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Le droit en débats

Entre humiliation et pouvoir

Par Delphine Boesel le 23 Octobre 2018

« Les fouilles à nu sont toujours des moments très difficiles qui convoient la haine et nourrissent l’humiliation. Vous ne savez jamais quand viendra votre tour. Sachant que vous n’avez que trois douches par semaines, parfois vous êtes sale, vos habits aussi, mais vous n’avez pas le choix. Ce sentiment de honte et de haine que vous éprouvez face à ce surveillant qui palpe votre caleçon en tirant une tête dégoûtée ! […] »

« En sortant d’un parloir famille, j’apprends que je figure sur la liste des personnes à fouiller systématiquement suite à la découverte, lors d’un précédent parloir, soit de stupéfiants, soit d’un portable. Ne me sentant pas concerné, je refuse la fouille et demande à voir le chef des parloirs. Refus de la part des surveillants, au prétexte qu’en l’absence du chef ce jour-là, ils décident eux-mêmes. Si je n’accepte pas la fouille intégrale, je suis menacé d’être envoyé directement au quartier disciplinaire… Je m’exécute, non sans manifester mon mécontentement. J’écris à la cheffe de détention pour lui signaler ce dysfonctionnement, puisque rien n’a été trouvé sur moi ou dans ma cellule, ni cette fois ni jamais. Une semaine plus tard, je n’étais plus sur la liste de personnes à fouiller, sans autre forme de procès ! Je n’ai jamais pu obtenir d’explication écrite ou orale sur le sujet. […] »1

 

De nombreux témoignages, tels que ceux repris ici, parviennent à l’OIP sur les fouilles à corps en prison. Des plaintes sont adressées à leurs avocats par des clients détenus sur la fréquence, les méthodes de fouilles auxquelles ils sont soumis, à la sortie d’un parloir, au retour d’une promenade, ou à l’occasion de déplacement dans un autre lieu de la détention.

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté et d’autres organes de contrôle sont destinataires également de telles dénonciations, tandis que les juridictions administratives sont aussi saisies pour contester ces pratiques d’un autre âge.

Les fouilles à corps (ou fouilles à nu) en prison sont réalisées sur la base de l’article 57 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, qui a donné une assise légale à une vieille pratique de l’institution pénitentiaire. Cet article n’a jamais interdit la possibilité pour un agent pénitentiaire de réaliser une fouille intégrale mais en a encadré l’usage selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Depuis son entrée en vigueur, les syndicats de surveillants n’ont pourtant eu de cesse d’en demander l’abrogation, considérant que l’interdiction des fouilles à nu pratiquées de manière systématique, vis-à-vis de l’ensemble des personnes détenues, est susceptible de mettre en péril la sécurité des établissements ou des personnels.

Que dit cet article 57 ?

Initialement, après le vote de la loi du 24 novembre 2009, il était prescrit que « les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes. […] »2

Il est ainsi faux de prétendre que les fouilles corporelles ont été supprimées par l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, comme peuvent le répéter inlassablement tous les représentants syndicalistes des agents pénitentiaires.

La règle était en revanche claire : les fouilles ne doivent plus être systématiques et pratiquées sans une raison particulière liée à la personnalité du prisonnier qui y est soumis.

Avec la loi du 3 juin 2016, un assouplissement de ces règles a été voté par la représentation nationale et un alinéa a été ajouté à cet article 57 : « Lorsqu’il existe des raisons sérieuses de soupçonner l’introduction au sein de l’établissement pénitentiaire d’objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens, le chef d’établissement peut également ordonner des fouilles dans des lieux et pour une période de temps déterminés, indépendamment de la personnalité des personnes détenues. Ces fouilles doivent être strictement nécessaires et proportionnées. Elles sont spécialement motivées et font l’objet d’un rapport circonstancié transmis au procureur de la République territorialement compétent et à la direction de l’administration pénitentiaire ».

