointait que la PNIJ devait initialement coûter 17 millions d’euros pour une mise en service courant 2008. Elle ne le sera finalement qu’en 2015, pour un coût dix fois supérieur de 102,7 millions d’euros et ne sera pleinement opérationnelle qu’à l’horizon 2024 pour un coût final de 385 millions d’euros !

Alors même que la PNIJ dispose de ressources et d’une puissance considérable pour pénétrer dans la vie privée des individus, peu de renseignements sont disponibles sur son fonctionnement concret, les modalités d’accès, de conservation et d’exploitation des données recueillies.

Si cette plateforme a été pensée pour faciliter le travail des enquêteurs et des magistrats, elle ne l’a manifestement pas été pour l’exercice des droits de la défense.

La PNIJ, mystérieuse inconnue

Peu d’informations sont disponibles sur le fonctionnement de la PNIJ. Instituée aux termes d’un décret laconique composé de cinq articles, cette plateforme est censée assurer une meilleure centralisation des interceptions judiciaires.

Le cadre légal et réglementaire

La PNIJ est régie par les articles R. 40-42 à R. 40-56 du code de procédure pénale instaurés par décret n° 2014-1162 du 9 octobre 2014 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel, dénommé « Plateforme nationale des interceptions judiciaires ».

Cette plateforme a pour vocation de simplifier et centraliser la mise en place d’interceptions judiciaires par les magistrats instructeurs et les magistrats du parquet, en leur facilitant l’accès aux communications interceptées et aux demandes relatives à la téléphonie, et ce dès la phase d’enquête. En outre, la PNIJ est conçue comme un coffre-fort sécurisé censé garantir un accès simplifié aux scellés judiciaires, pendant et après clôture de l’enquête.

Bien que le texte définitif ne le mentionne pas, l’avis consultatif de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) portant sur le projet de décret instituant la PNIJ précise que la plateforme ne traite que des communications transitant via des opérateurs basés sur le territoire français. Les interceptions de communications à l’étranger ne sont donc pas concernées par la PNIJ et continuent d’être traitées via commission rogatoire internationale.

Centraliser les interceptions judiciaires : ce qui rentre par une oreille ne ressort pas toujours par l’autre

La centralisation des interceptions. Alors que le système antérieur à la mise en service de la PNIJ nécessitait le recours à des sociétés privées et la location de dispositifs d’écoute et d’enregistrement, l’article R. 40-43 du code de procédure pénale permet d’intercepter les communications de toute nature (conversations, SMS, MMS, etc.) et de tout support (ordinateur, portable, tablette, etc.) directement depuis la plateforme.

La simplification des actes nécessaires à la mise en place d’une interception. La PNIJ a pour ambition de replacer les magistrats au cœur de la direction d’enquête en simplifiant, centralisant et en assurant un meilleur suivi des commissions rogatoires techniques et des réquisitions à opérateurs. Concrètement, cela signifie que le magistrat instructeur rédige et signe directement dans la plateforme les commissions rogatoires prises en application des articles 100 à 100-5 du code de procédure pénale, ainsi que les réquisitions aux opérateurs de communications sans nécessairement passer par les officiers de police judiciaire (OPJ). Il en va de même des interceptions réalisées au cours de l’enquête préliminaire ou de flagrance sur autorisation du juge des libertés et de la détention à la requête du procureur de la République (C. pr. pén., art. 74-2, al. 8, et 706-95).

Antérieurement à la mise en service de la PNIJ, les magistrats déléguaient quasi systématiquement l’exécution des interceptions aux OPJ, ce qui pouvait faciliter la pratique dite des « écoutes-taxi », consistant dans le fait de profiter d’une décision d’un magistrat pour ajouter aux réquisitions la surveillance d’une ligne sans rapport avec la procédure (v. E. Fansten, Comment Thalès va équiper les Grandes Oreilles de la justice, Slate.fr, 16 sept. 2011).

