La dernière version du projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » contient une réécriture de dispositions majeures du droit de l’exécution des peines : celles relatives aux réductions de peines [ce texte est, à l’heure de la parution de cet article, toujours au stade de projet et peut donc évoluer].
D’après les statistiques de la Direction de l’administration pénitentiaire, 54 665 personnes condamnées étaient écrouées1 au 1er décembre 2020, soit autant de personnes pour lesquelles le droit de l’exécution des peines s’applique.
La notion de réduction de peines est un sujet politiquement sensible : il est courant d’entendre dans les médias qu’une personne condamnée à une lourde peine n’en exécutera dans les faits qu’une courte partie2. C’est là bien mal connaître le droit de l’exécution des peines et les magistrats qui l’appliquent.
Depuis la Loi Perben II du 9 mars 2004, la dernière à avoir eu un impact en profondeur sur les règles en la matière3, aucune réforme n’est venue modifier sérieusement ce corpus de texte sauf pour prendre en compte la notion de récidive4 ou la situation des condamnés pour terrorisme5.
La raison est simple : pourquoi réformer un dispositif légal qui fonctionne quand la France est régulièrement condamnée sur d’autres sujets par la Cour européenne des droits de l’homme6 ?
Les mécanismes existants
La distinction entre les différents mécanismes de réductions de peines : CRP, RSP et RPE
Synthétiquement, les crédits de remise de peine (CRP) sont accordés automatiquement aux personnes condamnées (à l’exception des condamnés pour des actes de terrorisme)7 à hauteur de trois mois pour la première année d’emprisonnement prononcée et de deux mois pour les années suivantes8.
La réduction supplémentaire de peine (RSP) est accordée une fois par an, dans une limite de trois mois de réduction par année d’incarcération, par le juge de l’application des peines à la personne condamnée qui manifeste des efforts sérieux de réadaptation sociale (suivi d’enseignements, suivi thérapeutique, indemnisation des victimes …)9.
Il convient enfin d’évoquer l’existence d’un troisième outil : la réduction de peine exceptionnelle. Elle est accordée à celui qui collabore en matière de criminalité organisée10. Un nouveau cas est prévu par le projet de réforme : celui du condamné qui permet d’éviter des violences contre des agents pénitentiaires ou qui permet d’y mettre fin. Ce dispositif a vocation à s’appliquer dans des cas très particuliers, raison pour laquelle il ne fera pas l’objet de plus amples développements.
Le point de crispation : l’automaticité dans l’octroi de la réduction de peines
Les crédits de remise de peine sont accordés automatiquement en une fois, au moment de la condamnation, là où les réductions supplémentaires de peine sont accordées à la fin de chaque année d’incarcération effectuée, en fonction des efforts réalisés.
Cela revient à opposer de manière réductrice les CRP, accordés en échange « de rien », et donc présentés de manière péjorative comme simple mode de régulation de la population carcérale qui n’en a pas le nom, aux RSP, érigées en récompenses suprêmes d’efforts à valoriser, et donc mises sur un piédestal.
L’automaticité présente un avantage indéniable : les juges de l’application des peines consacrent du temps aux dossiers des détenus à problème, minoritaires en détention, lesquels méritent des retraits de CRP. Ils ne perdent pas de temps avec ceux, majoritaires en prison, qui ne posent pas de problèmes. Vu le nombre de condamnées écrouées qui a été évoqué supra, c’est un gain de temps pour des magistrats occupés par d’autres missions.
L’évolution envisagée
Le projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » prévoit une fusion du système actuellement en place. À première vue, la personne condamnée pourrait prétendre aux mêmes réductions de peine en fin de compte. Néanmoins, analysé de près, le système proposé présente de nombreuses lacunes.
Une rédaction insuffisamment précise du texte
Pris en sa rédaction actuelle, il est question « d’une réduction de peine accordée (…) aux condamnés qui ont donné des preuves suffisantes de bonne conduite ou qui ont manifesté des efforts sérieux de réinsertion », laquelle « ne peut excéder un total de six mois par année d’incarcération, une partie de réduction étant justifiée par la bonne conduite du condamné et l’autre par ses efforts sérieux de réinsertion ».
Concrètement, cela ne veut rien dire. La durée de la réduction justifiée par le comportement n’est pas précisée.
Rappelons que pour le Conseil constitutionnel, la loi pénale doit être claire et précise11. Cette institution n’a pas hésité à censurer des propositions de lois quand elle l’a estimé nécessaire12.
Surtout, il est question « de donner des preuves suffisantes de bonne conduite ». Là encore, l’imprécision du texte interroge. On ignore quel document le condamné pourrait transmettre pour démontrer qu’il a eu une bonne conduite au cours de l’année d’incarcération écoulée.
S’il faut comprendre ici que les juges de l’application des peines sont appelés pour cela à comptabiliser les comptes-rendus d’incidents pour se prononcer, alors il y a tout lieu de s’inquiéter : ces rapports ne sont pas obligatoirement suivis de commissions de discipline au cour desquelles il est possible de se défendre en étant assisté d’un avocat.
Enfin, l’automaticité présente un avantage : celle de l’égalité entre les personnes condamnées qui exécutent une peine. La pratique démontre qu’il est plus ou moins difficile d’obtenir une RSP en fonction de l’établissement dans lequel la peine est exécutée. L’automaticité fait que chaque personne condamnée, de Dunkerque à Marseille, bénéficie des mêmes crédits de remise de peine, à charge ensuite pour elle de ne pas avoir un comportement en justifiant le retrait.