Quelle est la réalité ?

Les fouilles à corps existent toujours et impliquent toujours une mise à nu d’un prisonnier devant un surveillant, qui doit palper tous ses vêtements, du caleçon aux chaussettes.

Si dans les textes, et dans certains pratiques, le fait de se pencher et tousser n’est plus exigé des personnes détenues, ne sont pas rares les témoignages de celles et ceux qui subissent toujours ce type de fouille à corps, rendant cette pratique encore plus humiliante et dégradante.

Il est nécessaire de rappeler que la France a été plusieurs fois condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a considéré que ces fouilles répétées et systématiques, subies parfois plusieurs fois par jour, constituaient un traitement inhumain et dégradant3. Il est nécessaire de rappeler encore que la France est mise en cause par des organismes internationaux sur cette pratique et le comité de prévention de la torture dénonce le recours « fréquent, voire systématique aux fouilles intégrales dans certains établissements », tandis que les Nations unies demandaient de leur côté aux autorités françaises d’assurer un strict contrôle des principes de nécessité et de proportionnalité des fouilles intégrales, insuffisamment respectés.

À l’occasion du mouvement des surveillants pénitentiaires du début de l’année 2018, et pour calmer une colère focalisée sur une demande de plus de sécurité, l’Assemblée nationale a diligenté une mission d’information relative au régime des fouilles en détention ; le rapport a été remis le 2 octobre 2018 et apparaît plus que décevant sur le parti pris dégagé par des députés cherchant surtout « à rassurer les syndicats de surveillants en insistant sur le fait que le cadre juridique actuel n’interdit pas selon eux un usage fréquent des fouilles à nu. Et propose de le consolider en renforçant les dispositifs sécuritaires »4 (v. Dalloz actualité, 11 oct. 2018, obs. P. Dufourq isset(node/192631) ? node/192631 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>192631).

Les auteurs du rapport reconnaissent eux-mêmes qu’il « n’est pas certain que l’abrogation de l’article 57 permettrait de mettre fin aux violences et aux trafics d’objets dangereux et illicites »5, contredisant ainsi cet argument remis toujours en avant.

Ainsi, une pratique, jugée dégradante et humiliante, qui n’aurait que peu d’impact pour lutter contre la violence ou les trafics en détention, ne devrait pouvoir prospérer sauf à admettre enfin qu’il s’agit réellement d’un moyen pour des personnels d’exercer un pouvoir sur les prisonniers.

À quel moment l’institution pénitentiaire interrogera-t-elle ses moyens d’action ? Surtout lorsqu’il est par ailleurs admis qu’une telle pratique n’a pas d’influence sur les violences ou trafics en détention ?

À quel moment admettra-t-elle qu’il existe d’autres pratiques ou d’autres moyens que de faire sentir à celle ou celui qu’elle garde qu’elle a le droit de l’humilier ? 

 

 

 

1. Source OIP, Fouilles à nu : souvent illégales, toujours humiliantes.
2. Version en vigueur le 24 nov. 2009.
3. CEDH 12 juin 2007,
Frérot c. France, req. n° 70204/01, D. 2007. 2632 , obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; ibid. 2008. 1015, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2007. 336, obs. M. Herzog-Evans ; RSC 2008. 140, obs. J.-P. Marguénaud et D. Roets ; ibid. 140, obs. J.-P. Marguénaud et D. Roets ; ibid. 404, chron. P. Poncela ; 9 juill. 2009, Khider c. France, req. n° 39364/05, AJDA 2010. 994, étude M. Moliner-Dubost ; D. 2009. 2462 , note M. Herzog-Evans ; ibid. 2825, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; ibid. 2010. 1376, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2009. 372, obs. M. Herzog-Evans ; RSC 2010. 225, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 645, chron. P. Poncela
4. Communiqué de presse de l’OIP-SF, 3 oct. 2018.
5. Page 29 du rapport.