La simplification de l’accès aux interceptions

Seul l’OPJ saisi sur commission rogatoire technique (C. pr. pén., art. 100 à 100-2) afin de procéder aux interceptions avait accès aux interceptions judiciaires en cours. Il retranscrivait ensuite sur procès-verbal classique les communications interceptées qu’il jugeait utiles à la manifestation de la vérité. Le magistrat instructeur ou le procureur de la République ne pouvait accéder aux écoutes directement qu’en se déplaçant au service de l’OPJ ou en lui demandant une copie de travail.

La PNIJ simplifie cette procédure en permettant aux magistrats d’avoir directement accès aux écoutes depuis la plateforme et de pouvoir les consulter en direct. L’OPJ rédige par ailleurs directement ces procès-verbaux de retranscription dans la plateforme. En cas de conversation dans une langue étrangère, l’article R. 40-47 du code de procédure pénale prévoit que les interprètes-traducteurs puissent avoir accès, sur autorisation de l’OPJ et pour une durée limitée, aux communications électroniques désignées par ce dernier.

La gestion des scellés

Les interceptions judiciaires étaient jusqu’à présent généralement enregistrées sur un CD-Rom placé sous scellés fermés (C. pr. pén., art. 100-4). L’exploitation de ce CD-Rom directement par les magistrats, et par les avocats s’ils en faisaient la demande, ne pouvait s’effectuer que via une copie de travail transmise par les enquêteurs ou à la suite de la procédure de bris de scellés qui nécessitait la présence du mis en examen assisté de son avocat (C. pr. pén., art. 97).

La PNIJ fonctionne comme un coffre-fort numérique : à l’issue de l’enquête, les interceptions sont placées sur la plateforme, puis dans un coffre-fort numérique distinct de l’application à l’issue de l’enquête. Les magistrats peuvent donc librement consulter les scellés dans la PNIJ, ce qui n’est pas le cas de la défense. À noter que toute demande de transmission des scellés sur support physique ne peut se faire que via une demande à la délégation aux interceptions judiciaires (C. pr. pén., art. R. 40-51), ce qui n’est pas sans poser des difficultés pour l’exercice des droits de la défense (sur ce point, v. infra, Les difficultés liées à l’exercice des droits de la défense).

L’accès au déchiffrement de données cryptées

La PNIJ n’a visiblement pas anticipé l’évolution fulgurante des technologies de communications puisque l’interception des échanges via messages cryptés utilisant la 4G (WhatsApp, Signal, Telegram, etc.) ou par PGP (Pretty Good Privacy) est toujours extrêmement compliquée, à tel point que le ministère de la justice a recourt à deux prestataires privés, en plus de Thalès, pour les enquêtes les plus complexes (v. France Inter, Dans le Prétoir, Sur écoute : la 5G, le cauchemar des enquêteurs, 28 juin 2019). Une situation préoccupante qui ne risque pas de s’améliorer avec l’arrivée de la 5G qui inquiète déjà très fortement les enquêteurs (LePoint.fr, La 5G, un frein dans la lutte contre la criminalité ?, 12 juin 2019).

Concrètement, les règles applicables au déchiffrement des données cryptées ne sont pas modifiées avec la PNIJ. Les magistrats peuvent demander le déchiffrement de données cryptées directement en saisissant le centre technique d’assistance relevant du ministère de l’intérieur (C. pr. pén., art. R. 40-47, V, renvoyant à l’art. 230-2).

La durée de conservation des informations recueillies

L’article R. 40-49 du code de procédure pénale prévoit que les données et informations recueillies sont placées sous scellés au sein de la PNIJ et conservées jusqu’à expiration du délai de prescription de l’action publique. Cette durée de conservation est beaucoup plus longue que celle de trente jours antérieurement applicable (décr. n° 2007-1145, 30 juill. 2007, relatif au STIJ, art. 5). Dans son avis, la CNIL justifie cette extension du délai de conservation par le fait que les enquêteurs peuvent avoir besoin d’accéder aux enregistrements postérieurement à leur transcription à la lumière de nouveaux éléments dont ils disposent. L’article 100-5 du code de procédure pénale contraint pourtant les OPJ à transcrire toute la correspondance « utile à la manifestation de la vérité ». On ne voit donc pas tellement quels éléments nouveaux pourraient justifier de revenir sur une écoute déjà transcrite, sauf à envisager que les enquêteurs établissent ultérieurement des rapprochements par la voix ce qui revient à donner aux techniques de reconnaissance vocale une valeur probante qu’elles n’ont pas (sur ce point, v. infra, Les difficultés liées au recueil et l’usage des données interceptées).