Une rédaction qui ne tient pas compte des réalités du monde pénitentiaire
La réforme des dispositions relatives à l’exécution des peines vise à promouvoir et à valoriser les efforts fait par certains détenus13. C’est la raison d’être des RSP et c’est ce qui explique toute l’inutilité de cette réforme.
En l’état actuel des textes en vigueur, la personne qui exécute une peine de plus d’un an d’emprisonnement bénéficie de trois mois de crédit de remise de peine pour la première année d’emprisonnement prononcée et de deux mois pour les années suivantes14.
Pris en sa rédaction du moment, il est question dans le projet de réforme « d’une réduction de peine qui ne peut excéder un total de six mois par année d’incarcération ». En conséquence, par année exécutée, une personne condamnée à une peine importante pourrait avoir gagné, à la fin de l’exécution de celle-ci, un mois supplémentaire chaque année.
À l’inverse, pour les personnes qui exécutent de courtes peines, il n’y aura plus de remise de peine car les magistrats n’auront pas le temps de les accorder. Ces condamnés resteront donc plus longtemps en prison.
Ce profil de condamnés est déjà désavantagé. Une RSP est accordée à celui qui manifeste des efforts sérieux de réadaptation sociale et le travail en prison en fait partie. La réalité du système carcéral français est celui des listes d’attente en la matière et non celui du travail à pourvoir.
De fait, le condamné qui en fait la demande attend souvent de nombreux mois avant de travailler, ce qui est dommageable pour les personnes exécutant de courtes peines. Le projet de réforme, tel qu’il est conçu actuellement, ne ferait que creuser un peu plus une inégalité déjà existante.
Conclusion
En l’état, il ressort de ce qui précède que cette réforme du droit de l’exécution des peines, telle qu’elle est envisagée, est contre-productive.
Elle vise à réformer un système qui fonctionne. Sa mise en place aboutirait nécessairement à la création d’inégalités territoriales et à un emboutaillage des cabinets des juges d’application des peines, lesquels font déjà face à des difficultés importantes d’audiencement des procédures dont ils sont saisis.
Un tel projet de réforme législatif ne saurait participer à l’objectif fixé par la Cour européenne des droits de l’homme qui est celui d’obtenir une baisse significative du nombre de détenus en France.
D’après les statistiques de la Direction de l’administration pénitentiaire, la densité carcérale moyenne en France au 1er février 2021 était de 105 %15.
Nous sommes loin de la déflation carcérale pourtant nécessaire, compte-tenu de la condamnation en 2020 de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, pour la surpopulation carcérale16.
1. Ecroué : « Est écrouée toute personne ayant fait l’objet d’une mise sous écrou. L’écrou est l’acte par lequel est établie la prise en charge par l’administration pénitentiaire des personnes placées en détention provisoire ou condamnées à une peine privative de liberté. La personne écrouée peut être hébergée au sein d’un établissement pénitentiaire ou non » (source : Statistique des établissements des personnes écrouées en France au 1er févr. 2021)
2. V. par ex., Non, Jonathann Daval n’est pas près de sortir de prison, L’Est Républicain, 23 déc. 2020 :
3. C. pr. pén., art. 721 s.
4. Loi n° 2005-1549 du 12 déc. 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales.
5. Création de l’art. 721-1-1 c. pr. pén. par la loi n° 2016-987 du 21 juill. 2016.
6. V. par ex., La condamnation de la France pour la surpopulation carcérale ; CEDH 30 janv. 2020, n° 9671/15, J.M.B. c/ France, AJDA 2020. 263 ; ibid. 1064 , note H. Avvenire ; D. 2020. 753, et les obs. , note J.-F. Renucci ; ibid. 1195, obs. J.-P. Céré, J. Falxa et M. Herzog-Evans ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; ibid. 2021. 432, chron. M. Afroukh et J.-P. Marguénaud ; JA 2020, n° 614, p. 11, obs. T. Giraud ; AJ pénal 2020. 122, étude J.-P. Céré .
7. C. pr. pén., art. 721-1-1 créé par la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 (exclut de cette exception les infractions définies aux art. 421-2-5 et 421-2-5-2 c. pén.).
8. C. pr. pén., art. 721.
9. C. pr. pén., art. 721-1.
10. C. pr. pén., art. 721-3.
11. V. Cons. const. 20 janv. 1981, n° 80-127 DC.
12. V. par ex. à ce propos, Cons. const. 18 juin 2020, n° 2020-801 DC, Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, AJDA 2020. 1265 ; D. 2020. 1297, et les obs. ; ibid. 1448, entretien C. Bigot ; AJ pénal 2020. 407, note N. Droin ; Dalloz IP/IT 2020. 542, étude F. Potier ; ibid. 577, obs. Brunessen Bertrand et J. Sirinelli ; Légipresse 2020. 336 et les obs. .
13. V., Les réductions de peine sont-elles vraiment « automatiques » ?, Le dauphiné, 10 mars 2021.
14. C. pr. pén., art. 721.
15. Statistique des établissements des personnes écrouées en France au 1er février 2021, préc.
16. Condamnation de la France pour la surpopulation carcérale ; CEDH 30 janv. 2020, J.M.B. et autres c/ France, préc.