Depuis le 1er février 2017, l’article 230-45 du code de procédure pénale prévoit que les réquisitions d’interceptions judiciaires devront obligatoirement être adressées via la plateforme, « sauf impossibilité technique ».

Or les innombrables bugs et défauts techniques de cette plateforme minent le travail des enquêteurs et mettent en péril des mois d’enquête et de procédure (v. par ex. E. Combier, Police : les inquiétants ratages des écoutes judiciaires, Les Échos, 26 oct. 2017). La PNIJ n’étant toujours pas pleinement opérationnelle, les enquêteurs continuent de recourir aux services de prestataires privés, alors même que cette plateforme devait permettre à l’État de faire des économies substantielles. Une situation ubuesque.

À ce scandale financier s’ajoutent les doutes et inquiétudes sur un certain nombre de dispositions relatives au fonctionnement de la PNIJ et portant atteinte aux libertés publiques.

« Big Brother » vous écoute ?

Cette centralisation des interceptions judiciaires n’est pas sans poser des difficultés au regard du recueil et de l’usage des données interceptées, de l’exercice des droits de la défense et des garanties liées au contrôle de l’usage de la plateforme.

Les difficultés liées au recueil et à l’usage des données interceptées

L’article R. 40-46 du code de procédure pénale détaille les données qui pourront faire l’objet d’une interception judiciaire, à savoir le contenu des conversations téléphoniques (appels, SMS, MMS, courriels, etc.), les données de connexion (factures détaillées dites « fadet », identification des numéros appelants et appelés, localisation téléphonique et l’identification des antennes téléphoniques et relais d’émission) et de géolocalisation en temps réel.

Si la procédure pénale a aujourd’hui très largement recours aux interceptions judiciaires, l’atteinte particulièrement grave qu’elles font peser sur les libertés individuelles conduit les juridictions françaises et la Cour européenne des droits de l’homme à veiller constamment au respect de l’équilibre entre ces deux objectifs à valeur constitutionnelle que sont la poursuite des infractions et le respect de la vie privée et du secret des correspondances. Or, à cet égard, le fonctionnement de la PNIJ et la centralisation de l’information suscitent des inquiétudes légitimes.

Les données de reconnaissance vocale

L’article R. 40-46 du code de procédure pénale prévoit ainsi la possibilité d’enregistrer les données de reconnaissance vocale de l’utilisateur et de les conserver jusqu’à la date de clôture des investigations en matière de communications électroniques et transmission de la procédure à l’autorité compétente (C. pr. pén., art. R. 40-49). La PNIJ entérine le recours aux méthodes d’authentification vocale comme élément de preuve dans le cadre de la procédure pénale, et ce alors même que les spécialistes considèrent que la voix ne peut être considérée comme une donnée biométrique comme les autres en l’état des techniques actuelles (v. par ex. F. Vallet, Jean-François Bonastre : « La voix n’est pas une biométrie classique », Linc, 2 févr. 2017 ou les doutes entourant la reconnaissance vocale de Willy Bardon, accusé du meurtre d’Elodie Kulik, v. C. Audouin, Au procès du meurtre d’Elodie Kulik, entre effroi et incertitudes, France Inter, 29 nov. 2019).

Les données relevant de la liberté de conscience et d’opinion

Autre atteinte grave au respect de la vie privée, l’article R. 40-44 du code de procédure pénale permet à la PNIJ « d’enregistrer des données à caractère personnel de la nature de celles mentionnées au I de l’article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 » (devenu art. 6 depuis l’ord. n° 2018-1125, 2 déc. 2018, entrée en vigueur le 1er juin 2019), c’est-à-dire aux « données à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l’origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale d’une personne physique ou de traiter des données génétiques, des données biométriques aux fins d’identifier une personne physique de manière unique, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle d’une personne physique », à condition que ces données soient « évoquées au cours des communications électroniques ou apparaissent dans les informations communiquées visées à l’article précédent » (C. pr. pén., art. R. 40-43).

Ce texte est particulièrement attentatoire à la vie privée dans la mesure où il permet de collecter des informations relevant de la liberté de conscience et d’opinion lorsqu’elles sont évoquées au cours des communications, sans qu’il soit nécessaire de démontrer leur utilité pour les besoins de l’enquête et la manifestation de la vérité, et ce quel que soit le traitement judiciaire réservé à la procédure ayant autorisé le recours aux interceptions.

Le décret n’apporte aucune précision sur l’utilisation qui sera faite de ces informations, sur la durée de conservation des données, sur la possibilité d’en demander la suppression, etc. Dans un contexte d’accroissement du risque terroriste, que dire de l’hypothèse où une personne placée sous écoute dans le cadre d’une procédure ouverture par exemple pour trafic de stupéfiants exprimerait des opinions radicales sur l’indépendance corse ou l’islam politique ? Le texte autorise la collecte de ces informations, alors même qu’elles n’ont a priori rien à voir avec la procédure ouverte. On voit bien la tentation pour les enquêteurs de « colorer » un dossier avec des informations sans lien avec les faits dénoncés mais censés apporter un éclairage sur la dangerosité supposée d’un suspect. Que deviennent ensuite les informations collectées ? Les enquêteurs peuvent-ils faire un signalement aux services de la sécurité intérieure ?

Autant de questions laissées en suspens qui pourraient néanmoins avoir des conséquences très concrètes pour les justiciables.

Les difficultés liées à l’exercice des droits de la défense

Le décret prévoit que les données collectées sont placées sous scellés, au format numérique au sein de la plateforme, jusqu’à expiration du délai de prescription de l’action publique (C. pr. pén., art. R. 40-49).

L’article 230-45 du code de procédure pénale indique que les dispositions de l’article 100-4 du même code ne sont pas applicables à la PNIJ, c’est-à-dire que les enregistrements téléphoniques ne sont plus placés sous scellés fermés mais sous scellés dématérialisés directement au sein de la plateforme. En effet, l’un des objectifs de la PNIJ est d’assurer la traçabilité et la sécurité des données collectées au sein d’un outil sécurisé uniquement accessible aux personnes disposant d’une habilitation. Les personnes ne disposant pas de cette habilitation, au premier rang desquels les avocats, sont donc dans l’impossibilité d’accéder aux interceptions enregistrées sur la PNIJ.

Or cette disposition pose une difficulté réelle en termes d’exercice des droits de la défense. Antérieurement à la mise en service de la PNIJ, la défense pouvait demander la transmission d’une copie des pièces placées sous scellés au juge d’instruction (C. pr. pén., art. 82-1). Si le magistrat faisait droit à la demande, c’est en général la copie de travail qui était remise aux avocats, afin d’éviter le recours à la fastidieuse procédure de bris de scellés.

Or la PNIJ ambitionne de mettre fin à cette pratique de copie de travail. Les données interceptées sont désormais directement enregistrées au sein de la plateforme, sans possibilité a priori de les télécharger sur un poste informatique. L’article R. 40-51 du code de procédure pénale impose désormais au juge d’instruction faisant droit à la demande de transmission d’une copie de pièces placées sous scellés présentée par la défense de demander à la délégation aux interceptions judiciaire (DIJ), via la PNIJ, une copie du scellé sur support physique.

Ce texte soulève plusieurs problématiques :

• alors que le juge d’instruction est un magistrat indépendant, qui dispose du pouvoir d’apprécier de l’opportunité des demandes d’acte présentées par les avocats pour la manifestation de la vérité, il se retrouve désormais tributaire du bon vouloir de la DIJ pour la transmission d’une copie des scellés ;

• le décret ne précise pas si la DIJ peut s’opposer à une demande de copie de scellés sur support physique ni si des voies de recours sont possibles ;

• en cas d’inertie de la DIJ pour transmettre la copie demandée, l’avocat n’a d’autre recours que d’en appeler à la diligence du juge d’instruction qui peut très bien lui opposer l’absence de réponse de l’administration, sans qu’il soit possible pour la défense de contester. Une situation kafkaïenne qu’a expérimentée l’auteure de ces lignes dans une affaire récente : se voyant opposer le refus de la DIJ de transmettre une copie d’écoutes placées sous scellés dans la PNIJ (pour quel motif, nul ne le sait), la juge d’instruction a invité la défense à venir directement écouter les interceptions depuis son poste de travail dans son bureau… À défaut de fonctionner, la PNIJ favorisera-t-elle un rapprochement entre avocats et magistrats ?

• en tout état de cause, l’inégalité des armes est flagrante, les enquêteurs et magistrats disposant d’un accès permanent aux interceptions judiciaires depuis la plateforme, alors que l’accès de la défense aux données placées sous scellés est entravé par l’ajout d’une formalité supplémentaire.

Autant de difficultés qui compliquent davantage l’exercice des droits de la défense et font peser des risques très lourds sur des procédures menées parfois depuis de longs mois voire plusieurs années.

Ainsi, dans un dossier criminel instruit à Lyon depuis 2016, dans lequel l’essentiel des éléments de preuves reposait sur des interceptions judiciaires, les avocats de la défense ont remarqué que les données interceptées, exploitées dans les procès-verbaux et qui auraient dû être placées sous scellés, ne figuraient pas au dossier, malgré les demandes répétées à la PNIJ. Une situation a priori isolée mais qui reflète les problèmes sérieux d’accès aux preuves pour la défense (v. E. Schittly, Des dossiers criminels fragilisés par des écoutes introuvables, Le Progrès, 30 nov. 2018).

Les difficultés liées au contrôle de la plateforme : quis custodiet ipsos custodes (« qui gardera les gardiens ? »)

La crainte suscitée par cet outil, disposant de moyens de surveillance extrêmement attentatoires aux libertés publiques, a conduit le gouvernement à créer un comité de contrôle chargé de veiller au respect des procédures liées à la mise en œuvre de la PNIJ (C. pr. pén., art. R. 40-53).

Ce comité est composé d’un magistrat de la Cour de cassation, de deux parlementaires et deux personnalités qualifiées. Il est curieux que la CNIL n’ait pas été associée à ce comité au regard du caractère particulièrement intrusif des techniques d’interception et des données pouvant être collectées. L’utilité de ce comité est en outre toute relative dans la mesure où il ne dispose d’aucun pouvoir de sanctions.

Comme le relève Pascal Dourneau-Josette, professeur associé à l’université de Strasbourg et chef de division à la Cour européenne des droits de l’homme (v. Rép. pén., Interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications électroniques, par P. Dourneau-Josette, n° 41) : « au regard des libertés publiques et des droits fondamentaux, la crainte susceptible d’être provoquée par un tel développement des moyens de surveillance approfondie des personnes concerne en l’état sans doute moins les hackers que ceux qui sont susceptibles d’y avoir régulièrement accès ».

L’article R. 40-51 du code de procédure pénale confie à la DIJ, qui dépend du ministère de la justice, la constitution et la conservation des données interceptées et placées sous scellés. Quid de l’hypothèse où un membre du gouvernement ordonnerait à la DIJ la transmission d’écoutes ou de conversations interceptées dans le cadre d’une enquête judiciaire qui pourrait l’impliquer lui ou un proche ? Quid de l’hypothèse où un membre du gouvernement ordonnerait la communication d’informations personnelles d’un opposant politique ou d’un proche collaborateur placé sous écoute ? Ce ne serait pas la première fois qu’un responsable politique impliqué dans une procédure judiciaire demanderait que lui soient communiquées des informations relevant du secret de l’instruction…

La crainte du détournement d’un appareil de surveillance de masse et la tentation d’utiliser la PNIJ à des fins autres que judiciaires, aussi théoriques qu’elles apparaissent, ne sont pas totalement sans fondements. Pour pallier ces risques, l’article R. 40-50 du code de procédure pénale prévoit que toutes les opérations effectuées sur la plateforme font l’objet d’un enregistrement comprenant l’identification de l’utilisateur, la date, l’heure et la nature de l’action. Ces données ne sont néanmoins conservées que pendant cinq ans et uniquement accessibles au comité de contrôle… Impossible donc pour le justiciable de savoir précisément qui a accès aux données recueillies dans le cadre des interceptions judiciaires. Il dispose néanmoins d’un droit d’accès indirect (mais pas d’information ou d’opposition) en saisissant la CNIL qui procédera aux investigations et éventuelles modifications nécessaires.

Se pose enfin la question de la sécurité des données centralisées au sein d’un système unique et la pertinence de déléguer une mission de service public à une entreprise privée. L’État a en effet confié la gestion de la PNIJ à la société Thalès qui dispose à ce jour de la maîtrise intégrale du site à Élancourt, du matériel, des serveurs informatiques, de la rédaction des lignes de codes ou encore des clés de cryptage. Certes, la centralisation présente un intérêt, puisque le fonctionnement antérieur des interceptions reposait sur un système hétérogène et décentralisé faisant appel à plusieurs prestataires privés. Cependant, la centralisation du dispositif l’expose davantage au risque d’être la cible de cyberattaques (intérieures ou étrangères) et de paralyser les procédures pénales en cas de panne (v. L’Express.fr, Bug inquiétant du système d’écoutes de la police, 14 mars 2016). Que dire enfin de la situation où Thalès serait placée sous écoute dans le cadre d’une enquête alors qu’elle gère elle-même les données recueillies (v. E. Paquette, Thales : l’écouteur écouté ?, L’Express.fr, 7 mai 2013). Le choix de confier le marché de la mise en service de la PNIJ à un prestataire privé avait grandement interloqué la Cour des comptes qui s’interrogeait sur les raisons ayant conduit le ministère de l’intérieur à refuser d’installer la plateforme dans l’un de ses sites informatiques sécurisés.

* * *

Alors que la PNIJ est toujours en développement depuis sa mise en service en 2015, le ministère de la justice, via l’Agence nationale des techniques d’enquêtes numériques judiciaires (ANTENJ), a déjà lancé un appel d’offres afin de préparer le système qui remplacera la PNIJ à l’horizon 2024, baptisé système d’information des techniques d’enquêtes numériques judiciaires (SITENJ). Un rebondissement de plus pour un fiasco judiciaire qui a tout du scandale d’État.

 

 

Sources

• Rép. pén., Interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications électroniques, par P. Dourneau-Josette.

• Rép. pén., Terrorisme – Poursuites et indemnisation – Procédure interne, par Y. Mayaud.

• Rép. pén., Juge d’instruction – L’institution du juge d’instruction, par L. Belfanti.

• A. Hastings-Marchadier, Le budget de la justice pénale et la loi de finances pour 2019, AJ pénal 2019. 108 .

• O. Violeau, Les techniques d’investigations numériques : entre insécurité juridique et limites pratiques, AJ pénal 2017. 324 .

• M. Imbert-Quaretta, La plate-forme nationale des interceptions judiciaires, AJ pénal 2017. 318 .

• M. Touillier, Lumière sur un arsenal de lutte contre une délinquance tapie dans l’ombre, AJ pénal 2017. 312 .

• G. Thierry, Comment le ministère de la justice espère rebondir sur le dossier des écoutes judiciaires, Dalloz actualité, 21 nov. 2018, 

• T. Lebreton, Investigations et téléphonie mobile, Gaz. Pal., 12 mars 2019, n° 10, p. 15.